Pour un collectionneur, tout collectionneur, il y a des épiphanies.
Vous connaissez certaines des miennes : rencontre avec Claude Parent, découverte du fonds Bueb ou Persitz (merci Claude Lothier), trouver une carte de Sainte-Bernadette-du-Banlay ou comprendre comment un photographe de cartes postales surgit dans son image.
Pour un collectionneur, tout collectionneur, il y a des regrets : la carte postale de l'intérieur du Palais des Congrès de Royan introuvable, perdre une carte, regretter de ne pas en avoir acheté une, ou se rendre compte que les correspondants ne disent finalement que peu de choses des endroits qu'ils choisissent d'envoyer.
Eh bien, j'ai la chance de pouvoir vous dire que je vais faire de ce dernier regret... Une épiphanie !
Voilà que j'achète quatre cartes postales de la Cité Radieuse dont trois que je possède déjà mais qui sont rares et peu chères et donc irrésistibles. J'attends surtout avec impatience l'une d'elles qui m'est totalement inconnue et m'intrigue, les autres ayant déjà eu droit à des articles, vous les reconnaîtrez si vous êtes un fidèle. Mais ma surprise fut de voir qu'au dos de ces cartes était écrit un long texte par sa correspondante Brigitte, qui, de verso en verso, en quatre chapitres donc, évoque son installation dans un appartement de la Cité Radieuse !
C'est un document exceptionnel car c'est très rare d'avoir ainsi, au dos de l'image, quelqu'un qui raconte son rapport au lieu avec une telle intimité. C'est une première main de l'usage !
Je ne sais rien de Brigitte, sauf son état de santé au moment de l'écriture et qu'elle a une fille Isabelle-Jean et un mari, Robert (?). Je ne sais pas son âge, son métier, ce qu'elle est devenue mais on sait son nom de famille, Gauthier et même à quel numéro elle habite : N°500 . Si elle se reconnaît... ou si un habitant de la Cité Radieuse se souvient d'elle qu'il nous écrive ! Par contre, on apprend bien son rapport à l'architecture. On la sent assez heureuse et objective, pesant le pour et le contre et tentant de faire de sa nouvelle vie une chose positive. Peut-être que c'est en partie pour rassurer son auditoire, pour ne pas trop effrayer ceux qui liront et verront ces cartes postales. On verra que parfois, Brigitte n'est pas très précise ou exagère un peu certains traits. On s'amuse qu'elle ait mesuré certains espaces pour bien donner une idée de ceux-ci, ce qui prouve un vrai désir d'offrir chez le correspondant une spatialisation des images et du texte. On s'amuse aussi qu'elle évoque le grand choix de cartes postales disponibles mais qu'elle ne veut pas se ruiner en les achetant toutes ! Elle a donc dû bien choisir. Nous la remercions car la carte postale avec la petite fille qui ouvre une porte est juste... très rare... J'ai même cru qu'elle pouvait ne pas être de la Cité Radieuse. J'ai eu du mal aussi à saisir exactement sa localisation dans un appartement car on lit mal l'espace à gauche sous les volumes peints de triangles. Cette carte postale est peut-être une carte-photo faite sur papier déjà préparé. On retrouve au verso la séparation pour la correspondance mais de manière très très discrète. Un tampon de l'Agence Voyagence vient affirmer que cette carte fut bien vendue sur place. S'agit-il d'une petite édition supplémentaire ? Vite faite, pour tâter le marché ? Une petite édition pirate d'un amateur ou d'un club photo ? C'est la seule qui ne soit pas signée du photographe Louis Sciarli. Mystère...
On aimerait savoir de quel type d'appartement il s'agit et aussi qui est cette jeune demoiselle et posant pour qui ? Est-ce la même petite fille qui est visible sur la carte postale de la terrasse ? La même séance photographique ? D'autres cartes dans la même série furent-elles éditées ? La qualité du tirage très doux pourrait laisser penser à une édition amateur. On notera que l'appartement représenté est un appartement vraiment habité, pas un appartement-témoin. La qualité du mobilier dit bien que les habitants venaient avec leur mobilier et ne cherchaient pas à se meubler en Moderne ! C'est d'ailleurs bien ce que raconte Brigitte qui va, elle-même, réutiliser des rideaux des anciens habitants. On aimera ici l'aquarium au pied du lit, lui-même posé contre la séparation. On aimera la surprenante petite sculpture de fil de fer faisant penser au cirque de Calder.
