samedi 30 avril 2022

Les dernières neiges pour architectes audacieux

 Il est finalement assez rare que sur une carte postale montrant si peu l'architecture, le nom de l'architecte figure ainsi si bien indiqué :



Cette très belle et audacieuse carte postale La Cigogne nous montre un chemin tracé dans la neige épaisse, le photographe prenant plaisir à jouer des lignes du bois et du bleu, traçant une diagonale, laissant les chalets en haut à droite presque de côté. Pourtant ces chalets, voilà bien ce qui nous intéresse ici sur ce blog. Ils sont bien modernes, bien dans le goût de l'époque, pointus, triangulaires, sur un socle de béton laissant la cabane habitable en hauteur loin justement des couches de neige, pourtant objet de leur construction. L'architecte de ces chalets est Monsieur Dufayard et nous sommes à Merlette. On trouve ici une belle information sur ces constructions :

On notera que l'architecte Vacheret lui n'est pas nommé par l'éditeur de cartes postales. Nous sommes donc devant "les perchoirs", petits chalets bien dessinés et originaux qui sont maintenant labellisés. On peut s'étonner que le photographe ait ainsi privilégié le chemin enneigé bien plus que les constructions. Sans aucun doute que finalement, c'est bien cela qu'il faut raconter à la famille et la carte postale porte donc ce message essentiel : la neige est abondante ci.

Dans mon petit cerveau, je sais que j'ai d'autres exemples de chalets modernes quelque part. Je vous ai montré il y a peu ceux de Tournaire et Faye au Mont Dore mais je trouve aussi ça :




L'éditeur André cadre l'Alpe d'Huez en nous montrant tout : neige, rocher, ciel et constructions toutes bien rangées sur des lignes, regardant toutes vers la même direction. Au bas, trois lignes de chalets modernes s'étalent tranquillement, s'opposant un rien aux petites barres derrière eux. 
Bien évidemment, on ne voit pas grand-chose.
J'en suis désolé. Il faut vraiment aimer l'architecture du XXème siècle pour voir dans cette carte postale quelque chose à signaler. Mais j'ai tout de suite aimé cette image et ce lotissement bien sage de chalets identiques.
Ils sont l'œuvre de l'architecte Demartini que vous connaissez chers lecteurs car vous avez déjà lu ces articles ici :



On trouve dans un numéro de l'Architecture d'Aujourd'hui (1964 !), un article sur ces chalets. On y apprend que Demartini a travaillé avec Sicard. Une très belle photographie de Pierre Joly et Véra Cardot nous montre bien la belle qualité du dessin de ce modèle. On note aussi la philosophie de l'époque : économie, rationalité, montage facile et rapide, rigueur du dessin. Dans la revue, les chalets ne portent pas encore le nom de Delta qui semble pourtant la dénomination la plus courante pour ce modèle.





