samedi 30 juillet 2022

Les Venturi en France



Parfois on ne sait pas vraiment pourquoi.
Je veux dire que je ne sais pas vraiment pourquoi je me décide, contre toute logique, à faire le choix d'acheter une carte postale. Pourtant, ici, j'ai su que l'écoute de l'émission sur les Venturi et la réception de Learning Las Vegas ne doit pas être pour rien dans ma décision d'acheter cette carte postale de cet ensemble commercial Le Sympatic à Loudeac.
Est-ce que je me dois de comprendre que finalement ce sont bien plus mes connaissances sur les Venturi que l'architecture-même qui ici font que je vous en parle. Voilà une architecture bien étrange, moderne certes, si on admet que la modernité tient à un pragmatisme honnête du programme (deux plateaux largement ouverts, deux étages de l'hôtel) mais aussi assez indifférente à tout effet grandiloquent de style, d'affirmation de soi, de joie à être un monument. Tout ici tend à faire disparaître et confondre le bâtiment à son environnement, au fil de la rue. Seul, le coin brisé de l'îlot offrant l'entrée et prolongé sur toute la hauteur jusqu'au décrochement formant un petit balcon en triangle fabrique ici un effet de style que la décoration du crépi descendant d'un étrange chien-assis aveuglé poursuit. Mais pourquoi donc avoir éteint cette ouverture ? Pourquoi donc avoir conservé le volume et en avoir bouché sa raison d'être ? C'est donc le seul volume qui viendra perturber la façade et son rôle est nié. Voilà bien là, dans le jeu amusé d'une architecture qui raconte une histoire, un contexte, un humour très Venturi !
Les éditions Jack, bien entendu, (mais pourquoi y ai-je cru pourtant ?) ne nomment pas "l'architecte"... Et cet anonymat ici, cette indifférence à l'œuvre, cette volonté d'éteindre le geste créateur au profit d'une efficacité radicale et efficiente est aussi la preuve que ce Sympatic n'est pas un monument. Non, il est un programme au fil de la rue, il est une utilité faisant ce qu'il peut pour convaincre, être au plus proche du désir qui a fondé sa création. On pourrait dire que c'est propre et net.
Martin Parr dirait, à tort, ennuyeux.
Mais pourtant, il y a bien ici un désir esthétique, la joie de faire une belle image et peut-être un beau lieu avec cette carte postale qui rend hommage à ce pragmatisme. C'est que le photographe vient entre chien et loup, au moment-même où Le Sympatic est éclairé de l'intérieur et que la nuit n'est pas encore là. Toute l'image se teinte donc d'un mauve, d'un bleu que le néon Le Sympatic vient admirablement compléter. Ai-je le droit d'y voir là le seul élément qui fasse architecture comme dans le Las Vegas des Venturi ? Est-ce que ce bâtiment à peine envisagé comme une architecture ne tiendrait pas tout entier en grande partie dans l'affichage de ses fonctions accrochées sur sa façade : bar, restaurant, tabac, hôtel, Loto, luminaires... Bien entendu, ce moment entre deux lumières, celle du dedans et celle du dehors permet surtout à la construction de raconter son intérieur qui ainsi apparait bien lisible. C'est malin, ainsi on perçoit en effet très bien les fonctions. On peut regarder dedans. C'est transparent, c'est bien ce que les grandes baies permettent. Comme c'est... bien vu !
Vous voyez on peut toujours s'amuser avec l'histoire de l'architecture, on peut toujours tirer vers soi nos reconnaissances, nous approprier les références sur des objets de peu. Je suis persuadé que les Venturi auraient aimé boire un café crème ici. Et ce café de Loudeac porte bien son nom anglicisé : Le Sympatic.
À notre tour : Learning from Loudeac.

Si vous voulez entendre l'émission sur les Venturi avec le toujours pertinent Valery Didelon, je me permets de vous conseiller ça : 



lundi 25 juillet 2022

Toi le photographe

 Toi, le photographe qui part en patrouille au petit matin, qui regarde avant Instagram, qui a entendu parler de New Topographics, de l'Urbex, toi à qui ta petite amie a offert le Archi-Brut de Chadwick et qui croit en cette soupe, toi qui blanchit tes ciels sous Photoshop dont tu as récupéré une copie piratée par un copain graphiste à Nantes, toi le photographe qui croit encore que Bernd et Hilla Becher étaient des artistes contemporains, toi qui voit toujours un peu en retard les icônes de l'architecture moderne et contemporaine, toi qui croit que la série est le seul mode de photographie possible, toi qui construit des Atlas et qui imprime sur du Dibond tes images pour leur donner un peu du lustre culturel, toi le photographe qui a fait de l'argentique comme une valeur ajoutée, toi qui ne veut personne dans son cadre pour donner du solennel à son image, du mystère, quelque chose de froid, de distancié, toi qui ne sait rien de l'architecture et des notions d'espaces, de seuil, de passage, qui ne sait pas lire un plan, toi qui croit que la façade, l'épiderme de la construction suffisent à comprendre, toi qui voudrait trouver un lieu inédit, original que personne n'aurait jamais vu avant toi, tu te voudrais inventeur d'icônes, toi qui ne veut jamais dire où sont tes spots pour garder la main sur ce que tu crois être une originalité, toi qui associe parfois l'habitant pour te justifier, te donner la permission du safari, comme un sociologue de l'image, toi que ne lit rien sur l'histoire de l'architecture parce que ce qui compte c'est la surface des choses et pas leurs raisons d'être, toi qui n'analyse rien, qui laisse, crois-tu, tes images parler toutes seules comme tu dis, toi le photographe qui n'agit pas, ne défend rien, toi qui court dans les mêmes lieux que tes congénères, toi qui pense que photographier une architecture sur dalle est le summum de la subversion artistique, qui croit encore que aimer le Brutalisme est anti-conformiste, subversif, toi pour qui l'hétérotopie est le mot et le concept le plus compliqué que tu connaisses, toi qui parce qu'il marche en ville se croit en dérive comme ce pauvre Guy Debord, toi qui croit que photographier ce que le commun trouve moche sera ton summum de rébellion, ton avant-garde, toi qui rêve de la friche idéale trouvée au détour d'un virage, toi qui passe par-dessus ce mur, qui pousse cette porte avec la petite peur amusante de l'interdit, ce frisson qui justifiera tes images, je te propose ça :



