dimanche 24 novembre 2019

Le Corbusier, un nettoyage éthique

Dans l'Histoire de la Photographie Contemporaine, le ciel chargé, vivant, exprimant sa météorologie a disparu. Toujours soupçonné d'évoquer un romantisme facile, le ciel chargé est depuis longtemps évacué, nettoyé, blanchi. Surtout blanchi depuis peu par les photographes contemporains qui croient encore à la survivance nécessaire d'une école allemande, mère d'une pseudo-objectivité maintenant épuisée et j'ose épuisante. Disons stop à la Nouvelle Objectivité et à tous les topographes du dimanche.



Voilà que je trouve deux cartes postales de la Fondation Suisse de notre cher Corbu, deux cartes éditées par L. Fréon en héliogravure. Je crois d'abord posséder déjà ces deux images avant de m'apercevoir que les points de vues en sont légèrement différents et donc inédits sur ce blog. Puis, doucement, mon œil habitué reconnaît une manière : celle qui consiste à nettoyer l'image de son ciel pour en détourer le bâtiment et le faire apparaître comme seul et affirmé dans l'image. Ce nettoyage du cliché permet donc cette chose étrange que la couleur du papier, ici un jaune crème, devienne de fait, le bleu du ciel disparu, gommé, évanoui.
Faut-il vite juger que cette image correspondrait aux désirs omnipotents de Le Corbusier de diriger toute l'attention de ses images sur son architecture ? Doit-on encore y voir là sa force autoritaire qui aujourd'hui permet à tout le monde d'avoir un avis sur l'architecte ?
J'imagine que Xavier Mauduit  y verrait de suite une preuve que, contre le réel, Le Corbusier aura usé d'un fascisme de l'image conduisant à effacer la nature et donc mettre en avant l'œuvre de l'architecte. Il était tout puissant le gars.
Mais non.
S'il ne fait aucun doute que Monsieur Fréon le photographe et éditeur a fait preuve d'une force c'est bien celle qui consiste à vouloir mettre en valeur. Il faut que ce que l'on voit, étrangement se décontextualise pour le voir mieux et j'oserai (oui oui oui) pour le voir VRAIMENT.
Il n'y a donc pas de leurre dans cette représentation d'une architecture, car, comme regardeurs, nous ne sommes pas fous. Nous savons bien que, à ce que nous regardons, il manque quelque chose mais que aussi, grâce à cette absence (qui d'ailleurs me fait écrire) on voit mieux, on prête en quelque sorte attention. Il n'y a pas de mensonge de la représentation, il y a une construction aussi importante que celle de Le Corbusier. C'est mettre l'image au service de la lisibilité des particularités au détriment certes d'un ciel ou même, à gauche, de l'effacement de détails architecturaux inutiles et des autres bâtiments à l'arrière-plan disparu.
Cela produit bien un surgissement un rien artificiel, une nature un peu oubliée (comme gênante) mais cela aussi invite à regarder l'architecture comme suffisante à elle-même, débarrassée de son contexte. Cela ne vous rappelle personne ?
Ce désir de voir frontalement, presque de faire signe ?
Allez... je sais que vous savez.
Pour ma part, j'y vois un nettoyage éthique. Une raison profonde, une politesse didactique. Ne vous perdez pas, regardez ça, le reste, après tout, vous saurez l'inventer.
Un blanc dans une image photographique est toujours, toujours possiblement un écran de projection. Votre écran.

voir ou revoir la Fondation Suisse :
https://archipostalecarte.blogspot.com/2014/11/le-corbusier-tout-de-metal.html
https://archipostalecarte.blogspot.com/2018/01/le-corbusier-au-salon.html
https://archipostalecarte.blogspot.com/2013/11/si-tu-es-universitaire-paris.html
http://archipostcard.blogspot.com/2010/09/cite-universitaire.html


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