vendredi 20 août 2021

Albert Monier, l'eau de source

 

Albert Monier fait totalement partie de la mythologie de la carte postale. Reconnu, ayant eu un succès commercial et une reconnaissance esthétique certaine, il fut aussi un grand fabricant d'images que, un peu vite, certains qualifieront, un rien moqueurs, d'imagerie.
Il est fréquent dans le petit monde des collectionneurs de cartes modernes de trouver des amateurs de son œuvre cherchant avec passion ses cartes postales. Il y a les Monier et les Prestige.

C'est vrai que les cartes postales d'Albert Monier sont faites d'un Paris éternel et d'une France retenue dans sa ruralité un rien romantique, un rien terrienne. Son Paris, c'est celui des quais de Seine, des clochards célestes qui se rapprochent dans leur figure burinée des paysans du Massif Central. C'est vrai que cela peut paraître un rien compassé, un rien suranné, une France surjouée comme fabriquée pour des américains ou des français en mal d'une France justement, à cette époque, déjà en train de disparaître, au bord de sa transformation. En fait, ce que fait Albert Monier est bien plus complexe, il ne fait que retenir ce qui s'en va, ce qui est en train de s'évaporer. 
Et tout n'est pas de sa faute. Oui, nous aimons aussi y croire encore au tournant des années cinquante à cette France dans laquelle nous nous reconnaissons. Car finalement, et même si cela peut paraître fabriqué, elle existait encore et vraiment cette France, celle de Jour de Fête de Tati (1949). Les clichés ne naissent pas de rien. Et ce n'est pas la faute de la multiplication des images mais de ce qui nous construit chacun comme un projecteur. Le regardeur est aussi (et pas seulement) quelqu'un qui envoie sur l'image un désir attendu dans lequel il souhaite se reconnaître. La brume sur la Seine au petit matin de mai, le paysan dans son champ au travail, les vieilles toujours touchantes, croyons-nous. Comme des chansons populaires, des rengaines entêtantes. 


Pourtant, je fus étonné très vite dans mes recherches de cartes postales d'architectures modernes de trouver aussi des cartes postales d'Albert Monier représentant des monuments contemporains de Paris. Albert Monier signa de son nom des cartes postales de la Tour Montparnasse, du Forum des Halles, de la Maison de la Radio ou du Centre Pompidou. Rien d'autres à ma connaissance de ce Paris Moderne. Mais tout de même...quatre lieux, quatre monuments du doute moderne à Paris. Est-il mort trop tôt pour nous en raconter d'autres ? Et comment a-t-il construit son regard sur ce Paris nouveau ? Tendrement. Tranquillement. Aucune accusation, aucune détestation. Il cadre avec simplicité et solidité les architectures, les donnent à voir aussi sans effet particulier, avec une originalité adoucie qui ne veut pas prendre le dessus sur l'événement architectural. La Tour Montparnasse est celle qu'il photographia le plus ou, du moins qu'il édita le plus, lui donnant la chance de son expression, de sa puissance. Monier la regarde cette tour, il la regarde et tente de comprendre son surgissement. Il ne nous fait pas le coup du vieux Paris contre la modernité, il ne nous fait pas le coup d'une menace. Il saisit surtout sa verticale sans arrogance. Ce qui m'étonne aussi c'est que Monier photographie son Auvergne ou le Paris intra-muros mais rien sur l'espace intermédiaire, rien sur ce paysage mouvant de la banlieue, des cités, de ce mouvement d'une France bouleversée dans ses frontières intérieures pendant cette période. Il est là ou là, pas entre les deux. Cette position est aussi un peu la preuve de sa radicalité photographique, de celui qui s'excusera presque toute sa vie d'être un photographe de cartes postales, voyant dans cet art à la fois la chance de sa multiplication et la déchéance de cette usure. 




Difficile de se prendre pour un artiste qui travaille en photographie quand on fait des photographies multipliées, égales, partout, sur des tourniquets. Difficile même si Monier avec génie et raison considérait les tourniquets comme une exposition vivante, sur le trottoir, rencontrant les doigts des regardeurs pointant les images. Wahrolien il était mais sans le dédain chic du monde ou la mauvaise foi. Il eut la seule reconnaissance qui vaille : celle d'être populaire.
Albert Monier était un artisan, un de ceux qui fabriquent des tabourets paysans, qui développe ses photos au sens propre dans l'eau de source du village, dans le bol de soupe. 




