L'imaginaire commun du restaurant français est fait de quelques références populaires que nous partageons tous (pour ma génération du moins). Que ce soit le restaurant Le Tord boyaux de Pierre Perret ou encore l'épique combat de l'huile d'olive contre la crème fraîche entre Bourvil et Fernandel dans La Cuisine au beurre.
Pour moi, le restaurant français, celui d'une gastronomie de bistrot familiale et généreuse c'est celui dans les Barbouzes où le seul énoncé des plats au menu du jour par la serveuse me fait encore saliver, tout comme l'appétit légendaire d'un Lino Ventura ne sachant quoi choisir et voulant tout. Ça sent la nappe à carreaux, l'assiette en faïence, la carafe en grès et le petit vin local. Ça sent une nourriture simple, bien cuisinée, revigorante pour laquelle on ne place pas sur le plat une fleur de bourrache avec une pince à épiler... Une cuisine où on "n'envoie pas les plats" mais "on les sert". Une cuisine où la serveuse ne vous fera pas la généalogie des ingrédients et de leurs transformations en croyant qu'elle alimente le désir alors qu'elle ne fait que communiquer, comme si le client avait besoin d'un mode d'emploi ou d'un cartel de deux pages à la manière d'une exposition d'Art Contemporain.
Un restaurant où le seul chef c'est le client.
Ici on saucera son plat sans remords d'abord parce que c'est bon, parce qu'on est venus pour manger et pas pour être au spectacle de l'ego d'un cuisinier et que la fonction de la nourriture si c'est aussi de vivre un moment de partage c'est d'abord de ne plus avoir faim en sortant du restaurant...
Mon imaginaire du restaurant français ressemble un peu à celui-là :
Des cartes postales comme celle-ci il y en a des centaines et il va de soi que c'est maintenant un objet de collections à part entière car, comme les menus eux-mêmes, ces cartes sont des documents populaires qui en disent long sur la manière d'envisager le repas. Le confort des clients est pris en compte pour dire aussi quelque chose d'un héritage de cet espace du repas. Les chaises en bois un rien paysannes, la vaisselle simple rassureront le client qui pourra en quelque sorte se retrouver dans se décor, se croire un peu chez la marraine, agricultrice dans le Lot, celle qui vous servira à 15h son confit car "avec cette route, vous devez avoir un peu faim".
Alors qu'elle pouvait être la réception d'images de restaurant offrant une modernité franche comme celle-ci ?
Nous sommes à la Cité Radieuse de Marseille dans le salon de réception. On est un peu loin de l'auberge familiale. Mais, bien entendu, pour arriver là, il n'aura pas suffit de garer la Goélette Renault ou la 403 sur le bord de la route. Il aura fallu accepter d'aller voir la maison du fada, de monter dans ses étages, d'attendre qu'on vous accueille à l'entrée puis, enfin, d'avoir accès au restaurant. Le filtre de la modernité aura prévenu le client. Ici, l'expérience culinaire est différente. Mais comment et quoi mangions-nous dans ce restaurant au moment-même de son ouverture ? Est-ce que, tout comme Lino Ventura, Corbu aura demandé qu'on lui glisse aussi, entre deux, s'il reste de la place, une petite paupiette...? J'en doute.
Les Aficionados de Corbu se demanderont pourquoi le mobilier ici, certes, moderne n'est pas d'une grande révolution, ressemblant à du mobilier de hall d'accueil d'une entreprise de Province. Mr Hulot aurait pu y jouer avec la mollesse des fauteuils en faux cuir. Les chaises en bois plié, autour des tables, semblent un peu plus intéressantes. Elles sont, si je ne me trompe pas, des chaises Diamant de René Jean Caillette. On est loin de la chaise paysanne et rustique de l'auberge ou du routier. S'asseoir là-dessus vous mettait-il en condition de manger autrement et surtout autre chose ? Fallait-il alors que la cuisine du restaurant de la Cité Radieuse, loin des préoccupations de la population habitant vraiment la Cité, soit une cuisine innovante, brutaliste, aventureuse ? Je ne sais pas.
Aujourd'hui on peut toujours manger là, dans ce restaurant. Je l'ai fait, il y a déjà longtemps maintenant. Pas grand chose comme souvenir.
Le restaurant porte maintenant le nom d'un film célèbre de Peter Greenaway : le ventre de l'architecte.
Je vous mets le lien. Allez-y et dites-nous comment aujourd'hui on y mange et voyez s'il est possible de se faire glisser une petite paupiette entre deux par une serveuse gironde ressemblant à tata Annnick.
La première carte postale n'a pas de nom d'éditeur mais provient de l'hôtel Barbey à Orchamps Vennes
et affiche au dos son menu ! Brési Comtois, Jambon fumé, Croûte aux Morilles (Albert Lebrun), Truite aux amandes...
La carte postale du restaurant de la Cité radieuse est une édition Ryner, non datée et sans nom de photographe. Au dos, le restaurant affiche fièrement ses deux étoiles.
Il était où l'Hôtel Barbey ? le menu fait envie :))
RépondreSupprimerMerci d'avoir précisé la localisation de l'hôtel ! j'adore regarder ce que sont devenus les anciens commerces.
RépondreSupprimerL'hôtel Barrey a survécu !
https://www.hotel-barrey.com/
et on y trouve encore le braisi et la croûte de morilles.
Mon guide Michelin 1974 le crédite de 2 cuillers et fourchettes , soit maison de bon confort et d'un petit signe indiquant qu'on peut y trouver un menu simple à moins de quinze francs.
La carte postale doit dater peu ou prou de cette époque, elle me rappelle les restaurants où dans mon enfance une fois par mois nous allions déjeuner en famille.