Les deux cartes postales qui suivent vont littéralement faire exploser beaucoup de choses que j'ai écrites sur ce blog. Depuis que je collectionne et regarde des cartes postales du Mouvement Moderne et du Hard French, j'ai plusieurs fois évoqué le fait que, à l'exception des Cités Radieuses, quasiment aucune carte postale ne montre vraiment la vie domestique ou les aménagements des appartements de ces immeubles et constructions du logement collectif.
L'exception donc étant ici sur ce blog*, je vous le rappelle, un appartement à Hansaviertel à Berlin et donc aussi les vues d'appartements-témoins ou vraiment habités des Cité Radieuses. On passera sur les cartes publicitaires de promoteurs qui sont tout de même intéressantes mais rares.
Mais voilà, comme je le dis souvent en conférence, tout ce que l'on peut tirer comme conclusion d'une collection ne tient qu'à ce que cette collection contient. Il suffit que surgisse la pépite inattendue pour que tout soit remis en cause. Allez... je vous laisse regarder :
Saurez-vous reconnaître où nous sommes ? Il s'agit de l'une des plus importantes opérations de logements en France qui est même visitée un peu par obligation par tous les corbuséens du Monde mais nous ne sommes pas chez Corbu. Alors ?
Nous sommes à Firminy, dans le célèbre groupe Firminy-Vert dont l'éditeur Baure de ces cartes postales nous donne le nom des architectes : A. Sive, Marcel Roux, Delfante et Kling.
Incroyable non ? L'éditeur étant prolixe, on sait également qu'il s'agit bien d'un appartement-témoin et que donc, ce que nous voyons est une parfaite mise en scène de l'habitation et de la manière dont les architectes pouvaient rêver de l'installation dans leurs plans. Mais comment ne pas être subjugué par le surgissement de telles images ? Et quoi en déduire de la réception de cette architecture ayant fabriqué des images de sa Modernité mais aussi des visites de ses espaces ? Qui fallait-il donc séduire et convaincre ? Comment furent fabriquées ces visions de la vie idéale ?
Pour la commande, on imagine facilement que si appartement-témoin il y avait, il n'était pas bête alors de proposer de telles représentations aux visiteurs, heureux de pouvoir montrer leur futur logis ou simplement curieux de montrer la vie moderne. L'époque était bien à ce genre de regard et de communication, nous en avons assez fait la preuve sur ce blog. D'autres questions sont soulevées. Par exemple le choix du mobilier et l'agencement général de l'appartement. On note qu'il s'agit d'un appartement pour un couple et deux enfants et que le mobilier y est particulièrement moderne et typique du style de l'époque. Ce mobilier a comme qualité surtout d'être assez léger, peu encombrant et offrant une circulation de la vue dans les espaces. On note aussi que les espaces domestiques sont clairement définis : cuisine séparée mais visible depuis le salon, salon donc, espace salle à manger et une chambre avec deux lits accolés qui laissent préjuger d'une chambre assez petite pour deux enfants. On note une banquette-lit en cosy comme on disait alors. Cela était très à la mode. Difficile de savoir si cet espace était alors considéré comme un vrai couchage ou un lit d'appoint. Des étagères basses et asymétriques semblent courir le long des murs de la chambre des enfants au salon. Difficile d'en déterminer l'éditeur ou le créateur tout comme pour les fauteuils en rotin et métal. Je laisse les spécialistes se déchirer sur des attributions possibles pour affirmer ici que l'image produite est celle d'un ensemble de mobilier n'offrant que peu d'histoire familiale mais semblant sortir tout droit d'une revue de déco contemporaine du cliché. Mais au fait... quand ont été réalisés ces clichés ? Un petit, tout petit indice traîne sur la table du salon, un numéro de la revue Elle qui est daté de décembre 1961. On est donc certain que la photographie et la mise en scène furent réalisées après cette date. Les deux enfants font merveille dans leur chambre, l'un devant la fenêtre très lumineuse, l'autre au sol, donnent bien cette impression d'un espace qui leur est totalement dédié et qui est sain. Lumière franche et jeu au sol le prouvent. Il n'y a pas de père, la femme prend toute seule le rôle de l'autorité parentale et bien entendu, elle pose dans sa cuisine aménagée forcément pour elle... On connait ça déjà.
Le plumeau n'est pas loin et le vide-ordure est signe de la modernité encore à ce moment-là. On note que, depuis la fenêtre de cette cuisine, on nous laisse voir les autres immeubles.
