lundi 12 juillet 2021

Kraftwerk et la robotique de banlieue

C'est assez représentatif de ce qui peut vous arriver aujourd'hui si vous suivez le fil de vos découvertes, les unes après les autres, vous amusant de ce que vous découvrez. Alors que je cherche pour un article à venir ce que j'ai comme architecture de Goussainville, je retombe sur ces deux cartes postales de Robots-Music que j'avais rangées dans mes classeurs "belles images", il y a longtemps, très longtemps, dans une galaxie très lointaine :


J'ai toujours beaucoup aimé ces deux cartes postales, leur trouvant ce mélange de futurisme, de Disney World ou de cinéma de science-fiction de série Z. Robots-Music est un groupe d'automates qui jouent de la musique et qui est défini par la carte postale de la sorte :



Celle en noir et blanc est une édition Yvon, celle en couleur n'a pas d'éditeur défini. J'apprends donc que ce groupe Robots-Music est l'œuvre de Monsieur Diomgar qui vivait à Goussainville. Je m'arrête sur ce simple rapprochement de ville et me demande si ce créateur d'automates avait bien pu connaître ce morceau urbain de sa ville, Goussainville :https://archipostalecarte.blogspot.com/2019/08/au-petit-matin.html



Ou ce petit mais si typique de l'époque, Lycée Technique avec son 1% artistique à l'entrée.
Bien entendu l'éditeur Lyna (écrivez-moi) ne nomme pas l'architecte de ce Lycée qui ne semble pas proposer grand chose de bien palpitant en architecture sinon, justement, son incroyable capacité à ressembler à notre imaginaire du Lycée Moderne des Trente Glorieuses : petits volumes, murs rideaux et préfabrication lisible sur les façades. Est-ce que l'ingénieux Monsieur Diomgar avait été cherché dans ce lycée quelques aides techniques ou, au contraire, a-t-il eu plaisir à montrer son sens de la mécanique et des automatismes à des élèves surpris par son bricolage très bien mené et efficace. 

Mais.
Mais tout pourrait s'arrêter là s'il n'y avait la magie de l'Internet et des témoignages partout disponibles. En fouillant sur ce Robots-Music, je tombe sur un superbe témoignage, une superbe histoire qui donne à cet ensemble une réalité tout autre. Je me suis permis de copier ce témoignage depuis le site https://vivonzeureux.fr/Pages/robotsmusiclivredor.html. Il nous est donné par Frédéric Gerchambeau qui raconte sa rencontre croisée avec le groupe Kraftwerk et le Robots-Music !
C'est génial comme histoire.
Certes, le texte est un peu long mais les amateurs de musique électronique se régaleront de ce souvenir. Je remercie donc vivement le site VIVONZEUREUX et Frédéric Gerchambeau qui nous permettent de regarder ses robots de Goussainville d'un autre œil :

