Ne donnant à voir (et seulement à voir) les formes, elles nous égarent sur des rapprochements possibles. Parfois c'est juste, parfois c'est faux.
Regardons cette carte postale :
Il s'agit de l'immeuble du Conseil de l'Assistance Mutuelle Économique à Moscou. On y voit ce qui est sans doute l'une des plus belles expressions de la puissance architecturale soviétique. J'ai toujours beaucoup aimé cette construction et la manière dont elle affiche clairement ce qu'elle est. Deux tours courbées se font face et ne sont réunies que, sur toute la hauteur, par une cicatrice de verre qui fait les circulations et les échanges entre les deux tours. On aimera cette manière d'ouvrir ainsi une masse, de la fendre en deux et de montrer la jonction qui, du même coup, devient pour l'utilisateur, une sorte de belvédère. L'architecte de cette beauté russe est Mikhail Mikhailovitch Posokhin.
On notera que cet immeuble eut droit à un article dans Architecture d'Aujourd'hui en 1970.
Superbe.
Mais... Comme je le martèle souvent, le cerveau ne peut s'empêcher de rapprocher cette construction d'une autre.
L'autre en question n'a pas eu la chance d'être construite, il s'agit de l'immeuble de bureaux pour l'Éducation Nationale (1970) par Claude Parent, architecte.
Dans un plan carré, Monsieur Parent fait des saignées, ouvre le bloc en trois, fouille en quelque sorte à l'intérieur de ce qui d'habitude forme l'interne pour mettre sous le regard mais surtout sous le corps un ensemble de pentes à 6% qui montent et descendent offrant enfin la rupture nécessaire avec l'idée d'un monolithe vertical.
À l'œil, nous sommes bien devant une verticalité mais la disposition architecturale, la conception même de ces circulations, j'oserai irrigations, démentent formellement cette sensation architecturale pour faire de l'usage de la construction une dynamique vivante dont les hommes sont le fluide.
Et cela change tout.
Et, ici, l'expression "mettre l'homme au centre de l'architecture" n'est plus une phrase de la communication mais une réalité plastique déterminante à la forme et à la fonction ! Une sorte, et c'est drôle, de fonctionnalisme abouti.
Je me souviens bien lors de l'exposition de Monsieur Parent avoir regardé cette maquette et avoir projeté dessus mentalement mon souvenir de cet immeuble de Moscou, je me souviens bien de cette force qui fait travailler une image mentale contre une réalité. Mais finalement entre une construction réalisée que je ne connais pas et une construction rêvée dans laquelle par mes connaissances je veux me promener, il m'est aisé de savoir là où je vis vraiment une expérience. Pas de doute, j'ai plus souvent arpenté les pentes de l'immeuble de l'Éducation Nationale de Monsieur Parent que les étages réguliers de Moscou.
L'imaginaire est une réalité. C'est bien ce que produisent les dessins de Monsieur Parent. La théorie de l'oblique existe, je l'ai visitée avec le corps et même, oui, avec mon imaginaire.
Et ce projet de Claude Parent est sans doute pour moi l'un des plus signifiants de l'attitude de l'architecte. Démontant totalement le fonctionnement des habitudes, reprenant pourtant la forme globale, il réussit le tour de force de donner à penser et à vivre une architecture bouleversante car déstabilisante aux corps et aux idées reçues.
Lisez maintenant Monsieur Parent :
Concours
pour le ministère
de l'Éducation nationale
à La Défense
1970
J'ai toujours été frappé par les projets de Le Corbusier et des architectes du mouvement moderne, dans le mesure où ils sont inséparables du contexte d'un aménagement global du territoire. Ils sont à la fois le constituant de base des villes et l'illustration de la pensée théorique d'un urbanisme et d'un mode de vie à venir. En répondant au concours du Ministère de l'Education Nationale, j'ai tenté de suivre la même méthode. La tour (puisque tour il y avait obligatoirement) sert de prétexte à mettre en cause le mode de vie dans les immeubles de bureaux et leur assemblage sous forme de quartiers d'affaires du type Défense. Les cinq premières planches du concours sont donc consacrées à une violente critique, à une destruction complète du thème : immeuble vertical de bureaux. A la suite, l'introduction de l'oblique en spirales et hélicoïdes de 6 % de pente à l'intérieur de l'immeuble permet de prendre le contre-pied complet de la vie habituelle (cloisonnement de l'espace, isolement, cloisonnement du travail, etc., ou promiscuité excessive) d'une tour.
La répartition spatiale s'inverse. Les bureaux sont tournés vers l'intérieur, reconstituent des vis-à- vis, les circulations en rampes à 6 % sont en façade interne, le travail et ses communications donnent spectacle en permanence. On retrouve une liturgie du travail. Les salles de réunion qui sont au centre traditionnellement (obscurité) sont situées alors en périphérie. Cette disposition permet de rapprocher les immeubles, en diminuant le prospect jusqu 'à des distances de rues (on constitue un tissu urbain serré et dense, avec une maille rectangulaire le long des façades (Véhicules) et une maille organique et souple à l'intérieur des immeubles (piéton).
Claude Parent, Entrelacs de l'oblique, éditions du Moniteur, 1981.
ça aurait eu de "la gueule"
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