Mais nous avons aussi une autre information sur ces cartes postales c'est le nom du photographe : Ito Josué. On trouve rapidement sur l'internet quelques traces de ce photographe local bien reconnu dans sa ville de Saint Étienne et qui semble appartenir à une mouvance photographique sociale et humaniste. Difficile de savoir s'il avait avec la Modernité de cette architecture un rapport d'intérêt professionnel ou d'intérêt personnel. Je penche pour les deux. On sent bien une attention particulière à bien photographier et laisser les espaces parler (la position de la femme dans l'embrasure de la porte le prouve) mais aussi on sent une qualité professionnelle à faire un cliché bien tempéré dans ces contrastes sans que, par exemple, les fenêtres et ouvertures ne soient brûlées par le contre-jour inévitable. C'est du beau travail descriptif. Bien entendu, on se demandera où Ito Josué a trouvé la femme et les enfants pour jouer le rôle de la famille parfaite. Sont-ils des parents du photographe ? Des habitants de la Cité de Firminy-Vert ? A-t-on offert au petit garçon l'énorme lapin en peluche qu'il tient dans ses bras pour le remercier de son travail ?
Mais si ici on parle d'architecture, on peut aussi se demander si ces cartes postales servent bien comme documents de celle-ci. On pourrait donner à des étudiants comme travail amusant de réaliser les plans, ouvertures et circulations de cet appartement en observant seulement ce qui se passe sur ces images. Pourra-t-on alors émettre un jugement juste sur les qualités ou défauts de cette vision du logement ? Si on observe bien, on devine que l'appartement est traversant. On voit l'enfant assis au fond de la perspective devant la fenêtre de sa chambre. Mais alors où dorment les parents ? Et que contient ce bloc avec une porte au bout du salon ? La salle de bain ? Par où entre la famille ? Quelle est la première vision de cet appartement ? Je n'ai pas réussi à trouver les plans.
Pour conclure, il est donc clair que ces cartes postales permettent de relativiser un peu l'exceptionnalité du cas Cité Radieuse comme témoin par la carte postale du logement collectif en France. On peut aussi se dire que la proximité de l'une des Cités Radieuses a peut-être soutenu l'idée aussi de faire pareil comme pour son encombrante et célèbre voisine. Ces cartes permettent aussi de mettre à jour la pratique de l'appartement-témoin comme méthode de réception et d'acceptation de cette modernité comme si elle n'allait pas de soi ou que même, en quelque sorte, elle méritait une visite particulière. Il fallait se rendre compte pour de vrai de ses qualités.
Je me souviens vers 1976 de nos visites familiales des appartements-témoins du Vaudreuil Ville Nouvelle ou des pavillons Phénix entièrement aménagés et de notre projection d'enfants dans des lieux alors meublés. "Et là, ce sera votre chambre les garçons." À la fois terrifiante vérité à venir, surprise de cet espace qu'il faudra apprivoiser, rêverie d'un espace vu depuis un cordon empêchant de franchir la porte et de saisir les jouets installés là pour le décor...
C'est nous alors qui étions les témoins de notre vie. Combien, ici, à Firminy-Vert, dans l'un des plus remarquables et représentatifs grands ensembles de France combien ont fait cette expérience et combien ont, plus tard, vécu alors vraiment leur vie dans un espace ainsi idéalisé ?
Remercions la carte postale de cette occasion d'une belle visite.
* pour voir d'autres appartements-témoins :
Chez Dubuisson :
https://archipostalecarte.blogspot.com/2019/02/je-bandol-dubuisson.html
Gradins-Jardins :
https://archipostalecarte.blogspot.com/2016/03/les-couples-libres-aiment-les.html
Hansaviertel par Vago :
https://archipostalecarte.blogspot.com/2013/12/vago-witzemann-et-bauausstellung-berlin.html
Cités Radieuses :
https://archipostalecarte.blogspot.com/2016/07/habiter-et-ecrire-la-cite-radieuse.html
http://archipostalecarte.blogspot.fr/2014/04/le-carnet-et-le-corbusier.html
http://archipostalecarte.blogspot.fr/2013/08/le-corbusier-en-miniature.html
http://archipostalecarte.blogspot.fr/2014/10/meubles-immeuble-le-corbusier.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2010/02/le-corbusier-habitable.html
http://archipostalecarte.blogspot.fr/2014/04/le-carnet-et-le-corbusier.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2010/04/une-folie-marseillaise.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2012/01/la-photographie-accuse-tort.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2012/02/corbusier-mets-la-table.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2011/03/pieces-deau.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2010/09/le-corbusier-dans-ses-meubles.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2011/09/le-corbusier-2-dedans-2-dehors.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2011/08/un-reflet-tres-moderne.html
L'exception donc étant ici sur ce blog*, je vous le rappelle, un appartement à Hansaviertel à Berlin et donc aussi les vues d'appartements-témoins ou vraiment habités des Cité Radieuses. On passera sur les cartes publicitaires de promoteurs qui sont tout de même intéressantes mais rares.