Le photographe ne dit rien de lui. Il a cette merveilleuse capacité de nous laisser croire qu'il n'y a pas de photographe, qu'une machine ou qu'un œil décorporé aurait réalisé cette image. Il n'est pas là le photographe et c'est ce qui fait la grandeur de cette photographie. Il pousse le réel jusqu'à réduire sa place à peu de chose, d'abord sa hauteur d'homme debout dans un lieu. On doute même de l'intérêt de son image, on cherche son rôle, son but. On pourrait rire presque d'aussi peu de désir d'image. Mais vois-tu, photographe, vois-tu ?
Le ciel immense, la perspective tranquille et pas politisée ? Personne ne surveille, personne ne punit. L'implacable perception d'un lieu, de ses espaces, de sa reconnaissance, d'une image. Il faut pour faire ce genre de photographie une force énorme car il faut s'y abandonner, se plier au jeu de l'attendu, ne même pas mettre son nom au dos, ne rien dire de soi, ne pas croire en sa propre place, tout donner à sa mission. En fait, ce qui fait la force de ce photographe c'est qu'il est presque gêné de porter attention à cet espace, il voudrait qu'on l'oublie : il cadre. 
Auras-tu vu comment l'ombre se pose parfaitement sur l'alignement des fenêtres ? Et là, pas grand monde pour dire quoi que ce soit de l'architecture sociale. Pas d'extravagance d'architecte à mettre sur le mur de l'étonnement oublieux d'un centre d'art. Rien que de l'impeccable hard french, bien droit, bien blanc, serein encore. 
Tu ne feras jamais aussi bien car il n'est pas facile de photographier sans soi. Il n'est pas facile de faire croire en son absence par la perfection absolue de l'application d'un genre photographique. On appellera ça le détachement vers la beauté.

Tremblay-lès-Gonesse, Cité des Cottages, édition Combier.

samedi 23 juillet 2022

Perret Vocabulaire

 Ce matin, à Pont-de-l'Arche, mon frère Christophe et moi étions bien tranquilles sur la foire à tout. Faut dire qu'il y avait peu de stands. Mais c'était bien agréable cette sensation que les vendeurs étaient presque venus pour nous. Pourtant, nous n'avons pas trouvé grand chose et, à part les quatre boîtes pleines de cartes postales, je n'ai rien trouvé.
Donc, bien planté sur mes deux pieds, triant dans ce lot d'environ deux milles cartes, mes petites clochettes intérieures se sont mises à sonner en voyant cette carte postale :



Nous sommes à Donzère-Mondragon, devant l'Usine Blondel grâce aux éditions La Cigogne qui ne nomment pas son photographe. C'est bien dommage car la qualité est au rendez-vous et l'image est parfaitement tenue dans ses valeurs de noir et de blanc, presque étales, sans ombre. Remarquez comme le ciel est exactement du même gris que l'eau. Bien entendu, j'ai reconnu l'écriture des Perret, j'étais même persuadé sur place d'avoir trouvé son architecte ! Mais non... l'architecte de cette merveille de béton classique est Théodore Sardnal qui fut bien l'élève des... Perret ! Ouf ! Je n'étais pas si ridicule que ça... Mon honneur d'expert du dimanche est sauf ! Mais mes clochettes intérieures continuaient de tintinnabuler car il me semblait avoir déjà vu ça quelque part. À mon domicile, dans le classeur Génie Civil trop arrondi par le surnombre de cartes postales, je trouve cette autre carte postale de la chute de Donzère-Mondragon réalisée par le spécialiste des vues aériennes : Cellard. ( Mais où sont vos archives ?)



On notera que cette carte coloriée ne nomme pas plus que la première Monsieur Sardnal son architecte. J'apprends que l'ensemble est maintenant classé. C'est heureux. Ce qui est certain c'est que l'écriture architecturale est transparente à ses références et que cela conduit à se demander s'il existe un inventaire des presque architectures de Perret. Il est aussi assez intéressant de voir comment ce style est reconnu, comment les éléments qui en sont constitutifs éprouvent immédiatement leur modèle, comment, finalement, un style vient s'identifier aussi facilement dans votre imaginaire. On appelle cela un vocabulaire.
Pour toutes les infos techniques et patrimoniales, je ne paraphraserai pas le travail des autres, je préfère leur rendre hommage et les remercier en vous conseillant d'aller là :



Attention ! Il se pourrait bien qu'une carte postale tape l'incruste dans cet article, j'en suis désolé et je m'en excuse.




samedi 16 juillet 2022

Le Gers et Babel en Normandie

Parfois, oui, il faut savoir lever le nez de la boîte à chaussures remplie de cartes postales pour voir de l'Architecture Contemporaine.
Mais d'abord, il faut trier ce qui est là disponible. Et on trouve encore des églises de Novarina (eh oui encore...) et des pépites bien plus inattendues :



Vous avez vu ?
Allez...
Regardez bien... Sans doute que, parmi vous, certains vont me trouver un peu baroque dans mes détails mais c'est pourtant bien ce qui me permet de repérer cette petite construction en préfabriqué que nous avions découvert, il y a bien longtemps maintenant ici :




