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mardi 4 mai 2021

Ginsberg en son Domaine





Petit trio de cartes postales nous jouant la symphonie du béton préfabriqué bien dessiné.
Le plaisir vient bien d'abord du dessin et même de sa dureté ou seule la rigueur semble avoir été prise en compte. La poésie viendra des ombres, les vibrations des arbres.
Nous sommes à Soisy-sur-Seine dans le Domaine de Gerville. Que dire de l'usage du mot domaine ? Est-il ici simplement lié au terrain appartenant à ce domaine avant de devenir un lieu de construction d'un quartier tout neuf ?
Sans doute. 
Deux éditeurs sont donc venus ici, deux photographes ont été délégués pour retenir sur leur surface sensible un petit bout de cette architecture moderne. L'un venait pour Combier, l'autre venant pour Raymon. Il faut croire qu'il y avait un marché et une place à tenir en face de ces constructions blanches aux arrêtes bien affirmées. On note le peu de hauteur de ces petites constructions, ne dépassant pas trois niveaux. On devine un désir de rester dans des proportions que l'on qualifierait aujourd'hui d'humaines. C'est vrai que pour accepter le moderne l'échelle est importante. Les immeubles sont donc étalés dans un parc arboré dont les arbres semblent bien plus vieux que les constructions elles-même, les architectes auraient-ils fait attention ?
Serait-ce un dernier soubresaut de l'idée de cités-jardins ?
On retrouve aussi ce goût pour des ouvertures en L ne voulant pas choisir entre la verticale de Perret et l'horizontale de Corbu. Et ce L anime assez bien l'ensemble. Balcons épaissis, blancheur volontaire sur socle plus sombre finissent la simplicité de la proposition architecturale.
J'aime aussi que les joints de dalles soient lisibles.



Et...grande joie...On sait à qui on doit cet ensemble : rien moins que Ginsberg et Ohnenwald, deux noms que nous connaissons bien sur ce blog maintenant.
Remercions les éditions Combier de nous avoir donné ces noms des architectes.
Qu'auraient pensé Ginsberg et Ohnenwald de l'épaississement de leur façade par l'extérieur et de la pose de fausses briques sur les socles de leurs immeubles ? L'ANRU est passée par-là ? Et que dire de l'occultation de la partie basse du L des fenêtres devenues aveugles ? 

Les photographes ont préféré cadrer le Domaine de Gerville vidé de ses habitants. On devine à peine quelques silhouettes. Même pas une auto qui passe, même pas un enfant égaré. On dirait que tout le monde est parti ou regarde Michel Drucker, qui, parait-il, est encore à la télévision. Il y a donc des choses qui ne changent pas. Je ne sais pas si c'est, dans ce cas, rassurant.
Au détour de la promenade Google de mon œil sur les façades, je trouve cette plaque qui date la construction de 1969. On y voit le nom du maire, Mr Michemblé mais pas celui des architectes. Vous savez, non, vraiment, ce n'est que de la préfabrication.




Pour voir ou revoir Ginsberg, architecte :

Pour voir ou revoir Ohnenwald, architecte :

mercredi 5 août 2020

Quand notre cœur fait boum.

Comme je le rappelais dans cette chronique corbuséenne*,  Charles Jencks a déclaré la fin de la modernité pour les États-Unis le 15 juillet 1972 . La destruction de Pruitt-Igoe figure dans tous les livres d'histoire d'architecture comme la parfaite illustration de la fin de cette modernité.
Mais en France ?
Certes, sur notre territoire, la politique patrimoniale sur les constructions du Vingtième siècle ne manque pas de signes de sa faiblesse de protection (et aussi de ses ordres reçus) et on ne compte plus les destructions, les défigurations de bâtiments pouvant réclamer le titre de martyr de la modernité.
Le Musée des Arts et Traditions Populaires de Dubuisson est sans doute en ce moment l'exemple-type. La défiguration à venir des Tours Nuages d'Émile Aillaud et Fabio Rieti en est un autre.
Il faut croire aussi que les fils ne comprennent plus leurs pères.
Mais la carte postale que je vais vous montrer est à la fois un document populaire et un programme politique : une étrange réjouissance.




































