jeudi 11 janvier 2018
Foutre le feu à Beaubourg
Il est toujours amusant et instructif de lire et revoir la réception d'un bâtiment au moment même où il apparaissait.
Car, même si mon âge me permet d'avoir vécu le surgissement du Centre Pompidou, ma maturité d'alors ne me permettait pas d'en mesurer toutes les oppositions et tous les enjeux politiques. Ainsi, lorsque je lus le livre Le Phénomène Beaubourg aux éditions Syros par Marie Leroy (en fait, il s'agit d'un ouvrage collectif) je fus à la fois perturbé, amusé, convaincu aussi parfois par son contenu qui pourtant n'est vraiment pas consensuel comme l'est notre époque aujourd'hui avec son recul de quarante ans (!).
Le texte évidemment de gauche s'oppose évidemment à la droite dirigeante. Il s'agit surtout d'une certaine autre idée de la diffusion de la Culture et donc bien entendu de sa définition. Ce texte s'oppose aussi au spectacle de l'adhésion forcenée à cet objet étrange et nouveau mais qui serait déjà pris dans le piège de la communication politique d'un groupe voulant faire descendre la Culture par le haut et vers un point centralisateur au lieu d'en diffuser, infuser et éparpiller cette Culture depuis le bas, comme si la Culture, celle avec ce C majuscule, devait bien entendu être essentiellement un instrument d'émancipation populaire et non une distraction bourgeoise que l'on offre au peuple en un seul lieu, de manière spectaculaire (jeu de l'architecture même), sorte, en fait de paternalisme culturel utilisant la transparence et sa modernité comme preuve de sa générosité. Un peu comme ce con de Clémenceau allant voir les poilus se faire crever. Une sorte d'amour encanaillé des braves, les braves étant ici les artistes, trublions du Monde, tenus, bien tenus dans ce que Marie Leroy appelle la "boîte".
On lit aussi l'influence nauséabonde de Guy Debord et le terme de "société du spectacle" est utilisé sans dire d'où il vient. Tant pis pour sa gueule à Debord et tant mieux pour nous.
Alors si j'en comprends parfaitement le sens et même adhère à certaines formules et opinions de ce texte, je sais aussi qu'il faut toujours reprendre l'histoire avec des pincettes longues et surtout ne pas bouder ce qui a été, au-delà de mes certitudes politiques d'aujourd'hui, une chance. J'ai aimé Beaubourg, je l'aime encore même si, je le dis souvent, il a en grande partie disparu aujourd'hui de son projet initial. Finalement, ce qui est touchant et grave, c'est qu'une partie de cette dénonciation est encore valable aujourd'hui. En même temps en quelque sorte.
Je vais donc vous donner quelques extraits qui, je l'espère feront peut-être bouger un peu vos lignes. Il serait bien d'entendre à nouveau Madame Marie Leroy sur ce qu'est devenu ce Centre Pompidou. Je n'ai trouvé aucune information sur cette auteure. On reviendra plus tard aussi sur l'effarante affaire Maeght évoquée dans ce livre mais dans un autre article.
Pour vous remercier de cette lecture, vous trouverez tout en bas une carte postale qui a donné le titre à cet article. Soyez courageux...:-)
Pour lire plus confortablement les textes, cliquez dessus.
Le phénomène Beaubourg, combat culturel 3
Marie Leroy
éditions Syros, janvier 1977
un euro chez un bouquiniste.
Et voici :
Il serait aisé de critiquer et commenter cette carte postale en la comparant au texte ci-dessus et d'y voir la représentation d'une politique culturelle faite d'images, dont le peuple, pauvre de lui, oserait se régaler.
Quoi ? Du cirque au pied du monument à la culture consensuelle pompidolienne ? Quoi ? Une fausse image de cette liberté offerte à l'expression, ici représentée par les Arts du Cirque si propices à nous faire croire à la Liberté et à la gratuité. Ici le cracheur de feu, celui là même qui fait sortir de sa bouche l'instant d'une flamme, la chaleur d'une critique donne cette illusion d'un spectacle permanent, ouvert, publique que le garçonnet suçant sa glace juste devant lui mais gardant sa distance accentuera comme processus d'une prise de pouvoir de la culture par la jeunesse. Oui...
Mais non...
La carte postale est signée d'Albert Monier, grand photographe de cartes postales, du Paris éternel, celui des cloches au bord de la Seine et des marronniers ombrageux des squares mais aussi de la Tour Montparnasse bientôt massacrée. On s'étonne aujourd'hui d'une piazza si animée alors qu'aujourd'hui elle est atone, vide, seulement remplie par la file d'attente des visiteurs se faisant fouiller leur sac. La foule doit maintenant passer par un goulet d'étranglement, nécessité de notre monde, rien à dire.
Albert Monier cadre donc bien ce nouveau désir, cette croyance en un Centre Pompidou ouvert, joyeux, populaire mêlant la fête du cirque et le nomadisme d'un chapiteau au sérieux du Patrimoine retenu dans la machine. Il a bien raison. Cela a existé. J'aime la maigreur de ce cracheur de feu, j'aime son torse nu face à l'architecture et à sa flamme, j'aime que je puisse rêver par l'écrasement du point de vue, qu'il désire foutre le feu à Beaubourg. Non pas que je désire cet incendie, loin de là, mais je ne peux éviter de tirer de cette image vers une fiction. Je suis de l'âge de ce garçon qui le regarde, qui suce sa glace...
Glace...Feu...
Vous aurez compris que je suis déchiré entre les deux. Il y a celui qui avale et celui qui recrache. Celui qui suce et celui qui souffle. Aujourd'hui, je ne saurais plus choisir.
On notera qu'il s'agit d'une édition Image In, que la photographie est signée d'Albert Monier mais que l'éditeur l'attribue à Grimberg pour l'Agence Image Bank...Voilà qui est curieux...La signature d'Albert Monier serait-elle finalement de même nature que celle de R. Mutt sur la Fontaine de Duchamp ? Une fiction ? Un rêve ? Un ready-made ? Un commerce ?
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