Albert Monier fait totalement partie de la mythologie de la carte postale. Reconnu, ayant eu un succès commercial et une reconnaissance esthétique certaine, il fut aussi un grand fabricant d'images que, un peu vite, certains qualifieront, un rien moqueurs, d'imagerie.
Il est fréquent dans le petit monde des collectionneurs de cartes modernes de trouver des amateurs de son œuvre cherchant avec passion ses cartes postales. Il y a les Monier et les Prestige.
C'est vrai que les cartes postales d'Albert Monier sont faites d'un Paris éternel et d'une France retenue dans sa ruralité un rien romantique, un rien terrienne. Son Paris, c'est celui des quais de Seine, des clochards célestes qui se rapprochent dans leur figure burinée des paysans du Massif Central. C'est vrai que cela peut paraître un rien compassé, un rien suranné, une France surjouée comme fabriquée pour des américains ou des français en mal d'une France justement, à cette époque, déjà en train de disparaître, au bord de sa transformation. En fait, ce que fait Albert Monier est bien plus complexe, il ne fait que retenir ce qui s'en va, ce qui est en train de s'évaporer.
Et tout n'est pas de sa faute. Oui, nous aimons aussi y croire encore au tournant des années cinquante à cette France dans laquelle nous nous reconnaissons. Car finalement, et même si cela peut paraître fabriqué, elle existait encore et vraiment cette France, celle de Jour de Fête de Tati (1949). Les clichés ne naissent pas de rien. Et ce n'est pas la faute de la multiplication des images mais de ce qui nous construit chacun comme un projecteur. Le regardeur est aussi (et pas seulement) quelqu'un qui envoie sur l'image un désir attendu dans lequel il souhaite se reconnaître. La brume sur la Seine au petit matin de mai, le paysan dans son champ au travail, les vieilles toujours touchantes, croyons-nous. Comme des chansons populaires, des rengaines entêtantes.
Pourtant, je fus étonné très vite dans mes recherches de cartes postales d'architectures modernes de trouver aussi des cartes postales d'Albert Monier représentant des monuments contemporains de Paris. Albert Monier signa de son nom des cartes postales de la Tour Montparnasse, du Forum des Halles, de la Maison de la Radio ou du Centre Pompidou. Rien d'autres à ma connaissance de ce Paris Moderne. Mais tout de même...quatre lieux, quatre monuments du doute moderne à Paris. Est-il mort trop tôt pour nous en raconter d'autres ? Et comment a-t-il construit son regard sur ce Paris nouveau ? Tendrement. Tranquillement. Aucune accusation, aucune détestation. Il cadre avec simplicité et solidité les architectures, les donnent à voir aussi sans effet particulier, avec une originalité adoucie qui ne veut pas prendre le dessus sur l'événement architectural. La Tour Montparnasse est celle qu'il photographia le plus ou, du moins qu'il édita le plus, lui donnant la chance de son expression, de sa puissance. Monier la regarde cette tour, il la regarde et tente de comprendre son surgissement. Il ne nous fait pas le coup du vieux Paris contre la modernité, il ne nous fait pas le coup d'une menace. Il saisit surtout sa verticale sans arrogance. Ce qui m'étonne aussi c'est que Monier photographie son Auvergne ou le Paris intra-muros mais rien sur l'espace intermédiaire, rien sur ce paysage mouvant de la banlieue, des cités, de ce mouvement d'une France bouleversée dans ses frontières intérieures pendant cette période. Il est là ou là, pas entre les deux. Cette position est aussi un peu la preuve de sa radicalité photographique, de celui qui s'excusera presque toute sa vie d'être un photographe de cartes postales, voyant dans cet art à la fois la chance de sa multiplication et la déchéance de cette usure.
Difficile de se prendre pour un artiste qui travaille en photographie quand on fait des photographies multipliées, égales, partout, sur des tourniquets. Difficile même si Monier avec génie et raison considérait les tourniquets comme une exposition vivante, sur le trottoir, rencontrant les doigts des regardeurs pointant les images. Wahrolien il était mais sans le dédain chic du monde ou la mauvaise foi. Il eut la seule reconnaissance qui vaille : celle d'être populaire.
Albert Monier était un artisan, un de ceux qui fabriquent des tabourets paysans, qui développe ses photos au sens propre dans l'eau de source du village, dans le bol de soupe.
Un besoin d'image ? Un outil, du travail et soudain la poésie arrive dans la naïveté du bien faire, du labeur, d'une simplicité d'une construction solide. Et, pour finir, une autre chose m'étonne. Dans la bibliothèque de mon d'école des Beaux-Arts de province, je trouve au rayon photographie le catalogue* sur l'œuvre de Monier. Je m'aperçois que mon étonnement dit aussi quelque chose de mon rapport à ce travail. Il y a donc eu un moment où ce travail de photographies fut reconnu comme devant être mis sous les yeux des jeunes artistes. Le catalogue date de 1983. Je crois qu'aujourd'hui, étrangement, cela serait impossible. La France de Monier serait perçue comme politiquement incorrecte, trop française, trop idéalisée, d'un idéal culturel enfoncé dans des sillons labourés, dans l'altérité chaleureuse. Car Monier n'allait pas en safari à la campagne ou dans Paris comme le font certains photographes contemporains aujourd'hui. Monier regardait la France. Lui, il en venait.
Il regardait la France.
Plus personne ne la regardera comme lui. Je suis de ceux qui le regrette et qui continue de regarder ce pays-là précisément. Il faut, certes, le faire avec lucidité mais je n'en ai pas non plus à m'en excuser.
L'une des cartes postales les plus célèbres de Monier est la poignée de main. C'est simple, efficace, tout est dit, tellement que cela deviendra un pensum. Pourtant j'y retrouve la poignée de main entre l'agriculteur et l'ouvrier que dessina Le Corbusier pour Bézard à Piacé. C'est bien de ces deux mondes qui se touchent qu'il faut extrapoler la place de Albert Monier dans l'Histoire de la Photographie. Il ne vous sera pas difficile de comprendre ce que je veux dire.
Portait sans visages, édition Albert Monier, diffusion Théojac, PP 10701, on notera les changements de pluriel dans le titre et bien entendu la couleur...
Albert Monier osait signer ses images. Mais...Sur une édition Cap-Théojac du Forum des Halles, la signature de Albert Monier est bien sur l'image mais au dos, l'éditeur précise que la photographie est de J.L. Goulart...Qu'en penser ? Albert Monier était-il devenu un prête-nom ? Une marque ? Étrange.
Je vais donc vous donner à voir quelques unes de mes cartes d'Albert Monier présentes dans ma collection. Je mélange un peu, sans vraie volonté. Vous regarderez cet article comme si vous étiez devant un tourniquet. Les images tournent sur leur manège et votre doigt pointera votre désir. Laissez-vous faire.
*Albert Monier, Photographe.
édition du Musée d'Aurillac, exposition 1983.
ouvrage préparé par Juliette Bruel, Jean-Pierre Lacoste, Annie Philippon,, Françoise Pointard avec le concours d'Albert Monier.
Visage du temps, A709, Les Photographies Albert Monier :
Albert Monier, En Auvergne. Hommage à la fidélité du boulanger des montagnes, éditions L.P.A.M, A10.724
A 620, Environs de St-Flour, le barrage de Grandval
A 711, Autrefois... éditions L.P.A.M
A 703 Une pensée pour Candide
A717 Déjeuner de Soleil (1958)
Paris, Forum des Halles, (architectes : Vasconi et Pencreac'h) Sculpture de Julio Silva, Cap-Théojac éditeur Cap-Théojac, photo de J.L. Goulart...
A 760, Le chemin du Temps, (sujet existant en gravure décorative format 47x58 sic)
300, Paris, Contre-jour sur la Seine, vers le Pont Marie, photographies Albert Monier
403, Paris, la toilette matinale, éditions L.P.A.M
183, Sous les ponts de Paris, photographies Albert Monier, expédiée en 1955
10.362 La Bourboule, le chemin des fées, photographies Albert Monier
1054 les vents grondaient en l'air les plus sombres nuages nous dérobaient le jour pêle-mêle entassés, les abîmes d'enfer étaient au ciel poussées. Jean de Sponde. photographies Albert Monier, Théojac.
Quelle poésie se dégage de ces photographies... du grand art ... j'aime sans retenue
RépondreSupprimerla recherche d'Albert MONIER rejoint le travail photographique d'Eugène ATGET avec la diffusion en +...
RépondreSupprimerBelle découverte, merci.
Bonjour David , je viens de signer pour Port - leucate . Je connais celieu INCROYABLE .. souvenir de vacances . Années 80. A bientôt . sandrine de nogent
RépondreSupprimerSalut david , je viens de signer pour Port - leucate . Souvenirs de vacances . années 80. Merci pour cette information . A bientôt . Sandrine de Nogent .
RépondreSupprimerBonjour David , je viens de signer pour Port - leucate . Je connais celieu INCROYABLE .. souvenir de vacances . Années 80. A bientôt . sandrine de nogent
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