jeudi 21 avril 2022

Le Corbusier à Ronchamp : anatomie comparée

Il me faut me poser la question d'abord à moi-même. Depuis longtemps, lorsque je regarde ce point de vue sur La Chapelle de Ronchamp de Le Corbusier, point de vue pris par Marcel Blanc pour une carte postale, je ne peux m'empêcher d'y voir un sexe masculin, frein et gland, en tension. 
Dois-je d'abord me demander s'il s'agit-là d'une projection personnelle ou bien, finalement, après tout, d'une possibilité inconsciente à la fois du photographe et de l'architecte ?
D'ailleurs, la carte postale actuellement à l'envers sur le plateau de ma table de travail me laisse encore moins de doute sur ce rapprochement formel comme si, ainsi retournée, oubliant un peu plus son objet d'origine, sa forme sexuelle était encore plus explicite.
Bien entendu, je ne veux pas dire ici que Le Corbusier aurait construit ce rapprochement, ni même l'aurait désiré. On ne peut pas penser que le Corbusier se doit donné à lui-même comme objectif de glisser un tel rapprochement formel pour ce projet mais qu'en est-il alors des formes qui surgissent ? De ce vocabulaire qui nous est commun qui fait que, oui, dans l'agencement de certaines courbes, de certaines lignes, de certaines tensions du dessin, immédiatement notre fonds d'images communes fait surgir l'improbable rapprochement ? Et que devons-nous alors en faire ? Car il est puissant et il est même impossible pour ma part de l'éviter. Il y a bien là, quelque chose que je reconnais.
Cette projection sur d'autres architectures de formes et d'objets est bien connue. On sait comment le langage commun a vite fait d'en faire des dénominations amusantes et populaires pour des architectures célèbres : le pot de yaourt ou le Volcan, au choix, pour Niemeyer au Havre par exemple.
Mais ici, avec Ronchamp, ce qui m'étonne c'est que cela m'amuse certes mais que, aussi, je n'arrive pas à croire en un hasard ou une projection seulement de ma part. Je me permets de croire que je touche à l'inconscient de l'architecte. Car cette forme est tout de même complexe, spéciale, peu à même d'être approchée par hasard. Disons qu'elle est tout de même réservée dans notre vocabulaire formel à un usage bien particulier. 
Enfin.
Suis-je le seul obsédé par ce rapprochement ? Y-a-t-il d'autres visiteurs ou visiteuses de Ronchamp ayant vu dans ce moment de Ronchamp la possible jonction entre inconscient sexuel et forme architecturale ? Et il suffit au visiteur de faire quelques mètres de plus pour que les deux coques de La Chapelle viennent bien en tension sur l'arête vive du mur. Et cela reste assez probant. 
Bon.
Sans doute que tout cela vous laissera perplexes, que je resterai seul avec mes doutes et mes obsessions et qu'il ne me sera de toute manière impossible de prouver ou argumenter de la vérité sur une telle projection.
Qu'importe au fond, ce qui fait une architecture c'est sans doute aussi notre part, celle que nous y ajoutons.
Est-ce que Marcel Blanc en cadrant ainsi, découpant dans la masse de La Chapelle ce moment précis de formes assemblées avait vu à son tour ce rapprochement ? Avait-il lui aussi cédé à quelques bribes inconscientes, voyant dans un objet un autre, cherchant finalement que ce qui en faisait la beauté était peut-être une autre qui lui échappait ?
Est-ce que ce rapprochement ogresque que Charles Bueb à son tour avait perçu lorsqu'il avait photographié sa fille ? Difficile de le dire. Cela me fait penser à Ricardo Bofill qui voulait redonner à l'architecture des puissances oniriques et psychologiques, mettant l'usager de ses espaces dans des sensations proches de révélations psychanalytiques et dans un inconfort des sensations psychiques surgissantes. Cette violence de l'apparition, ce désir que l'architecture puisse être débordée (tout en étant à leur origine) par des sensations cérébrales au bord du pathos reste pour moi assez cocasse. Pourtant c'est bien ce que cette image de Ronchamp et sa vision ont produit chez moi.
Je vais devoir rester avec ça et avec le fait que je vous en parle. 
Sans doute que cela en dit plus sur moi que sur Le Corbusier ou Marcel Blanc.



mardi 19 avril 2022

L'autre piscine des Trente Glorieuses

 Bien entendu, on sait tous sur ce blog que ce modèle de piscine fut totalement éclipsé par la piscine Tournesol de Bernard Schœller. C'est le drame des icônes, elles écrasent la réalité de la profusion des modèles au titre de leur unicité spectaculaire.
Doit-on s'en plaindre ou reconnaître la supériorité de l'une sur l'autre ? Ne nous plaignons pas et montrons simplement que ce qui fait l'histoire (une forme, une idée, un matériau) a su aussi se retrouver dans d'autres modèles tout aussi intéressants.
La piscine Caneton en est bien l'exemple.
Comme j'ai déjà chanté les qualités et la beauté (intelligence mêlée de formes) de ce modèle dans de nombreux articles, je me laisse juste le plaisir de vous montrer trois nouveaux exemples de piscines Caneton dans nos villes et villages. Il serait d'ailleurs intéressant d'avoir les arguments du choix alors des municipalités pour tel ou tel modèle : terrain, coût, disponibilité, esthétique ?
Commençons :



Voici que l'éditeur Combier nous régale de cette piscine Caneton de Salbris en nommant précisément les architectes : Cabinet de Mr Charvier (nommé Charnier !), Aigrot, Charras à Fontenay-aux-Roses . Le photographe cadre avec les portes ouvertes les poutres de la structure. Que c'est beau tout ce bleu ! Je vois que sur cette version de Salbris les poutres sont laquées de blanc alors que les autres piscines Caneton laissent le bois apparent.
Par exemple, ici à Ruffec !