Mais voilà, comme je le dis souvent en conférence, tout ce que l'on peut tirer comme conclusion d'une collection ne tient qu'à ce que cette collection contient. Il suffit que surgisse la pépite inattendue pour que tout soit remis en cause. Allez... je vous laisse regarder :
Saurez-vous reconnaître où nous sommes ? Il s'agit de l'une des plus importantes opérations de logements en France qui est même visitée un peu par obligation par tous les corbuséens du Monde mais nous ne sommes pas chez Corbu. Alors ?
Nous sommes à Firminy, dans le célèbre groupe Firminy-Vert dont l'éditeur Baure de ces cartes postales nous donne le nom des architectes : A. Sive, Marcel Roux, Delfante et Kling.
Incroyable non ? L'éditeur étant prolixe, on sait également qu'il s'agit bien d'un appartement-témoin et que donc, ce que nous voyons est une parfaite mise en scène de l'habitation et de la manière dont les architectes pouvaient rêver de l'installation dans leurs plans. Mais comment ne pas être subjugué par le surgissement de telles images ? Et quoi en déduire de la réception de cette architecture ayant fabriqué des images de sa Modernité mais aussi des visites de ses espaces ? Qui fallait-il donc séduire et convaincre ? Comment furent fabriquées ces visions de la vie idéale ?
Pour la commande, on imagine facilement que si appartement-témoin il y avait, il n'était pas bête alors de proposer de telles représentations aux visiteurs, heureux de pouvoir montrer leur futur logis ou simplement curieux de montrer la vie moderne. L'époque était bien à ce genre de regard et de communication, nous en avons assez fait la preuve sur ce blog. D'autres questions sont soulevées. Par exemple le choix du mobilier et l'agencement général de l'appartement. On note qu'il s'agit d'un appartement pour un couple et deux enfants et que le mobilier y est particulièrement moderne et typique du style de l'époque. Ce mobilier a comme qualité surtout d'être assez léger, peu encombrant et offrant une circulation de la vue dans les espaces. On note aussi que les espaces domestiques sont clairement définis : cuisine séparée mais visible depuis le salon, salon donc, espace salle à manger et une chambre avec deux lits accolés qui laissent préjuger d'une chambre assez petite pour deux enfants. On note une banquette-lit en cosy comme on disait alors. Cela était très à la mode. Difficile de savoir si cet espace était alors considéré comme un vrai couchage ou un lit d'appoint. Des étagères basses et asymétriques semblent courir le long des murs de la chambre des enfants au salon. Difficile d'en déterminer l'éditeur ou le créateur tout comme pour les fauteuils en rotin et métal. Je laisse les spécialistes se déchirer sur des attributions possibles pour affirmer ici que l'image produite est celle d'un ensemble de mobilier n'offrant que peu d'histoire familiale mais semblant sortir tout droit d'une revue de déco contemporaine du cliché. Mais au fait... quand ont été réalisés ces clichés ? Un petit, tout petit indice traîne sur la table du salon, un numéro de la revue Elle qui est daté de décembre 1961. On est donc certain que la photographie et la mise en scène furent réalisées après cette date. Les deux enfants font merveille dans leur chambre, l'un devant la fenêtre très lumineuse, l'autre au sol, donnent bien cette impression d'un espace qui leur est totalement dédié et qui est sain. Lumière franche et jeu au sol le prouvent. Il n'y a pas de père, la femme prend toute seule le rôle de l'autorité parentale et bien entendu, elle pose dans sa cuisine aménagée forcément pour elle... On connait ça déjà.
Le plumeau n'est pas loin et le vide-ordure est signe de la modernité encore à ce moment-là. On note que, depuis la fenêtre de cette cuisine, on nous laisse voir les autres immeubles.
