Il ne fait aucun doute qu'il faudra aux historiens du logement social et de l'architecture des Trente Glorieuses se pencher sur les représentations de cette architecture dans les clips vidéos des artistes-chanteurs et des rappeurs.
En ce sens, il faudra aussi interroger la nature même de cette reconnaissance et surtout savoir à qui vraiment appartient la légitimité de cette étude car, aujourd'hui, il faut montrer patte blanche pour manipuler une culture sans en être originaire au risque d'être traiter comme un colon dans le territoire de l'appropriation culturelle. On sait comment cette terminologie pourrit le débat.
Finalement que doit-on retenir ? Que Booba utilise les Tours Nuages de Émile Aillaud comme décor de son clip ou qu' un amateur de l'histoire de l'architecture les reconnaisse ? À qui appartient justement cette reconnaissance et quel sens a-t-elle pour chacun des utilisateurs des lieux ?
On me demande souvent quand je chante les beautés du Hard French si je pourrais y habiter.
Cela sonne toujours comme une fin de non-recevoir à ma petite chanson, fermant le ban une fois pour toute puisque vivre quelque part servirait à obtenir la légitimité d'en dire quelque chose. Je peux comprendre que le défilé des sociologues, des historiens, des artistes de la mémoire à maintenir offusquent ceux qui vivent là et qui ne se sentent pas prêts à être les animaux d'un safari culturel étrange au bord de l'encanaillement politique (La Haine de Kassovitz). Mais à qui appartient donc le droit de dire quelque chose de ces espaces ? Les "artistes" qui en viennent ? Ceux qui en auraient étudié toutes les particularités ?
Mais ce qui m'intéresse surtout c'est que quelque soit la réponse, quelque soit l'orientation-même de ce désir de montrer ces territoires, ils sont bel et bien (esthétiquement s'entend) représentés.
Et le clip vidéo de Booba intitulé Glaive sera bientôt un document que Booba le veuille ou non d'ailleurs. Son clip sera bien vu comme une trace d'une histoire disparue et servira à la fois les historiens de la ville et de l'architecture, ceux de la musique populaire et ceux pris d'une nostalgie face à une disparition. Comme je ne connais pas Booba, je ne sais pas si il mesure ainsi la puissance et la chance de son travail dans ce sens. Il fait là acte d'archiviste si ce n'est d'historien en quelque sorte, montrant les usages, les formes, les idées de ce que ces espaces dessinés par un architecte il y a 50 ans sont aujourd'hui reconnus par un homme de cette génération comme étant son paysage, son espace. Sait-il Booba que son espace sera bientôt défiguré, abimé et que le tri social viendra certainement bientôt le sortir lui et ses amis (je laisse exprès au masculin) de cet espace gentrifié au nom d'une réhabilitation à marche forcée c'est à dire écrasant les valeurs esthétiques et historiques justement de ce qui en fait la beauté reconnue par Booba ?
Est-ce en fait, le chant du cygne ? La dernière bravade d'un homme ayant compris que son monde disparait sous les coups d'une popularité élargie, que l'esprit des banlieues, que ses espaces sont maintenant trop proches de Paris pour tenir encore sans que l'ANRU vienne éradiquer à jamais l'esprit qui les anime ?
Comment, au delà du spectacle merveilleux du Hard French, un artiste légitimé par son origine sociale et spatiale ne pourrait pas, lui non plus, tomber à son tour dans le piège d'une esthétisation déjà récupérée par la bourgeoisie* voyant elle, ici , le dernier espace sauvage, j'entends par là, le dernier espace où une forme de liberté des usages prend le dessus sur celle des lois, un espace où la reconnaissance se fait non plus sur l'être mais sur des signes. Comme dans un moyen-âge chevaleresque et imaginé : blasons, drapeaux, uniformes, Comté, Duché et aussi langue (pour ne pas dire un parlé ou un patois).
Booba aurait-il aussi servi la soupe d'une attente de ce que se doit être la banlieue ?
À Nanterre, que va chercher de Booba le réalisateur Chris Macari ? Le spectacle d'une architecture étrange et bien repérée comme patrimoine de l'histoire de la banlieue ? Un lieu beau et colorée presque irréel dont la présence d'une cavalière sur son cheval poussera vers une mythologie low-cost ? Un vrai terrain de propriétaire cerné par ses propres flics : sa garde rapprochée ? La masculinité hyper présente confine bien (et je m'en réjouis malgré moi) à une sensualité (pour rester sage). Des hommes, des hommes, des hommes, des tours dressées, des tours dressées, des tours dressées....le passage du drone entre les jambes est presque limpide sur l'objet finalement visé.
Difficile de savoir.
Le point de vue du drone montant et descendant, caressant les tours sans aucun repos pour l'oeil (sans gravité aussi) ne permet pas vraiment de saisir ce désir de venir là. Le scénario non plus et la présence du cheval apparait comme un luxe, comme une bravade peu convaincante. Pourtant oui, je me réjouis de cette vision, oui j'aime en lire ainsi les signes, les espaces. J'aime en quelque sorte pouvoir y être tout en pouvant y voir. C'est en ce sens, nettoyé certainement de ce désir artistique, que seule restera l'histoire d'une représentation et d'une possibilité, après la catastrophe du ravalement, de pouvoir encore se croire le droit de regretter ce que cela fut et qui a disparu.
On notera que dans les paroles du chanteur il n'est fait aucune allusion directe à ce lieu. On note aussi que certains plans montrent les panneaux de circulation nous indiquant Aulnay. Il faut dessiner les territoires et ceux qui peuvent y venir en attendant de savoir qui pourra en partir. On pourrait dire que si on voulait moquer ou critiquer cette perception des espaces comme signes culturels, il suffirait de revoir le clip des Inconnus**. Le retournement des signes culturels qu'ils opéraient alors avec talent dit bien parfois le ridicule de la surcharge de ces signes. Un peu comme la grosseur d'un bijoux dit qu'il est de pacotille. Trop de lisibilité devient peu de crédibilité. Pareil pour les biceps ?
Alors, oui j'aime voir ce clip pour toute ces raisons, j'aime penser aussi que Booba est sensible à ces lieux et peut-être à ses concepteurs, qu'il en connait l'histoire, la genèse et le risque de sa disparition. Peut-être même en le montrant ainsi, sont-ils (Booba et son réalisateur) des militants de sa sauvegarde ? En tout cas, il ne fait aucun doute qu'il aurait, Booba, la légitimité et la puissance politique d'une mobilisation pour cette sauvegarde. Il pourrait, lui, mobiliser contre sa défiguration, celle-ci d'ailleurs et bien d'autres. J'attends avec impatience un clip de Booba contre l'ANRU, contre Borloo.
As-tu saisi mon pote notre envie de révolte ?
J'ai envie de crier Zut ! Flute ! Crotte !
Car la légitimité réclamée implique, comme un grand pouvoir, une grande responsabilité.
(oui c'est un hommage à Spider Man)
Je dédicace cet article à Joris Valenzuela jeune diplômé de l'École des Beaux-Arts de Paris. Notre pudeur commune lui fera comprendre pourquoi je le remercie ici.
Et promis, je ferai un article similaire sur Jul et Marseille. Un autre génie des lieux.
On peut revoir ici quelques articles sur cette même question du BeurCore* :
Pour revoir le Galion 3000 filmé dans le clip :
Pour revoir Nanterre :
etc...etc...
Pour revoir Aulnay :
etc...
Pour revoir Émile Aillaud :
Pour entendre Émile Aillaud :
Pour revoir le rap magnifique des Inconnus** :
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