En effet, on reconnaît parfaitement le modèle D333 de club des jeunes ! Ici pourtant, Combier l'éditeur de la carte postale nous précise seulement qu'il s'agit du camping de Plaisance-du-Gers et non d'un club des jeunes. On remarque aussi que le préfabriqué est posé sur des pilotis, sans doute que le terrain est propice à des inondations ce qui donne d'ailleurs à ce modèle D333 une allure de cabane de pêcheur assez belle !
Malheureusement, si j'en crois le peu que je puisse voir, le bâtiment a disparu.
Vous trouverez dans le post précédent, toutes les infos sur ce D333, je ne vais pas les répéter ici. C'était il y a seulement onze ans tout de même ! Vous devriez vous en rappeler ! :-)
Mais alors que j'étais satisfait de trouver cette carte postale, je levais donc le nez pour regarder là où je me trouvais. Je fus immédiatement séduit par ce bloc d'ardoises un peu gauchi, un peu rude : la médiathèque Jean d'Ormesson du Thuit-Signol (Thuit de l'Oison). 
On sent bien que le Cabinet d'Architecture Babel a fait là un travail d'intégration (matériaux et pentes des toits) un peu dans l'air du temps d'une modernité qui s'efface contre l'attendu d'une architecture locale vernaculaire mais il y a tout de même là un excellent dessin et des détails très beaux. J'avoue que ce qui me séduit c'est donc bien l'effet de masse sombre fendue dans son seuil par la chaleur du bois. C'est un bel ensemble. En allant sur le site de l'Agence Babel, je m'aperçois qu'elle travaille beaucoup en Normandie ! Il me sera donc facile de recroiser un jour leur travail.
Allez faire un tour ici en attendant :









mercredi 13 juillet 2022

Après les Trente Glorieuses, les Trente Dépressives* ?

 Aujourd'hui tournent en boucle sur les pages Facebook qui se veulent spécialisées toujours les mêmes icônes rabattues de l'Architecture du XXème, et ça jusqu'à l'écœurement. On pille sans nommer les sources, on copie-colle, on like mais on ne travaille pas beaucoup finalement. Bientôt on vomira les piscines Tournesol de les avoir trop vues, on ne pourra plus regarder la Villa Cavrois sans un haut-le-cœur ou on tournera la tête à une nouvelle vision par un artiste contemporain des Choux de Grandval (très mauvaise architecture devenue une excellente icône) ou des Tours Nuages de Aillaud. Ajoutez que les académiciens de la photographie contemporaine, croyant inventés quelque chose, continueront de partir en Safari culturel sur des terres sauvages de la banlieue pour vendre leur rendu à des galeries et centre d'art  ( le déplacement culturel est toujours un mauvais signe) et on finira par regretter d'avoir un peu ouvert la voie.
Alors ?
Et si on bougeait un peu d'époque ? Si on regardait de côté ? Une architecture ignorée de Stephane Bern, des "amateurs-chercheurs" de Patrimoine, des historiens des Trente Glorieuses pour regarder cette architecture des Trente Dépressives* (80, 90, 2000). Oh c'est un peu plus difficile parce que la fiche histoire n'est pas encore éditée et que AD Magazine ne vous dira pas que le bon plan pour un week-end c'est de faire un tour à St Quentin-en-Yvelines ou à Val de Reuil....Déjà le Hard French est vendu à Louis Vuitton, il trouve un nouveau souffle dans le BeurCore (est-ce là ce qui pouvait lui arriver  de mieux?) il ne nous reste donc plus grand chose pour échapper à la gentrification culturelle. Une forme de vérité des lieux ?
Finalement est-ce que aller voir (revoir pour l'histoire) ce n'est pas déjà enfermer les espaces et les architectures dans une réification comme un corail qui doucement pose une gangue durcie sur les vérités d'une histoire et finit par tout blanchir ?
Suis-je à mon tour coupable ?
Suis-je coupable en vous montrant ça ?



D'ailleurs, je m'excuse, ce n'est pas moi qui vous montre ça mais un photographe dont le nom figure sur cette carte postale des éditions La Décade d'Architecture : Frédéric Achdou.
Nous sommes donc à St Quentin-en-Yvelines, au Hameau de la Sourderie, par les architectes Patrice et Catherine Novarina. L'ensemble est daté de 1984.
J'adore cette carte postale. Je l'adore. (pour ceux qui croirait que je n'ai que des opinions négatives ou que je suis toujours en colère :-)
Je l'adore !
J'aime la construction si marquée d'une époque, voulant ouvrir les façades, multipliée les signes, s'amuser des références. J'aime cette idée d'une architecture spectacle voulant redonner par l'invention d'un lieu le sentiment d'habiter quelque part, l'essoufflement esthétique des petits riens contre la radicalité du chemin de grue, fantaisie pleine d'humour pour fabriquer presque du vernaculaire, petit palais de l'habitation collective joyeuse en couleur. J'adore les colonnettes trop fines peintes en rouge vif, j'adore le carrelage blanc rectangulaire (on pourrait faire un ouvrage consacré uniquement à ce carrelage dans les années 80), j'adore l'arcade en plein cintre coupée comme un Portzamparc déprimé, j'adore l'épaisseur des balcons et les vides, écrans pour des ombres bien dessinées. J'adore tout cela.
Mais ce qui me touche le plus, voyez-vous, ce n'est pas tout ça, non. Ce qui me touche le plus c'est la ligne des ados et des enfants venant poser devant le photographe exactement dans la même attitude que la génération précédente posant devant les barres du Hard French et que nous aimons tant sur ce blog. Mais un détail parle peut-être. Oh ! je ne veux pas trop vite tirer de conclusion mais cette ligne de jeunes n'est composée que...de garçons...Et je me reconnais complètement dans cette génération, dans les vélo, dans leurs habits. Quoi en conclure ? Une nostalgie ? 
Pourtant je ne suis pas de ce lieu. Y ai-je droit ?



