Cette obsession à venir cadrer la ville de quelques points de vue particuliers interroge bien les rapports qui existent entre une ville, un objet urbain et sa construction d'images. On pourrait penser que les photographes de cartes postales, en affirmant année après année, d'éditeur en éditeur, ces quelques cadrages identiques, font preuve d'une sorte de légèreté ou même de fainéantise du regard face à la ville. Sans doute qu'il y a un peu de ça, la concurrence entre les maisons d'éditions obligeant à avoir dans le catalogue le même modèle de vue.
Mais sans doute aussi que la ville elle-même doit dire d'emblée comment elle doit donner ses spécificités, ne laissant aux cadreurs, pour qu'elle soit vue, pas d'autre choix que de venir là !
Voyons cela :
Nous avons donc deux cartes postales de deux éditeurs différents Tito et Cap prises du même endroit, un étage au carrefour de la rue de la République à Royan. Tout le monde remarquera facilement que quelques mois, quelques années séparent les deux cartes postales et l'affranchissement nous le prouve aussi. 1955, 1957.
La ville de Royan est prise sur la première carte postale alors qu'elle est toute neuve, toute jeune et de beaux détails nous montrent que certaines boutiques ne sont pas tout à fait terminées mais enfin, la vie est là dans la ville reconstruite. Il est aisé de comprendre que le photographe vient là car il sait que, même si Royan est une ville balnéaire, il y a ici dans cette expérience urbaine, un marché à prendre et qu'on vient à Royan dans ce début des années 50 autant voir la ville que la mer.
Il faut donc éditer des cartes postales qui montrent ses nouvelles rues, ses nouvelles constructions pour que, les habitants, les habitués de la ville d'avant-guerre et les nouveaux arrivants puissent communiquer cette renaissance urbaine et ce qui fonde sa modernité. Mettons-nous à la place de quelqu'un qui aurait connu Royan en 1937, venant s'y baigner et qui aurait après la guerre et la période de la reconstruction remis les pieds pour la première fois dans cette ville dont rien, absolument rien ne lui permettra de s'y retrouver !
Quel choc ! Il devait bien y avoir à Royan une avidité à montrer, envoyer, diffuser ce renouveau.
On pourrait affirmer dans une forme à rebours de l'histoire que Royan vit alors son "effet Bilbao" !
Ce qui fait ce renouveau sur ce point de vue c'est la courbe de la rue de la République bordée d'immeubles modernes dont sur sa gauche, les brises-soleil viennent inventer un rythme régulier aujourd'hui totalement défiguré par les marchands de vérandas. Il faudra nettoyer tout cela rapidement !
Mais la rue de la République elle-même dans sa largeur, dans la disposition de ses voies, avec sa contre-allée et ses emplacements de stationnements prouve que les urbanistes ont ouvert Royan à l'automobile et à sa fluidité, faisant de ce moment urbain, par un grand ordre architectural, une promenade automobile, une forme de cruising comme disent les américains.
Les arbres, un peu frêles mettront sans doute trop longtemps à faire de belles ombres rafraîchissantes pour une population qui avait connu un Royan plus resserré, plus ombragé avant guerre...
Mais alors même que la ville se précise, la carte postale Cap nous offre une curieuse disposition du regard en inventant la carte postale floue !
Car l'œil averti aura remarqué au centre du cliché une zone manquant singulièrement de netteté qui n'appartient sans doute pas au genre "photographie d'art " !
Ce flou mécanique créé par un contact irrégulier du papier et de son image s'exerce au centre et finalement, vendue telle quelle la carte postale a trouvé un acheteur qui ne dit rien de cette transformation dans sa correspondance. Difficile d'établir si ce flou est l'expérience unique de cette carte postale ou s'il a affecté l'ensemble de la série chez l'imprimeur !
Comme ce flou ne s'exerce pas directement sur les constructions, il a pu passer pour un flou de mise au point et ne pas trop gêner l'acheteur qui, dans sa hâte à correspondre et dans l'offre généreuse des marchands a pu passer à côté du défaut.
Une ville dans sa modernité peut donc être si nette à son projet urbain que le flou photographique de sa diffusion ne l'altère pas. Comme si la nouveauté d'une architecture réussissait l'exploit de mettre au point la photographie...
Royan, tu es vraiment la plus belle ville du Monde !
Sans doute aussi, que la connaissance de ce point de vue, sa grande diffusion répétée permettaient de croire en une image connue et reconnue par le récepteur de cette carte postale qui ajoutait à l'image la netteté disparue.
On peut toujours rêver.
On peut toujours rêver de Royan, image sur image, espoir sur reconnaissance, renaissance sur vandalisme, rêver Royan à nouveau comme aux premiers jours.
Finalement c'est bien ce que je fais dans les rues de Royan, j'y ajoute, j'y projette sur son flou actuel la réalité maintenant rêvée de son passé superbe.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire