mercredi 20 novembre 2019

Simon Boudvin sous un shed

J'ai retrouvé Simon Boudvin et quelques-uns de ses étudiants de l'École du Paysage de Versailles dans un petit café à Sotteville-lès-Rouen. Il nous aura fallu un moment pour nous rendre compte que nous regardions une partie de ma collection de cartes postales dans une architecture sans aucun doute dessinée par Marcel Lods.
Simon Boudvin avait le désir de partager un certain goût pour une certaine architecture à ses étudiants : celle du nouveau dessin de la place de l'Hôtel de Ville de Sotteville-lès-Rouen par Alessandro Anselmi. Dans le gris normand, cette architecture jouant à la fois d'une image high-tech et poétique, emplie de signes animaliers et de lectures de sa structure devait leur paraître bien étrange à ces jeunes gens, vivant eux, non pas dans l'espoir d'un monde meilleur mais dans la peur d'une eschatologie annoncée par l'effrayante Greta Thonberg.
Faire d'un abri-bus avec un oiseau géant de métal découpé, certes bien dessiné mais un rien ridicule aussi, est certainement représentatif de ce qui fut moderne et nouveau au tournant des années 90.
C'est cette émotion particulière, ce regard singulier (quoique partagé) que Simon Boudvin a prolongé dans une exposition au SHED.
Dans ce lieu un peu perdu, un peu raide, voire rebutant si on reste à la porte, il est difficile de contrecarrer le romantisme parfait de murs de briques défraîchies et, comme son nom l'indique, d'un shed d'usine du début du siècle dont ma Vallée de Seine est remplie.
Industrieuse, je vous dis.
Pourtant dans cet espace, Simon Boudvin réussit à nous faire partager ce goût justement pour cette architecture inqualifiable.
Inqualifiable oui.
Comment en effet, définir ces mini-monuments, ces gestes architecturaux qui apparaissent souvent comme des bidules compliqués de métal soudé, geste intempestif qu'un architecte ou simplement qu'une boîte de construction métallique ont cru bon de dessiner pour faire moderne. On connaît ce symptôme attendrissant depuis le style Atome des années cinquante ou les anonymes de l'Histoire de l'Architecture, feuilletant mal les revues d'architecture, ne gardaient en mémoire que quelques signes magiques de l'air du temps.
Aujourd'hui on a les tôles perforées au laser et le gris des planches de pin vieillissantes.
Il en est toujours question.
Petite fabrique de vérandas affichant un auvent biscornu et inutile, garage en tôle polychrome aux ouvertures trop saillantes, lycée professionnel affichant clairement par un garage à vélo sa volonté d'être à la pointe de l'industrie et donc pointu...
Nos provinces en sont pleines. Ce qui fut pratique avec le High-Tech comme style c'est que souvent il est à la fois l'image et l'outil de sa propre production. Comme si la clarté des capacités techniques et l'originalité baroque des formes devaient servir, à l'avance, dès l'entrée, le répertoire technique de ce qu'ils contiennent.
Simon Boudvin traque donc ces éléments avec jubilation, tendresse, étonnement et aussi, il faut l'avouer parfois un peu, si ce n'est de dédain, un rien de circonspection. On s'amuse avec lui. Il est toujours facile de dénoncer ce fait, de ne rien voir que le ridicule qui est bien présent et ennuyeux et nous avons bien le droit à la fois d'en rire mais aussi, la collection agissant, d'en faire un répertoire, un catalogue qui pourrait bien signifier quelque chose.
Mais signifier quoi ?
La faiblesse de l'architecture ? Le mauvais jeu des ressemblances ? Une poétique du vernaculaire, celui-là même que l'on chante depuis Walker Evans ?
Certainement. Et finalement aussi, une forme populaire de l'architecture.








































Ce qui frappe dans l'installation Concorde de Simon Boudvin c'est d'abord sa pleine compréhension de l'échelle de son lieu. Le divisant en deux (et même en trois), il instaure d'abord un jeu subtil entre l'évidence de ses structures et la révélation de leurs origines. Un triangle, un cercle parfait, un carré géant occupent donc, minimalistes et constructivistes (j'y vois aussi les commandes d'un jeu vidéo) le vocabulaire premier de l'architecture. Toujours la structure fut porteuse de cette simplicité presque classique. On y reconnaît immédiatement les poutrelles d'une structure de spectacle itinérante. Le ciel du shed est aussi zébré de superbes lumières en diagonale donnant parfaitement à l'ensemble un sentiment de monumentalité : Tatline déconstruit. On hésite entre ruine et avenir.




