lundi 30 juillet 2018

Le Brutalisme est français, la brutalité affairiste est russe




































D'abord je vais remercier mon ami Nicolas Moulin de m'avoir signalé l'article de Sybille Vincendon dans Libération le 8 juillet 2018. C'est cet article qui m'a donné envie de retourner voir les Damiers à la Défense.
Une fois encore, une fois encore, une fois encore... c'est sur de mauvaises nouvelles que nous nous y sommes rendus. Une fois encore le Brutalisme en France va subir une attaque. Une fois encore il s'agit de promoteurs qui prennent le dessus sur le Patrimoine.
Quand donc, sur ce parvis de la Défense, un inventaire du Patrimoine architectural et sculptural sera établi afin de préserver ce qui appartient maintenant à l'histoire ou ce qui peut y être détruit sans remords. Quand donc ce paysage si marqué, si typique, si représentatif d'un état de la pensée urbanistique sera considéré non plus comme un lieu de chasse de terrain et de plus-value immobilière (même si c'est son histoire originelle) pour devenir enfin un paysage français comme une fortification de Vauban, un trait de côte granitique bretonne ou le parvis d'une cathédrale ?
Quand donc les autorités patrimoniales oseront stopper les éradications de nos belles architectures brutalistes, finalement bien rares dans notre pays ?
Quand ?
Il suffit pourtant d'aller sur place, de se promener, de flâner au pied de l'ensemble des Damiers pour comprendre la poésie profonde de ce lieu, surtout un samedi matin de juillet quand la dalle est vide, sous un soleil voilé, et qu'elle semble perdue.
C'est cette émotion spatiale, la puissance même des constructions, leur échelle gigantesque, babylonienne qui produisent le sentiment de beauté, l'invraisemblable jubilation des vides subis, des pleins construits, des ombres portées.
Ici, tout n'est que calme, luxe et vraie volupté.
Bien entendu ce n'est pas facile. Il faut aimer être petit, presque écrasé par la masse qui se répète, par la force. Cette Force est avec nous.
L'article de Sybille Vincendon a le mérite de bien raconter les échafaudages politico-affairistes et les errements décisionnaires. Il a le mérite aussi de bien nous informer sur les architectes :


Nous connaissons Messieurs Binoux et Folliasson sur ce blog grâce à ces articles :
http://archipostalecarte.blogspot.com/2016/12/mettez-moi-la-paire.html 
http://archipostalecarte.blogspot.com/2013/09/des-tours-la-francaise.html 

Samedi, avec Walid Riplet et Jean-Jean Lestrade, nous sommes donc partis voir et nous ne fûmes pas déçus ! L'ensemble est d'une invraisemblable beauté et réserve une surprise supplémentaire : un ensemble de sculptures des Simonnet ! Posées dans une sorte d'atrium vide et minéral, les sculptures sont usées, blanchies. Elles gardent pourtant toute leur force. Nous fûmes surpris par leur taille gigantesque bien loin des jeux que je connais par ailleurs des Simonnet. Ici, il fallait pouvoir jouer avec l'échelle gigantesque des immeubles ! Le contraste des couleurs, du matériau, du dessin tout en courbes donne à l'ensemble une poésie superbe, comme des fleurs réussissant à pousser entre les dalles de béton. Qui s'occupe de l'avenir de cet ensemble de sculptures des Simonnet ? Qui prendra en charge leur démontage, leur restauration et qui leur trouvera un nouveau lieu loin de la brutalité affairiste russe ?










































































Les photographies sont de Walid Riplet, (merci Walid). Merci de ne pas les copier sans autorisation.
Merci à Sybille Vincendon pour son article et, encore une fois, merci Nicolas pour ton alerte. Tu as bien vu là, l'un des espaces les plus Grautag de France.















































































Il n'est pas aisé de trouver des cartes postales de cet ensemble des Damiers à la Défense. Je ne pense pas qu'il y ait eu une production particulière le montrant. Dans ma collection, je dois donc composer avec deux cartes postales évoquant le parvis et sur lesquelles surgissent parmi le reste des immeubles les Damiers :



































Cette carte postale de Puteaux par Abeille-Cartes est superbe ! Je l'ai déjà publiée il y a 8 ans ! Mais quand c'est beau...
Je me permets donc de passer rapidement et de vous en montrer un détail qui est bien l'ensemble des Damiers. Vous remarquerez que la photographie nous le montre très blanc avec beaucoup d'espace autour de lui ! Cela a bien changé aujourd'hui !
La carte suivante est intéressante :




