Je suis heureux que le voile ait été levé à propos des Robots-Music. On peut même parler de secret. Car il est clair, pour des raisons finalement très humaines, que les membres de Kraftwerk ne tenaient trop à ce que la source principale de leur inspiration conceptuelle soit révélée. Mais puisque les temps ont changés et qu'il est maintenant possible de parler librement des Robots-Music, je vais témoigner d'un de leurs concerts et de certaines autres choses.
Qu'on me laisse cependant me présenter afin qu'on sache tout le sérieux de mon récit. Je m'appelle Frédéric Gerchambeau, 45 ans à ce jour, et auteur, entre autres, d'un site consacré aux gloires de la musique électronique des années 70, site dont voici l'adresse : http://perso.wanadoo.fr/frederic.gerchambeau/melotronies-1.htm  
Voici donc mon témoignage (enfin, ce que ma mémoire me permet d'en écrire. Tout ceci est maintenant si loin... ) : Nous sommes en 1968. J'ai 7 ans et la scène se situe à Paris, juste devant la Gare de Lyon, celle-là même dans laquelle aura lieu (dans le restaurant "Le Train Bleu") la fameuse conversation qui mènera à la création de l'album "Trans-Europe Express", album dans lequel apparaîtra pour la première fois la notion (toutefois encore un peu déguisée) d'homme-machine chez Kraftwerk (dans leur chanson "Les Mannequins"), n'y voir là aucun hasard. Ce que je vais maintenant décrire est LE moment-clé de l'amitié musicale de Ralf Hütter et de Florian Schneider. Pour moi, ce matin-là d'un samedi un peu frais, les 2 futurs fondateurs de Kraftwerk sont juste deux jeunes rockers un peu bizarres debout à côté de moi et parlant une langue incompréhensible. Eux voyagent en France et ne sont à cette époque que des musiciens ayant une solide formation classique mais s'en échappant en jouant toutes sortes de musiques expérimentales. Moi, je suis avec mon papa et nous allons chez des amis à Lyon. Or le train pour Lyon a un léger retard. Pour passer le temps en attendant le train, mon papa m'a emmené voir un étrange concert qui se déroule sur la petite place située devant la gare. Ralf et Florian, qui apparemment attendent le même train que nous, ont eu la même idée que mon papa pour passer le temps. Et nous voici donc à quatre, Ralf, Florian, mon papa et moi, devant 3 robots-musiciens qui jouent des tubes de l'époque (ne me demandez pas de me souvenir lesquels !). Autour de nous, les gens passent, pressés ou chargés de bagages. Nul ne s'arrête pour écouter les 3 robots-musiciens. Non, il n'y a que nous quatre. Et encore est-ce parce que notre train a du retard ! Je ne pourrais plus bien décrire dans le détail les machines musiciennes qui jouaient devant nous. Je me souviens néanmoins que les voir et les écouter était étrange et fascinant. Toutefois, plus étrange et fascinante encore fut la réaction des 2 jeunes rockers devant ce spectacle. Celui qui avait les cheveux les plus longs (Ralf Hütter me semble-t-il) se met à danser une espèce de lente et hallucinante danse robotique tandis que son compagnon (Florian Schneider donc) mime les mouvements raides et répétitifs d'une machine-outil robotisée.
Plus tard, le train pour Lyon enfin à quai, nous nous apercevons mon papa et moi que les 2 jeunes rockers voyageront dans le même petit compartiment que nous. Cependant un ami français les a rejoint. Ce qui fait, cet ami ne parlant visiblement pas leur langue incompréhensible, qu'ils lui parleront pendant tout le trajet en français, langue que je commence à bien connaître malgré mes tout juste 7 ans. Je ne me souviens plus, bien évidemment, de toute la discussion que les trois amis eurent durant ce trajet Paris-Lyon. Mais, par bonheur, tout une partie est encore intacte dans ma mémoire. (Ralf, à l'ami français)
- Oh, c'est vraiment dommage que tu n'aies pas pu venir avant. Florian et moi, nous venons d'assister à un concert extraordinaire ! (Florian, qui confirme, enthousiaste)
- Ah ça oui ! Juste devant la gare. Le groupe s'appelait les Robots-Music. (L'ami français, étonné)
- Les Robots-Music ? Ah ? Je n'ai jamais entendu parlé d'eux... (Ralf)
- A vrai dire, nous non plus... Mais c'est sûrement parce que ce n'est pas un vrai groupe... (L'ami français, de plus en plus étonné)
- Comment ça, ce n'est pas un vrai groupe ? (Florian, hilare)
- Ce sont des robots ! Pas des humains ! (Ralf, tout aussi hilare)
- Des hommes-machines musiciens en quelque sorte ! (L'ami français, déçu)
- Bah, je ne vois pas l'intérêt qu'on peut porter à des mannequins jouant mécaniquement de la mauvaise musique. Moi, je ne crois qu'à de vrais bons musiciens bien humains jouant de la vraie bonne musique... (Florian, pensif)
- Non, après avoir vu et entendu les Robots-Music, je crois maintenant juste le contraire. Le musicien doit se changer en robot et jouer une musique robotique pour être vraiment de son temps. (L'ami français, atterré)
- N'importe quoi ! Quels musiciens seraient assez bêtes pour imiter sur scène des robots et jouer de la musique au tempo mécanique ? (Ralf, dans une pose extatique)