La google Car nous montre bien qu'il y a encore des enfants qui font, là, du vélo aujourd'hui.
Sur le site de Catherine et Patrice Novarina, je ne trouve rien sur ce bâtiment. Il y a bien eu un article dans Technique et Architecture mais je n'ai pas ce numéro. On restera donc sans trop d'informations sur les formes, le programme, les désirs de bien faire des architectes. Je n'en sais pas davantage sur la publication de cette carte postale, sur ce désir éditorial : carte promotionnelle d'un organisme, d'une ville, d'une société de promoteur ou vraie carte postale de tourniquet que les ados photographiés ont pu acheter et envoyer à leur famille avec la fierté d'être ceux qui sont de ce lieu, ceux qui l'ont fait chanter de leur cris, de leurs bêtises, de leurs amitiés rebelles. Ont-ils suivi les conseils de Émile Aillaud ?

"J'aimerai que l'enfant des pauvres que je loge,...puisque je ne fais que des H.LM...ait été dressé à ne pas avoir peur, à n'avoir pas été surpris, à ne pas avoir été surveillé et à ne pas être entrainé par des moniteurs à jouer dignement. Il faut qu'il fasse rien."
Émile Aillaud.

Alors, sans doute, que cette architecture, celle qui vient cogner contre la toute fin du XXème Siècle, sera difficile à partager ici par des cartes postales normales, banales, ennuyeuses comme le prétend Martin Parr. L'époque n'est déjà plus, depuis longtemps à la joie des banlieues et des cités toutes neuves. Plus personne pour en envoyer, plus personne aussi pour aller les photographier pour en faire des cartes postales. Difficile de dire si cette architecture ne le mérite pas ou si c'est l'évolution sociale qui ne le permet plus. Il ne sert à rien de chercher une responsabilité devant un fait aussi simple. La fierté de ces espaces n'est plus alors dans un carton imprimé d'une photographie, elle est maintenant dans des textes de chansons, dans des clip musicaux, dans une survalorisation (souvent masculine) de l'appartenance à un lieu, une cité, un numéro de département tagué vite au feutre dans une cage d'ascenseur en panne. Et les ados sur cette carte postale sont en âge aujourd'hui d'avoir des enfants qui chantent comme ça, qui racontent ça, qui commencent à comprendre que, au nom des améliorations, on éradique aussi cette architecture des Trente Dépressives. Et là, l'inventaire patrimonial, le regard des artistes venus d'ailleurs, le trophée d'une prise de vue n'y peuvent pour l'instant pas grand chose. C'est qu'il est encore temps de vous dire d'aller voir et surtout d'y être invité.
Essuyez vos pieds sur le paillasson avant d'enter.


* dois-je déposer ce nom ?









dimanche 10 juillet 2022

...aux chiottes l'architecte !

 Voilà bien un document étrange et qui additionne à lui seul plein de raisons de ne pas exister et, dans le même temps, affiche un certain courage (pragmatisme) à sa raison d'être.

On sait que les architectes ont souvent promu leurs créations au travers du médium carte postale (de Guimard à Sarfati), on sait que les fabricants d'éléments architecturaux ont fait de même et que les promoteurs et inventeurs de construction ont aussi suivi cette voix. Mais si il est fréquent de chanter par l'image toutes les particularités et inventions d'un architecte pour ses constructions, il reste toujours un espace dont on tient assez peu compte surtout quand ce dernier se veut...indépendant dans son usage : les toilettes et urinoirs. Si on pourrait bien trouver des cartes postales de fabricants d'urinoirs et de toilettes publiques, on s'étonnera sur cette carte postale que ceux-ci soient revendiqués comme oeuvre d'un architecte !

Regardez le courage de Maxime Audhoin qui diffuse donc son travail pour les fluides de cette manière :


On notera que cette carte n'appartient pas vraiment à ma période habituelle mais je n'ai pu résister à vous la partager. On y voit dont des messieurs (car oui l'utilisation et la fierté de l'oeuvre ici semble surtout masculine...) qui posent donc solidement devant la réalisation d'urinoirs conçus par l'architecte Maxime Audhoin. Comme c'est une carte postale ancienne les spécificités et précisions sont notées sur l'image : Tréfileries et Laminoirs du Havre, Usines de Rugles, Maxime Audhoin architecte, Groupe de W.C en Ciment Armé avec fosse septique automatique.

Il ne fait alors aucun doute que la Modernité ici tient à l'alliance d'un matériau relativement nouveau, le ciment armé, et d'un désir d"hygiène si typique de l'époque par la rationalisation de la construction, son pragmatisme de la tâche en quelque sorte. On notera que l'esthétique est loin d'être oubliée avec un beau travail de corniche, une forme resserrée proposant blocs et auvents. On ne sait pas si ici les éléments étaient préfabriqués mais on peut le penser, l'idée étant certainement de diffuser le modèle et donc sa rationalité pratique. On note le beau volume de la fosse sceptique pas encore enterrée et laissée volontairement visible pour documenter techniquement l'oeuvre de l'architecte. L'un des messieurs est même carrément installé dedans avant son...remplissage.




J'ai effectué la visite normale des lieux pour tenter de retrouver l'architecture mais il semble bien que cet ensemble ait disparu. On peut tout de même affirmé que ces W.C devaient être construits pour l'usage des ouvriers et personnels de l'usine. Mais comment cette usine a-t-elle pu demander à un architecte comme Audhoin de lui construire des toilettes ? Est-il, cet architecte, connu et reconnu pour ses fabrications d'urinoirs modernes ? Avait-il cette réputation ? Comment diable avait-il pu être ainsi contacté ? On sent bien qu'il s'agit là d'un document appuyant le désir de modernité et d'hygiénisme, de montrer la performance et l'intelligence rationnelle du dispositif mais tout de même...de là à en faire une carte postale pour diffuser ce travail ? Et qui et comment pouvait-on se procurer cette carte postale dont l'usage pour l'expéditeur est assez clair mais pour le receveur reste assez étrange, et cela j'imagine, même à cette époque pourtant prolixe en invention en tout genre ? Vous imaginez la scène au moment de la prise de vue ? L'humour sur l'objet, la drôlerie de trouver des places sur l'images ? La saveur de faire un document sur un objet pareil ?

