mardi 8 avril 2014

Photographier l'usine : intérieur

Nous nous sommes posé la question de ce point de vue en ne tirant pas trop vite des conclusions sur ce type de cartes postales et d'images, n'ayant pas assez d'exemples pour établir une étude plus aboutie de cette représentation.
Finalement, nous avons senti les photographies pour ce qu'elles donnent à voir.
Mais la question reste entière de cette distance au monde du travail et de la manière dont les entreprises se laissent ainsi inscrire en photographie sur des éditions de cartes postales de cette période. 
Il ne fait aucun doute que lorsque l'entreprise laisse ainsi entrer le photographe, elle lui confie son image et reste attentive à celle-ci. Sylvain Bonniol pourrait facilement confirmer cela encore aujourd'hui.
Regardons un exemple avec une petite (et incomplète ?) série sur l'usine Volkswagen de Hannovre (Hannover) qui nous donne à voir le cœur de la fabrication du fameux Combi qui fit rêver plus d'une génération à une liberté de mouvement et de voyages.
D'abord l'extérieur encore un peu:


D'un peu haut, certainement juché sur un escabeau, le photographe cadre l'usine et son parking qui ferait rêver aujourd'hui n'importe quel collectionneur de coccinelles Volkswagen ! Il s'agit bien des automobiles des ouvriers et employés et non le parking de la production. Nous avons à Cléon, chez Renault, le même type de souvenir : une nappe d'automobiles quasiment toutes de la même marque ! Au dos de la carte postale il n'y a pas de nom d'architecte mais une petite description met l'accent sur le fait que ce bâtiment n'est pas qu'un bloc de béton mais un mélange de style et de fonctionnalité... Il ne faudrait pas trop faire peur !


Cette fois, nous voyons les immenses presses qui forment les tôles, les coupent et les emboutissent. L'alignement implacable de ces monstres mécaniques dont l'étonnement vient de leur carrossage impeccable et de la propreté de cet espace. Mais l'image est muette au vacarme. Ce qui est visé ici, c'est bien la puissance industrielle et le photographe désirant saisir l'objet dans sa hauteur doit également en donner à voir le grand nombre. Au dos, la description nous indique qu'il suffit "de pousser un bouton" pour que le "monstre d'acier" commence à travailler. Là également, on minimise l'intervention ouvrière à une simple action et une surveillance. Mais rien sur la violence de la cadence ni sur le mouvement répété de la pose et du retrait des-dites pièces de métal. La distance atténue, le silence de l'image adoucit. La puissance technique est l'objet de l'image.


Cette magnifique image nous montre l'une des phases de la production des camions Combi VW et leur carrosserie encore sans peinture. Le point de vue est toujours en hauteur pour rendre lisible l'ensemble de la courbe de la chaîne de production. Deux silhouettes d'ouvriers sont au travail sur une sorte d'estrade. Difficile de définir l'objet de leur intervention sur le futur Combi. C'est la carte postale qui nous l'indique au dos : pose des câbles. Le texte nous parle de production planifiée et pleine de réflexion sur la logique productive... C'est, paraît-il ce qui se laisserait voir au travers "des masses de machines" ! La logique voudrait-elle atténuer la pénibilité et, ou améliorer la productivité ?


Ici, difficile de ne pas voir ceux qui assemblent. Deux ouvriers sont au montage au cul du Combi pick-up. Que font-ils ? le montage du pare-choc ? Oui, c'est bien cela. Que nous dit la carte postale sur ce geste ? Elle met l'accent une fois encore sur l'habileté et la rapidité du travail et cela à "tous les niveaux de la production." Là encore la gestualité des ouvriers est perdue dans la ligne de montage. On ne fait pas le portrait des ouvriers mais on les place dans l'ensemble de la chaîne. Ils sont comme des outils. On ne les nomme pas.
On peut d'ailleurs sur ce geste facilement comprendre la difficulté dudit montage. Courbé vers l'arrière, en appui sur un pied, l'ouvrier de gauche boulonne. Celui de droite maintient à niveau une pièce qu'il ne voit pas. Et si la ligne de montage est en hauteur pour facilité le geste et la production, on imagine facilement que selon la taille des ouvriers, ceux-ci devaient bien s'adapter à cette hauteur sans doute construite sur une moyenne globale et rationalisée. Trop grand, l'ouvrier devait se pencher, trop petit, il devait se soulever.
On reste perplexe aussi face à la lumière très puissante venant de la droite et faisant des ombres très longues alors que le reste de la chaîne est bien moins éclairé. Une lampe ajoutée par le photographe ?


Sur cette carte postale, le facteur humain semble absent et c'est d'ailleurs volontaire puisque le commentaire de la carte postale appuie sur la totale automatisation de cette ligne de transfert des carters et précise qu'un homme seul surveille cet ensemble, homme dont on ne voit rien sur la photographie. Une image désincarnée en quelque sorte.


Il faut bien que tout cela fabrique quelque chose !
Toutes ces images, toutes ces cartes postales pour aboutir à cette dernière, celle qui justifie l'ensemble. Les Combis quittent la chaîne de montage à une fréquence de 750 par jour... Cela donne une idée de la rapidité du montage et de la réalité violente de la chaîne. Au dos, encore l'utilisation de mots très particuliers. On y évoque l'ordre et la propreté.
Le Combi quitte l'usine pour des aventures inconnues. Il doit être attendu quelque part, en Allemagne, dans une agence. Il ne restera rien sur ce véhicule qui évoquera les mains des ouvriers. Un chiffon doux effacera tout. 
Cette carte postale met aussi l'accent sur la masse productive avec l'enfilade des véhicules. Pas un seul ouvrier clairement visible, pas de photographie de groupe des ouvriers devant leur production, pas de fierté lisible dans l'image. En fait cette image possède une permanence qui la rend anonyme à ceux qui l'habitent. Hier, demain, tout de suite, tout à l'heure n'ont aucun sens. Il se passera la même chose, le même geste, la même image, elle-même prise dans cette continuité.
On pourrait faire la liste de ce que ces photographies ne donnent pas à vivre : bruit, odeur, hiérarchie, pénibilité, lutte syndicale.
Elles sont des objets de communication, des objets puissamment contrôlés. Et pourtant, dans cette rigueur et même grâce à cette rigueur, elles ont une beauté certaine.
Cette beauté provient de l'agencement, de la compilation de l'objet photographié et de cette distance froide qui lui est accordé. 
Les cartes postales ne comportent aucun nom de photographe, aucun nom d'éditeur mais il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'une production institutionnelle. Comme ma série n'est pas complète et que l'exception ne confirme pas toujours la règle, il me sera difficile de poursuivre l'analyse de cette série.
Alors je fais "comme si", comme si tout cela était aussi simple, aussi silencieux.

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