Mais au loin, là-bas derrière la couleur d'un mur immense, le spectateur aperçoit bien des images. Et mon sang elbeuvien ne fait qu'un tour lorsqu'il reconnaît l'un des éléments qu'il perçoit tous les jours. Il est donc possible avec son quotidien de zone commercial de faire de l'Art. Il faut aller voir.
Sur les murs de gigantesques tirages photographiques proposent alors un petit catalogue de ces formes simplistes et miraculeuses aussi. Un papier à l'entrée vous permet d'en identifier les lieux mais pas les architectes. On reconnaît à la fois la pertinence de ce choix et aussi un peu l'école contemporaine de la photographie froide et plasticienne : ciel étale, personne, image un peu blanchie et cadrage hésitant entre neutralité Becherienne et jeu graphique des formes. Chacun s'amuse à s'y retrouver et c'est là un vrai et toujours réconfortant plaisir. Tiens, là c'est Elbeuf, tiens, là c'est Caen. Mais aussi on s'amuse de croire s'y reconnaître tant ce style et ces éléments architecturaux nous sont communs. C'est là qu'est bien l'intérêt aussi de ce travail, de vouloir établir un commun, une évidence d'un style et d'un moment.
Pour ma part, j'aime retrouver le vent qui fait pencher les sacs poubelles identiques dans deux des images. Ou, j'aime croire reconnaître Le Mans alors que je suis à Cherbourg. La France...
L'ensemble est enrichi d'un troisième espace, celui d'une petite mais bien belle édition dans laquelle quelques invités donnent leurs impressions sur une construction qu'ils ont choisie. Les textes sont accompagnés de dessins simplifiant à l'extrême les constructions en question. Beaucoup des auteurs sont comme leur hôte, entre délicatesse d'un souvenir, légèrement décalés, ne sachant pas finalement ce qu'ils doivent aimer ou, plus sûrement, un peu désolés d'aimer, s'excusant presque.
Heureux d'y retrouver Jean-Paul Berrenger évoquer les magnifiques et abandonnés Ateliers du Parc de Mottini au sein même de l'école d'architecture de Normandie. Jean-Paul, si tu veux, mettons quelque chose en route pour les sauver. C'est tout de même incroyable d'offrir à des étudiants en architecture l'image de la ruine d'une belle modernité.
En sortant de cette exposition de Simon Boudvin, on peut aussi repartir avec quelques posters de ses photographies. C'est chouette la dispersion des images et, avec elles roulées sous mon bras, je quitte le SHED, heureux de ma visite. Dans mon œil alors, cette chose toujours étonnante de croire voir soudain, partout, les mêmes signes que ceux retenus par l'artiste. C'est bien aussi cet éparpillement et cette révélation qui font la force d'un beau travail d'artiste.
Maintenant que le brutalisme est mainstream, maintenant que le hard-french devient, assumé, décor onirique des clips de rap, il ne reste que les délires souvent ratés et les errements de cette période trouble de la fin des années 80 et du début des années 90 pour fabriquer aussi une nostalgie générationnelle. C'est aussi celle que l'on retrouve tous les matins chez Aurélien Bellanger. Quelque chose de désabusé, de désenchanté, d'amusé ou les rapports à la culture sont troublés.
Il faut donc jouer ensemble pour ne pas perdre pied et surtout toujours avec délicatesse faire le tri. C'est ce que cette génération, pas si loin de la mienne semble avoir du mal à faire, baignée qu'elle est dans la relativisme, dans le tout valant tout.
Combien de temps encore cela va durer ? Je tente comme enseignant de lutter contre cela et la promenade de Simon Boudvin avec ses étudiants semble me prouver qu'il fait la même chose.
Au travail, camarade !
(je n'ai pas retrouvé la carte postale de la maquette de l'architecture de Anselmi...)













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