Mais nous avons aussi une autre information sur ces cartes postales c'est le nom du photographe : Ito Josué. On trouve rapidement sur l'internet quelques traces de ce photographe local bien reconnu dans sa ville de Saint Étienne et qui semble appartenir à une mouvance photographique sociale et humaniste. Difficile de savoir s'il avait avec la Modernité de cette architecture un rapport d'intérêt professionnel ou d'intérêt personnel. Je penche pour les deux. On sent bien une attention particulière à bien photographier et laisser les espaces parler (la position de la femme dans l'embrasure de la porte le prouve) mais aussi on sent une qualité professionnelle à faire un cliché bien tempéré dans ces contrastes sans que, par exemple, les fenêtres et ouvertures ne soient brûlées par le contre-jour inévitable. C'est du beau travail descriptif. Bien entendu, on se demandera où Ito Josué a trouvé la femme et les enfants pour jouer le rôle de la famille parfaite. Sont-ils des parents du photographe ? Des habitants de la Cité de Firminy-Vert ? A-t-on offert au petit garçon l'énorme lapin en peluche qu'il tient dans ses bras pour le remercier de son travail ?
Mais si ici on parle d'architecture, on peut aussi se demander si ces cartes postales servent bien comme documents de celle-ci. On pourrait donner à des étudiants comme travail amusant de réaliser les plans, ouvertures et circulations de cet appartement en observant seulement ce qui se passe sur ces images. Pourra-t-on alors émettre un jugement juste sur les qualités ou défauts de cette vision du logement ? Si on observe bien, on devine que l'appartement est traversant. On voit l'enfant assis au fond de la perspective devant la fenêtre de sa chambre. Mais alors où dorment les parents ? Et que contient ce bloc avec une porte au bout du salon ? La salle de bain ? Par où entre la famille ? Quelle est la première vision de cet appartement ? Je n'ai pas réussi à trouver les plans.
Pour conclure, il est donc clair que ces cartes postales permettent de relativiser un peu l'exceptionnalité du cas Cité Radieuse comme témoin par la carte postale du logement collectif en France. On peut aussi se dire que la proximité de l'une des Cités Radieuses a peut-être soutenu l'idée aussi de faire pareil comme pour son encombrante et célèbre voisine. Ces cartes permettent aussi de mettre à jour la pratique de l'appartement-témoin comme méthode de réception et d'acceptation de cette modernité comme si elle n'allait pas de soi ou que même, en quelque sorte, elle méritait une visite particulière. Il fallait se rendre compte pour de vrai de ses qualités.
Je me souviens vers 1976 de nos visites familiales des appartements-témoins du Vaudreuil Ville Nouvelle ou des pavillons Phénix entièrement aménagés et de notre projection d'enfants dans des lieux alors meublés. "Et là, ce sera votre chambre les garçons." À la fois terrifiante vérité à venir, surprise de cet espace qu'il faudra apprivoiser, rêverie d'un espace vu depuis un cordon empêchant de franchir la porte et de saisir les jouets installés là pour le décor...
C'est nous alors qui étions les témoins de notre vie. Combien, ici, à Firminy-Vert, dans l'un des plus remarquables et représentatifs grands ensembles de France combien ont fait cette expérience et combien ont, plus tard, vécu alors vraiment leur vie dans un espace ainsi idéalisé ?
Remercions la carte postale de cette occasion d'une belle visite.
* pour voir d'autres appartements-témoins :
Chez Dubuisson :
https://archipostalecarte.blogspot.com/2019/02/je-bandol-dubuisson.html
Gradins-Jardins :
https://archipostalecarte.blogspot.com/2016/03/les-couples-libres-aiment-les.html
Hansaviertel par Vago :
https://archipostalecarte.blogspot.com/2013/12/vago-witzemann-et-bauausstellung-berlin.html
Cités Radieuses :
https://archipostalecarte.blogspot.com/2016/07/habiter-et-ecrire-la-cite-radieuse.html
http://archipostalecarte.blogspot.fr/2014/04/le-carnet-et-le-corbusier.html
http://archipostalecarte.blogspot.fr/2013/08/le-corbusier-en-miniature.html
http://archipostalecarte.blogspot.fr/2014/10/meubles-immeuble-le-corbusier.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2010/02/le-corbusier-habitable.html
http://archipostalecarte.blogspot.fr/2014/04/le-carnet-et-le-corbusier.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2010/04/une-folie-marseillaise.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2012/01/la-photographie-accuse-tort.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2012/02/corbusier-mets-la-table.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2011/03/pieces-deau.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2010/09/le-corbusier-dans-ses-meubles.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2011/09/le-corbusier-2-dedans-2-dehors.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2011/08/un-reflet-tres-moderne.html
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