Un besoin d'image ? Un outil, du travail et soudain la poésie arrive dans la naïveté du bien faire, du labeur, d'une simplicité d'une construction solide. Et, pour finir, une autre chose m'étonne. Dans la bibliothèque de mon d'école des Beaux-Arts de province, je trouve au rayon photographie le catalogue* sur l'œuvre de Monier. Je m'aperçois que mon étonnement dit aussi quelque chose de mon rapport à ce travail. Il y a donc eu un moment où ce travail de photographies fut reconnu comme devant être mis sous les yeux des jeunes artistes. Le catalogue date de 1983. Je crois qu'aujourd'hui, étrangement, cela serait impossible. La France de Monier serait perçue comme politiquement incorrecte, trop française, trop idéalisée, d'un idéal culturel enfoncé dans des sillons labourés, dans l'altérité chaleureuse. Car Monier n'allait pas en safari à la campagne ou dans Paris comme le font certains photographes contemporains aujourd'hui. Monier regardait la France. Lui, il en venait.

Il regardait la France. 

Plus personne ne la regardera comme lui. Je suis de ceux qui le regrette et qui continue de regarder ce pays-là précisément. Il faut, certes, le faire avec lucidité mais je n'en ai pas non plus à m'en excuser.

L'une des cartes postales les plus célèbres de Monier est la poignée de main. C'est simple, efficace, tout est dit, tellement que cela deviendra un pensum. Pourtant j'y retrouve la poignée de main entre l'agriculteur et l'ouvrier que dessina Le Corbusier pour Bézard à Piacé. C'est bien de ces deux mondes qui se touchent qu'il faut extrapoler la place de Albert Monier dans l'Histoire de la Photographie. Il ne vous sera pas difficile de comprendre ce que je veux dire. 

Portait sans visages, édition Albert Monier, diffusion Théojac, PP 10701, on notera les changements de pluriel dans le titre et bien entendu la couleur...


Albert Monier osait signer ses images. Mais...Sur une édition Cap-Théojac du Forum des Halles, la signature de Albert Monier est bien sur l'image mais au dos, l'éditeur précise que la photographie est de J.L. Goulart...Qu'en penser ? Albert Monier était-il devenu un prête-nom ? Une marque ? Étrange.

Je vais donc vous donner à voir quelques unes de mes cartes d'Albert Monier présentes dans ma collection. Je mélange un peu, sans vraie volonté. Vous regarderez cet article comme si vous étiez devant un tourniquet. Les images tournent sur leur manège et votre doigt pointera votre désir. Laissez-vous faire.

*Albert Monier, Photographe.
édition du Musée d'Aurillac, exposition 1983.
ouvrage préparé par Juliette Bruel, Jean-Pierre Lacoste, Annie Philippon,, Françoise Pointard avec le concours d'Albert Monier.






Et pour revoir le Paris Moderne de Albert Monier, allez là :


Visage du temps, A709, Les Photographies Albert Monier :


Albert Monier, En Auvergne. Hommage à la fidélité du boulanger des montagnes, éditions L.P.A.M, A10.724

A 620, Environs de St-Flour, le barrage de Grandval
A 711, Autrefois... éditions L.P.A.M
A 703 Une pensée pour Candide

A717 Déjeuner de Soleil (1958)

Paris, Forum des Halles, (architectes : Vasconi et Pencreac'h) Sculpture de Julio Silva, Cap-Théojac éditeur Cap-Théojac, photo de J.L. Goulart...

A 760, Le chemin du Temps, (sujet existant en gravure décorative format 47x58 sic)

12, Paris, La Tour Eiffel, photographies Albert Monier

300, Paris, Contre-jour sur la Seine, vers le Pont Marie, photographies Albert Monier

403, Paris, la toilette matinale, éditions L.P.A.M

183, Sous les ponts de Paris, photographies Albert Monier, expédiée en 1955
10.362 La Bourboule, le chemin des fées, photographies Albert Monier

1054 les vents grondaient en l'air les plus sombres nuages nous dérobaient le jour pêle-mêle entassés, les abîmes d'enfer étaient au ciel poussées. Jean de Sponde. photographies Albert Monier, Théojac.
1056, Albert Monier par Théojac