 
Est-ce que les historiens de l'Architecture verront un jour ces destructions spectaculaires comme des erreurs ? Sans aucun doute que ce type de paysage, cette approche de l'habitat et de l'urbanisme manqueront dans les visites urbaines. Aujourd'hui, on aime flâner sur les remparts de Vauban devenus inutiles. On aurait pu aimer dans cent ans, deux cents ans voir et visiter les archétypes d'une politique du logement collectif du Vingtième Siècle. Il faudra beaucoup d'imagination alors pour comprendre le choc des volumes, la puissance écrasante et subtile des espaces, la logique irrémédiable des modes de construction, les déroulements des vies mêlant fierté d'y avoir vécu et misère de n'avoir pu en partir, épuisées par de mauvaises politiques successives de remplissage et de déshérence sociale. Rien qu'à ce titre nous devrions les conserver.
Mais nous pourrions aussi le faire parce que nous y trouvons aussi une beauté, sentiment esthétique qui aujourd'hui semble intolérable et que l'on couvre immédiatement du fameux : "vous auriez voulu vivre là ?"
Pourtant ce sentiment esthétique et la force que je trouvais à cet ensemble, (justement son incroyable brutalité franche) auraient pu aussi participer à sa sauvegarde (et aussi une politique sociale plus juste et une attention permanente aux bâtiments). On sait bien que finalement ce n'est pas tant le bâti que l'on fait exploser ainsi. C'est un climat social que l'on croit éradiquer (en communicant dessus) par une fête de la dynamite, de la promesse d'une échelle plus humaine. On éradique aussi un espace et tout ce qui le constitue. Je dis bien TOUT ce qui le constitue. Si la gentrification sauve parfois les architectures modernes, ici rien n'aurait pu porter ce projet funeste d'un possible sauvetage par une bourgeoisie encanaillée d'un esprit populaire instrumentalisé comme un décor amusant à la vie d'adhérents à la Start Up Nation. Rien ! Alors laissons croire que tout cela est une fête, un spectacle et Boum !
Éditer une carte postale de ce moment est assez peu usité même si cela n'est pas unique. Doit-on y voir un regard distancié qui ne fait que suivre l'événement ? Après tout c'est l'histoire de la carte postale d'être un enregistreur des catastrophes. Doit-on y voir un objet éditorial de propagande pour dire les bienfaits d'un futur radieux n'ayant même pas peur d'une éradication totale ? Doit-on surtout y voir le cynisme d'un genre éditorial ayant, quelques décennies auparavant, chanté par l'impression de cartes postales la joie de vivre là enfin dans la modernité ?
Je ne sais pas. Je ne sais plus. Il faudrait demander aux éditions Dubray qui ne nomment ni l'architecte de la barre Églantine de Meaux, ni le photographe ayant réalisé ces clichés ni même les raisons de cette édition. Imagine-t-on la famille délogée de cette barre, quelques jours après l'implosion, envoyer cette carte postale à sa famille ? Et pour en dire quoi ? Soulagement, tristesse, tout cela en même temps comme dit l'autre ? Il me faudra en trouver des exemplaires avec au dos une correspondance signifiant l'impulsion (et non l'implosion) de cet achat...
Justement, ce mot implosion, décrivant une puissance venant s'exercer vers l'intérieur m'a toujours semblé parfait pour laisser croire que le problème dont la réponse est cette implosion viendrait de l'intérieur-même de l'objet que l'on détruit. C'est par et vers son intérieur, son contenant que l'on détruit. Le bâtiment doit disparaître sur lui-même comme si cette image signifiait d'où vient la responsabilité. Même là, on lui interdit sa projection, son extension. Il fait en quelque sorte communauté dans sa destruction sur lui-même. Borborygme final radical, pyrotechnie auto-nettoyante.
La carte postale date l'événement de 1990. Il y a déjà 29 ans. Je n'arrive pas à y croire. Ils sont donc nombreux ceux qui aujourd'hui regardent cette carte postale sans pouvoir y ajouter autre chose que l'image elle-même, pleine finalement que de son spectacle.
Elle est déjà un document, une trace, une relique.
Et sans doute, aussi, une nostalgie.
Et les couleurs de la République, bleu, blanc, rouge, affichées sur la façade de la barre Églantine ne devaient porter aucune fierté mais bien pointer les responsabilités politiques. La République a failli. A-t-elle failli quand elle a construit ? A-t-elle failli quand elle a abandonné ?
Vous aurez compris, je crois.





