mardi 28 janvier 2020

À vaillant cœur, rien d'impossible


Bien entendu, lorsque je vois cette image, cette carte postale, j'y ajoute ma culture.
Nous sommes nombreux à le faire.
Mais alors que je me réjouis de cette reconnaissance immédiate de l'objet, je me pose la question de ce qu'une architecture peut rester muette à sa fonction depuis seulement sa vision.
Comment celui ou celle qui ne connaîtrait pas les piscines du modèle ci-représenté (modèle Caneton), pourrait-il savoir que derrière cette façade géométrique se cache bien une piscine ?
Et, si la réponse est non, est-ce grave voire volontaire ?
Et pourquoi le photographe des éditions de l'Europe a-t-il choisi de laisser ainsi l'architecture muette à sa fonction en ne la photographiant pas ouverte, animée ou depuis l'intérieur ?
Il faut donc à l'éditeur dire sur le verso la fonction de ce bâtiment : la Piscine Municipale.
Sans doute, aussi, est-ce pour cela que le photographe cadre la barrière et la pancarte pour que soudain, de suite, l'identification ait lieu. C'est très pratique.




















Car l'architecture ne dit rien. Elle préfère dire la peinture abstraite, dire Vasarely, afficher clairement une grande composition plastique alternant les jeux du carré, du triangle, du blanc, du bleu, du noir.
Sans doute que cette répétition peut permettre au moins de comprendre la modularité. C'est tout.




















Le photographe alors, face à cet objet curieux et affirmant sa modernité, a certainement regretté de ne pouvoir cadrer sans que le lampadaire vienne troubler cette pureté formelle. Il aurait pu entrer, mettre derrière lui ce lampadaire, mais il aurait à la fois perdu le recul nécessaire pour tenir l'objet dans son cadre mais aussi perdu l'indication de ce qu'est cet objet. Il fallait donc choisir cette distance et que le lampadaire, par sa verticale vienne perturber l'horizontalité de la piscine.
Je ne sais pas trop pourquoi, sans doute le ciel et les arbres sans feuilles, quelque chose me dit un matin froid, humide. Si j'avais fait ce cliché, je crois que je n'aurais pas résisté à poursuivre le travail par un petit plongeon. Car il faut toujours éprouver les images de l'architecture au réel de leur fonction.
Sur le verso, Bernard, le 11 juillet 1987, donne la réponse à un jeu : "à vaillant cœur, rien d'impossible."
C'est bien ce que je dis.
C'est bien ce que j'essaie aussi de faire.

Pour revoir les articles sur le modèle piscine Caneton, vous pouvez aller là. On remarque que l'éditeur ne nomme ni son photographe ni les architectes, messieurs Charvier, Aigrot, Charras.
https://archipostalecarte.blogspot.com/search?q=caneton

dimanche 26 janvier 2020

Ronchamp du signe

On pourrait dire que lorsqu'un photographe choisit de photographier l'air autour d'une architecture en lieu et place de l'architecture elle-même c'est que cette architecture a atteint un sommet de reconnaissance qui fait qu'elle n'a même plus besoin de se la raconter pour exprimer sa présence.
Est-ce le cas ici?



Dans ce très beau cliché devenu une carte postale, le photographe resté anonyme fait d'abord du ciel le point d'ancrage de son image. La Chapelle de Ronchamp montre certes sa façade mais elle sert surtout à pointer alors les nuages un peu comme la proue d'un navire fend les vagues. Il sera bien difficile au correspondant qui n'aurait jamais vu cette Chapelle de Corbu, depuis cette carte postale de pouvoir en comprendre une forme globale. Cette manière de tirer le bâtiment vers une forme abstraite ne donnant aucun indice ni de la fonction de l'église ni de son implantation c'est au moins vouloir raconter sa richesse formelle. Elle est comme un paysage avec lequel il est possible de travailler. En terme de surface, il y a plus de ciel que de bâtiment sur cette photographie.
Seul l'escalier donnera bien l'échelle de l'homme et il suffit de glisser un pouce dessus pour qu'il ne reste rien des proportions. Les arbres sont trop loin pour exprimer ce rapport. Des percées hasardeuses, un crépi moutonneux et la minuscule pyramide aztèque ne livrent pas non plus d'information. Il faut donc rester avec le seul désir abstrait de formes parlant pour elles-mêmes, s'agençant au gré d'un cadreur.
Mais qui a photographié ainsi ? Charles Bueb ? Maurice Blanc ? Lucien Hervé ?
Certainement un œil déjà habitué, ayant tourné autour de la construction, ayant laissé le témoignage visuel au profit de l'expérience plastique, voulant donner au souvenir d'un lieu un peu plus que seulement sa description.
Mais à force de ne pas vouloir montrer, à force de vouloir contrer ce désir légitime d'image, ne risque-t-on pas de ne pas voir ?
Il y a aussi dans les grands chocs esthétiques, dans la beauté soudaine quelque chose qui pourrait empêcher de seulement les enregistrer. Alors l'artiste, le photographe, le témoin se croit obligé à son tour de faire œuvre, à cadrer sur le bord, hors des limites des attendus. Il se confronte avec cette beauté, tente d'en saisir un sens, veut prouver sa capacité, à son tour, à modeler l'espace.
Il fait signe.