1002 Albert Monier photographies

10041 Paris, l'Arc de Triomphe, Albert Monier photographies



samedi 14 août 2021

Le Corbusier entre tas et colline

 Bien entendu, il existe des cartes postales pour ceux qui connaissent déjà les lieux. Des cartes postales dont l'objet premier n'est pas tellement de faire découvrir au correspondant un espace à lui inconnu, mais bien des cartes postales voulant le montrer sous un angle inusité. Le rôle du photographe alors est bien de regarder ailleurs, c'est-à-dire de permettre la reconnaissance, la complicité entre le regardeur et l'expéditeur  mais aussi de prouver là une originalité particulière, une forme inattendue de ce qui est connu. Souvent cet angle est perçu comme plus artistique, plus original, donnant surtout au photographe une place plus importante puisque sa présence est alors l'atout de l'originalité de cette image.
Il a vu ça lui, en quelque sorte. Et il le signifie.
En voici deux exemples sur un objet architectural iconique : Ronchamp et sa Chapelle. 
Il s'agit d'une telle icône qu'on peut en effet se demander comment il est encore possible d'en montrer une particularité, un terrain peu exploité, une vision fraîche. Le ou les photographes vont alors faire une chose incroyable, ils vont prendre le risque de ne pas montrer l'icône !
Regardez comment sur cette carte postale, le photographe resté anonyme (Bueb ?) tourne ostensiblement le dos à La Chapelle !



Quel culot !
Par contre, il ne tourne pas le dos au programme corbuséen puisque, ainsi, il nous montre l'un des abris du pèlerin sur la colline et il nous montre aussi sa situation dans le paysage. Il est déjà rare de voir des représentations mettant en avant ces petites constructions mais il est encore plus rare d'en voir une depuis ce point de vue. On pourrait en chanter le brutalisme tranquille et le toit végétalisé, on pourrait s'amuser de la polychromie ici éteinte par le noir et blanc mais mon œil quitte rapidement ces questions pour s'attarder sur le tas de terre fraîchement retournée qui vient là, comme une maquette de la colline de Ronchamp. Pourquoi diable avoir laissé ici ce tas de terre et pourquoi donc le photographe a cru intéressant de le cadrer ? Pour me faire écrire ? N'aurait-il pas pu simplement monter sur ce tas de terre et faire son cliché ? Est-ce là l'indice que tout cela sort de terre, que tout cela reste encore inscrit dans le chantier ou dans la rudesse radicale et franche du réel ? L'architecture se doit-elle, quand elle est sacrée, de dire quelque part son origine première et géologique ? Ce tas de terre serait-il un indice de la vanité du monde ? Allez... Je vous sens un peu réticent. Parfois, les choses sont là et c'est justement ce qui fait leur force. Être tas.
Et si nous osions encore plus, et si nous prenions un risque encore plus grand ?



Sur cette carte postale sans nom de photographe, on voit la colline de Ronchamp et en émergeant à peine, presque imperceptiblement  La Chapelle de Le Corbusier. En effet sur la courbe naturelle de la colline un truc, un machin vient perturber la douceur de la courbe, prenant en quelque sorte la pente pour la poursuivre comme un tremplin minuscule, une cale pour un ciel bien trop vide. Trois registres de gris divisent l'image de manière horizontale : herbes folles au premier, forêt sombre au deuxième et grand ciel au troisième. L'écorchure au milieu, le pépin dans la bouche, le caillou dans la chaussure c'est bien La Chapelle. Pour faire une telle image, pour penser que celle-ci rencontrera ses amateurs, il faut savoir déjà de quoi est faite l'architecture. Il n'est plus nécessaire de la montrer vraiment mais il reste possible que son surgissement en soit aussi un signe. Ici, si l'on considère d'abord l'ascension de la Colline de Ronchamp et son pèlerinage comme le centre-même du projet architectural, alors c'est bien depuis ce point de vue, dans l'attente de l'ascension qu'il faudrait montrer La Chapelle. C'est bien ce qui est là-haut qu'il faut aller voir et surtout rencontrer. Aller à Ronchamp c'est parcourir l'espace entre ce point de vue et cette Chapelle. 
Le chemin est l'objet de cette image.
Aucune de ces deux cartes postales, extrêmement originales, osées et révélatrices n'a cru bon nous donner le nom des photographes. C'est bien dommage. Mais on imagine aussi la réception un peu timide de ce genre de cartes, le pèlerin aura toujours tendance dans la masse des cartes postales montrant de face la Chapelle à en bouder les points de vue plus originaux. On y est allé, en effet. Il ne fait aucun doute que la rareté-même de ces cartes démontre aussi que ce que l'on demande à cet art c'est bien une forme de clarté de l'objet, sans risque de se tromper ou de préférer le cheminement du photographe à celui du visiteur. Chacun, en quelque sorte veut son Ronchamp et étrangement, celui-ci ne le sera que dans une communauté d'images et non dans une forme trop personnelle. L'erreur du photographe c'est de croire que ses particularités, son originalité sont recevables par d'autres. Garde ton histoire, garde ton chemin, je veux juste tenir dans mes doigts l'objet pour lequel je suis venu ici, en haut de la colline.