On note que l'un des hommes, celui assis, pourrait porter les plans de la construction. S'agit-il de Maxime Audhoin ? Tous bien habillés, ils ne ressemblent ni à des maçons ni à des terrassiers à part, peut-être, celui de gauche. La carte semble datée (affranchie) de l'année 1910 ce qui ferait environ 27 ans pour notre architecte. C'est donc possible. Pour cet architecte, l'excellent et toujours pratique site PSS nous indique trois entrées dont un très bel immeuble Art Déco à Valenciennes.


C'est peu mais c'est déjà bien. A-t-il continué Maxime Audhoin tout le long de sa carrière a construire en ce qui deviendra le magnifique béton armé ? A-t-il ri lui-même de cette image de son travail associant ainsi à jamais son nom à une telle production ? On l'espère. En tout cas, cette carte postale démontre que la technique architecturale novatrice associée à un objet nécessitant une certaine attention a permis de nous montrer que l'architecture ne doit négliger aucune production et que la réflexion sur l'intime, le seuil, le volume, les fluides, la santé, le genre sont encore des objets de réflexions pour architectes courageux et ouverts. Merci Monsieur Maxime Audhoin pour votre audace.

Vous aurez noté que je ne fais aucune allusion dans cet article à l'érotisme de cette image. (Oups...trop tard...)

Voilà le petit immeuble, on note une très belle écriture franche, audacieuse et moderne. Espérons que ce morceau soit protégé. En tout cas, il semble en excellent état !






jeudi 7 juillet 2022

Jean et Serge Renaudie d'un peu haut, d'un peu loin



À l'heure d'un sursaut tardif des institutions culturelles et municipales sur l'oeuvre de Jean Renaudie et de Renée Gailhoustet à Ivry-sur-Seine, je tombe sur cette carte postale de St Martin d'Hères proche de Grenoble. Je n'ai pas bien vu de suite ce qui se passait sur cette image, surtout intéressé par les petits immeubles bien rangés au premier plan, avant que je ne sois titillé par la nappe au fond de l'image et que je m'emballe d'un coup ! Oui ! Mais Oui ! Est-ce possible ? 



Si j'ai parlé souvent sur ce blog de l'oeuvre de Jean Renaudie à Givors et à Ivry, je n'avais jamais eu l'occasion de croiser ainsi cet autre important quartier de l'architecte, ayant même, je l'avoue, oublié son existence ! Que voulez-vous...On ne peut pas toujours être efficace et perspicace !
Mais finalement c'est tant mieux. Cela me permet de rallumer ma flamme pour le travail génial (absolument génial) de l'architecte et me permet de vous en parler de nouveau, certain que vous ne devez pas être si nombreux derrière votre écran à connaître ce beau quartier des Terrasses de Renaudie ici en région grenobloise.
On remerciera d'abord les éditions André et les photographes F. et L. Dardelet d'avoir fait glisser leurs ailes au dessus de ce morceau de ville dont la vision pourrait être analysée à l'aune des visions urbaines et de leur histoire. C'est toujours intéressant en effet de voir comment les réalisations immobilières successives discutent ou pas entre elles et de voir ainsi des écoles différentes se toucher l'une l'autre. Il serait facile ici de rapidement chanter l'un (Renaudie) contre l'autre. Mais je ne me glisserai pas dans une vision aussi facile sur l'opposition des systèmes urbains voulant laisser une chance d'abord à leur rencontre et puis aussi à la possible utilité de l'un et de l'autre. On pourrait d'ici, d'un peu haut, analyser aussi la verdure qui se répand dans l'un et semble plus posée en bosquet dans l'autre. Peut-être que les grands arbres vont bien aux grands ensembles et que le jardinage d'une terrasse ponctue plus justement une nappe urbaine qu'elle ne s'y impose. On pourrait analyser les liens, comment les circulations tournent autour des zones urbaines, comment l'un joue avec l'autre. On devine déjà depuis cette vue la rue principale dans le quartier de Renaudie qui est, comme pour Ivry, enjambée par la grappe des terrasses. On note aussi un écrêtage du quartier de Renaudie formant une colline douce. Mais est-ce que ces petites informations depuis cette image peuvent raconter le génie d'un architecte qui se fait urbaniste pour ne pas dire paysagiste ? Non sans doute. Pour savoir comment on vit là, une belle association vous le racontera :
C'est toujours mieux de laisser les habitants prendre la parole.
On trouvera aussi une excellente (quoique un peu dure) analyse de l'ensemble ici. Sa conclusion est rude :
On notera que les vues depuis la Google Car, nous montre un ensemble assez sec, peu végétalisé, au béton très blanc comme cela est souligné dans le texte.

Je m'interroge donc aussi sur ce désir de faire une carte postale. Non pas que nous n'ayons pas l'habitude justement d'en voir de ce type sur ce blog (dont c'est la raison) mais disons que, au vue de l'époque de la construction et des difficultés rencontrées, on pourrait en effet trouver intrigant que ce quartier fut ainsi montré et édité. Peut-on penser que cette carte postale et ses auteurs n'auraient par hasard participé à une valorisation de l'ensemble, surtout lorsqu'est précisé que la photographie provient d'un livre "Grenoble vue du ciel" dont il est tout à fait possible que l'édition fut soutenue par des institutions. N'ayant pas de réponse, je ne peux que supputer cette possibilité.
Qu'importe ! L'essentiel étant toujours de promouvoir le travail de Jean Renaudie, nous prendrons ce qu'on nous donne pour le faire.
Bonne visite à ceux qui s'y rendront.

