Bien entendu, il existe des cartes postales pour ceux qui connaissent déjà les lieux. Des cartes postales dont l'objet premier n'est pas tellement de faire découvrir au correspondant un espace à lui inconnu, mais bien des cartes postales voulant le montrer sous un angle inusité. Le rôle du photographe alors est bien de regarder ailleurs, c'est-à-dire de permettre la reconnaissance, la complicité entre le regardeur et l'expéditeur mais aussi de prouver là une originalité particulière, une forme inattendue de ce qui est connu. Souvent cet angle est perçu comme plus artistique, plus original, donnant surtout au photographe une place plus importante puisque sa présence est alors l'atout de l'originalité de cette image.
Il a vu ça lui, en quelque sorte. Et il le signifie.
En voici deux exemples sur un objet architectural iconique : Ronchamp et sa Chapelle.
Il s'agit d'une telle icône qu'on peut en effet se demander comment il est encore possible d'en montrer une particularité, un terrain peu exploité, une vision fraîche. Le ou les photographes vont alors faire une chose incroyable, ils vont prendre le risque de ne pas montrer l'icône !
Regardez comment sur cette carte postale, le photographe resté anonyme (Bueb ?) tourne ostensiblement le dos à La Chapelle !
Quel culot !
Par contre, il ne tourne pas le dos au programme corbuséen puisque, ainsi, il nous montre l'un des abris du pèlerin sur la colline et il nous montre aussi sa situation dans le paysage. Il est déjà rare de voir des représentations mettant en avant ces petites constructions mais il est encore plus rare d'en voir une depuis ce point de vue. On pourrait en chanter le brutalisme tranquille et le toit végétalisé, on pourrait s'amuser de la polychromie ici éteinte par le noir et blanc mais mon œil quitte rapidement ces questions pour s'attarder sur le tas de terre fraîchement retournée qui vient là, comme une maquette de la colline de Ronchamp. Pourquoi diable avoir laissé ici ce tas de terre et pourquoi donc le photographe a cru intéressant de le cadrer ? Pour me faire écrire ? N'aurait-il pas pu simplement monter sur ce tas de terre et faire son cliché ? Est-ce là l'indice que tout cela sort de terre, que tout cela reste encore inscrit dans le chantier ou dans la rudesse radicale et franche du réel ? L'architecture se doit-elle, quand elle est sacrée, de dire quelque part son origine première et géologique ? Ce tas de terre serait-il un indice de la vanité du monde ? Allez... Je vous sens un peu réticent. Parfois, les choses sont là et c'est justement ce qui fait leur force. Être tas.
Et si nous osions encore plus, et si nous prenions un risque encore plus grand ?
Sur cette carte postale sans nom de photographe, on voit la colline de Ronchamp et en émergeant à peine, presque imperceptiblement La Chapelle de Le Corbusier. En effet sur la courbe naturelle de la colline un truc, un machin vient perturber la douceur de la courbe, prenant en quelque sorte la pente pour la poursuivre comme un tremplin minuscule, une cale pour un ciel bien trop vide. Trois registres de gris divisent l'image de manière horizontale : herbes folles au premier, forêt sombre au deuxième et grand ciel au troisième. L'écorchure au milieu, le pépin dans la bouche, le caillou dans la chaussure c'est bien La Chapelle. Pour faire une telle image, pour penser que celle-ci rencontrera ses amateurs, il faut savoir déjà de quoi est faite l'architecture. Il n'est plus nécessaire de la montrer vraiment mais il reste possible que son surgissement en soit aussi un signe. Ici, si l'on considère d'abord l'ascension de la Colline de Ronchamp et son pèlerinage comme le centre-même du projet architectural, alors c'est bien depuis ce point de vue, dans l'attente de l'ascension qu'il faudrait montrer La Chapelle. C'est bien ce qui est là-haut qu'il faut aller voir et surtout rencontrer. Aller à Ronchamp c'est parcourir l'espace entre ce point de vue et cette Chapelle.
Le chemin est l'objet de cette image.
Aucune de ces deux cartes postales, extrêmement originales, osées et révélatrices n'a cru bon nous donner le nom des photographes. C'est bien dommage. Mais on imagine aussi la réception un peu timide de ce genre de cartes, le pèlerin aura toujours tendance dans la masse des cartes postales montrant de face la Chapelle à en bouder les points de vue plus originaux. On y est allé, en effet. Il ne fait aucun doute que la rareté-même de ces cartes démontre aussi que ce que l'on demande à cet art c'est bien une forme de clarté de l'objet, sans risque de se tromper ou de préférer le cheminement du photographe à celui du visiteur. Chacun, en quelque sorte veut son Ronchamp et étrangement, celui-ci ne le sera que dans une communauté d'images et non dans une forme trop personnelle. L'erreur du photographe c'est de croire que ses particularités, son originalité sont recevables par d'autres. Garde ton histoire, garde ton chemin, je veux juste tenir dans mes doigts l'objet pour lequel je suis venu ici, en haut de la colline.
Pour revoir quelques articles sur Ronchamp :
...et tant d'autres....
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