Pour revoir quelques articles sur Ronchamp :
...et tant d'autres....

jeudi 12 août 2021

Des poutres pour les vieux



C'est vraiment de toute beauté.
Nous adorons ce genre de découverte. Comment ne pas tomber sous le charme d'une telle construction ! Nous sommes à Montdidier, devant la pergola de la résidence du Cèdre grâce à une carte postale des éditions Eurolux et d'une photographie de Mansard.
Mais regardez comment les architectes ont posé les unes sur les autres les poutres, les laissant déborder, formant des ombres, inventant une spatialité mouvante. Regardez comment les architectes ont joué avec la blancheur et la brique, comment tout est espace et ouvertures. Les huisseries sont superbes.
Pourtant, nous n'avons jamais entendu parler de ce lieu et encore moins des architectes J.M Valentin, J. Mereau, architectes à Neuilly-sur-Seine et de G. Barlet, architecte à Montdidier. Nous nous amusons de la précision de Neuilly-sur-Seine et nous nous demandons comment messieurs Valentin et Mereau, architectes dans cette ville pouvaient avoir (ou pas !) pris en considération les maisons Jaoul de le Corbusier ? Ont-ils aussi croisé Claude Parent dans cette ville ?
Qui sait...



En tout cas, il ne fait aucun doute que nous avons là un beau morceau d'architecture, d'un geste bien volontaire. Une autre carte postale nous permet de voir le reste de la construction même si on voit mal, le photographe ayant dû travailler avec les arbres. La brique est partout présente mais le dessin semble plus tranquille et bien moins spectaculaire. Mais ne tirons aucune conclusion sur cette suite et gardons la certitude que cette pergola en dit assez long des qualités architecturales de cette équipe.
Je ne trouve pas grand chose sur ces noms d'architectes. Espérons qu'ils ont laissé d'autres belles constructions encore à découvrir.
Walid Riplet

ps : David me rappelle son article dans la revue en ligne Strabic, sur les vieux et l'architecture, bonne lecture !


mercredi 11 août 2021

Piscine Tournesol sur l'autre rive

Dans nos circulations habituelles, il y a des lieux que l'on voit toujours identiques comme des repères mais que l'on ne va pas vraiment voir. Jalons importants mais pas traversés. Porcheville c'est exactement ça pour moi. Sur la route vers Paris j'attends toujours les cheminées de Porcheville, géantes magnifiques, qui me rappelleront systématiquement que, lors d'un voyage scolaire, l'un de mes camarades de collège, fièrement, nous indiqua que son père avait participé à leur construction. J'avais aimé cette idée du père et j'avais jalousé cette particularité.
Mais aujourd'hui j'aurai autre chose à penser et à rêver : une piscine Tournesol !
Il me faudra faire un détour au retour d'une visite de la capitale et traverser la Seine pour aller la voir. Pour l'instant, voici deux cartes postales aériennes éditées par le Studio M. François qui m'ont permis de découvrir cette piscine Tournesol dont je ne connaissais pas l'existence. 
Une de plus dans notre inventaire ! Et il semble, en plus, que celle-ci soit toujours debout. Il faudra vite y aller. Peu d'autre chose à vous dire qui ne fut déjà dit sur nos piscines Tournesol, ailleurs... On peut remarquer tout de même que la piscine est enclavée sur son terrain mais qu'elle est construite à proximité des écoles dont on devine facilement les raisons. Et j'avoue que je vois de Porcheville une autre image, un village étendu et vert que l'autoroute A13, au loin, ne laisse pas deviner.  La ville a-t-elle eu droit à une carte postale mettant cette piscine Tournesol en vedette ? On espère ! Porcheville ! J'arrive !