Pour revoir et relire les très nombreux articles sur Ronchamp, allez ici.

lundi 20 janvier 2020

Les Maisons Endormies de Monsieur Voidy

Lors du salon Grand Print ! au Mans dans le sein de notre école, j'ai rencontré Monsieur Maxime Voidy et ses Maisons Endormies.
Je le dis de suite, ce salon de la micro et auto édition a montré que les éditeurs et artistes portent un vif intérêt pour l'architecture et plus généralement pour l'espace urbain. On y rencontra par exemple le très bel ouvrage Ville Moyenne de Clara Prioux (on en reparlera) ou encore Sandrine Marc venue nous présenter son beau livre sur Royan.
Mais, bien entendu, il ne fait pas de doute que mon orientation m'a aussi poussé à chercher dans ce salon ce qui me touche. Et la seule vision du tourniquet de cartes postales aurait pu suffire à ouvrir ma curiosité.
Voilà donc que Maxime Voidy y installe une série de cartes postales qui, toutes posées ainsi, dans une forme égalitaire me firent penser en même temps à l'ami Hansjörg Schneider et à l'ami Frédéric Lefever.
Maxime devrait vite aller les voir.
J'ai aimé immédiatement les cartes de Maxime Voidy. Sans doute moins pour l'architecture que pour le moment où ces maisons sont photographiées. Volets clos, ciel bas, bitume humide, les villas et maison secondaires attendent donc la belle saison et le retour des vacanciers pour s'ouvrir de nouveau. Que cachent ces boîtes fermées ? Déjà, sans doute, par leur manque de modestie architecturale, affirment-elle une forme de bourgeoisie heureuse de pouvoir ainsi vivre une autre vie à la belle saison. Avoir une autre maison, un lieu dont le luxe inouï tient à son inoccupation temporaire est déjà une forme en soi d'architecture. Combien de ces maisons endormies furent en effet pensées et dessinées pour ce moment extravagant de leur réouverture ? Combien sont la projection d'un idéal de vie pour seulement quelques mois ? Combien de rêves, un jour, d'y habiter vraiment ? Je connais parfaitement ce moment, je le connais sur la côte à Royan où l'hiver, hors des vacances, on arpente des rues entières sans rencontrer une seule personne. Qui n'a pas aussi connu ce désir secret alors de pénétrer dans ces maisons, de les réactiver ?
La maison vide que l'on ouvre à nouveau cela fait bien partie de notre imaginaire. Comme la maison de famille ou le grenier, ces lieux de fantasmes pour le roman ou pour le cinéma. On pense à Chabrol, à François Ozon avec son film sous le sable, on pense aussi (et je ne sais pourquoi) à Marguerite Duras.
Retrouver alors les ustensiles de cuisine à leur place, remettre le ballon d'eau chaude en route, s'apercevoir que la lampe dans le salon ne s'allume plus alors qu'elle marchait encore bien le jour du départ et se demander ce qui, entre temps, volets clos, avait bien pu causer cette panne.
Sous une pierre du jardin, retrouver le double des clefs laissées par le voisin qui lui vit là à l'année et ramasse le courrier en jetant un coup d'œil de temps en temps.
Toutes les maisons endormies de Maxime Voidy portent bien cet imaginaire et la permanence des volets clos appliquant un rectangle toujours blanc sur les fenêtres accentue encore le sentiment, si ce n'est d'un tombeau, celui d'un anonymat mystérieux. On devine parfois une blancheur un peu appuyée, retravaillée peut-être.
Je ne sais pas comment Maxime Voidy a choisi ses victimes, comment il a décidé que cela construirait une unité et une régularité qui ajoutent aussi à ce mystère. Tenir ainsi, dans sa main, un petit village fantôme est bien inquiétant. A-t-il quelque familiarité avec l'une d'elles ? A-t-il, lui, l'opportunité d'en être le Prince Charmant qui viendra en ouvrir une, la réveiller ? Vu son jeune âge, a-t-il des souvenirs encore chauds de ce moment où toute la famille, après des heures de voiture, retrouve enfin la maison de vacances qu'il faudra partager avec les cousins de Besançon ou de Paris ?

