Je n'y peux rien.
Nous allons encore parler de le Corbusier.
Nous allons dire surtout notre émotion devant ceux qui réalisent à votre place un rêve solide et sans peur.
Ce que j'ai reçu m'a particulièrement ému, je l'ai reçu de la part d'un parfait inconnu, de quelqu'un qui a osé faire de l'image une réalité.
Je reçois ça :
Au loin, dans la ville de Rezé, la Cité Radieuse raccourcie un peu par l'écrasement perspectif qui la massifie un peu, on devine sur le pignon Nord de l'édifice des petites formes simples, premières, posées comme une ponctuation subtile, presque des taches de l'imprimeur : pétouilles comme on dit chez moi, chez les lithographes. Le cliché est de André Morin.
Des pétouilles aux couleurs primaires qui semblent pourtant bien être une œuvre d'art accrochée là, sur l'étendue aveuglée d'un des plus beaux murs du Monde, beau non parce qu'il est célèbre mais bien parce qu'il est vide.
La carte postale est envoyée je pense par Benoît-Marie Moriceau car rien d'autre que l'écriture du feutre bleu ne me permet une autre identification. Ou Sylvain Bonniol ?
Au verso de ce qui s'apparente aussi à un carton d'invitation, on lit pourtant beaucoup de choses.
Il s'agit donc bien d'une œuvre dont la proposition est assez simple : jouer à l'alpinisme.
J'ai joué à ce jeu lorsque nous avions en groupe tenté il y a très longtemps une Nouvelle Ascension du Mont Analogue de René Daumal. Faire jouer ainsi la légende de la Montagne à celle de l'Architecture est une évidente analogie...
Mais ce qui me plaît tant ici, c'est bien la réalité de la proposition, l'audace de sa réalisation. Et même si je crois comprendre que personne n'a réellement séjourné sur ce mur de Le Corbusier en mode alpinisme, même si de cette aventure alpine et architecturale, ne restent que des formes rappelant les tentes que suspendent les alpinistes dans des hauteurs vertigineuses, j'aime qu'ainsi par quelques objets jouant entre abstraction et réalité, mon rêve se réalise, ma fiction se mette en route. On notera tout de même sur le carton la présence du Club Alpin Français qui a bien dû donner quelques conseils et aussi quelques moments d'escalade dans le réel ! Ma jalousie est totale et ma projection puissante à ce geste qui est, certes, autant une image qu'une action. D'abord parce qu'il y a un regard sur un morceau de la Cité Radieuse (Maison comme on dit à Rezé) qui est souvent boudé, peu aimé : sa face nord, sa face aveugle. Cette surface immense, sorte de place vide verticale, sorte aussi de désert dressé dans le ciel, a ainsi vu des regards amoureux et envieux de ce vide. C'est déjà bien.
J'imagine, le cou brisé, Benoît-Marie Moriceau, au bas de la Cité Radieuse regardant cet espace et se construisant une histoire mêlant une aventure un peu enfantine du "t'es pas cap'" à une réflexion aboutie sur cette architecture. Il y a l'amour d'un exploit (que je défends), une performance qui pourtant ici se dégage habilement, légèrement d'une histoire de ce type de pratique. On est sans doute aussi sous l'influence nantaise (et montagnarde !) de Neal Beggs ou du duo rompu Poincheval/Tixador.
On pourrait gloser à l'envi sur les rapprochements entre théories architecturales sur l'habitat collectif moderniste et le minimum d'un habitacle de survie. On pourrait y voir une critique, un jeu, une réduction. Certes.
Mais je crois que Benoît-Marie Moriceau est sincère à son admiration pour l'architecture, je crois surtout qu'il est sincère à son geste dont la gratuité inventive forme une naïveté poétique que l'esprit du jeu sauve totalement. C'est joyeux, drôle même, et pertinent. J'aurais bien pour ma part, il y a encore peu de temps, aimé avoir peur à une descente en rappel sur ce mur.
Et si le Modulor avait un piolet ?
Je n'aurais qu'une critique : la mode très Arty qui consiste à nommer les œuvres d'un titre en anglais que je trouve vraiment vraiment... inutile.
Mais ce que j'aurais aimé être sur cette face Nord de la Cité radieuse un piéton égaré et effrayé !
Pour compléter cette carte postale et ce travail, je vous offre Monsieur Moriceau ce diptyque de cartes postales de ma collection, cartes rangées dans le classeur "Montagnes" qui devait soutenir notre Nouvelle Ascension du Mont Analogue... Ascension perdue, oubliée, inachevée et donc belle.
La carte postale de gauche est une édition Darbellay Martigny qui nous donne : Val d'Hérens, Valais, descente en rappel.
La carte postale de droite est une édition NOGAREDE, à Marseille. On notera pour l'ensemble des Cités Radieuses le peu de représentation des façades nord sans doute trop vide pour mériter une édition. Marseille a pourtant avec son bel escalier de secours eu droit à quelques images.
David, à Rezé que j'ai visité en août dernier, on parle de "MAISON RADIEUSE", car plus petite que les autres cités. Elle a été baptisée ainsi par les habitants en accord avec LE CORBUSIER ! voir le site www.maisonradieuse.org
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