Dans un récent article du Monde, Isabelle Regnier* tente de nous alerter et de nous expliquer pourquoi l'architecture moderne et contemporaine est si méprisée par les politiques. On y reconnaît bien tous les arguments habituels (souvent développés ici-même) et toutes les responsabilités égrenées les unes après les autres. Pourtant c'est assez simple de savoir qui est en grande part responsable de ce peu d'intérêt, c'est bien ceux qui sont en charge normalement de faire le classement et les inscriptions : les services des DRAC, les conservations des Monuments Historiques.
Si notre expérience personnelle dans le domaine vaut quelque chose c'est bien toujours d'être en contact avec des services réticents (voire méprisants**) réagissant toujours à la dernière minute, souvent d'ailleurs sous la pression des associations, des citoyens, comme si le classement ou l'inscription d'une architecture contemporaine ou moderne devait toujours se faire dans l'urgence d'une menace ou dans la honte de ne pas avoir agi plus tôt (Candilis).
D'ailleurs c'est bien l'argument que l'on lit dans l'article de Isabelle Regnier où il est clairement dit que ce classement doit être "la bombe atomique" soufflant toute contestation en une seule fois sous la pression. Quand ça se passe bien...
Mais pourquoi agréer à cet argument ? Pourquoi le travail de fond, régulier, apaisé, fait dans le temps du déroulement de l'histoire n'agit pas d'abord ? Pourquoi un inventaire et le fameux et inutile Label Architecture Remarquable ne servent pas automatiquement à un classement ? Comme si les bâtiments émergeaient soudain d'une brume étrange faite d'oubli, de mépris et d'un manque total d'éducation à l'histoire de l'architecture.
Car cette histoire se déroule sous nos yeux, on sait aujourd'hui, en grande partie ce qui fera l'exception et la culture de demain. On sait générationnellement ceux et celles qui ont marqué l'histoire. Jean Nouvel, Portzamparc, Ricciotti, Ciriani, Gaudin, Hammoutène, Lacaton et Vassal, Edith Girard et tant tant tant d'autres. Qui procède à l'inventaire futur et prochain (25 ans) de ces architectures ? Regardez comment il aura fallu l'urgence d'une situation alarmante pour que le travail internationalement reconnu de Renée Gailhoustet et de Jean Renaudie à Ivry-sur-Seine accède enfin à un Label pour l'une (misogynie de la protection ?) et inventaire pour l'autre. C'est pourtant visible non ? Rem Koolhaas y vient même en balade.
Alors, je le dis aussi tout net : la prochaine cause de destructions et de saccages de l'architecture contemporaine viendra aussi de l'écologisme. C'est déjà en cours pour l'héritage de Tony Garnier à Lyon (voir ci-dessous). L'écologisme viendra juger les bâtiments au nom d'un rendement (signe libéral) et non au nom d'une histoire. L'écologisme se voudra vertueux c'est à dire idéologique et fera fi de l'état d'exceptionnalité d'une construction au nom des fameuses passoires énergétiques (Versailles attention à toi !), au nom des récupérations d'îlots ou pire d'une densification fumeuse ruinant même les espaces libres (La Butte Rouge). C'est bien cet argument parfait instrumentalisé par des politiciens de droite (Estrosi à Nice) ou par des écolos guydebordiens du dimanche (finalement tout aussi libéraux) qui servira au nom d'un dégoût stupide du béton à détruire, saccager, oublier, massacrer, (ils disent eux requalifier) les héritages de la Modernité.
La droite déteste l'héritage moderne au nom d'un pragmatisme de l'action et d'un conservatisme étrangement dirigé, Madame Pécresse, Monsieur Estrosi, Monsieur Muzeau l'ont prouvé. Les communistes se croient libres de faire n'importe quoi au nom d'une démagogie urbaine et d'un héritage mal compris à Ivry-sur-Seine, les socialistes se croient sur un terrain de jeu et cherchent à séduire un électorat wokisé (le maire de Rouen en est la caricature drolatique), la macronie ruine Le Havre et son classement à l'UNESCO que l'on devrait lui retirer au vu des projets à venir et de l'état de la ville.
Bref, chacun, toujours au nom de l'action politique, se croit en terrain libre, manipulant leur héritage comme des petits nobles en leur comté et le mettant même en vente (Mr Muzeau à Clichy) ! Et les Drac, service public, ne savent pas (ne peuvent pas ?) jouer leur indépendance, ne savent pas résister (ou si peu), font le jeu des carrières de fonctionnaires ne voulant pas, devant la puissance politique, agir comme il faudrait : en résistance. Elles sont tétanisées aussi parce que ceux qui jugent dans les commissions sont parfois sectaires et réfractaires à certains héritages d'une culture populaire (quoi ? protéger un centre commercial, une ZUP ou une piscine ?!), sont issus aussi de formations universitaires où l'enseignement du Patrimoine Moderne n'existe pas. Ajouter que le citoyen, celui de la rue, celui sensible à son histoire est en droit de lui demander des comptes et vous aurez, à coup sûr une sorte de dédain de classe culturelle, le dédain d'une aristocratie patrimoniale qui se croit toute puissante et seul juge de ce qui fonde notre histoire commune.