Chaises de paille, appliques d'après-guerre très euh... comment dire... tout cela suffit à reconnaître un lieu de vie. On aimera aussi que le (la) photographe demande à la petite fille de faire jouer les espaces en ouvrant la porte et en laissant ouverts tous les placards. Il faut raconter les espaces.
Si on regarde bien, on peut reconnaître l'abat-jour diabolo de l'autre carte et même les chaises.
Enfin, le scanner et un peu d'attention permettent de reconnaître également la petite fille, par exemple, grâce à son épais bracelet au poignet droit.
Nous voici donc avec quelques réponses sur ce moment photographique. Même modèle, même appartement, même moment, même photographe. Mais pourquoi une si grande différence d'édition et pas de signature de Louis Sciarli ?
On comprend aussi, vu le coffrage sur la cage d'escalier qu'il s'agit d'un appartement du type descendant si je ne me trompe...
La première carte postale, celle de la Cité vue de l'extérieur est vraiment incroyable, pas pour sa prise de vue, déjà publiée mais pour son texte ! On y apprend les pratiques touristiques de la Cité Radieuse avec le prix et la régularité des visites, ce qui en dit aussi long sur le marché des cartes postales à disposition à la fois des habitants et des touristes. Brigitte Gauthier nous raconte même exactement sa position, comment elle observe tout cela mi-amusée et mi... agacée ! Des visiteurs sibériens !! ? Et qui mitraillent dans tous les coins ! Génial !
Brigitte a fait une croix superbe, fine, précise sur son appartement. C'est toujours pour moi merveilleux de voir comment dans une image multiple, l'expéditeur se situe, retrouve son lieu, s'approprie son image.
On regrettera que Madame Gauthier n'ait pas daté sa correspondance et on remerciera les collectionneurs qui ont conservé tout au long de ces années ces cartes postales ensemble pour que ce beau témoignage, cette belle histoire de la cité Radieuse conserve son intégrité.
Je vous propose donc de voir le texte et sa carte postale en quatre chapitres en maintenant le fil de la correspondance. Les difficultés de lecture seront écrites en bleu, mes commentaires en vert dans le corps du texte. Je m'excuse auprès des fidèles de ce blog pour le retour d'images déjà vues et je vous demande de vous réjouir de la très rare carte numéro III ! Merci de ne pas copier ces images sans mon autorisation (que je donne facilement si on a la gentillesse de me la demander) et de respecter mes droits d'usage de collectionneur.
Toutes les cartes postales sont des éditions et prises de vue de louis Sciarli sauf la numéro III non attribuée. Toutes sont tamponnées de la concession Voyagence, concessionnaire du Service de Visite.
On commence ?
carte postale N° I
Mes chers petits enfants,
Vous devez croire que nous vous avons définitivement oubliés... et pourtant ! Depuis votre départ nous menons la véritable vie de fous. Et je vous écris en ce moment du hall de l'immeuble en attendant le cadre. (Personnel d'entreprise ? Responsable de la Cité Radieuse ?) Robert lui, est tout en haut. Leur fourgonnette vient d'apporter nos 5 caisses et comme le déménageur exige que l'on signe sa décharge aujourd'hui, que nous n'aurons les clés que demain... il est en train de scier les cadenas avec une scie à métaux.
Alors voilà ! Allons bon ! Le guide veut absolument m'emmener dans la visite... Ils sont une trentaine de types en short et parlant sibérien qui viennent tous de payer 150 frs pour visiter l'immeuble ! 150 frs... Ça me dégoûte d'y penser ! Et il y a une visite toutes les demi-heures. Inutile de vous dire que tous les touristes ont un appareil de photos sinon une caméra et ils mitraillent dans tous les coins.
J'écris sur mes genoux ! Alors pardonnez l'écriture !
Donc voici notre maison ! Ale (elle ?) est toute petite et notre appartement : Gauthier N° 500 Cité Radieuse ; Marseille est...
carte postale N°II
...marqué d’une croix. Sur le toit vous avez des tas de cheminées d’aération, la cage d’ascenseurs (4 de 20 personnes chacun et puis des tas de coins et de recoins où l’on peut s’asseoir sur des bancs en surveillant le Bic (?) par exemple. Sous le grand hangar en béton se trouve la piscine des enfants.