C'est l'éditeur Artaud qui nous régale de cette belle scène de genre. On note que l'éditeur nomme bien les architectes Charvier, Aigrot et Charras. Les panneaux sont ici oranges au lieu du bleu de Salbris. On devine mieux aussi l'ouverture du toit. Là encore la piscine est accompagnée d'un bassin extérieur.
Et enfin :



Cette piscine Caneton est à Gex. La carte postale expédiée en 1986 est une édition Combier qui cette fois ne nomme pas les architectes. Poutres en bois, panneaux bleus, la foule des gamins est au rendez-vous avec le maître-nageur.
Il ne semble pas qu'il y ait un bassin extérieur.
Une fois encore les éditeurs de cartes postales font bien leur travail d'inventaire sans attendre des Atlas. Une fois encore, les petites choses de l'Histoire de l'Architecture sont ainsi représentées dans leurs usages, avec des gens et des auteurs, sans l'anonymat pratique de typologies épuisées. Une fois encore, il faudra se demander ce que nous devons faire de cet héritage et du sens de cette architecture à transformations, associant plastique, bois et métal, de cette architecture populaire et intelligente qui a su remplir un rôle essentiel dans ce temps de la Modernité.
Malheureusement pour elle, la piscine Caneton sera sans doute oubliée sous le poids des piscines Tournesol qui ont déjà beaucoup de mal à être sauvegardées.
Il semble bien qu'aucune de ces trois piscines Caneton n'ait survécu. Ne nous reste donc que ces belles cartes postales comme objet d'archive.
J'ai déjà enfilé mon slip de bain. Je vous attends.
Pour revoir quelques piscines Caneton :
etc...
pour revoir les fameuses Tournesol, 36 articles à votre disposition ici !

lundi 11 avril 2022

Le Havre ? Retirons-lui son classement à l'UNESCO.



Je reçois, je diffuse.
David Liaudet

"Ce n'est pas compliqué. C'est une ville de droite et elle tient bien à avoir son totem viril.
Monsieur Celuiquisecroitlefuturprésidentdelarépublique, maire du Havre, après avoir autorisé le saccage de la Maison de la Culture de Niemeyer, veut se payer l'héritage du béton de Perret, le blanchir et s'en servir de toile de fond, pour le faire oublier en laissant monter dans le ciel de la ville de Perret des machins qui tournent, qui, comme le dit le vocabulaire des promoteurs des trucs qui twistent...

Ce qui twiste surtout au Havre c'est la gentrification car à plus de 5000 euros le mètre-carré, ce n'est pas du logement populaire cette tour Alta. On aura compris le sens de la ville de l'équipe municipale.

On devrait maintenant réfléchir sérieusement à retirer à la Ville du Havre son classement à l'UNESCO au vu de ce que cette équipe municipale qui ose tout (c'est comme ça qu'on la reconnaît) veut faire de cet héritage. Je me renseigne pour savoir comment faire.
Voilà donc qu'on nous annonce que cette merde, la Tour Alta, qui tourne sur elle-même, dont le  dessin d'architecture est d'un ridicule absolu va finalement voir le jour en 2023. 
D'une vanité confondante, offrant au paysage classé la chance d'être écrasé, épuisé, contrarié, asservi par sa blancheur et sa hauteur, cette Tour Alta ressemble à un immeuble pour la Biélorussie ou Dubaï. On dirait un immeuble sorti d'un film Marvel ou des Sims. L'archétype du faux moderne. D'une mocheté hallucinante et surtout ridicule, une sorte d'équivalent de la Villa Arpel du 21ème siècle sans la joie de vivre. Le néant du geste architectural, le ridicule de la suffisance. D'ailleurs Alta c'est un hommage à ALTRA ?
Car le pire c'est bien la boursouflure de ce geste, le croire vraiment moderne, s'en persuader absolument à grand coup de communication.

