mercredi 29 janvier 2025

Ledoux dans l'aire

 Il y a peu d'architectes aussi iconiques que Claude-Nicolas Ledoux, sorte de quintessence de l'esprit français. Il y a donc fort à parier qu'il soit imité, singé, copié et honoré par tout le monde, allant chercher chez lui (sa radicalité) quelque chose qui fonderait une raison à faire n'importe quoi allant du fanatisme le plus crasse à de véritables hommages plus structurels, utopistes, révolutionnaires.

Comme la vie ne manque pas de sel (vous pigez la référence ?), il arrive que des amis en balade tombent sur de tels hommages dans des lieux un rien particuliers mais qui finalement vont bien à notre architecte de la révolution : une aire d'autoroute.



L'ami en question est l'un de mes brillants anciens élèves, un graveur sur bois particulièrement efficace et dont le chatoiement des noirs dispute la foison des motifs : Jérémie Lechailler. C'est Jérémie qui m'envoie donc des photos de sa découverte tout heureux de me faire savoir qu'il pense à moi devant ces machines monumentales qui doivent donc rendre une sorte d'hommage à l'architecte...hommage ici sur l'aire du Jura-Arlay. Je signale à mon ami que je connais cet ensemble, qu'il fait parti maintenant des machines un peu comiques, un peu désuètes que l'on trouve sur les aires d'autoroute, sculptures et installations qui vont des trucs les plus moches (pyramide en tôle ondulée sur l'A7) aux jubilations parfois assez nettes. J'aime bien celle-ci et on la doit à l'architecte Jean-Luc Grenard qui donc propose une sorte de petit parc de folies toutes référencées au grand architecte, reprenant les formes, l'écriture, les projets. On dirait un parc post-moderne, on dirait une salle de travail (au sens de l'accouchement) pour un Ricardo Bofill lâchant là ses derniers feux, son maniérisme giscardien ou son génie du mal. Vous déciderez. C'est exactement ce que j'aime dans cette proposition. On ne comprend pas très bien ni à quoi on joue ni comment les visiteurs sont sensés comprendre l'architecture de Ledoux (et son sens) après deux heures de voitures, en roulant à 130 kilomètres heures, obligés de s'arrêter car le petit dernier à une envie urgente. Comment donc, tentant de se détendre, la famille ou le routier bulgare vont pouvoir se saisir de ce type de jardin d'utopies ? C'est touchant. J'aime cette idée.



Ici, ce que je sais pas c'est comment on arpente ces espaces et ces architectures. Peut-on entrer dedans ? Peut-on les traverser ? Leur échelle permet-elle de les comprendre non pas comme des maquettes géantes mais bien comme des architectures ? C'est quoi cet entre-deux ? Ainsi blanchies, ces constructions me font en effet penser à une table remplie de maquettes en carton-plume ou à des capsules d'Absalon. J'aimerai beaucoup aller les voir et comprendre leur sens autant comme architecture que comme hommage.

Au téléphone, en parlant avec Jérémie, un sentiment vague d'avoir une carte postale de cette aire d'autoroute flotte dans ma tête. Littéralement, je vois une image. Je cherche donc dans mes classeurs et je comprends mon collage. Je possède bien une carte en multi-vues de cette aire d'autoroute avec laquelle j'ai fait un collage mental d'une carte postale provenant, elle, du Musée Claude-Nicolas Ledoux d'Arc-et-Senans. Mon sang ne fait qu'un tour lorsque je remarque que cette carte postale précise : "réalisé en 1998 sur l'Aire du Jura de l'A39" ! Tout s'explique ! On remarque alors certains détails d'ailleurs différents entre la maquette du musée et la réalisation sur l'autoroute. Dans ma collection, les cartes du Musée sont trop grandes et ne permettent ni de les ranger avec les autres ni d'ailleurs de prendre le risque de les envoyer. Elles sont un peu...prétentieuses et j'ai tendance à préférer la version modeste de l'aire d'autoroute. On notera que la carte du Musée Claude-Nicolas Ledoux ne nomme pas alors Jean-Luc Grenard comme architecte de réalisation. 