- Nous ! Hein, Florian ? Tu me suis sur ce coup-là ? (Florian, du feu dans les yeux)
- Oui, nous ! Désormais, nous sommes des mannequins, des robots ! (Ralf, adoptant déjà les mouvements d'un robot)
- Nous sommes les hommes-machines ! Mais il est trop tôt pour le dire. Le monde n'est pas encore prêt. Il faut le préparer peu à peu à cette vérité, faire les choses en douceur. Je vais quitter mon groupe actuel, Bluesology (et qui s'est d'abord appelé, je l'ai appris plus tard, The Phantoms puis Rambo Zambo Bluesband) pour en fonder un nouveau. (Florian, d'un ton ferme)
- Et moi pareil ! Je vais cesser de jouer du jazz dans des groupes aussi volatiles qu'inconsistants. En route vers la robot-music ! Oui, formons un nouveau groupe... que nous appellerons comment ? Juste à ce moment-là, le train passe devant une centrale électrique... (L'ami français, exaspéré)
- Regardez donc devant quoi nous passons ! Partis comme vous êtes, vous n'avez qu'à vous appeler Les Centrales Electriques ! Hihihi ! (Ralf, pas démonté pour deux sous)
- Excellente idée ! Qu'est-ce qui alimente en courant les robots ? Les centrales électriques, pardi ! Alors d'accord, un jour nous nous appellerons Les Centrales Electriques (Kraftwerk en allemand). Mais c'est encore un tout petit peu tôt pour ça. (L'ami français, sarcastique) - Mouais, mouais, vous vous dégonflez, c'est tout... (Ralf, la main sur le coeur)
- Non, non, c'est promis, Kraftwerk sera notre prochain nom de groupe. Mais le temps de Kraftwerk, de Wir sind die Roboter et de Man-Machine n'est pas encore venu. Nous devons d'abord fonder un groupe qui annonce Kraftwerk sans être Kraftwerk ni jouer du Kraftwerk. Un groupe qui s'appellerait... Bon, posons les choses... Quand quelqu'un est un tout seul, il fait ce qu'il veut en musique, pas de problème... Mais dès qu'on dépasse un, il faut une organisation... Notre nouveau groupe s'appellera donc Organisation ! D'accord, Florian ? (Florian, en pleine méditation)
- D'accord. Mais il ne faudra pas qu'Organisation dure trop longtemps. On fait juste un disque sous ce nom-là et après on passe aux choses sérieuses, je veux dire à Kraftwerk. J'ai déjà hâte de faire de la musique avec tous ces nouveaux instruments électroniques qu'on commence à fabriquer... (Ralf, très intéressé)
- Tu veux parler des synthétiseurs ? Oui, ce sera le son parfait pour l'avènement de l'homme-machine. Enfin, de sa musique en tout cas... Promis aussi, un jour nous serons les rois des synthés. Il n'y aura personne au-dessus de nous !
Voici donc ce dont je me rappelle des Robots-Music et de cette conversation entendue en 1968 entre 2 jeunes rockers et un de leurs amis français. J'avoue que tout ceci me serait à la longue sorti de la tête si en 1974 n'avait pas paru un album fantastique et révolutionnaire, "Autobahn". Et de quel groupe ? Kraftwerk ! Alors tout m'est revenu, les 2 jeunes rockers, le train, la conversation. Pouvais-je dès lors faire autrement que de devenir un fan absolu et éternel de Krafwerk ? En fait, j'ai même fait mieux. Non seulement je possède toute la discographie de Kraftwerk mais en plus je joue des synthétiseurs !
6 juillet 1981, Studio Gabriel à Paris. Moi et un très bon ami nous étions arrivés les tout premiers pour assister au concert de Kraftwerk qui devait avoir lieu dans cet endroit ce soir-là. Devant la porte du studio, il n'y avait personne d'autre que nous. Mieux, la porte était largement ouverte. Alors, après avoir hésité, nous sommes entrés. Nous avons descendu un long plan incliné avant de nous retrouver au beau milieu de la salle. Sur la scène, des roadies très experts commençaient à monter le studio Kling-Klang. Ils nous voyaient, là, tout seuls au centre de la salle, mais personne ne nous a rien dit. Alors nous sommes restés à la même place un bon bout de temps. Le montage était presque achevé quand Ralf Hütter a surgi sur ma droite et est venu s'arrêter à ma hauteur. Je l'ai regardé et je n'ai rien dit. Il m'a regardé et il n'a rien dit. Puis il a continué sa route vers la scène sans se retourner ni rien dire aux roadies à notre propos. Je pense qu'il a dû nous prendre pour des gars du Studio Gabriel ou quelque chose comme ça. Puis, il est revenu sur ses pas et m'a regardé à nouveau. Il m'a alors dit tout bas "Robots-Music, chhhhuuutttt..." en posant un doigt sur ses livres. Mon ami n'a jamais compris et je ne lui ai jamais expliqué...
Frédéric Gerchambeau.

Ah ! la belle histoire... Et comme j'ai commencé par des robots musiciens, je vous en donne une autre version par une autre créateur, cette fois c'est Monsieur Paul Rieger le créateur de cette petite troupe musicale. Ce dernier nous indique que là aussi un "cerveau électronique" anime l'ensemble. Espérons qu'il produisait aussi une musique électronique. La carte postale n'est pas datée et ne nomme pas d'éditeur.





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