Pour revoir la Cité de la Pierre Collinet au mieux de sa force, je vous propose cette belle veduta.
Posées à champ comme des planches franches, voici donc deux barres de Meaux laissant à leur pied l'espace récupéré par la densité de l'habitat. Le parc est dessiné, entretenu, plein d'un futur que l'on croit encore long et qui laissera les arbres grandir. Voyez-vous que le pignon aveugle est peint d'une couleur jaune en dégradé allant du plus sombre au plus clair vers le haut de la barre ? Voyez-vous le jeu cinétique des façades et l'incroyable saignée géométrique de l'escalier qui me fait penser à une couture d'agrafes sur une cicatrice.


Julien est en vacances. Il envoie cette carte depuis Meaux en 1964 à Jean resté à Paris. Quoi de plus beau que de passer des vacances au pied du Hard French ensoleillé de Meaux ? Qui pour reprocher à Julien ce désir de jeu savant, correct et magnifique de formes assemblées sous la lumière ? Qui ?

La carte est une édition Hodbert, éditions de Massy pour Iris. Pas d'architecte nommé, pas de photographe nommé, devant autant de Beauté, on est sans doute obligé à la modestie d'un anonymat.
Pour tout savoir sur la Cité de la Pierre Collinet quoi de mieux qu'un inventaire du Patrimoine n'ayant pas servi à son sauvetage :
https://inventaire.iledefrance.fr/dossier/cite-de-la-pierre-collinet/f1880d4d-fad7-472d-a31d-6ac19037a55f
*Pour écouter ma chronique corbuséenne N°59 sur la fin de la modernité et toutes les autres chroniques :
https://archipostalecarte.blogspot.com/2017/04/les-chroniques-corbuseennes-disponibles.html
Pour revoir sur ce blog la Cité Pierre de la Collinet et Ginsberg :
http://archipostcard.blogspot.com/2019/02/as-tu-deja-oublie.html
https://archipostcard.blogspot.com/2012/09/ginsberg-la-barre.html
https://archipostalecarte.blogspot.com/2019/04/un-anneau-pour-les-reunir-tous.html
https://archipostalecarte.blogspot.com/2019/04/jean-ginsberg-le-mans-monaco.html
https://archipostalecarte.blogspot.com/2016/02/construire-sur-et-avec-la-fragilite.html
Pour voir d'autres exemples de cartes postales de destructions de l'architecture :
https://archipostalecarte.blogspot.com/2018/02/alain-bublex-mon-amour.html

Au lieu de vous donner des vidéos de la destruction de ces barres de Meaux, je préfère vous offrir celle-ci. Vous y retrouverez mon goût pour le spectral :




samedi 27 avril 2019

Jean Ginsberg, Le Mans Monaco.