D'abord parce qu'on y voit bien notre ensemble des Damiers perdu dans une demi-nuit bleutée mais aussi parce que cette carte postale  appartient à une série sur La Défense servant en quelque sorte de guide de visite et qui découpe le parvis de la Défense et ses accès en plusieurs zones. L'éditeur est Onerok pour l'EPAD et la photographie qui restera anonyme appartient à l'EPAD. Dommage que nous ne puissions avoir le nom du photographe qui a su jouer avec les lumières pour donner à son image une atmosphère si particulière ! Reste à connaître le mode de diffusion de ce type de cartes postales promotionnelles... On reviendra bientôt sur cette série.

dimanche 29 juillet 2018

Vive Vivès !

Je n'arrête pas d'être surpris et d'apprendre.
Alors que l'Histoire de l'Architecture nous remplit d'icônes rebattues dont (souvent à raison) on connaît tout, du moindre bouton de porte au crépi des murs, elle oublie parfois d'évoquer des petites choses curieuses, inattendues, oubliées qui portent pourtant une charge passionnante. Ce blog essaie de son mieux de donner à ces architectures un tout petit peu de lumières et, une fois encore, c'est l'Architecture Sacrée du Vingtième Siècle qui nous régale. Une fois encore, c'est la carte postale qui autorise la découverte.
Attention les yeux !

Alors ? Je vous avais prévenus...
Je ne sais pas pour vous, chers lecteurs, chères lectrices, mais c'est bien la première fois que j'ai entendu parler de cette architecture.
Il s'agit de l'église Saint-Maurice de Pont-de-Vivaux. L'éditeur-photographe PHOTO YAN nous indique que l'architecte serait A. Vivès, que les vitraux seraient de H. Guérin et que les sculptures seraient de Lech-Wardecki.
C'est bien Auguste Vivès qui est l'architecte de cette chose étrange dont la photographie en noir et blanc accentue la valeur de stupeur. Ce choc provient du dessin incroyable de ce bulbe aveugle surmonté d'une voile en béton, voile pouvant ici s'écrire au féminin comme au masculin !
Cette voile est d'ailleurs tendue par une poutre en diagonale surplombant ledit bulbe. Depuis cette image, le reste de l'église (oui oui, une église) semble d'un traitement plus régulier, s'allongeant, s'étirant plus tranquillement, laissant au chœur toute la dramatisation architecturale, l'événement est là, dans ces courbes audacieuses qui disent le monument.

Cette autre carte postale du même PHOTO YAN nous montre bien la grande régularité du corps du bâtiment venant s'enfoncer dans l'événement final.
Mais difficile de raconter ce qui se passe à l'intérieur... Difficile de dire si cette curiosité sculpturale est aussi originale dans son intérieur. Il nous faut aller ici pour visiter un peu mieux ce qui constitue cette église.
http://www.caue13.fr/realisation/eglise-saint-maurice-de-pont-de-vivaux
Heureusement la vue satellite nous permet de mieux saisir le dessin de son plan et de sa couverture beaucoup plus lyrique que ne le laisse supposer la vue depuis la rue.
L'étonnement est à son comble tant l'intérieur contraste avec son extérieur. Oui, la photographie ne dit pas tout... Mais pourquoi donc, une œuvre aussi originale, aussi marquée par son temps n'a pas connu plus de fortune éditoriale ? Est-ce finalement ses qualités de modestie qui lui ont fait échapper à une trop grande reconnaissance ? Comme quoi le baroque d'un geste empreint d'une justesse programmatique peut laisser l'histoire vous glisser dessus. Vite ! Partons tous vivre la belle architecture d'Auguste Vivès !
Vive Vivès !
La vue actuelle depuis Google nous montre un mur dégueulasse de parpaing venant cacher en partie le beau travail de l'arrière de l'église, mur couvert de graffitis merdeux. On devine aussi que les ouvertures furent occultées sur toute la longueur... Comment on en arrive là ? Si peu d'égards pour une construction aussi originale méritant mieux sans doute que ce dédain.
Est-ce finalement pour la protéger des outrages des petits artistes du Street Art n'y comprenant que goutte à l'Art Sacré ?




