Peut-on encore visiter les bâtiments sur cette aire d'autoroute ? Peut-on encore y acheter sur place des cartes postales ? Peut-on encore y rencontrer, la nuit tombant, un routier bulgare en manque de tendresse ? J'irai voir. Promis. On note que les photographies de Jérémie nous montrent un ensemble en mauvais état. Il serait bien de revoir l'ensemble et de lui rendre sa splendeur, sa blancheur irréelle. Au prix des péages des autoroutes...ça ne devrait pas être un souci financier...

La carte de l'aire d'autoroute est une édition Cellard qui précise donc bien Jean-Luc Grenard comme architecte.

Les cartes des maquettes du Musée sont des éditions de l'Institut Claude-Nicolas Ledoux dont les photographies sont de G. Fessy.

Les photos de l'aire d'autoroute sont de Jérémie Lechailler. Merci l'ami. Merci.

Pour voir ou revoir Bofill :
etc...









lundi 27 janvier 2025

Mai 68 dans la façade

 Rien de plus réjouissant qu'une telle carte postale pour un collectionneur comme moi car, en plus de répondre exactement à ce que je cherche et tente de raconter ici voilà que cette carte postale est le témoin d'un morceau de l'histoire récente.


Comme souvent d'abord mon oeil a glissé sur l'image et l'architecture. Ici une très belle photographie de l'immeuble Arago à La Défense dont l'architecte n'était rien moins que Jean de Mailly. Ne vous précipitez pas pour la voir, elle est aujourd'hui démolie. Remercions donc ce document de nous la raconter encore un peu. Au verso, donc, nous avons la photographie et le logo très beau de la société B M P (Barre, Mathieu et Passedat) qui réalisa le mur-rideau de la Tour Arago. On sait déjà qu'il s'agit d'une carte postale promotionnelle et publicitaire pour la société. Il n'y a aucun doute. Vous savez comme j'aime particulièrement trouver ce genre de cartes postales qui nous vante ainsi un élément de l'architecture. Et là, on est servi puisqu'au dos figurent plein d'informations sur la société. 
Ce qui m'intrigue c'est comment la correspondante a obtenu cette carte postale et donc quels liens elle entretenait avec la société B M P. Y travaillait-elle ? 
J'aime le mur-rideau. J'aime son idée-même. 
Et la carte postale de cette Tour Arago me délecte à l'infini d'une grille parfaite, lisse, digne de Jacques Tati dans Playtime. Comment résister à ce bonheur, à ce certain ordre de la Beauté ?

Mais voilà que la Grande Histoire de l'Architecture Moderne rejoint la Grande Histoire de France car la carte postale que vous avez sous les yeux est aussi le témoin des événements de mai 68. En effet, Hélène, la correspondante écrit sa carte postale le 12 juin 1968 et l'expédie le 13. Ce qu'elle nous raconte de ce qu'elle a vécu à Paris est assez clair, je vous le donne à lire :
"Paris 12 juin 1968,
Hier soir je suis allée diner et coucher chez Françoise. Pendant la nuit j'ai été réveillée par les explosions des grenades lacrymogènes. Ce matin en prenant le métro à Denfert-Rochereau j'ai vu la place : un vrai carnage à croire qu'un typhon s'était abattu dessus. Espérons que les vacances vont calmer les esprits; voir un peu d'air frais et calme ne sera pas à refuser ainsi viendrai-je vous voir le 22. À bientôt. Hélène."


Je cherche donc ce qui a bien pu se passer autour du 11 juin 1968 et je tombe sur ça, au moins c'est clair !