Pour voir ou revoir l'oeuvre de Renaudie sur ce blog :
etc...........................










mardi 5 juillet 2022

Booba : historien de l'Architecture



Il ne fait aucun doute qu'il faudra aux historiens du logement social et de l'architecture des Trente Glorieuses se pencher sur les représentations de cette architecture dans les clips vidéos des artistes-chanteurs et des rappeurs.
En ce sens, il faudra aussi interroger la nature même de cette reconnaissance et surtout savoir à qui vraiment appartient la légitimité de cette étude car, aujourd'hui, il faut montrer patte blanche pour manipuler une culture sans en être originaire au risque d'être traiter comme un colon dans le territoire de l'appropriation culturelle. On sait comment cette terminologie pourrit le débat.
Finalement que doit-on retenir ? Que Booba utilise les Tours Nuages de Émile Aillaud comme décor de son clip ou qu' un amateur de l'histoire de l'architecture les reconnaisse ? À qui appartient justement cette reconnaissance et quel sens a-t-elle pour chacun des utilisateurs des lieux ?
On me demande souvent quand je chante les beautés du Hard French si je pourrais y habiter.
Cela sonne toujours comme une fin de non-recevoir à ma petite chanson, fermant le ban une fois pour toute puisque vivre quelque part servirait à obtenir la légitimité d'en dire quelque chose. Je peux comprendre que le défilé des sociologues, des historiens, des artistes de la mémoire à maintenir offusquent ceux qui vivent là et qui ne se sentent pas prêts à être les animaux d'un safari culturel étrange au bord de l'encanaillement politique (La Haine de Kassovitz). Mais à qui appartient donc le droit de dire quelque chose de ces espaces ? Les "artistes" qui en viennent ? Ceux qui en auraient étudié toutes les particularités ?  
Mais ce qui m'intéresse surtout c'est que quelque soit la réponse, quelque soit l'orientation-même de ce désir de montrer ces territoires, ils sont bel et bien (esthétiquement s'entend) représentés.
Et le clip vidéo de Booba intitulé Glaive sera bientôt un document que Booba le veuille ou non d'ailleurs. Son clip sera bien vu comme une trace d'une histoire disparue et servira à la fois les historiens de la ville et de l'architecture, ceux de la musique populaire et ceux pris d'une nostalgie face à une disparition. Comme je ne connais pas Booba, je ne sais pas si il mesure ainsi la puissance et la chance de son travail dans ce sens. Il fait là acte d'archiviste si ce n'est d'historien en quelque sorte, montrant les usages, les formes, les idées de ce que ces espaces dessinés par un architecte il y a 50 ans sont aujourd'hui reconnus par un homme de cette génération comme étant son paysage, son espace. Sait-il Booba que son espace sera bientôt défiguré, abimé et que le tri social viendra certainement bientôt le sortir lui et ses amis (je laisse exprès au masculin) de cet espace gentrifié au nom d'une réhabilitation à marche forcée c'est à dire écrasant les valeurs esthétiques et historiques justement de ce qui en fait la beauté reconnue par Booba ? 
Est-ce en fait, le chant du cygne ? La dernière bravade d'un homme ayant compris que son monde disparait sous les coups d'une popularité élargie, que l'esprit des banlieues, que ses espaces sont maintenant trop proches de Paris pour tenir encore sans que l'ANRU vienne éradiquer à jamais l'esprit qui les anime ? 
Comment, au delà du spectacle merveilleux du Hard French, un artiste légitimé par son origine sociale et spatiale ne pourrait pas, lui non plus, tomber à son tour dans le piège d'une esthétisation déjà récupérée par la bourgeoisie* voyant elle, ici , le dernier espace sauvage, j'entends par là, le dernier espace où une forme de liberté des usages prend le dessus sur celle des lois, un espace où la reconnaissance se fait non plus sur l'être mais sur des signes. Comme dans un moyen-âge chevaleresque et imaginé : blasons, drapeaux, uniformes, Comté, Duché et aussi langue (pour ne pas dire un parlé ou un patois).
Booba aurait-il aussi servi la soupe d'une attente de ce que se doit être la banlieue ?
À Nanterre, que va chercher de Booba le réalisateur Chris Macari ? Le spectacle d'une architecture étrange et bien repérée comme patrimoine de l'histoire de la banlieue ? Un lieu beau et colorée presque irréel dont la présence d'une cavalière sur son cheval poussera vers une mythologie low-cost ? Un vrai terrain de propriétaire cerné par ses propres flics : sa garde rapprochée ? La masculinité hyper présente confine bien (et je m'en réjouis malgré moi) à une sensualité (pour rester sage). Des hommes, des hommes, des hommes, des tours dressées, des tours dressées, des tours dressées....le passage du drone entre les jambes est presque limpide sur l'objet finalement visé. 
Difficile de savoir. 
Le point de vue du drone montant et descendant, caressant les tours sans aucun repos pour l'oeil (sans gravité aussi) ne permet pas vraiment de saisir ce désir de venir là. Le scénario non plus et la présence du cheval apparait comme un luxe, comme une bravade peu convaincante. Pourtant oui, je me réjouis de cette vision, oui j'aime en lire ainsi les signes, les espaces. J'aime en quelque sorte pouvoir y être tout en pouvant y voir. C'est en ce sens, nettoyé certainement de ce désir artistique, que seule restera l'histoire d'une représentation et d'une possibilité, après la catastrophe du ravalement, de pouvoir encore se croire le droit de regretter ce que cela fut et qui a disparu.
On notera que dans les paroles du chanteur il n'est fait aucune allusion directe à ce lieu. On note aussi que certains plans montrent les panneaux de circulation nous indiquant Aulnay. Il faut dessiner les territoires et ceux qui peuvent y venir en attendant de savoir qui pourra en partir. On pourrait dire que si on voulait moquer ou critiquer cette perception des espaces comme signes culturels, il suffirait de revoir le clip des Inconnus**. Le retournement des signes culturels qu'ils opéraient alors avec talent dit bien parfois le ridicule de la surcharge de ces signes. Un peu comme la grosseur d'un bijoux dit qu'il est de pacotille. Trop de lisibilité devient peu de crédibilité. Pareil pour les biceps ?
Alors, oui j'aime voir ce clip pour toute ces raisons, j'aime penser aussi que Booba est sensible à ces lieux et peut-être à ses concepteurs, qu'il en connait l'histoire, la genèse et le risque de sa disparition. Peut-être même en le montrant ainsi, sont-ils (Booba et son réalisateur) des militants de sa sauvegarde ? En tout cas, il ne fait aucun doute qu'il aurait, Booba, la légitimité et la puissance politique d'une mobilisation pour cette sauvegarde. Il pourrait, lui, mobiliser contre sa défiguration, celle-ci d'ailleurs et bien d'autres. J'attends avec impatience un clip de Booba contre l'ANRU, contre Borloo. 