mercredi 25 juillet 2018

Brutalisme Belge 1

Si les cartes postales n'avaient que ce rôle à jouer, je serais déjà très heureux de jouer avec elles. Il m'aura suffi du débordement des tours d'ascenseurs de la frondaison des arbres pour que mon œil reconnaisse immédiatement les immeubles de vacances du Park Atlantis que j'avais publiés en... 2015.
Le hasard de la route des vacances m'a permis de tomber sur l'un des plus beaux ensembles d'architecture moderniste de Belgique que j'avais découvert grâce à ces cartes postales :
https://archipostalecarte.blogspot.com/2015/09/empiler-la-belge.html
Ce qui nous sauta aux yeux c'est bien entendu d'abord son état exceptionnel. Le Park Atlantis a été restauré il y a peu et tout y est réalisé avec un immense respect pour l'œuvre de l'architecte et du sculpteur. Certes, les tours d'ascenseurs ont reçu un bardage isolant mais c'est réalisé avec une grande discrétion et une qualité incroyable qui ne dénaturent en rien ni l'élan, ni la masse. Même la différence de peinture entre le sol des balcons et la façade est maintenue, et surtout, aucune isolation extérieure n'est venue épaissir l'ensemble. Les garde-corps ont gardé leur beau béton lavé. Ce qui fut aussi très sympathique et bien loin de la tradition française de la propriété privée, c'est que, alors que nous photographiions l'immeuble non seulement personne n'est venu nous l'interdire (comme au Havre...) mais que, au contraire, un monsieur et son épouse sont venus nous voir pour nous raconter tous les détails de cette restauration, de leur fierté d'habiter là, de la défense des intérêts esthétiques du bâtiment. Merci les belges pour votre accueil absolument parfait et généreux et votre sens du respect de ces architectures.
Alors nous avons appris que ce Park Atlantis faisait partie d'un projet socialiste de vacances pour tous, qu'il était accompagné d'un programme complet de cinéma et d'attractions pour les habitants mais que la charge d'entretien changea un peu la donne et que les immeubles ont donc regagné le domaine plus privé de résidences de vacances. On nous signala que l'immeuble est finalement très peu occupé et que les logements y sont pour la région très peu chers car les charges sont énormes ! Le monsieur nous indiqua en souriant que les appartements se vendent presque pour "le prix d'une caravane " ! Il faut dire que l'ensemble est dans un parc arboré immense et parfaitement entretenu donnant une majesté par son isolement à l'ensemble. Vraiment, vraiment, au soleil du soir, une merveille.
Alors ?
Oui... Alors ? Vous voulez sans doute le nom de l'architecte ? Il s'agit d'après notre guide sur place du bureau d'études Jaminon Associés. On trouve malheureusement bien peu de choses sur l'internet pour nous aider à comprendre son histoire et son parcours, il aurait construit en Afrique. Par contre, pour ce qui est de l'incroyable travail des bas-reliefs réalisés dans le béton sur les murs d'accueil de l'immeuble, il est plus aisé de trouver des informations. Le sculpteur des très riches bas-reliefs est Jo Rome qui promeut son travail sur ces immeubles sur son site :
https://www.jorome.be/reliefs/
Malheureusement pas assez complet pour saisir tous les détails symboliques ou plastiques de cette réalisation, ni pour comprendre la relation particulière entre l'architecte et le sculpteur. On y reconnaît tout de même un goût de l'époque mêlant un nouveau réalisme à un surréalisme mystérieux, une poésie du matériau, de ses surprises. Moulages, grattages, gravures, dessins, écorchent la peau du béton avec une grande jubilation. La lumière un peu rasante est parfaite pour faire monter les volumes et les détails. Il s'agit d'un travail d'envergure, pas seulement d'une décoration posée là, l'ambition du projet, dans sa liberté formelle répond parfaitement à la rigoureuse construction architecturale. On a envie de toucher, de palper cette matière.
Il est donc possible qu'une utopie sociale prenne forme, dérive un peu et soit miraculeusement maintenue parfaitement dans le réel sans modification irrémédiable comme nous le faisons en France. Ici, les habitants, les usagers ont su comprendre la chance de vivre et de profiter de cette architecture puissante mais aussi incroyablement poétique. Sans aucun doute, l'un des plus beaux endroits de la Belgique Moderne et Contemporaine. Merci les belges.

Quelques images ?
Allez... après vous partirez en safari :
 











Le surgissement spectaculaire des deux poutres, se soulevant du sol, est l'un des moments les plus forts et des plus poétiques de cette architecture. Pouvoir tenir ainsi la structure de la fondation de l'immeuble et circuler dessous reste une expérience spatiale inédite. C'est là que nos guides belges sont venus nous raconter l'histoire de ce Park Atlantis. Émotions.