Voilà bien ce dont Hélène nous parle ! Pas trop de doute ! C'est chouette non ?
 Une simple carte postale  regroupe beaucoup de signes, croise si bien plein de degrés de l'histoire. On est donc heureux de l'avoir vu venir jusqu'à nous, d'avoir ainsi été conservée. Quel document touchant !
On notera que si cette modeste carte a traversé l'histoire, le bâtiment lui n'a pas résisté...Parfois ce qui est fragile n'est pas ce que l'on croit.







vendredi 24 janvier 2025

Bulle six coques pour Joseph Beuys

 Il faut toujours fouiller à coté, là où on ne croit pas que l'on trouvera quelque chose. Il m'était ainsi impossible de penser que dans des entiers philatéliques de La Croix-Rouge, j'aurai pu trouver ça :


Ce ça c'est donc une carte postale produite pour accueillir l'émission du premier Jour du timbre fêtant le 125ème anniversaire de La Croix-Rouge en 1988. Le principe de l'entier philatélique est de faire correspondre trois éléments au moins : l'image, le timbre et son oblitération. Il m'est arrivé dans ma vie de me rendre dans ce genre de manifestation où les collectionneurs viennent avec des enveloppes spéciales, des cartes postales, achètent en nombre des timbres ( dans un bureau de Poste provisoire) et se font oblitérer leurs objets. Souvent, bien entendu, ils ne les adressent à personne mais une boite aux lettres est à disposition pour bel et bien faire une expédition. C'est souvent joyeux, assez amusant de voir des objets comme des livres ou des cartes postales anciennes ainsi proposés à l'oblitération. Certains collectionneurs voulant aussi des timbres avec les bords, d'autres réclamant très précisément comment le postier doit poser son tampon.

C'est exactement le cas ici. Bien entendu, cette carte postale d'une Bulle six coques de Jean-Benjamin Maneval son architecte n'est pas une carte postale normale, achetée sur un tourniquet dans un bar-tabac d'un centre ville. C'est une édition spéciale, vendue sur place ou par correspondance pour recevoir ce timbre. Difficile donc de trouver cette carte postale au détour d'une boite à chaussures, il faut se rencontrer au milieu d'autres amies ainsi éditées et collectionnées. On note comment d'ailleurs ici, le timbre n'est pas du bon coté puisqu'il n'est pas du coté de la correspondance et forme bien une trilogie de signes : image, timbre, tampon. On admire d'ailleurs comment il faut que tout soit parfaitement lisible en étant pourtant construit dans un chevauchement bien précis. Le timbre se doit d'être oblitéré.

Comme cette carte, à part ce moment philatélique, ne dit rien de ce que nous voyons, il est difficile de dire pourquoi donc ce choix fut fait pour nous parler de l'anniversaire de La Croix-Rouge par la représentation d'un poste de secours installé dans une Bulle six coques dont je n'e connais pas la localisation. Nous sommes en 1988 et déjà à cette époque on avait un peu oublié l'importance de ces micro-architectures. Pourtant c'est certainement le coté spatial, futuriste que doit porter cette Bulle six coques associée à l'histoire de La Croix-Rouge.

Notre carte postale est une édition Empire Philatélique qui nous informe seulement que la photographie provient du Fonds Documents Roger Viollet. Pas de nom de photographe, pas de nom de l'architecte, pas non plus donc de localisation précise de cette Bulle six coques !

Mais mon esprit certainement par trop marqué d'une certaine culture ne peut s'empêcher de voir dans cette image un vibrant hommage à l'écolo-bobo-chamanico-pouet-pouet Joseph Beuys qui avait la maladie honteuse de tout marquer de sa croix rouge ou noire mystique, au bord du complotisme bureaucratique d'un Malévitch embauché dans une administration stalinienne fictive. Sans doute que je m'égare...Mais, que voulez-vous, à force de vouloir marquer son passage dans le monde et sur tous les objets que l'on touche, on finit par raconter l'histoire d'un certain désir d'omniprésence. Le coyote est mort on ne sait où, le piano est assourdi de feutre et le gourou est, heureusement, maintenant, un peu oublié. Ouf...