lundi 9 août 2021

Naad Parent, inclinaute et amoureuse

Merci Naad.
Vous n'étiez pas que sa compagne ou que sa muse. Tout le monde le sait. 
L'Histoire de l'Architecture aussi.
Vous étiez son socle intime, celui sur lequel il devait vivre pour que nous puissions vivre à notre tour avec lui, avec vous, ce que nous savions être un privilège. 
Nous vous rencontrions alors tous deux.
Tous les deux.
Je me souviens de comment vous saviez choisir pour nous, avec lui, des dessins pour une exposition, indiquant tranquillement ceux qui seraient intéressants pour nous. Comment vous faisiez preuve alors de justesse ! Vous étiez aussi sa mémoire précise, sa jubilation première, celle vers qui il se tournait pour rire ensemble, pour un enthousiasme commun, un mot mieux choisi ou pour reprendre une erreur. Vous disparaissiez aussi, nous laissant avec lui, vous remontiez alors avec des livres, des boîtes d'archives pour préciser un détail ou pour rappeler un autre rendez-vous. 

Vous avez vécu à l'oblique, complice de cette révolution essentielle et amusée de cette chance. Qui pour comprendre aussi bien que vous la nécessité de vivre vraiment avec cette expérience et d'en faire une architecture du sensible ?

Vous étiez une inclinaute amoureuse.

J'aurai eu la chance de vivre un peu cette complicité, d'en voir l'articulation. Voir l'amour en action, voir comment la disponibilité n'est ni une mission ni un effacement mais une jubilation pour vivre pleinement et activement dans une œuvre complexe, de la voir poindre, aider à son développement et aussi la voir revenir avec en force.
Il vous le devait aussi. Il le savait.
Nous vous le devions. Nous le savions.
Je sais ce que je vous dois.
Merci Madame Parent.

Toutes mes pensées vont à sa famille et à tous les inclinautes du Monde. 
Au revoir Naad.

Je m'autorise à publier cette photographie de nous deux ensemble, bien curieusement associés. C'est que cette photographie vous avait bien faire rire, Naad. Et je veux garder ce souvenir de ce rire et de votre humour sur vous-même.

photo de Claude Lothier prise pendant le montage de l'expo au Mans en 2016.




dimanche 8 août 2021

Le génie des lieux est celui des images

Pourquoi donc, soudain, l'œil rapide et piqueur saisit d'emblée qu'il se passe quelque chose ? Pourquoi naît immédiatement un sentiment amoureux depuis une image ? Il arrive aussi, à des années de distance que ce sentiment naisse pareillement depuis des images découvertes dans des lieux éloignés et que la mémoire seule parvienne à établir la connection nécessaire. L'une, trouvée et achetée (il y a au moins quinze ans)  est perdue dans un classeur attendant son classement, l'autre achetée la semaine dernière et faisant étrangement sonner un souvenir vague mais persistant. Délesté de mes vingt centimes, la carte arrivera au domicile et, miraculeusement, la mémoire faisant le travail, retrouvera l'autre qui attendait. Et pourquoi une photographie, muette, vide, sans aucun référent à ce que nous sommes fait vibrer notre désir d'espace, la compréhension soudaine et profonde que vous avons besoin de cette image ou, mieux, que nous nous y projetons avec familiarité, nécessité, complicité et surtout un sentiment profond de tranquillité retrouvée ?

Trois lettres : Urt.
Ce mot court et sautillant sera bien ce que ma mémoire fera sonner, c'est par lui, Urt, que ma mémoire aura tapé. Urt.

Commençons par la nouvelle arrivée :



Nous sommes donc à Urt, dans l'Abbaye de Belloc par une édition Combier. J'aime tout dans cette image, tout. D'abord ma solitude que je projette dans ce vide, solitude que le cercle des bancs rend un rien centrifuge. Et ce vide c'est alors aussi une traduction du silence. Écoutez. Vous entendez ? 
L'image est chaleureuse aussi par ses tonalités dorées, brunes, chaudes. La lumière semble venir entre les poutres blanchies d'une architecture d'une grande simplicité qui n'a comme objet que de produire justement ce sentiment de tranquillité. Il ne faut pas ici que l'esprit soit perdu dans des extravagances d'architecte, il ne faut pas admirer autre chose que la chance d'être là. Même le mobilier religieux célèbre cet effacement et cette simplicité. La constellation des spots électriques au plafond est bien céleste. Je peux fixer cette carte postale pendant des minutes entières, sans vous, reposé. On notera que le travail du photographe est parfait, que tout est là. Rien n'est brûlé par le temps de pose. Et le Christ lui-même ressemble davantage à un nœud de branches, à un sarment de vigne nouée qu'à un martyr ensanglanté. Il ne fait pas peur en quelque sorte.