D'un point de vue architectural, on ne sent pas de choix. On passe de la maison boursouflée par son désir d'être bretonne à la villa vaguement moderne (et parfois réussie) en passant par l'éclectisme touchant. Aucun jugement donc sur cette architecture ou ce territoire. La solitude des maisons permet d'en regarder la qualité des crépis, le choix des huisseries de chez Leroy-Merlin ou l'impétuosité d'un ourlet d'ouverture par des granits faisant penser que les propriétaires ont trop visité le village d'Astérix.

On note que Maxime Voidy ne nous dit rien des architectes ou même des maçons. Il ne nous donne au verso que le nom des villes et l'année ainsi que la numérotation de ses cartes postales imprimées à seulement huit exemplaires !  On note qu'il désire la maison en entier, centrée si possible et c'est aux peintures de Babou que l'on pense alors. On note ce ciel blanc impeccablement tendu et égal qui raconte peut-être une séance de prise de vue dans un temps rapproché. Une journée ? Une semaine ? Êtiez-vous donc à pied Monsieur Voidy, en bicyclette ? Je ne sais pas pourquoi mais je vous imagine plus certainement en automobile, avec un ami jouant le rôle du chauffeur et râlant un peu lorsque vous demandiez à vous arrêter une fois encore pour une prise vue.
La Photographie Plasticienne aime aujourd'hui l'appui des séries, la forme presque régulière et claire des contraintes données pour la prise de vue : savoir en amont quoi aller photographier et comment.
L'épaisseur du sens viendrait alors de l'effet de collection, d'une thématique déclinée, d'un objet (jusqu'à l'épuisement) observé comme si le trésor de l'image n'était pas son unicité mais son esprit de famille.
Monte alors, forcément (j'aurais pu écrire : en force) un territoire d'image, ce que les critiques appellent un corpus qui serait comme la dernière excuse valable à un inventaire. Certes la jeunesse de Maxime Voidy le pousse sans doute encore dans ce mode, certes, sur son site, on trouve bien cette école encore présente.
Mais quelque chose de sourd pointe aussi. Non pas une nostalgie amusée du chasseur en safari d'images mais une attention simple au monde qui l'entoure. C'est à la fois touchant mais aussi risqué.
C'est bien ce risque que j'ai beaucoup aimé dans ses Maisons Endormies.
Au plaisir, Monsieur Voidy.
Laissez les clefs sous la pierre, je viendrai en octobre, peut-être, si le temps le permet.

Pour voir tout le travail déjà bien posé de Maxime Voidy, allez sur son site :
https://www.maximevoidy.com/les-maisons-endormies

Pour info, ma série compte 28 Maisons Endormies, j'ai décidé de ne vous en montrer qu'une petite partie choisie avec arrogance selon mes désirs. C'est comme ça. Point barre.














mercredi 8 janvier 2020

Bond Pompidou

Les vacances, cela permet parfois de retrouver le plaisir de laisser décider la télévision choisir pour vous un moment purement enfantin.
Alors que j'avais beaucoup d'autres choses à faire, voilà que la télévision me propose de voir un James Bond. J'appartiens à une génération qui ne laisse jamais passer un James Bond, quand bien même je l'aurais vu vingt-cinq fois.
Grand plaisir que celui d'en voir un moins connu. Ce fut donc le cas avec Moonraker.
Alors que je laissais la torpeur régressive me prendre, regrettant l'absence de pop-corn, voilà que James Bond veut me faire croire qu'il erre dans les bureaux d'une entreprise internationale alors qu'il est évident qu'il est simplement au Centre Pompidou !