Alors, un peu comme Pierre Gencey dans son excellent blog, je m'interroge sur notre fonction d'amateur d'architecture moderne et contemporaine, sur notre rôle et bien entendu sur notre force de lanceur d'alerte face aux atteintes graves faites au Patrimoine. Devant autant de mises en péril d'un héritage par ceux-là même qui l'ont en charge, devant l'instrumentalisation de ce Patrimoine pour ne pas en tirer les leçons de justesse, devant donc la communication qui instrumentalise l'UNESCO pour gentrifier, devant le retour sur investisseurs de pauvres futurs propriétaires croyant avoir acheté là un logement dans une œuvre contemporaine, devant donc la puissance de la stupidité affranchie de remords, on se demande bien pourquoi continuer à se battre, à dénoncer et surtout à tenter d'éduquer ou d'informer sur le Patrimoine.
Rien n'y fait. Quand on est de droite on est de droite.
Et la conscience, au petit matin, de la chargée de la Culture du Havre doit être bien torturée. Vous supportez ça comment Madame Claire Baclet, cette éradication du Patrimoine de la Ville dont vous êtes en charge ?

Contre la violence de leur dédain, nous faudra-t-il à notre tour être des violents tout court ? Faudra-t-il mourir pour Le Havre ? Venir sur le chantier pour le bloquer de nos corps ? Ralentir ou stopper l'avancement de ce chantier pour refroidir la véritable gifle donnée à l'UNESCO, à notre Patrimoine, à la décence nécessaire du silence face à une œuvre majeure ?
N'aurons-nous, amateurs, historiens, critiques, agents du Patrimoine et surtout usagers et habitants du Havre que l'histoire pour nous rappeler la beauté de cette ville et le vrai sens de son histoire ? Sommes-nous voués à une éternelle et frustrante nostalgie face à ces trophées mercantiles ?

Leur désir viril d'une tour qui doit se vriller sur elle-même pour pénétrer le ciel du Havre le plus haut possible est bien à leur image : obscène. 
Soyons comme eux, obscènes finalement : la Tour Alta, ça bande blanc dans un pantalon Chino ocre jaune."
Walid Riplet

Pour relire un article sur ce projet démentiel et grave :
Et même si Pierre Gencey jette l'éponge, vous pouvez toujours vous régaler sur son excellent blog :

Pour lire ou relire quelques articles sur Auguste Perret et/ou Le Havre :
etc...Bon courage.







samedi 9 avril 2022

Le Patrimoine Moderne et Contemporain n'est pas dans l'isoloir

Dans un récent article du Monde, Isabelle Regnier* tente de nous alerter et de nous expliquer pourquoi l'architecture moderne et contemporaine est si méprisée par les politiques. On y reconnaît bien tous les arguments habituels (souvent développés ici-même) et toutes les responsabilités égrenées les unes après les autres. Pourtant c'est assez simple de savoir qui est en grande part responsable de ce peu d'intérêt, c'est bien ceux qui sont en charge normalement de faire le classement et les inscriptions : les services des DRAC, les conservations des Monuments Historiques.
Si notre expérience personnelle dans le domaine vaut quelque chose c'est bien toujours d'être en contact avec des services réticents (voire méprisants**) réagissant toujours à la dernière minute, souvent d'ailleurs sous la pression des associations, des citoyens, comme si le classement ou l'inscription d'une architecture contemporaine ou moderne devait toujours se faire dans l'urgence d'une menace ou dans la honte de ne pas avoir agi plus tôt (Candilis).