Et puis, ils arrivent :



Un autre lieu de cette Abbaye de Belloc toujours à Urt. Le lieu, cette fois organisé sur l'angle droit, s'habille des robes des moines. Tous les tons s'accordent là aussi et si le silence est rompu ce n'est que par la parole organisée. Massivité du mobilier, massivité des sublimes suspensions ressemblant à une installation minimaliste américaine, tout est ici mis en place et surtout mis en scène pour que la fonction de concentration sur le Livre et sa parole ait lieu. Tout passe aussi par une égalité des corps dont, pourtant, je ne peux m'empêcher de remarquer la plus grande jeunesse de ceux du premier plan. Et des livres attendent aussi sous les bancs. Je me sens à ma place, accueilli, sans que je me doive à quelque chose d'autre qu'être là, parmi les autres. Parmi, c'est déjà bien.
Il m'aura fallu un certain temps pour trouver le nom de l'architecte de cet ensemble religieux, il devrait s'agir de Henri Duverdier. Ma quête n'a trouvé sa solution que par un méthode peu orthodoxe dont je vous économiserai la réalité peu glorieuse. Et donc, j'en suis peu certain mais Henri Duverdier aurait commis aussi une église à Issy-les-Moulineaux, église qui fera un jour l'objet d'un article ici. Elle est si discrète, simple. Elle saura, elle aussi, attendre un peu. Que pourrions-nous donc dire du travail architectural de Henri Duverdier ? Et le devons-nous ? Quand nous aurons usé du vocabulaire technique des solutions architecturales ou de celui poétique du sentiment spatial, nous aurons déjà trop parlé et surtout rien défini. Car il faut se rappeler que, même si je ne suis jamais allé à Urt pour voir vraiment, je suis certain d'y avoir vécu quelque chose. Et ce n'est pas justement une licence poétique que de le dire, ce n'est pas un truc d'écriture, c'est une réalité. J'ai vécu ni dedans ni devant ces images, j'ai vécu avec elles. 
Être parmi les autres avec des images, c'est aussi de l'architecture.

mercredi 4 août 2021

Viens ! On va démonter l'église !

Vous vous souvenez sans doute de la très belle cabine de téléphérique de Grenoble dessinée par le Groupe 6 :
Vous vous en souvenez parce que vous êtes des lecteurs et lectrices attentifs et donc, vous vous souvenez que ce bâtiment est important dans la famille Lestrade. Aujourd'hui nous allons voir d'autres images et cartes postales des architectes de ce Groupe 6 mais avant qu'ils ne prennent ce nom d'agence : Messieurs Pupat, Potié, Vincent et Pigeon, architectes. 
Nous avons eu envie de reparler d'eux d'abord grâce à deux cartes postales assez peu bavardes d'un point de vue architectural car elles ne nomment tout simplement pas... la fonction du bâtiment représenté ! Par contre, elles nomment les architectes...
Nous sommes donc au Saint-Hugues-de-Biviers, dans la commune de Montbonnot, dans un centre spirituel et de retraite. Un lieu donc dessiné et désiré pour être de repos, un lieu de retour sur soi et sur les autres. Voilà la forme que cela peut prendre :



La carte postale est une édition Studio Ambiance qui choisit un point de vue spectaculaire et qui, d'une certaine manière, sert et avantage l'architecture. Par cette prise de vue en contre-bas, voilà que les formes simples déploient une modernité certaine. Le traitement tout en blancheur des murs, l'opposition au bois, les trouées et la massivité donnent bien à cette image quelque chose d'appétissant. On devine déjà derrière que les ouvertures sont traitées avec qualité. Tout cela sent donc bien un désir de modernité adoucie, efficace mais pas ostentatoire, simple mais pas radicale. On pense à un Novarina par exemple. C'est chaleureux, accessible comme architecture, cela n'effraie pas, cela accueille avec douceur. 
Une autre ?