La très belle collection des Carnets d'Architectes s'enrichit d'un nouveau volume, absolument indispensable pour tous ceux qui aiment comprendre la logique de la Modernité.
Ce nouveau volume nous permet de suivre la carrière et l'œuvre de Jean Ginsberg dont l'essentiel du travail semble bien être celui de l'immeuble, du collectif et du fonctionnel, utile et beau en même temps mais surtout de comment faire intelligent avec un programme.
L'ouvrage écrit par Philippe Dehan est clair, limpide et permet de bien suivre le travail de cet architecte qui est tellement un modèle de ce moment historique de l'architecture qu'on pourrait croire, par sa condensation, qu'il est une invention, un personnage fictionnel. Pourtant, Jean Ginsberg a bien existé, il a bien ainsi évolué, fait travailler les découvertes et interrogations de son époque en ne perdant jamais de vue que ses architectures seront habitées.
Nous aimons sur ce blog évidemment le monstre génial de Monaco, le complexe des Spélugues. Une telle reprise du paysage, une telle intervention venant comme construire sur la mer les morceaux de nature qui y manquent nous ravit. Ce genre, bouleversant à la fois la nature du terrain, tout en en respectant sa réalité, reste un exercice particulièrement délicat et ici particulièrement spectaculaire. Sans doute décrié hier, sans doute contre toute rêverie de la nature, le béton de Jean Ginsberg vient à Monaco offrir le luxe de la mer, de ses horizons en n'ayant pas peur d'une chose devenue rare aujourd'hui : construire.
Les éditeurs de cartes postales n'ont pas failli à leur mission en éditant de nombreuses cartes de ce morceau de paysage inventé.


Nous commencerons par cette belle vue qui permet aussi de voir à l'arrière-plan, la somptueuse tour Millefiori, elle aussi de Jean Ginsberg. Un monstre debout, un monstre couché, c'est parfait.
























Au premier plan donc, le complexe tombant dans la mer et l'éditeur MOLIPOR nous indique qu'au pied du Casino de Monte-Carlo le complexe des Spélugues possède un Palais des Congrès de 2500 places les pieds dans l'eau.
C'est bien ça. Les pieds dans l'eau...
D'ailleurs de bien plus près, c'est aussi ce que nous prouve cette autre carte postale des éditions S.E.C :


Le photographe cadre ici l'Hôtel Loews. Nous aimerions dormir là, au-dessus des cylindres de béton formant une forêt pétrifiée. Se baigner sous cette forêt ?
























Mais voici un bel entier philatélique qui prouve l'importance pour Monaco de ce projet incroyable :




































Timbre, tampon du premier jour et carte postale sont à l'unisson pour célébrer le bâtiment de Jean Ginsberg. On note comment la carte postale est construite pour laisser la place à ce timbre et au coup de tampon.


La photographie ne prend qu'une moitié de la carte postale qui est une édition CEF.
Cette photographie est malheureusement un peu floue. Mais l'ensemble est très beau, surtout avec cette typo bleu sur le drapeau de ce pays.
Mais voilà que nous allons avoir besoin de quitter le soleil méditerranéen pour demander à David, une fois encore, d'aller voir pour nous... au Mans.
Oui, l'excellent ouvrage nous indique un ensemble de logements au Mans, rue Bollée.
David ? Faut que tu ailles voir ?
Tu connais ce lieu ?



"Bonjour les gars,
Donc.
Hier je suis allé avenue Bollée pour trouver cet ensemble. Il est en parfait état et vient d'être repeint aux couleurs du Mans, des ocres jaunes et orangés voulant faire signe à la muraille du Vieux Mans...
L'ensemble est correctement dessiné mais on ne peut pas dire que cela brille par une grande originalité ou une modernité tonitruante. Au mieux, on s'étonne de la forme des ouvertures et du systématisme des balcons qui, dans la grande régularité raide, produit un cinétisme fort. L'ensemble se détache surtout de la rue offrant à l'arrière l'espace d'un parc fort calme et étonnant derrière cette belle muraille. Mais comme l'architecture n'est pas qu'une façade et que je n'ai pas visité d'appartement, difficile de parler du plan des logements ou de comment on vit là.
Reste un beau bâtiment, puissant, massif, régulier serpentant avec vigueur.
C'est déjà ça.
Je vous réserve une belle surprise à quelques mètres de là, mais là, soyez patient...
David"









































Merci David ! On attend cette surprise avec impatience.
Nous reste à vous conseiller d'acheter et de lire ce très beau dernier carnet d'architecte, achetez-le chez un libraire indépendant :
Jean Ginsberg, la naissance du logement moderne
Philippe Dehan
éditions du Patrimoine