dimanche 16 janvier 2022

Depuis le Hard French, on pense au BeurCore



Il faudrait pouvoir faire les deux choses en même temps : voir le bâtiment lui-même et voir le paysage depuis le bâtiment.
Il nous manque souvent ce point de vue pour comprendre aussi ce que l'architecture porte comme présence dans un lieu et un espace. 
Car, si cette carte postale Leconte nous montre bien l'attention à la verticalité de ce genre de bâtiment, depuis le sol, depuis la chambre qui en redresse les verticales, rien ne nous permet de dire comment on voyait le monde depuis la chambre des enfants, depuis la fenêtre de la cuisine, depuis la pièce à vivre. Habiter une tour c'est souvent faire l'expérience de sa hauteur ou vivre dans la frustration du poids des étages supérieurs qui vous écrasent un peu quand on demeure (dans tous les sens du verbe) dans les tout premiers étages. Ce sentiment existe, je l'ai ressenti souvent. On lève la tête pour voir la construction dans laquelle on va rentrer et, en quelque sorte, on reste sur sa faim si par malheur, il n'est pas nécessaire d'en arpenter les étages pour faire la visite de la tour, en faire l'expérience de sa hauteur.
Cette tour de la Cité Notre-Dame au Blanc-Mesnil est bel et bien une parfaite représentante de cette question et son image ainsi composée raconte parfaitement cette expérience. C'est bien au photographe que l'on doit ce sentiment car le redressement optique ici n'agit pas comme un trucage, comme un faux-semblant, comme une erreur contre la nature de l'œil, ce redressement au contraire permet de retrouver sur une image l'expérience de sa masse, d'une physicalité brute, magnifique, j'oserai (pardon...) romane.
Il faut dire que tout est à l'unisson du Hard French : régularité parfaite de la grille (admirable), léger décrochement des volumes, ouvertures généreuses, escalier extérieur massif et projeté sur la façade, implantation sans détour dans le sol ; le noir et blanc accentuant pour finir la beauté de l'image, d'en radicaliser le dessin. On note que le photographe a réussi à nous introduire dans sa photo un premier plan végétal comme il se doit, avec quelques feuilles en haut et à droite, comme si le surgissement de l'immeuble arrivait à l'improviste d'une trouée de verdure.
Les enfants à peine visibles devant la porte de la tour s'amusent du photographe qu'ils ont repéré. On voit clairement qu'ils nous regardent. Les vélos serviront plus tard quand le monsieur aura fini de les photographier.
On sait que Le Blanc-Mesnil est une ville incroyable pour lire les expériences et l'histoire du logement social. Mais j'ai un peu peur que ce genre-là, la tour superbe de Hard French, dans sa radicalité d'un brutalisme à la française, dans la beauté de son montage, dans sa préfabrication ne lui permette pas d'entrer dans cette histoire. Sans doute que d'être un archétype n'aide pas quand toute une société veut faire mourir cet archétype, jugeant bien trop vite, au nom des politiques de la Ville, des sentiments écologiques, des rapports de Police ou d'autres dégoûts organisés que ce modèle n'est plus acceptable.
Il ne me reste plus comme espoir que la culture qui est liée à ces bâtiments, que ceux qui y vivent, que cet espoir devienne de fait un désir et que, par les voix extérieures, celles d'une gentrification désolante, il devienne cool de vivre là. Cool. On voit cela à Abraxas.
Et si la pochette de l'album Dancehall de The Blaze est un archétype du même type que celui du Blanc-Mesnil, si donc cette architecture commence à produire une image positive (un signe), admirée, reconnue comme faire-valoir, alors on aura peut-être la chance qu'une génération, celle du BeurCore (merci Sara Sadik d'avoir donné un nom à ce monde) finira par réclamer le sauvetage de cet archétype dans une nouvelle Histoire de l'Architecture prenant enfin en compte aussi ces chefs-d'œuvre brutaux et donc poétiques. Le risque, (faudra-t-il le prendre ce risque ?), le risque c'est qu'alors le Hard French devenu BeurCore ne devienne ensuite mainstream et que la gentrification jette au dehors ceux-là même qui en ont fait le sens.
Qui sait ? Que faire ? Comment agir ?
C'est souvent la fierté qui sauve.



Est-ce que cette autre carte postale Guy de la Cité Notre-Dame du Blanc-Mesnil n'aurait pas été prise justement depuis la tour ? Je le pense.
Les petites barres, bien modestes, tranquilles, sont répandues dans un parc un peu dessiné, aux fausses allures de jardin, n'offrant que des tapis découpés plantés d'arbres un peu maigre. Les enfants ne joueront pas sur l'herbe, les jeux n'y sont pas posés. On devine ces enfants dans un cercle de sable à droite de l'image. Presque sur chaque balcon, un parasol est venu se poser, parfois c'est une chaise longue qui y prend place aussi. On met les joies de la plage où on peut.
Qui se rappelle comme moi de ces beaux lampadaires urbains qui furent largement diffusés à cette époque ?
Voilà donc un paysage né d'une politique du logement urbain, né d'une histoire de la modernité architecturale, voilà donc un paysage né de la volonté de loger bien et vite une génération, voilà à quoi a ressemblé cet espoir mêlé d'une profonde nécessité. Car, comme il ne faut pas oublier ce que l'on voit depuis une architecture, il ne faut pas oublier non plus ce qu'elle remplace, quel manque elle comble. Au risque de juger vite, trop vite des qualités ou des erreurs de ce genre et de ne pas aussi tenter de comprendre les efforts faits pour que cette expérience soit la plus salutaire possible. Ils n'ont pas démérité tant que ça les concepteurs de ce genre d'urbanisme. Ils ont fait. Ils ont construit. C'est déjà bien. Et, l'Histoire de l'Architecture ne doit pas trop vite se réserver qu'aux exceptions géniales, remarquées et remarquables. Elle doit aussi conserver ce modèle justement parce qu'il est une typologie.
Voyez ce qui se passe pour le Camus Haut d'Annay. Merci Sinbad Hammache pour l'alerte.
Pour cette Cité Notre-Dame, Google nous montre aujourd'hui une cité privatisée, fermée derrière une grille. Mais la tour Notre-Dame est debout, belle, d'une blancheur égale. Je ne sais pas quoi dire de ce constat, si ce n'est, et vous trouverez ça ridicule, que cela m'émeut de la savoir encore debout. 
Cela m'émeut.
Et je me vois aussi, à mon tour,  obligé de la photographier derrière un premier plan végétal.
Par contre, j'ai le regret de n'avoir pas trouvé le nom du ou des architectes de ces architectures du Blanc-Mesnil.
David Liaudet

Pour lire la définition du BeurCore et voir le travail de l'artiste Sada Sadik :
Pour lire l'article de Sinbad Hammache : 


qui reconnait cet immeuble ?






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