vendredi 1 juillet 2022

Le Havre, une histoire un peu fraîche mais déjà pourrissante

 


Il est toujours intéressant de voir comment un événement devient une carte postale, comment une ville se reconnaît dans un moment fugace et rapide. Le Havre est une ville d'architecture et sa défiguration en cours, (tranquillement maintenant) s'oppose à sa volonté d'être perçue comme une ville d'architecture de béton. En fait, l'architecture n'est plus un programme mais un outil communicationnel pour gentrifier la ville voulant racheter par ses actions culturelles spectaculaires une certaine image rigoureuse produite par l'architecture de Perret. On voit comment la ville voudrait à la fois récupérer cet héritage et en même temps (oui, comme dit l'autre) se transformer pour le faire oublier. Le Havre multiplie donc les visions artistiques de son devenir, s'invente des icônes (voir le monument de Vincent Ganivet) pour que la fantaisie joyeuse et spectaculaire vienne faire du tuning culturel sur le béton aride et somptueux de Perret. Même le swing de l'architecture de Niemeyer n'est plus au goût du jour et a subi un grignotage et une redéfinition de son accroche à la ville voulant raconter une autre histoire : faut que ça claque, que ça brille. Le pavage de son sol (ridicule et grotesque) et le défonçage et surévèlement de son toit en sont les expressions les plus violentes et les contre-sens les plus probants. Une honte en fait.
Alors, il arrive que même les architectures iconiques venant rendre visite à l'honorable dame laisse un souvenir, voulant faire croire à ce dynamisme havrais nouveau et étrange, surtout ludique, car c'est bien connu les touristes veulent du ludique, du joyeux, du surprenant, des machins bizarres dans les rues pour faire croire que la ville se regarde comme non plus une succession de lieux articulés mais comme un parc d'attraction à ciel ouvert. De la confusion culturelle habituelle maintenant : quelque chose entre l'extrémisme historique d'un Puy du Fou et la boboification de la Folle Journée de Nantes. Le Havre se prend pour autre chose que ce qu'elle fut. Le Havre meurt de ce désir.
Je reçois donc cette carte postale :



Envoyé par mon très cher ami Dominique Magdelaine on y voit donc les Jardins Suspendus du Havre, nouvel espace vert servant à raconter une autre histoire au Havre. Mais, bien entendu, ce qui fascine sur cette carte postale et que, Dominique a immédiatement identifié comme étant un sujet pour une correspondance, c'est bien la Futuro de Matti Suuronen installée là comme si elle faisait partie intégrante de cet espace. Or, si on est content de voir cette soucoupe volante iconique et de l'avoir visitée, on s'étonne qu'elle apparaisse ainsi comme faisant partie intégrante de ce projet urbain. Elle est devenue une sorte de curiosité servant à évoquer la politique de la Ville et son dynamisme culturel. On notera que la carte des Éditions d'Art ne nomme ni la Futuro ni son architecte. L'éditeur a donc su s'emparer du moment pour en faire une image, comme il a bien fait ! Je note que Dominique me fait un signe en collant deux timbres montrant l'église de Gillet à Royan, sachant ainsi faire en un seul objet une rencontre architecturale parfaite : Le Havre de Perret, le Royan de Gillet et la Futuro. Cette carte postale est donc un signe entre Dominique et moi, elle est aussi la preuve de ce que Le Havre est en train de devenir. Il est temps maintenant de retirer à cette ville son classement à l'UNESCO au vu de ce qu'elle en fait : un contre-sens culturel.
Dans mes joies de découvreur du petit matin, je tombe sur cette autre carte postale du Havre :



Là encore, cette carte est un improbable condensé de désirs culturels et architecturaux. Son objet d'abord, un centre de la Mer et du développement durable qui ne verra jamais le jour alors même qu'il était beau, ambitieux et surtout œuvre de Jean Nouvel. Cette construction restera un fantôme, un regret et un dessin en infographie dont le réel nous échappera toujours pour en vérifier la réalité gracile et transparente, sa mécanique industrielle, son image portuaire. On pourrait s'y laisser prendre tant les graphistes ont bien travaillé. Mais non, rien n'est construit. On remarque que la carte postale propose aussi un logo, celui des commerçants du Havre qui se reconnaissent là encore dans le Niemeyer et le Perret avec ce dessin condensant les deux icônes :




Cela fait trois architectes nommés sur le même objet éditorial. Ce n'est pas si mal.
Faut-il regretter le vide de ce centre de la mer non construit ? Faut-il regretter que Jean Nouvel n'ait pas pu faire à son Tour partie de cette histoire de la ville ? Sans doute. Jean Nouvel méritait bien de planter sa vigie dans la ville. Il y laissera une piscine. Mais, au vu de ce que Le Havre est en train de devenir, on peut aussi le rassurer et lui dire que finalement, ne pas avoir participé à ce spectacle urbain en lieu et place d'une urbanité est peut-être mieux. Il y a des vues fantasques, rêvées, projetées qui valent bien mieux que des bidules construits. Le Maître de Jean Nouvel, Claude Parent, le savait bien. Laissons les dessins dessiner nos projections et laissons les politiques défigurer nos héritages.
Merci Dominique pour ton envoi.

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