vendredi 30 juillet 2021

... Je serais un promoteur méchant

Ce blog (et la collection de David dont il est la vitrine) contient beaucoup de cartes postales de maquettes d'architectures. On sait que ce genre est surtout dominé par les cartes de maquettes de futures églises utilisant ce moyen pour communiquer sur la construction à venir et aussi pour essayer d'obtenir des fonds financiers.
Vous en trouverez beaucoup ici et on est très loin avec David de les avoir toutes publiées. On a déjà vu comment depuis ces documents on peut comparer avec la construction, comment la maquette et sa photographie fabriquent la future construction offrant souvent un regard de haut un peu plus abstrait que le réel et parfois un peu idéalisé. On a vu aussi comment les photographes fabriquent des intégrations dans le paysage de ces maquettes et parfois, un regard trop rapide permet vraiment de s'y laisser prendre.
Nous vous proposons de vous replonger par exemple dans ces quelques articles anciens :

Aujourd'hui, voici trois exemples de ces maquettes. On va voir que les promoteurs, les constructeurs utilisent ici la maquette de leur futures constructions comme moyen de publicité et de promotion de l'immeuble ou du quartier à venir. Aujourd'hui cela peut sembler un peu désuet mais il faut croire que la carte postale dans son usage, son coût très modérée et la possibilité d'ajouter au dos des informations et des slogans publicitaires était alors tout à fait justifiée comme mode de communication. La preuve ? C'est que nous en parlons encore aujourd'hui... La carte postale de promoteur était aussi distribuée comme une carte de visite permettant au dos d'y ajouter une numéro de téléphone par exemple lors d'une visite. On peut aussi étudier l'architecture de ce genre de construction, pas toujours visible ailleurs, ayant permis ici l'expression à la fois d'un programme, d'une forme et aussi d'une représentation.
Commençons avec cet exemple spectaculaire :



Alors avez-vous remarqué qu'il s'agissait bien d'une maquette ? Avouez que c'est bien fait cette intégration dans le paysage de la rue. Nous sommes à Toulouse, rue Alsace-Lorraine, regardant un immeuble à "usages professionnels actuellement en cours de construction." Il s'agit d'une édition Cely par Michel Pendares dont la photographie est de YAN (?). L'immeuble serait une réalisation de la S.C.I.A.L, nous ne savons rien de cet acronyme. I pour Immobilier ? Sans doute...
Quel travail tout de même remarquable (sans Photoshop) de réussir ainsi à poser avec réalisme cette maquette dans son environnement. L'éclairage est parfait, seul le niveau de finition de la maquette laisse entrevoir un souci mais seulement pour celui ou celle qui regardera avec attention. Sinon, l'illusion est là. On note une architecture assez simple mais efficace qui sait user du coin des rues pour ouvrir largement son rez-de-chaussée. Est-il encore debout cet immeuble à Toulouse...Allons voir !




Oui ! Toujours là et bien reconnaissable. Il s'agit des Galeries Lafayette de Toulouse. On trouve facilement des noms d'architectes, René Mialhe et André Dubard de Gaillarbois et une date de construction (1962) ce qui étonne un rien au vu du style de cette façade. Certes, les autres façades des galeries semblent un peu plus dans l'air du temps mais restent un peu timides tout de même pour une construction du début des années soixante. Surtout que vous devez vous souvenir des somptueuses coquilles de Reims publiées ici, il y a bien longtemps maintenant et  qui sont également de André Dubard de Gaillarbois, architecte. Le contraste est saisissant.

Pour revenir à Toulouse, on s'étonne donc que la carte postale n'indique pas les Galeries Lafayette mais reste peu précise avec "un immeuble à usages professionnels". Cette construction serait-elle alors non attribuée dans son usage au moment de la construction ? Et à qui diable était-elle adressée ? De futures investisseurs voulant intégrer ces locaux ? On note aussi que le bas de l'immeuble fut remanié et que la maquette semble finalement assez peu précise. Reste que cette carte est assez émouvante dans la manière dont on faisait usage des maquettes et des cartes postales pour idéaliser un peu un programme mais surtout pour le donner à voir et le promouvoir. Techniquement, c'est assez bluffant.
Beaucoup moins bluffant maintenant :




Cette carte postale promotionnelle nous dit tout dans son recto et son verso. D'abord la laideur absolue de son architecture et une certaine idée de l'illusion qui va de la plante verte collée au fond de l'image à un fond bleu désespérant pour imiter le ciel. Mais en plus, la carte postale joue à être une carte postale. En effet, le verso nous montre une fausse correspondance manuscrite mais bien imprimée, comme si une amie faisait semblant de vous écrire et de vous chanter la beauté d'une "secteur agréable et commode". 