D'ailleurs c'est bien l'argument que l'on lit dans l'article de Isabelle Regnier où il est clairement dit que ce classement doit être "la bombe atomique" soufflant toute contestation en une seule fois sous la pression. Quand ça se passe bien...
Mais pourquoi agréer à cet argument ? Pourquoi le travail de fond, régulier, apaisé, fait dans le temps du déroulement de l'histoire n'agit pas d'abord ? Pourquoi un inventaire et le fameux et inutile Label Architecture Remarquable ne servent pas automatiquement  à un classement ? Comme si les bâtiments émergeaient soudain d'une brume étrange faite d'oubli, de mépris et d'un manque total d'éducation à l'histoire de l'architecture.
Car cette histoire se déroule sous nos yeux, on sait aujourd'hui, en grande partie ce qui fera l'exception et la culture de demain. On sait générationnellement ceux et celles qui ont marqué l'histoire. Jean Nouvel, Portzamparc, Ricciotti, Ciriani, Gaudin, Hammoutène, Lacaton et Vassal, Edith Girard et tant tant tant d'autres. Qui procède à l'inventaire futur et prochain (25 ans) de ces architectures ? Regardez comment il aura fallu l'urgence d'une situation alarmante pour que le travail internationalement reconnu de Renée Gailhoustet et de Jean Renaudie à Ivry-sur-Seine accède enfin à un Label pour l'une (misogynie de la protection ?) et inventaire pour l'autre. C'est pourtant visible non ? Rem Koolhaas y vient même en balade.

Alors, je le dis aussi tout net : la prochaine cause de destructions et de saccages de l'architecture contemporaine viendra aussi de l'écologisme. C'est déjà en cours pour l'héritage de Tony Garnier à Lyon (voir ci-dessous). L'écologisme viendra juger les bâtiments au nom d'un rendement (signe libéral) et non au nom d'une histoire. L'écologisme se voudra vertueux c'est à dire idéologique et fera fi de l'état d'exceptionnalité d'une construction au nom des fameuses passoires énergétiques (Versailles attention à toi !), au nom des récupérations d'îlots ou pire d'une densification fumeuse ruinant même les espaces libres (La Butte Rouge). C'est bien cet argument parfait instrumentalisé par des politiciens de droite (Estrosi à Nice) ou par des écolos guydebordiens du dimanche (finalement tout aussi libéraux) qui servira au nom d'un dégoût stupide du béton à détruire, saccager, oublier, massacrer, (ils disent eux requalifier) les héritages de la Modernité.
La droite déteste l'héritage moderne au nom d'un pragmatisme de l'action et d'un conservatisme étrangement dirigé, Madame Pécresse, Monsieur Estrosi, Monsieur Muzeau l'ont prouvé. Les communistes se croient libres de faire n'importe quoi au nom d'une démagogie urbaine et d'un héritage mal compris à Ivry-sur-Seine, les socialistes se croient sur un terrain de jeu et cherchent à séduire un électorat wokisé (le maire de Rouen en est la caricature drolatique), la macronie ruine Le Havre et son classement à l'UNESCO que l'on devrait lui retirer au vu des projets à venir et de l'état de la ville.

Bref, chacun, toujours au nom de l'action politique, se croit en terrain libre, manipulant leur héritage comme des petits nobles en leur comté et le mettant même en vente (Mr Muzeau à Clichy) ! Et les Drac, service public, ne savent pas  (ne peuvent pas ?) jouer leur indépendance, ne savent pas résister (ou si peu), font le jeu des carrières de fonctionnaires ne voulant pas, devant la puissance politique, agir comme il faudrait : en résistance. Elles sont tétanisées aussi parce que ceux qui jugent dans les commissions sont parfois sectaires et réfractaires à certains héritages d'une culture populaire (quoi ? protéger un centre commercial, une ZUP ou une piscine ?!), sont issus aussi de formations universitaires où l'enseignement du Patrimoine Moderne n'existe pas. Ajouter que le citoyen, celui de la rue, celui sensible à son histoire est en droit de lui demander des comptes et vous aurez, à coup sûr une sorte de dédain de classe culturelle, le dédain d'une aristocratie patrimoniale qui se croit toute puissante et seul juge de ce qui fonde notre histoire commune. 