jeudi 16 janvier 2025

Architecture de collection dans Art Press

 


Voilà qui est bien intéressant comme signe d'un certain retournement, voire d'un certain espoir. 
Dans le dernier numéro de la revue culte Art Press, on trouve un article sur les agents immobiliers du groupe Architecture de Collection écrit par mon collègue d'Angers Christophe Le Gac.
C'est comme un croisement assez curieux de genres.
D'abord, il y a cette agence immobilière, spécialisée dans l'architecture d'Architectes, ne voulant vendre que des biens ayant une signature reconnue ou du moins nécessitant une mise en lumière de ses qualités architecturales surtout produites dans la seconde moitié du Vingtième Siècle. J'avais, il y a longtemps maintenant, été contacté par l'un des membres de cette agence sans bien comprendre ce que je pouvais ou devais faire pour lui. Il y est vrai que ce blog correspond en tout point à ce désir de mise en lumière d'une certaine architecture encore il y a peu boudée et peu mise en valeur. On sait comment aujourd'hui le monde médiatique aime nous faire suivre la saga familiale d'une agence immobilière L'Agence ou comment Affaire Conclue tous les après-midi nous apporte sur un plateau télé les joies du Design scandinave, les céramiques de Capron dans une délectation venant surtout de la surenchère organisée apportant aux spectateurs l'espérance d'une trouvaille dans leur maison ou à la déchèterie. Ce mouvement du vintage devient donc aujourd'hui valable allant de l'architecture à l'objet et le collage des deux mots architecture et collection voudrait bien comme nous le suggère dans son article Christophe Le Gac nous montrer que, finalement, pour une certaine élite bourgeoise, la question de la signature du lieu que l'on achète est au moins aussi importante maintenant que le risque de ne pas avoir le taux de crédit adéquat ou  que cette architecture ne soit pas exactement là où on a besoin de vivre. Il y a dans la collection la chance de s'occuper non plus du besoin d'être loger mais  la nécessité que ce logement soit le signe d'une certaine compétence de reconnaissance, d'une certaine image de la culture, bref d'appartenir au club des sachants de ce qui se collectionne ou pas. Vous l'aurez compris, Architecture de Collection ne s'occupe évidemment pas de la question du logement social, ni de ceux qui y habitent mais propose dans une forme de pornographie de la visite l'espoir et le rêve de découvrir des espaces privilégiés comme on dit avec pudeur...Oh...une villa de Claude Parent...C'est donc comme ça qu'on y habite sous les ciels surblanchis de Laurent Konental.
Car la signature n'est pas tant là pour qualifier les qualités architecturales de l'architecte que pour valoriser son achat et en expliquer le prix. 
Ce qui m'étonne c'est pourquoi donc en faire la promotion (ou l'analyse du phénomène) dans une revue comme Art Press ? Qui cela sert-il ? Art Press qui y trouverait là le signe contemporain d'un regard sur l'architecture vue alors comme des oeuvres dont il faut sauver l'honneur ou bien l'agence elle-même, soudainement mise en valeur sur des pleines pages d'une revue iconique d'une certaine école de pensée ?
 
Art Press deviendrait-elle une influenceuse ?

Après tout, vous le savez, même la mauvaise publicité vaut mieux que pas de publicité du tout.
Il y aurait là comme un adossement mutuel de pensées, une reconnaissance de classe culturelle. J'avoue que je reste perplexe même si il est vrai que depuis peu Art Press semble moins raide, raideur que, au temps jadis de sa création, nous aurions nommée rigueur. Ici, ce n'est pas le contenu de l'article qui m'étonne mais bien le surgissement de ce monde dans cet autre monde.