Nous sommes donc à Rouen, dans le quartier Saint-Sever avec un ensemble immobilier qui porte le très beau nom de "square méridienne". Et à ce prix-là, vivre dans un truc moche mais moche, c'était une affaire. J'avoue n'avoir pas pris le temps de chercher le ou les architectes, je ne voudrais pas les blesser et leur rappeler de mauvais souvenirs. Restons sur l'humour de ce personnage en plastique et de son parasol sur sa terrasse. Vous le voyez ?

Mais nous pourrions aussi avoir une sorte de tendresse pour ce genre de document, un peu oublié des archives mais qui pourtant raconte aussi quelque chose de l'histoire du logement si ce n'est de l'architecture. L'ensemble existe toujours, avec d'ailleurs le même choix d'une polychromie de façade... audacieuse mais l'ensemble est pris dans un îlot et reste difficile d'accès pour la caméra de la Google Car. Voilà ce qu'on peut en voir : 




C'est, finalement assez représentatif de ce genre de productions très privatives. On note que cette carte postale n'en est pas vraiment une puisque si elle en reprend les codes, elle n'en a bien évidemment pas la possibilité d'usage. David me signale en souriant que c'est là l'une de ses plus anciennes cartes dans sa collection Boring Postcard. Qui sait... le bonheur y est certainement possible.
Pour finir, voilà une énigme :




Cette carte postale nous montre donc une maquette d'un ensemble de logements dont le verso devrait nous permettre une localisation aisée. Pourtant, malgré nos recherches, nous n'avons pas réussi à localiser ce quartier. A-t-il seulement été construit ou a-t-il été si remanié qu'il est méconnaissable ? Ici, en tout cas, on ne sent pas un désir très fort de rendre cette maquette très attractive, c'est le moins que l'on puisse dire. Ciel noir, flou presque partout, tirage assez pauvre, noir et blanc, et mauvaise définition du quartier alentour, aucun désir d'intégration de la maquette pour donner envie d'aller voir le quartier. Au verso, pourtant la SECINOR fait ce qu'elle peut pour écrire un texte donnant au moins l'envie de penser pendant les vacances à un changement de vie qui aurait lieu vers cet ensemble économique et on remarque que cette fois, cette carte postale a bien été expédiée en 1965. La carte ne nous informe donc pas sur le photographe, le maquettiste ou encore le photographe chargés de faire ce document de communication. On remarquera le portique donnant sur un ensemble très dense avec, semble-t-il, un espace intérieur. Quoi en dire d'autre ? L'architecture depuis cette vision reste difficile à analyser et encore plus à critiquer. Comment les promoteurs de ce quartier ont-ils pu penser qu'une telle représentation de leur ensemble pourrait donner envie de venir y vivre. L'argument financier devait alors apparaître comme le plus légitime.
"Si je devais être un promoteur immobilier, je serais un méchant." voilà comment Louis m'expliqua sa position. Certes, ces documents ne disent rien des politiques de construction ou d'une époque peut-être moins avide que la nôtre. Certes, la promotion immobilière est souvent d'abord faite d'un désir de retour sur investissements et moins d'un désir d'urbanisme ou d'architecture. Il faut flatter. Certes, il doit être amusant aussi d'inventer des projets, d'avoir l'ambition de construire et de prendre le risque d'investir. Il y a ici dans ma ville des projets immobiliers dont les pancartes furent plantées pendant au moins cinq ans puis ont disparu. D'autres ont posé un Algeco d'accueil devant l'emplacement du futur projet et aujourd'hui l'Algéco est abandonné à son tour. Sans doute qu'il ne doit pas être simple de construire, de convaincre des acheteurs et surtout des prêteurs. 
Alors ces cartes postales promotionnelles ont l'atout de nous laisser croire à un réel, de nous montrer la genèse d'un espace, d'une certaine forme d'avenir. Ce qui advient réellement ensuite, nous, amateurs d'images et d'histoires nous pouvons aussi le construire. Il nous suffit de planter nos yeux sur ces maquettes pour nous laisser y croire et qu'importe alors le réel. C'est aussi ça l'architecture.
Soyons méchants.
Walid Riplet.

Je signale en fin d'article la Chronique Corbuséenne 64 de David sur les maquettes d'architectures qui peut compléter cet article :



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