Aujourd'hui on nous rebat à raison (et au mieux) les oreilles avec le travail de Lacaton et Vassal pour la réhabilitation intelligente des constructions comme si un remodelage était une action de sauvegarde. Certes, pour certaines constructions une réhabilitation de cette qualité permet de sauver l'essentiel (en gros la structure porteuse) mais est-ce vraiment patrimonialiser que de faire un tuning intelligent sur une construction moderne ? On a vu la catastrophe à Toulon sur la Caisse d'Epargne ou au Mans sur l'Hôtel des Téléphones et la barre Le Couteur, et cette école de la réhabilitation verra passer aussi bien des génies que des cancres. Qui fera le tri ? Il faut donc absolument et totalement maintenir les bâtiments modernes dans un état d'exceptionnalité complète. Voir le cas d'école des tours Nuages de Émile Aillaud à Nanterre : une catastrophe annoncée pour ladite "bonne cause énergétique".
Il faut un sursaut immédiat des services de protection, il faut faire un inventaire le plus complet possible des architectures depuis les Trente Glorieuses jusqu'au début des années 2000 (eh oui...) pour un grand mouvement national de classement avant la catastrophe annoncée de l'écologisme idéologique. Il faut un sursaut citoyen et ne rien attendre du Ministère de la Culture qui de Mesdames Azoulay, Fillipetti, Bachelot, Pellerin, Nyssen ( mon Dieu...) à Monsieur Riester n'ont montré que mépris pour cette cause, pire, ont parfois agi contre elle. Les accointances locales et politiciennes... et les postes futurs à obtenir...
Car ne rien faire c'est accepter la catastrophe.
Votez pour vous, votez en agissant, soyez non dans la colère et la déception mais dans l'agir.

Quelques catastrophes en cours :
-L'œuvre de Tony Garnier à Lyon, merci EELV et l'écologisme idéologique.
-Maison du Peuple à Clichy, une incroyable série de renoncements (municipaux et ministériels) et surtout de prise de pouvoir marchande.
-Le Mirail de Candilis (déjà ruiné pour l'essentiel par des architectes affirmant respecter l'esprit de Candilis avec la complicité de Michel Serres. Un idiot utile ?)
-La Butte Rouge à Chatenay-Malabry, là on touche le fond.
-Le Havre dans son ensemble : comme quoi l'UNESCO parfois ne sert à rien devant les profits immobiliers.
- Théâtre de Nice de l'architecte Bayard menacé pour mettre des arbres et faire vibrer la fibre écolo de Estrosi
-la maison de retraite Art déco d'Angoulême, pépite pas repérée par la DRAC Nouvelle Aquitaine...et, et, et, et.......vous ajouterez ce que vous voyez tous les jours

Signez ça :

*Pour préserver le travail journalistique de Madame Isabelle Regnier, je ne vous mets pas en copie son article qui est lisible sur le site du journal Le Monde, article daté du 4 avril 2022. Merci à elle pour cet écho. Bonne lecture.



Nous avons cherché avec David dans sa collection des cartes postales représentatives de ce dédain et de ce risque. Le Hard French est bien le Patrimoine Français qui subira (car il subit déjà l'ANRU) le risque de disparaître sans remords. Voyez ce qui se passe pour le Camus Haut d'Annay.
Mais nous avons choisi finalement deux cartes d'Arras.
Quelle commission proposera la protection complète (bâti et espace paysagé) d'une Zup, d'un grand ensemble ou d'une ville nouvelle ?
Allez... On y croit ?
La bise à tous.
Walid Riplet