J'adore ça, reconnaître un décor, comprendre comment la fiction s'amuse avec nous de quelques signes pour nous faire redécouvrir ce que nous connaissons déjà. Le cinéma a ce pouvoir de nous replacer dans un étrange réel fait du collage des images projetées directement sur lui. Indéfinissable joie naïve. Cela est tellement vrai qu'il existe de nombreux sites permettant de retrouver les lieux de tournage des films, des séries, des clips musicaux. Parfois le pèlerinage de milliers de fans peut même tourner à la catastrophe ou, au contraire, sauver des lieux. J'ai fait plusieurs fois la visite de Rochefort.
Mais revenons à cette surprise de voir le Centre Pompidou utilisé comme décor. Nous ne sommes, au moment du tournage, que deux années après l'ouverture du Centre, ce qui lui confère encore une aura très moderne et surtout de pouvoir encore laisser croire à un public non francophone de l'existence de cette architecture comme bel et bien celle d'un siège sociale d'une entreprise. On peut s'interroger sur le rôle que joue alors l'architecture, de comment elle interprète. Je crois aussi que les décorateurs et les producteurs savent s'amuser et savent aussi le plaisir que le public aura à reconnaître le lieux et de voir comment ils acceptera de se faire prendre. Et puis... c'est moins cher...
Le souci c'est bien que les icônes de l'Architecture sont parfaitement repérées et qu'il est donc difficile d'en tirer le pari d'un surgissement fictionnel opérationnel. Et les efforts de décorateurs pour détourner avec un bureau, une plante verte et un téléphone le décor originel peuvent facilement faire rire. L'exotisme ne tient pas longtemps.
Mais qu'importe ! En 1978 ou 1979, le Centre Pompidou devient donc un objet Bondien, associant l'imaginaire du Hi-Tech à celui de l'autoritarisme d'un méchant international. N'est-ce pas un peu de sa faute à ce Centre Pompidou affichant avec autant d'arrogance son souhait d'être un Monument ?
J'imagine aussi le bordel joyeux du tournage, l'arrivée de l'équipe technique sur place, le repérage du dernier étage, le personnel du Centre Pompidou essayant de voir les stars. Le Centre fut-il complètement fermé pour ce tournage ?

Je continue d'aimer trouver en cartes postales des images de ce Centre Pompidou dont la photogénie est presque l'objet de sa réalité. Il est bien, en ce sens, la Tour Eiffel couchée du vingtième siècle. Comme elle, il propose une transparence programmatique et structurelle qui fabrique les images et construit les cadres mais aussi, comme la Tour Eiffel, il est un observatoire qu'il faut atteindre par la mécanique de la montée pour voir Paris depuis un balcon perché en hauteur. L'expérience des escalators du Centre Pompidou est bien à l'exact l'expérience ultime de sa visite, comme les ascenseurs de la Tour Eiffel. La promenade dedans, dessus, fait l'architecture.

Dès que je trouve une nouvelle carte postale montrant le Centre Pompidou sous un nouveau jour, je suis heureux.
En voici une nouvelle :


On y voit ce fameux moment où, tout en haut du cheminement, on arrive sous le ciel de Paris encerclé  de la structure des escalators. Admirez sur ce point de vue l'incroyable transparence de l'ensemble ! Au fond, une dame est même assise, simplement pour lire et admirer la vue sur Paris. La carte postale est une édition OVET et le photographe de ce magnifique moment est J.C. Pinheira. On notera que l'éditeur oubliera de nommer les architectes.
J'aime beaucoup cette carte postale, beaucoup. Nous sommes là, à hauteur d'homme, retrouvant parfaitement la sensation de cet espace, presque simplement. La lumière y est superbe. Que l'on puisse ainsi cadrer une partie de cette exceptionnelle architecture et croire que des acheteurs y reconnaitront là l'une de ses expériences particulières en dit long sur la qualité d'un bâtiment. Le détail d'un moment de la promenade architecturale vaut donc pour le bâtiment tout entier : transparence, structure arachnéenne, disparition presque de l'architecture et promontoire pour voir la ville, le bleu étendu d'un ciel.
Il est toujours heureux dans une image de s'y reconnaître.

Pour revoir d'autres articles sur le Centre Pompidou :
http://archipostalecarte.blogspot.com/search/label/Centre%20Pompidou