On devine mieux sur ce point de vue le bâtiment au fond mais le photographe fait tous les efforts qu'il faut pour que l'architecture semble perdue dans la nature ! On ne voit que peu de choses... Pourtant, là encore, on devine bien l'écriture équilibrée de l'ensemble. C'est tranquille comme architecture. C'est encore Studio Ambiance qui régale et qui n'oublie par de nommer donc nos quatre architectes.
C'est d'ailleurs à partir de ces noms que nous suivons la piste du Groupe 6. Il est aisé en tapant ces noms de les retrouver sur un autre projet religieux. Et quel projet !
L'église démontable de St-Jacques, à Grenoble ! Oui ! Démontable !
Sur cette carte postale on retrouve bien nommés les architectes Pupat et Potié associés à l'architecte Vincent. On est en 1958 donc bien avant le centre de Saint-Hugues-en-Biviers (1963). Dans le toujours indispensable et complet Le temps des églises mobiles de Pierre Lebrun on trouve un article précis sur l'histoire incroyable de cette église et de ce désir de la voir se démonter ou évoluer selon les besoins à venir. On ne paraphrasera pas ici cet article, afin de respecter le travail de Pierre Lebrun. Il est aisé de se procurer son ouvrage et de... le lire... Ce qui est remarquable c'est bien qu'alors l'église osait cette modernité et poussait sa réflexion sur ce lieu et son usage de manière particulièrement avancée, voire révolutionnaire ! Cela calme les étonnements de quelques photographes contemporains se croyant inventeurs de cette "découverte" soudaine. 
Regardons par exemple ce très beau cliché de Rambaud Photo pour donner à voir cette église incroyable.


N'est-pas là une carte postale magnifique ? N'est-ce pas là un vrai regard sur cette construction étonnante ? On sait bien que la photographie ici construit autant l'architecture que les architectes eux-mêmes, du moins le photographe comprend et saisit dans le même temps comment il peut révéler la plasticité du lieu et fabriquer son image. Saurions-nous deviner, depuis un tel cliché, que l'objet est une église, église  démontable en plus ? L'abstraction quasi-totale de l'image tenue dans son noir et blanc franc donne bien à cette entrée une puissance incroyable. Difficile d'appréhender la forme globale de cette église depuis ce point de vue. C'est comme cela arrive souvent avec les cartes postales, une carte pour ceux qui connaissent déjà l'objet.
La voilà plus clairement accessible dans sa forme globale :



Avouez que c'est assez surprenant comme forme pour une église... C'est très carrossé, très fermé, très massif. Depuis ce point de vue, rien mais vraiment rien n'évoque le lieu de culte. Pas de tentative de clocher, pas de décoration ou de signes permettant de comprendre à quoi sert ce lieu. On aime comment le toit très épais tombe sur les murs comme un couvercle puissant donnant l'impression que les murs rentrent dans ce toit. Bien entendu le noir et blanc accentue une certaine uniformité de l'église. Sans doute que les matériaux, dans leur diversité devaient offrir un jeu plastique plus évolué. Mais que c'est beau ainsi ! Quelle masse !
Il s'agit encore d'un cliché de Rambaud pour une édition sans éditeur, peut-être vendu directement dans l'église St-Jacques elle-même. La carte n'est ni datée ni expédiée. 
N'allez pas à Grenoble voir l'église Saint-Jacques. Elle ne fut pas démontée mais incendiée par des petits cons :
Il nous en reste des documents, des images et surtout une vraie altérité, elle, courageuse et inventive.
On reste admiratif des architectes Vincent, Pupat et Potié eux, bien nommés sur cette édition et on espère les retrouver un jour pour d'autres architectures aussi belles que ce soit sous leur nom ou sous celui du Groupe 6.
Merci messieurs !
Walid Riplet.