Deux cartes postales nous montrant la Cité "Les Hauts Blancs Monts" à Arras. On note la totale complétude du programme moderne de cette cité, jouant sur une densité ramassée en des tours en béton remarquablement dessinées et laissant à leur pied un espace vaste et dégagé, proposant un archétype du paysage architectural de cette période et des règles de l'urbanisme prônées alors. Aujourd'hui, tout le monde louche (promoteurs-canailles et politiciens avides) sur des terrains de ce type alors que, justement, leur libération est ce qui fonde leur histoire.
Quand arriveront donc ceux qui regarderont cette typologie comme on regarde celles des bastides ?
Quand seront formés les historiens de l'Architectures, les architectes, les urbanistes pour dire que cette expérience (jugée bonne ou mauvaise) a bien participé à l'histoire et mérite d'accéder à un classement au titre justement de l'Histoire de l'Art d'Habiter ?
Le photographe des éditions Combier resté anonyme place les tours dans le lointain sans doute pour en éprouver les espaces les séparant. L'œil passe au travers et il est seulement rayé par les lignes électriques ou téléphoniques.
La carte postale Estel (Lavelle et Compagnie) ne nous donne pas le nom de son photographe mais nous précise le nom des architectes : Messieurs Toumaniantz et Horn. Ils ont fait là de la belle ouvrage !  Ces tours sont vraiment superbes, regardez les détails, regardez comment les masses sont travaillées.
On aimerait pouvoir les contempler dans leur plénitude populaire à jamais.
David Liaudet

revue AMC :



mercredi 6 avril 2022

Novarina dans le Nord

 Je suis certain qu'il doit bien y avoir quelque part en France (ou ailleurs) un ou une collectionneuse qui ne collectionne que l'œuvre de Maurice Novarina au travers des cartes postales et même, soyons fous, peut-être qu'il ou elle est spécialisée dans ses églises.
Peut-être suis-je celui-là.
Car, au fur et à mesure que je complète mon classeur Art Sacré du XXème, je n'arrête pas d'y faire entrer des églises dessinées par le célèbre architecte.
Et je vous propose d'en voir une nouvelle dont vraiment je ne savais rien avant d'avoir acheté ce petit lot de cartes postales permettant d'en faire la rencontre puis la visite par les images. On notera d'emblée que malgré la célébrité de l'architecte, son nom n'apparaît sur aucune des cartes, il m'aura fallu chercher pour le trouver et ma surprise fut totale, non pas que l'écriture de cette église soit étrangère à son architecte mais bien plus, une fois encore, pour une petite pépite d'art Sacré de trouver l'architecte associé à cette construction.
Regardez cette beauté moderne à Mouvaux dans le Nord :



On note une écriture assez claire : trois murs porteurs, un toit posé au-dessus mais par dessus directement, des ouvertures longeant ce toit et le suspendant comme en lévitation au-dessus du bâti, un caissonnage puissant que de maigrelettes colonnes font semblant de porter. On note la brique utilisée en écran s'opposant au béton, toute la charge esthétique étant bien dans l'opposition entre ce plafond en caissons et des murs nus dont le décrochement dans le Chœur forme presque le seul décor.
C'est d'une grande beauté simple.
Toutes les photographies sont prises par le Studio Francis à Lille et les cartes sont "vendues au bénéfice de la restauration de l'église". Il s'agit en fait, même si celle-ci est construite sur une ancienne église, bien plus d'une construction. Ne restent de l'ancienne église que les murs latéraux conservés et celui du fond, on note donc le travail incroyable de Maurice Novarina réussissant en quelque sorte à glisser la Modernité tranquille sur les murs d'un ancien bâti. Génial. Novarina se fera aider ici par Jean Watel. L'église du Sacré-Cœur est livrée et bénie le 3 mai 1964.
Je ne sais pas si je possède la série complète de cartes postales mais comme souvent pour ce genre de publication, on fait donc le tour de l'église, du dehors au dedans, en passant par des détails. Parfois vendues en pochette, il arrive souvent de les trouver aussi individuellement. Il m'est même arrivé d'en trouver encore en vente dans certaines églises contemporaines, trente, quarante ans après leur publication !
Les cartes ici présentées n'ont pas été expédiées, je remarque sur la carte postale des Fonds Baptismaux un cierge bien daté de 1964.
Une fois encore Maurice Novarina nous régale de sa simplicité (apparente), de son désir de respect des codes régionaux et du bâti ancien en ne cédant rien de sa faculté à faire de l'espace et de la lumière avec quelques principes évidents et un goût affirmé de la structure. Une pépite qui ne semble pas, pourtant, avoir encore reçu de protection ni de label... On se demande bien pourquoi ? Que font les services concernés ? Ils attendent une urgence ?