As-tu saisi mon pote notre envie de révolte ?
J'ai envie de crier Zut ! Flute ! Crotte !

Car la légitimité réclamée implique, comme un grand pouvoir, une grande responsabilité.
(oui c'est un hommage à Spider Man)

Je dédicace cet article à Joris Valenzuela jeune diplômé de l'École des Beaux-Arts de Paris. Notre pudeur commune lui fera comprendre pourquoi je le remercie ici.
Et promis, je ferai un article similaire sur Jul et Marseille. Un autre génie des lieux.

On peut revoir ici quelques articles sur cette même question du BeurCore* :
Pour revoir le Galion 3000 filmé dans le clip :
Pour revoir Nanterre :
etc...etc...
Pour revoir Aulnay :
etc...
Pour revoir Émile Aillaud :
Pour entendre Émile Aillaud :

Pour revoir le rap magnifique des Inconnus** :


lundi 4 juillet 2022

Le Viaduc de Ricardo Boffil, bientôt une ruine pour Urbex ?



Lors de la manifestation Archiweek où j'ai pu parlé de la représentation des cartes postales et du logement, une autre intervention m'a un peu fait peur, intervention pourtant que l'on sentait pleines de bonnes volontés et de bonnes intentions.
En effet, il fut question de l'ensemble les Arcades du Lac de Ricardo Bofill et plus particulièrement de son Viaduc* et de son état inquiétant. Il faut donc dès maintenant s'interroger sur son avenir et sur les manières d'intervenir sur ce très très beau morceau d'architecture préfabriquée dont la poésie, la force et l'étrangeté sont plus que reconnues même par ceux qui, comme moi, ne sont pas toujours convaincus par le travail de l'architecte Bofill capable du meilleur comme du pire. Le pire étant, dans sa spécificité historique, ce qu'il faudra bien patrimonialiser comme tel...
Ce qui est très très inquiétant c'est bien que ce morceau d'architecture, ce Viaduc n'est absolument pas protégé et ne semble bénéficier d'aucune attention particulière de la part de ceux qui sont en charge de sa sauvegarde ( DRAC Ile-de-France). Seuls les habitants et co-propriétaires semblent vouloir être attentifs à cette oeuvre. Pourtant, certains mots, certaines idées, certaines même orientations semblent indiquer un risque de vouloir le "réhabiliter" en lieu et place de maintenir la construction dans un état d'absolue exceptionnalité. Autrement dit, la meilleure chose à faire c'est d'en faire le moins possible et de ne surtout toucher à rien de ce qui est l'essentiel : le dessin et les formes.
Il faut faire attention que, à vouloir bien faire, à vouloir tenir ce monument comme un objet-spectacle de finir par le ruiner et de le désavouer dans une sorte de vengeance contre la politique qui l'a fait naître.
On peut bien bouder Bofill et lui reconnaitre maintenant qu'il est dans l'histoire, la grande, celle des étrangetés, des Folies et vouloir en maintenir chacun de ses détails ou de son ensemble : une silhouette, une surface, une matière, une organisation spatiale.
Pour ma part, je pense qu'il faudrait avoir le courage de suivre les délires de Bofill et de laisser la ruine venir prendre la place de la construction. Car Bofill et son école auraient certainement aimé que le monolithe pourrisse lentement, se vidant des habitants, devenant dans trente ou quarante ans une belle ruine moderne, habitée par les corbeaux, devenant un lieu de culte pour amateurs d'urbex ou de Ruin Porn. Voilà qui serait post-moderne en diable !
Mais je ne crois pas que cette hypothèse soit celle désirée par les habitants et c'est, bien entendu, tant mieux.
Pourtant...Comme cela serait beau une belle ruine de Bofill bouffée par les lierres et les arbres.
Il est donc nécessaire maintenant de soutenir les propriétaires et les agents culturels pour faire tout ce qui est possible pour que rapidement, nettement et avec respect ce monstre de béton iconique et digne retrouve toute la superbe de son arrogance monumentale. Il y a des gens qui habitent là, qui sont heureux d'y vire et on doit remercier Bofill de leur avoir offert un lieu aussi magique.
Mais que font, une fois encore, les responsables de cette protection nécessaire ? Où sont-ils ?
On est en Ile-de-France.

Je remercie donc Donata Merlo et Claire Lavenant pour leur intervention et pour les craintes qu'elles ont soulevées chez moi. Qui prendra en charge, en France, l'inventaire et  la Patrimonialisation de l'œuvre de Monsieur Bofill en passe de devenir pour toute une génération l'objet d'un culte déviant à l'architecture ?