Alors, il est difficile de parler d'un phénomène culturel dans la chaleur de son surgissement. Difficile de dire si Architecture de Collection fera date, sera l'expression de notre époque, d'une mode ou d'une chose plus profonde. On sent bien là que la bonne volonté, le désir de mettre en lumière une certaine partie du Patrimoine ne peut pas vraiment être regrettable, que cela, sans doute, permet de valoriser une certaine frange de ce marché. Le risque c'est comme beaucoup d'autres choses...c'est que cette transmutation d'un bien immobilier en oeuvre n'ouvre la porte à des errements de type gentrification qui permettent à des cabanes de sinistrés de Jean Prouvé de devenir a place to be, que les appartements de Jean Renaudie ou de Renée Gailhoustet ne soient vu que comme des exceptions baroques qui méritent des habitants éclairés, que le combat architectural, au delà des pépites, ne se perde finalement dans un tout-venant historique.
Qui pour valoriser les appartements du Mirail à Toulouse ? Qui pour aller les voir, les défendre, soutenir leur habitabilité à l'heure de leur destruction en cours ? Architecture de Collection ira-t-elle promouvoir leur achat ? Art Press fera-t-elle un article de deux pages pour expliquer son indignation à leur destruction et la nécessité rapidement de les défendre ? Car si l'architecture se collectionne alors pourquoi ne pas avoir dans sa collection toutes les exceptions ? Tous les monstres Pokemon qui donnent de la valeur à un tiroir plein du tout-venant ?
Allez  ! Collectionnez aussi le logement social, le Hard French, le carrelage des Tours Aillaud, les Fillod, les barres de Labourdette. Cela nous permettra peut-être, à nous, par cet angle, de sauver ce qui compte vraiment : une certaine idée du Patrimoine.
Y-a-quelqu'un ?

L'article est paru dans le numéro 528, janvier 2025.
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samedi 11 janvier 2025

Ne pas être fidèle à Castro

 J'ai mis beaucoup de temps à faire cet article qui aurait dû, en toute logique, être écrit en juin, dès mon retour d'Angoulême où j'étais invité par Frédéric Lefever, excellent photographe, à participer à un diplôme dans l'école d'Art de la ville.
Mais voilà, en rentrant chez moi, je me suis rué sur mes classeurs et dans mes boîtes et je n'ai pas réussi à retrouver la carte postale que je possède du lieu dont je voulais vous parler.
Rien à faire...disparue...je connais ce phénomène qui me la fera ré-apparaître dès que j'aurai écrit cet article comme pour se moquer de moi.
Il m'a donc fallu attendre de croiser une nouvelle carte postale pour vous raconter ma rencontre avec...mais avec quoi au fait ?
Oui ! Angoulême c'est forcément ça : le Centre National de la Bande Dessinée et de l'Image.




Les lecteurs fidèles savent bien que je n'ai pas un grand enthousiasme pour son architecte Roland Castro dont je l'avoue l'espèce de figure mitterandienne a fait beaucoup pour ruiner mon objectivité à son égard. Que voulez-vous les représentations parfois occultent la réalité des qualités architecturales. 

Et pour ce bâtiment de Roland Castro datant de 1990, je dois le dire tout net ce qui m'a surtout séduit c'est sa ruine.
Il y a en effet quelque chose de parfaitement réjouissant dans son état suspendu, entre profond manque d'entretien, de ravalement, pauvreté des matériaux et l'expression formelle d'un geste un peu tonitruant, un peu volontaire, certainement se voulant à la fois radical et poétique mais déjà un peu en retard en 1990. Il faut le dire ici l'écriture de Castro se joue surtout sur le rapport des pentes, voulant articuler un passage et donc une promenade entre une rue haute et une rue basse. Une circulation piétonne faite de surprises, de jeux d'espaces, de terrasses et de reflets, ensemble très déconstructiviste, au sens d'une référence presque un peu trop appuyée, justement à un Constructivisme remodelé, rejoué. Y a des échelles, des passerelles, des choses fragiles, des formes anguleuses qui se perdent, il y a de la gratuité, bref on dira une certaine idée sculpturale et surtout, surtout photogénique que, je le redis, l'état d'abandon définit aujourd'hui comme une somptueuse ruine post-moderniste. On veut, ici,  de tout faire photographie.