La carte N°2 représente le living-room-côté ouest avec la terrasse. Nous avons une vue magnifique sur la rade et la mer Largeur 1m95 (?) sur ? m (?) La terrasse est petite mais on peut quand même y mettre un parc et j’aurai des plantes, no ! Notre living-room est bleu et bleu gris + blanc. Les rideaux sont en grosse toile unie bleue et orange. Ce sont ceux des castres. Je ne les aurais pas choisis ainsi mais ils y étaient... et comme nous ne savons pas pour combien de temps nous sommes là... La carte N°3 représente l’autre côté du living-room, côté lit. Nous mettrons le nôtre dans l’autre sens. Ça tiendra moins de place. Derrière l’espèce de demi-muraille, il y a une pièce minuscule qui sere la chambre...
carte postale N°III
...d’Isabelle-Jean. Les triangles de couleurs différentes : le dessous d’escalier chez nous : bleu, gris, noir et blanc. La porte s’ouvre sur un couloir entouré de 9 placards (+7 en haut) tous de différentes tailles et il y a une penderie de 1m 50 de long-- Il y a aussi dans les chambres. La porte à droite au fond ouvre sur la salle de bains.
La carte N°4 est une vue du haut. Le bout de la salle à manger et la cuisine. Pas de séparation nette... là, on sent un regret pour cet espace ouvert. Brigitte n'a sans doute pas pu parler avec Charlotte Perriand ! et 2m 20 de plafond mais on s’y habitue très bien. La belle dame souriante ouvre la glacière. juste à côté le double évier, nickelé. Sous le placard fermé la cuisinière électrique et des placards tout autour, en bas et en haut. On entre par la porte de gauche. Il y a une toute petite entrée où nous mettrons résignés le frigidaire.
C’est tout. Il y a encore des cartes des chambres mais je ne veux pas quand même pas me ruiner. J’espère que je ne vous ai pas barbés. Vous aurez ainsi une idée de notre appartement. Nous sommes ici depuis 3 jours, courant partout pour trouver tout ce qu’il nous faut. Nous avons dû chercher et trouver...
carte postale N°IV
...des transformateurs, tout notre matériel étant en 110W et ici il y a du 220 W. Brigitte confond Volt et Watt. Il a fallu aussi poser après avoir acheté tout le matériel électrique et Robert a turbiné toute une journée. Il reste encore les plaques de propreté et suis à ranger - et ce sacré cadre qui n’arrive toujours pas. Je commence à avoir des crampes. J’oubliais de vous dire qu’il y a aussi un casino (épicerie) au 3ème et que j’y trouve tout ce que je veux y compris le pain, le lait et la viande.
Demain déménagement à Veutrol et nous nous installerons définitivement ici lundi. J’ai 3 dessus de lit à faire + un nombre incalculable d’abat-jours et j’ai une sciatique dans la jambe droite qui me fait moult mal depuis 8 jours.
Je vais monter voir ce qui se passe... Avant je vous embrasse bien, bien fort.
Brigitte.
Jacques répondra sans tarder à Dominique. c’est un (?) petit orfelin.
Voilà ! Superbe non ?
Si vous voulez revoir les articles sur les cartes postales déjàs vues, allez ici, oui... Il y a de la lecture mais vous êtes en vacances !
http://archipostalecarte.blogspot.fr/2014/04/le-carnet-et-le-corbusier.html
http://archipostalecarte.blogspot.fr/2013/08/le-corbusier-en-miniature.html
http://archipostalecarte.blogspot.fr/2014/10/meubles-immeuble-le-corbusier.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2010/02/le-corbusier-habitable.html
http://archipostalecarte.blogspot.fr/2014/04/le-carnet-et-le-corbusier.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2010/04/une-folie-marseillaise.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2012/01/la-photographie-accuse-tort.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2012/02/corbusier-mets-la-table.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2011/03/pieces-deau.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2010/09/le-corbusier-dans-ses-meubles.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2011/09/le-corbusier-2-dedans-2-dehors.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2011/08/un-reflet-tres-moderne.html
"Sous le grand hangar en béton se trouve la piscine des enfants." passage que je ne comprends pas bien...La pataugeoire est en plein air, découvert...
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