Je vous propose donc cette carte postale des éditions La Cigogne qui nous montre le Viaduc de Bofill au temps de sa splendeur. On note que le Studio Mandarine qui a réalisé le cliché laisse l'architecture s'exprimer pleinement dans son horizontalité pour en montrer sans doute toute l'étrangeté de sa forme rappelant à la fois les ponts habités, Chenonceau ou un palais stalinien.

* Montigny-le-Bretonneux



vendredi 1 juillet 2022

Le Havre, une histoire un peu fraîche mais déjà pourrissante

 


Il est toujours intéressant de voir comment un événement devient une carte postale, comment une ville se reconnaît dans un moment fugace et rapide. Le Havre est une ville d'architecture et sa défiguration en cours, (tranquillement maintenant) s'oppose à sa volonté d'être perçue comme une ville d'architecture de béton. En fait, l'architecture n'est plus un programme mais un outil communicationnel pour gentrifier la ville voulant racheter par ses actions culturelles spectaculaires une certaine image rigoureuse produite par l'architecture de Perret. On voit comment la ville voudrait à la fois récupérer cet héritage et en même temps (oui, comme dit l'autre) se transformer pour le faire oublier. Le Havre multiplie donc les visions artistiques de son devenir, s'invente des icônes (voir le monument de Vincent Ganivet) pour que la fantaisie joyeuse et spectaculaire vienne faire du tuning culturel sur le béton aride et somptueux de Perret. Même le swing de l'architecture de Niemeyer n'est plus au goût du jour et a subi un grignotage et une redéfinition de son accroche à la ville voulant raconter une autre histoire : faut que ça claque, que ça brille. Le pavage de son sol (ridicule et grotesque) et le défonçage et surévèlement de son toit en sont les expressions les plus violentes et les contre-sens les plus probants. Une honte en fait.
Alors, il arrive que même les architectures iconiques venant rendre visite à l'honorable dame laisse un souvenir, voulant faire croire à ce dynamisme havrais nouveau et étrange, surtout ludique, car c'est bien connu les touristes veulent du ludique, du joyeux, du surprenant, des machins bizarres dans les rues pour faire croire que la ville se regarde comme non plus une succession de lieux articulés mais comme un parc d'attraction à ciel ouvert. De la confusion culturelle habituelle maintenant : quelque chose entre l'extrémisme historique d'un Puy du Fou et la boboification de la Folle Journée de Nantes. Le Havre se prend pour autre chose que ce qu'elle fut. Le Havre meurt de ce désir.
Je reçois donc cette carte postale :



Envoyé par mon très cher ami Dominique Magdelaine on y voit donc les Jardins Suspendus du Havre, nouvel espace vert servant à raconter une autre histoire au Havre. Mais, bien entendu, ce qui fascine sur cette carte postale et que, Dominique a immédiatement identifié comme étant un sujet pour une correspondance, c'est bien la Futuro de Matti Suuronen installée là comme si elle faisait partie intégrante de cet espace. Or, si on est content de voir cette soucoupe volante iconique et de l'avoir visitée, on s'étonne qu'elle apparaisse ainsi comme faisant partie intégrante de ce projet urbain. Elle est devenue une sorte de curiosité servant à évoquer la politique de la Ville et son dynamisme culturel. On notera que la carte des Éditions d'Art ne nomme ni la Futuro ni son architecte. L'éditeur a donc su s'emparer du moment pour en faire une image, comme il a bien fait ! Je note que Dominique me fait un signe en collant deux timbres montrant l'église de Gillet à Royan, sachant ainsi faire en un seul objet une rencontre architecturale parfaite : Le Havre de Perret, le Royan de Gillet et la Futuro. Cette carte postale est donc un signe entre Dominique et moi, elle est aussi la preuve de ce que Le Havre est en train de devenir. Il est temps maintenant de retirer à cette ville son classement à l'UNESCO au vu de ce qu'elle en fait : un contre-sens culturel.
Dans mes joies de découvreur du petit matin, je tombe sur cette autre carte postale du Havre :



Là encore, cette carte est un improbable condensé de désirs culturels et architecturaux. Son objet d'abord, un centre de la Mer et du développement durable qui ne verra jamais le jour alors même qu'il était beau, ambitieux et surtout œuvre de Jean Nouvel. Cette construction restera un fantôme, un regret et un dessin en infographie dont le réel nous échappera toujours pour en vérifier la réalité gracile et transparente, sa mécanique industrielle, son image portuaire. On pourrait s'y laisser prendre tant les graphistes ont bien travaillé. Mais non, rien n'est construit. On remarque que la carte postale propose aussi un logo, celui des commerçants du Havre qui se reconnaissent là encore dans le Niemeyer et le Perret avec ce dessin condensant les deux icônes :




Cela fait trois architectes nommés sur le même objet éditorial. Ce n'est pas si mal.
Faut-il regretter le vide de ce centre de la mer non construit ? Faut-il regretter que Jean Nouvel n'ait pas pu faire à son Tour partie de cette histoire de la ville ? Sans doute. Jean Nouvel méritait bien de planter sa vigie dans la ville. Il y laissera une piscine. Mais, au vu de ce que Le Havre est en train de devenir, on peut aussi le rassurer et lui dire que finalement, ne pas avoir participé à ce spectacle urbain en lieu et place d'une urbanité est peut-être mieux. Il y a des vues fantasques, rêvées, projetées qui valent bien mieux que des bidules construits. Le Maître de Jean Nouvel, Claude Parent, le savait bien. Laissons les dessins dessiner nos projections et laissons les politiques défigurer nos héritages.
Merci Dominique pour ton envoi.

pour lire ou relire certains articles sur Le Havre :
etc...etc...etc...