Bien entendu, l'incertitude des espaces qui surgira ainsi de cette promenade dans des lieux que l'on peut ou non traverser ajoute au sentiment de pur mouvement gratuit. On se laisse prendre, on grimpe, on regarde, on cadre. C'est réjouissant et bien dessiné dans ce sens. Un bâtiment qui fait image(s) c'est parfait pour raconter la bande dessinée qui d'ailleurs à l'époque de la construction du bâtiment était surtout marquée par le retour de la ligne claire comme si Castro avait voulu dire qu'ici un décor pour Joost Swarte avait été construit dans le réel. On aurait dit autrefois : une folie.

Alors, dois-je aimer bien plus mon étonnement de cette présence que le bâtiment lui-même ? Est-ce que Roland Castro avait prévu cet état piranésien (entre prisons et ruines) d'un bâtiment entre deux âges ?
Combien de décénies faudra-t-il pour qu'il rejoigne un état d'oeuvre patrimonialisable en abandonnant dans un sursaut de l'Histoire de l'Architecture sa propre déconstruction ? Ne vivons-nous pas, en ce moment-même son état de grâce ? Qui oserait chanter la lèpre des murs, les coulures, les oxydations, les mousses sur les crépis d'un bâtiment devenu presque aujourd'hui une friche urbaine somptueuse ? Je veux bien être celui-là.
N'est-ce point là sa chance romantique, son espoir de finir comme une peinture de Hubert Robert ?
Alors je suis à deux doigts d'aimer cette construction, de vouloir la défendre. Plus riche que je ne la croyais, plus raide, plus juste finalement que la geste ampoulée de ses références, plus surprenante que sa façade par trop grandiloquente (ah...le fameux mur de miroirs intégrateur des architectes contextuels...) je pourrai oui finir par le défendre. On hésite entre un hommage à Émile Aillaud pour La Défense ou un hommage à un four solaire. Après tout, j'ai bien installé chez moi l'affiche de Speedy Graphito de la Ruée vers l'Art de 1986, je pourrais bien finalement ici aussi à Angoulême finir par vouloir rendre hommage à la mitterrandie charentaise et à ses actions culturelles (comment dire ?) à son arrogance devenue vintage. 

Finalement, ce basculement est à l'image de notre époque. Il nous fait passer d'une culture de gauche à une culture woke. C'est sans doute cela qui en renforce mon étonnement, ma joie et ma méfiance encore un peu inscrite dans et sur les murs de ce Centre National de la Bande Dessinée et de l'Image dessiné par l'un des fidèles à Mitterrand : Roland Castro.

En tout cas, il est grand temps de protéger ce bâtiment, de le classer car il est une synthèse incroyable des réflexions de son auteur et de son époque. Nous nous devons de ré-apprendre à l'aimer. 

On notera et c'est rare que Jean-Pierre Delvalle le photographe de cette carte postale éditée directement par le C.N.B.D.I a fait le choix d'un ciel chargé, menaçant qui renonce à l'aplat d'un ciel parfait si attendu des cartes postales. Geste prémonitoire ? Ce ciel chargé doit-il nous rendre méfiant sur l'avenir qui pèse sur ce bâtiment ? La carte postale n'est pas datée mais elle a dû être produite à l'ouverture. On notera que le tampon du C.N.B.D.I occupe tout l'espace de la correspondance et que la carte ne fut pas utilisée. Je ne sais pas non plus comment Roland Castro a ou non aimé cette représentation en carte postale. On notera qu'il figure bien au verso comme architecte.

En fin d'article, un bâtiment superbe et moderniste, toujours à Angoulême... 
Si, par hasard, vous en connaissiez l'architecte, merci de me le donner ! Il le mérite non ? Il est superbe.