Pour revoir quelques articles sur Maurice Novarina :
etc.... etc... bonne lecture...


samedi 2 avril 2022

Palais Play-Time à Nice

On pourrait aimer des bâtiments simplement parce qu'ils sont comme des démonstrations implacables de l'application d'un matériau. Si je devais faire la démonstration d'une écriture architecturale qui ne tient presque que par le rangement propret de panneaux de façade préfabriqués, je montrerais ça :


Vous avouerez que ce beau morceau d'architecture moderniste ne peut que vous évoquer Play-Time de Jacques Tati. Lisse, brillante, claire, un rien tendue la façade du Palais des Fêtes et des Expositions de Nice n'a d'autre choix pour rompre avec sa longueur que d'offrir un auvent qui ondule comme une vague sur cette surface régulière qui pourrait fuir à l'infini de sa perspective. C'est presque un archétype de l'époque. Du plancher, des poteaux en retrait et des panneaux se posant en devant comme une carrosserie parfaite faite de verre et de métal. Il ne reste qu'à assembler. D'ailleurs la grille elle-même parle de la sorte, racontant à l'œil ce désir de ne rien perturber.
Mais attention ! J'aime ça justement. J'aime surtout le sens de la couleur qui fait de ce morceau une barre bleue accentuée avec une belle idée : les rideaux textiles à l'intérieur du bâtiment qui viennent, ouverts ou fermés, faire varier cet épiderme de verre.
On aime aussi que les architectes aient tendu une forme, un parallélépipède dont la fonction d'appel est évidente. Il faut affirmer de suite la modernité, dire qu'ici se passe quelque chose de grand, d'imposant, que rien ne pourra arrêter ce désir, que l'architecture a aussi comme fonction d'être déclarative : efficacité et rigueur. C'est un Palais que Diable !
On notera qu'aucune des cartes postales ne nomme les architectes : messieurs Michel et Richard Laugier. La première carte postale est une édition S.E.P.T, maison niçoise et elle fut expédiée en 1969. La seconde est une édition Y.P.A expédiée elle en 1975. On notera la différence d'approche des deux photographes, l'un tentant de montrer l'ampleur et la longueur de la construction, l'autre resserrant son image, formant une composition avec la sculpture dans l'angle opposé. Pas grand-chose à dire de ces points de vue si ce n'est que d'appréhender une telle longueur et monotonie de façade n'est pas simple pour à la fois en dire justement l'ampleur mais aussi sa répétition. La diagonale des drapeaux dans l'une et donc la sculpture dans l'autre jouent ce rôle de rupture.
On notera que ces deux points de vue ne permettent pas de voir l'intérieur et les arches de béton qui agissent avec contraste contre ce volume tiré au cordeau. 
Bien entendu ce genre d'architecture est assez peu patrimonialisé aujourd'hui, sans doute perçue comme trop industrielle, trop sérielle, surtout mettant en œuvre des matériaux peu nobles dont pourtant l'intelligence constructive est évidente et surtout très représentative justement d'une époque et d'une méthode de construire. Pour ma part, formé aux Beaux-Arts, je ne peux voir dans ces boîtes de verre gigantesques et refroidissantes que des signes de la sculpture minimaliste et conceptuelle. ces "boîtes de verre et d'acier" que l'on nomme souvent ainsi avec dédain sont justement ce qui me plaît. Des boîtes comme des œuvres de Donal Judd ou de Dan Graham : implacables, froides, tendues, troublant les perceptions des transparences et des reflets, polychromés d'aplats francs, aux lignes rigoureuses.
Mais aujourd'hui un épouvantable et boursouflé Novotel a pris la place du parvis. C'est une architecture de merde. Comment a-t-on pu dans une ville comme Nice laisser construire une telle architecture presque comique tant elle veut se croire quelque chose qu'elle n'est pas ?