Il me faut me poser la question d'abord à moi-même. Depuis longtemps, lorsque je regarde ce point de vue sur La Chapelle de Ronchamp de Le Corbusier, point de vue pris par Marcel Blanc pour une carte postale, je ne peux m'empêcher d'y voir un sexe masculin, frein et gland, en tension.
Dois-je d'abord me demander s'il s'agit-là d'une projection personnelle ou bien, finalement, après tout, d'une possibilité inconsciente à la fois du photographe et de l'architecte ?
D'ailleurs, la carte postale actuellement à l'envers sur le plateau de ma table de travail me laisse encore moins de doute sur ce rapprochement formel comme si, ainsi retournée, oubliant un peu plus son objet d'origine, sa forme sexuelle était encore plus explicite.
Bien entendu, je ne veux pas dire ici que Le Corbusier aurait construit ce rapprochement, ni même l'aurait désiré. On ne peut pas penser que le Corbusier se doit donné à lui-même comme objectif de glisser un tel rapprochement formel pour ce projet mais qu'en est-il alors des formes qui surgissent ? De ce vocabulaire qui nous est commun qui fait que, oui, dans l'agencement de certaines courbes, de certaines lignes, de certaines tensions du dessin, immédiatement notre fonds d'images communes fait surgir l'improbable rapprochement ? Et que devons-nous alors en faire ? Car il est puissant et il est même impossible pour ma part de l'éviter. Il y a bien là, quelque chose que je reconnais.
Cette projection sur d'autres architectures de formes et d'objets est bien connue. On sait comment le langage commun a vite fait d'en faire des dénominations amusantes et populaires pour des architectures célèbres : le pot de yaourt ou le Volcan, au choix, pour Niemeyer au Havre par exemple.
Mais ici, avec Ronchamp, ce qui m'étonne c'est que cela m'amuse certes mais que, aussi, je n'arrive pas à croire en un hasard ou une projection seulement de ma part. Je me permets de croire que je touche à l'inconscient de l'architecte. Car cette forme est tout de même complexe, spéciale, peu à même d'être approchée par hasard. Disons qu'elle est tout de même réservée dans notre vocabulaire formel à un usage bien particulier.
Enfin.
Suis-je le seul obsédé par ce rapprochement ? Y-a-t-il d'autres visiteurs ou visiteuses de Ronchamp ayant vu dans ce moment de Ronchamp la possible jonction entre inconscient sexuel et forme architecturale ? Et il suffit au visiteur de faire quelques mètres de plus pour que les deux coques de La Chapelle viennent bien en tension sur l'arête vive du mur. Et cela reste assez probant.
Bon.
Sans doute que tout cela vous laissera perplexes, que je resterai seul avec mes doutes et mes obsessions et qu'il ne me sera de toute manière impossible de prouver ou argumenter de la vérité sur une telle projection.
Qu'importe au fond, ce qui fait une architecture c'est sans doute aussi notre part, celle que nous y ajoutons.
Est-ce que Marcel Blanc en cadrant ainsi, découpant dans la masse de La Chapelle ce moment précis de formes assemblées avait vu à son tour ce rapprochement ? Avait-il lui aussi cédé à quelques bribes inconscientes, voyant dans un objet un autre, cherchant finalement que ce qui en faisait la beauté était peut-être une autre qui lui échappait ?
Est-ce que ce rapprochement ogresque que Charles Bueb à son tour avait perçu lorsqu'il avait photographié sa fille ? Difficile de le dire. Cela me fait penser à Ricardo Bofill qui voulait redonner à l'architecture des puissances oniriques et psychologiques, mettant l'usager de ses espaces dans des sensations proches de révélations psychanalytiques et dans un inconfort des sensations psychiques surgissantes. Cette violence de l'apparition, ce désir que l'architecture puisse être débordée (tout en étant à leur origine) par des sensations cérébrales au bord du pathos reste pour moi assez cocasse. Pourtant c'est bien ce que cette image de Ronchamp et sa vision ont produit chez moi.
Je vais devoir rester avec ça et avec le fait que je vous en parle.
Sans doute que cela en dit plus sur moi que sur Le Corbusier ou Marcel Blanc.
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