Le temps des églises mobiles
Pierre Lebrun
édition Infolio
isbn 978-2-88474-595-6
Pour le lire achetez-le !
Merci Valérie Herran pour le cadeau !


lundi 2 août 2021

Un parasol habitable pour deux personnes à Cogolin

Nous ne saurons pas pourquoi les anciens propriétaires de ces cartes postales du centre de vacances Yotel Club à Cogolin se sont crus obligés d'écrire sur une étiquette à la machine à écrire la localisation de la carte sur son recto alors que, bien entendu, cette localisation est lisible sur son verso. Est-ce pour ne pas avoir à sortir de l'album la carte et la retourner pour en lire les informations ?
En tout cas, il y a eu une hésitation à l'achat car, même si on aime sur ce blog les cartes postales sur lesquelles existent des interventions des correspondants, ici c'est un peu trop visible et semblait bien inutile. Mais David a bien fait finalement.
Surtout pour ces détails que je mets en premier pour une fois :




Dans le genre micro et mobile architecture cet objet était suffisant pour éveiller la curiosité de notre acheteur ! Qu'est-ce donc que ces espèces de parasols habitables ?
Et sont-ils si mobiles que cela ?
Il s'agit d'une invention de l'architecte Paul Quintrand pour le Yotel Club. Cette sorte de mini yourte était un objet de 9 mètres-carrés pour deux personnes et ressemble dans son programme à beaucoup d'autres centres de vacances de l'époque associant des modules d'habitation minimum à un centre commun bâti lui en "dur". On trouve sur ce site toutes les informations nécessaire pour bien comprendre comment étaient conçues ces drôles d'habitations de loisir. 

Nous ne paraphraserons pas ce travail remarquable et précis ni nous ne pillerons leurs documents. Ce n'est pas le genre de la maison qui préfère vous donner sa source et vous souhaitez un bon voyage et une bonne lecture en remerciant l'équipe pédagogique de l'École Nationale Supérieure d'Architecture de Marseille et ceux qui ont fait ce travail.
Vous verrez de belles coupes des Parasols et vous en apprendrez toutes l'histoire, vous verrez aussi deux autres projets remarquables de Paul Quintrand. C'est passionnant.  On notera que comme pour la Penta (voir en fin d'article*), il s'agit d'un mélange d'une structure en dur et d'une structure en textile. 

Étrangement et malgré la grande originalité de ce travail de micro architecture, il n'y a pas encore dans la collection de David des cartes postales cadrant plus directement une des cellules du Yotel Club. Les éditeurs de cartes postales ont préféré une distance plus grande à cet objet ou ont choisi de cadrer la vie dans la structure commune du Yotel Club, dans un genre qu'ici nous connaissons bien. 




Voici donc (pour l'instant...) les deux cartes postales montrant les Parasols de Paul Quintrand. Il s'agit de deux éditions Simba qui ne nomment par l'architecte. On remarquera aussi que la sculpture l'Œuf du sculpteur Boursier Mougenot fera bien son travail de signal d'une modernité. Il produit un imaginaire dont les éditeurs savent et comprennent l'originalité pour les futurs acheteurs, comme un identifiant du lieu. Sans doute que ce signal, un peu fort, éteint chez les éditeurs le désir de montrer mieux les parasols, laissant à cette sculpture le rôle de signal et de fédérateur d'image.




Voici deux cartes postales qui nous montrent donc cet œuf et un peu aussi le pavillon commun du Yotel Club. Là, encore il sera difficile d'en dire quelque chose d'un point de vue architectural puisque nous sommes un peu loin et nous avons même du mal à croire que cette structure de béton est le même bâtiment 
dans lequel les vacanciers sont photographiés dans ces trois cartes postales de chez Combier qui produit des cartes montrant les lieux comme savent le faire les éditeurs : le bar, la salle à manger, l'accueil...





Tout cela doit montrer les atouts du lieux, sa convivialité. On sent un mélange de prises de vues instantanées et de composition. Et sous les abats-jour qui rappellent les parasols le jeune Barman nous regarde ostensiblement. Nous sommes au début des années 80.
Dans le classeur Camping et piscines de la collection de David, je trouve cette carte postale :



Bien entendu, la tente de camping assez incroyable n'est pas sans rappeler par sa forme et son mât central les bungalows de Monsieur Quintrand ! Nous sommes au Maroc, à Ifrane, bien loin de Cogolin ! Mais avouez que cette tente de camping est incroyable. Malheureusement, je n'en ai pas retrouvé ni le modèle ni le fabriquant. Ne partez pas à Cogolin pour dormir dans les parasols de Paul Quintrand. Ils ont été détruits...Dommage...Un exemplaire aurait trouvé sa place très naturellement à Piacé.
Si vous voulez voir d'autres micros et mobiles architectures*, faites-donc un tour ici :

Walid Riplet