Alors il y a toujours quelques exceptions et l'inscription du centre commercial de Claude Parent à Sens l'a prouvé. Les étoiles, parfois s'alignent...
Aujourd'hui on nous rebat à raison (et au mieux) les oreilles avec le travail de Lacaton et Vassal pour la réhabilitation intelligente des constructions comme si un remodelage était une action de sauvegarde. Certes, pour certaines constructions une réhabilitation de cette qualité permet de sauver l'essentiel (en gros la structure porteuse) mais est-ce vraiment patrimonialiser que de faire un tuning intelligent sur une construction moderne ? On a vu la catastrophe à Toulon sur la Caisse d'Epargne ou au Mans sur l'Hôtel des Téléphones et la barre Le Couteur, et cette école de la réhabilitation verra passer aussi bien des génies que des cancres. Qui fera le tri ? Il faut donc absolument et totalement maintenir les bâtiments modernes dans un état d'exceptionnalité complète. Voir le cas d'école des tours Nuages de Émile Aillaud à Nanterre : une catastrophe annoncée pour ladite "bonne cause énergétique".
Il faut un sursaut immédiat des services de protection, il faut faire un inventaire le plus complet possible des architectures depuis les Trente Glorieuses jusqu'au début des années 2000 (eh oui...) pour un grand mouvement national de classement avant la catastrophe annoncée de l'écologisme idéologique. Il faut un sursaut citoyen et ne rien attendre du Ministère de la Culture qui de Mesdames Azoulay, Fillipetti, Bachelot, Pellerin, Nyssen ( mon Dieu...) à Monsieur Riester n'ont montré que mépris pour cette cause, pire, ont parfois agi contre elle. Les accointances locales et politiciennes... et les postes futurs à obtenir...
Car ne rien faire c'est accepter la catastrophe.
Votez pour vous, votez en agissant, soyez non dans la colère et la déception mais dans l'agir.
Quelques catastrophes en cours :
-L'œuvre de Tony Garnier à Lyon, merci EELV et l'écologisme idéologique.
-Maison du Peuple à Clichy, une incroyable série de renoncements (municipaux et ministériels) et surtout de prise de pouvoir marchande.
-Le Mirail de Candilis (déjà ruiné pour l'essentiel par des architectes affirmant respecter l'esprit de Candilis avec la complicité de Michel Serres. Un idiot utile ?)
-La Butte Rouge à Chatenay-Malabry, là on touche le fond.
-Le Havre dans son ensemble : comme quoi l'UNESCO parfois ne sert à rien devant les profits immobiliers.
- Théâtre de Nice de l'architecte Bayard menacé pour mettre des arbres et faire vibrer la fibre écolo de Estrosi
-la maison de retraite Art déco d'Angoulême, pépite pas repérée par la DRAC Nouvelle Aquitaine...et, et, et, et.......vous ajouterez ce que vous voyez tous les jours
Signez ça :
*Pour préserver le travail journalistique de Madame Isabelle Regnier, je ne vous mets pas en copie son article qui est lisible sur le site du journal Le Monde, article daté du 4 avril 2022. Merci à elle pour cet écho. Bonne lecture.
Nous avons cherché avec David dans sa collection des cartes postales représentatives de ce dédain et de ce risque. Le Hard French est bien le Patrimoine Français qui subira (car il subit déjà l'ANRU) le risque de disparaître sans remords. Voyez ce qui se passe pour le Camus Haut d'Annay.
Mais nous avons choisi finalement deux cartes d'Arras.
Quelle commission proposera la protection complète (bâti et espace paysagé) d'une Zup, d'un grand ensemble ou d'une ville nouvelle ?
Allez... On y croit ?
La bise à tous.
Walid Riplet
Deux cartes postales nous montrant la Cité "Les Hauts Blancs Monts" à Arras. On note la totale complétude du programme moderne de cette cité, jouant sur une densité ramassée en des tours en béton remarquablement dessinées et laissant à leur pied un espace vaste et dégagé, proposant un archétype du paysage architectural de cette période et des règles de l'urbanisme prônées alors. Aujourd'hui, tout le monde louche (promoteurs-canailles et politiciens avides) sur des terrains de ce type alors que, justement, leur libération est ce qui fonde leur histoire.
Quand arriveront donc ceux qui regarderont cette typologie comme on regarde celles des bastides ?
Quand seront formés les historiens de l'Architectures, les architectes, les urbanistes pour dire que cette expérience (jugée bonne ou mauvaise) a bien participé à l'histoire et mérite d'accéder à un classement au titre justement de l'Histoire de l'Art d'Habiter ?
Le photographe des éditions Combier resté anonyme place les tours dans le lointain sans doute pour en éprouver les espaces les séparant. L'œil passe au travers et il est seulement rayé par les lignes électriques ou téléphoniques.
La carte postale Estel (Lavelle et Compagnie) ne nous donne pas le nom de son photographe mais nous précise le nom des architectes : Messieurs Toumaniantz et Horn. Ils ont fait là de la belle ouvrage ! Ces tours sont vraiment superbes, regardez les détails, regardez comment les masses sont travaillées.
On aimerait pouvoir les contempler dans leur plénitude populaire à jamais.
David Liaudet
revue AMC :
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