Parce que l'évidence claque comme une porte devant notre jugement.
Pourtant c'est certain, il y a de belles images :
Cette carte postale de Suresnes est certes un peu plus ancienne que celles que je publie d'habitude mais avouez que sa beauté plastique est grande. René Gallois semble en être l'éditeur et le photographe. Il précise même René Gallois artisan...
La place de la Société des Nations et l'avenue de Sully font les espaces de cette cité-Jardin. Mais l'image produit un effet d'espace, une clarté des vides, une jubilation de la minéralité des lieux très étonnants. D'abord le resserrement du ciel sur le milieu de l'image vers le porche.
Puis la trouée fortement éclairée de ce dernier offrant dans une netteté incroyable une fuite vers le fond de l'image. La netteté d'ailleurs de l'ensemble est époustouflante ! A cet espace blanc du ciel répond celui régulier du sol seulement parcouru dans son étalement par la ligne plus sombre des bordures de trottoirs et l'ombre délicate des bâtiments que nous avons dans notre dos.
Puis vient sur ce décor planté la belle topographie hasardeuse mais si régulière des trois personnages du premier plan séparés à exacte distance les uns des autres.
A gauche un jeune homme à la casquette, main sur la hanche semble viser l'enfant à vélo à son opposé. Ce dernier, le plus jeune des trois garde sa distance avec son aîné qui trône fièrement au quasi centre de l'image. Une fois encore nous pourrions gloser sur cette distance entre l'enfant et le photographe des cartes postales : entre respect, désir de voir, désir d'être sur l'image et besoin du photographe d'animer sa vue.
Culotte de golf, casquette à larges bords suffisent à dater cette image au premier coup d'œil. Les silhouettes sont bien marquées par leur époque. Mais je suis à nouveau immédiatement noyé par les sentiments d'un temps passé, d'une nostalgie aggravée par ma connaissance des événements à venir. Je sais que ce que vivront ces jeunes adultes et enfants sera d'ici peu effroyable. Comment ces gamins vivront-ils leur adolescence sous l'occupation ? Comment ce décor ici magnifié deviendra peut-être la géographie d'un drame, d'une jeunesse volée ?
Je suis un incorrigible calculateur et toujours devant les images anciennes je mesure par les dates les âges des personnages face aux événements de l'Histoire. C'est une orientation terrible qui ne laisse que peu de chance au vrai bonheur suspendu des images. Une lucidité affreuse mais sans doute nécessaire à ma conscience d'un temps suspendu qui ne vaut rien face à l'implacable Histoire. Et ici la Société des Nations parcourue sous la forme d'une place par des enfants en bicyclette est une ironie. La paix attendue et rêvée que pourrait porter dans sa construction d'espace cette place et son architecture ne durera que le temps de cette carte postale.
Sans doute que René Gallois le savait lui.
Pourtant il a rendu hommage à cette architecture et à ceux pour qui elle était destinée. Une architecture progressiste, une architecture sociale et belle parce que formée et montée autant de briques que d'espoir.
En haut, une fenêtre est ouverte, une silhouette aussi nous regarde. Elle regarde cet espoir. Nous regardons aujourd'hui une image. Nous n'avons plus que cela.
Curieusement, on a quelques belles cités-jardins à Bruxelles (on n'a pas tout détruit o;) la cité-jardin Le Logis-Floréal, et La Roue à Anderlecht (où l'on a fait plein d'expérimentations techniques), la cité-jardin du Kapelleveld, près de l'hôpital Saint-Luc, la Cité-Diongre, à Molenbeek-St-Jean, dans le style architecture régionaliste d'inspiration cottage, la cité modèle (ou moderne, je confonds toujours...) de Berchem-Sainte-Agathe, avec aussi des noms de rues et de places très évocateurs d'autres "valeurs", valeurs de l'EDG. En général, s'y sont retrouvés les grands noms de l'urbanisme et de l'architecture belges de l'EDG. Comme L.-H. De Coninck, les Bourgeois, Huib Hoste, etc.
RépondreSupprimerMarie-Françoise VDB.