Mais voyez-vous, ce que la leçon de la carte postale nous montre c'est bien qu'en terme d'image, de photographie, l'architecture offre parfois de belles égalités, des chances de rattrapage.
Si Rezé est connu internationalement pour sa "maison" radieuse, qu'on ne doit surtout pas nommer Cité Radieuse au risque de se faire reprendre par ceux qui croient mieux que vous la connaître, sorte d'appellation locale qui vous fera presque passer dès que vous la prononcerez pour un habitant de Corbu, comme si d'ailleurs vivre à la Cité Radieuse faisait de vous un expert, bref, si Rezé a une réputation mondiale c'est bien à cause ou grâce à cette construction.
Combien de grands amateurs de Corbu prennent en effet le temps, après avoir épinglé sur le revers de leur veston d'érudit la visite de cette Maison, d'aller voir le reste de l'architecture de Rezé ?
Car si on vient voir l'icône, on pourrait bien au moins comme pour tester une inertie aller voir le reste du Hard French au Château de Rezé.
Sans doute qu'on y verrait rien de plus rien de moins que ce qui fut construit dans une multitude de banlieues : une enfilade sur chemin de grue, des petites barres de béton qu'on aura vite fait de trouver bêtes, laides, peu marquantes.
Oui, sans doute.
Mais est-on moins heureux ici ?
Vous me direz que l'architecture n'est pas faite pour satisfaire le baromètre sensible d'un bonheur qui souvent ne se résume qu'à un consumérisme le plus ample possible et à quelques heures de programme télévisuel sur Canal Plus quand on croit avoir de la chance...
Mais ici, sur les images, je dis bien sur les images, la Maison Radieuse de Corbu est comme le reste : perdue.
Elle offre juste pour le regard un peu habitué une masse reconnue et donc un peu souhaitée et focalisée. Elle a une chance en quelque sorte de sortir de ce quadrillage alternant plein et vide, angles droits et lignes parallèles. D'ici, depuis ces deux cartes postales, difficile de croire que l'architecte nous offre une leçon. Non. Une belle et grande indifférence. Oui.
Doit-on pour autant affirmer qu'il ne se passe rien de plus chez Corbu que dans ce bel exemple de cité banale ?
Comme tout le monde, lorsque je suis venu ici, j'ai fait en quelque sorte ce pélerinage qui maintenant que je regarde Rezé de haut, depuis des images me semble un peu amer, déplacé, délirant, obscurci. Voir une ville, comprendre les enjeux des nœuds urbains, saisir les espaces réels et ceux de l'histoire c'est sans doute l'arpenter un peu mieux que par la traversée des images, l'auto-satisfaction d'une prière faite à une icône.
Regardons cette carte postale Artaud :
D'un peu haut, le photographe vise sans aucun doute ce qui est à ses pieds, le centre commercial du Château de Rezé. Presque un archétype de la carte postale des nouveaux quartiers, image servant aux correspondants à faire lire son nouveau lieu, à se placer dans ce paysage. Ce regard alors est sans cynisme mais bien informatif, plus proche d'un regard cartographique que sociologique, c'est un morceau de la ville, le lieu où l'on vit.
On peut y détailler le fonctionnement de cette nouvelle vie grâce à des espaces très ouverts à leur interprétation : le commerce, le parking, les logements, les espaces verts. Une forme d'image transparente.
Pourtant il ne fait aucun doute que ce point de vue qui semble ici très objectif fabrique bien une particularité, vise l'exception. La Cité Radieuse est sur l'horizon, proche de l'église, un rien éloignée comme ne faisant pas partie de ce quartier, elle joue les esseulées... On pourrait pourtant un peu vite la confondre à l'exact avec l'immeuble gris du premier plan, les deux constructions se regardant en écho. Le photographe a bien visé la Maison Radieuse, il sait que celle-ci est, oui, un élément pittoresque de ce paysage ! Et, de ce point de vue, elle n'offre rien d'autre, cette Cité Radieuse, qu'une masse grise. Il n'en est même pas fait mention au dos de la carte postale, exprimant ainsi une indifférence à l'objet exceptionnel tout en l'affirmant par l'image.
Mieux encore :
Toujours à Rezé, nous sommes là aussi dans l'archétype. Les éditions Gaby pour Artaud nomment le lieu par "les Nouveaux Immeubles" avec des majuscules qui certainement disent l'importance de cette émergence urbaine.
Sur l'image aucune trace de la Maison Radieuse, je me pose même la question de sa construction au moment du cliché... L'église à l'extrême droite de la carte postale nous place bien normalement dans un axe qui devrait nous montrer cet immeuble particulier. Mais non ! Il ne faut pas se laisser prendre par la similitude des clochers ! Nous visons bien deux directions différentes ! Saint Vincent de Paul et Saint Pierre !
Et le terrain en friche en bas de notre carte postale est celui où sera construit le centre commercial de la carte précédente. La première vise le Nord, la seconde vise l'Est !
Mais j'aime tout particulièrement un détail sur cette dernière carte postale, c'est la croix faite par la correspondante sur la photographie. Croix faite sur l'immeuble avec une flèche et sur... le bus qui circule !
Regardez avec quelle minutie cela est fait, une frappe chirurgicale en quelque sorte !
Je vous donne la phrase exacte de la correspondante : "Vous admirerez notre résidence de Rezé et ses avenues, notre logement se situe en face le car, et la croix faite à la pointe Bic indique le lieu."
Expédiée en 1965 mais sur une carte bien plus ancienne, il n'y a là aucun cynisme, aucun regret.
Et l'icône moderniste n'est pas nommée, pas évoquée.
Cette indifférence fait sans doute aussi partie de son histoire.
Encore une excellente analyse! Merci, c'est un régal de lire vos articles!
RépondreSupprimermerci Mardi noir, en espérant ainsi vous offrir n vendredi plus éclairé ! Bien à vous. :-))
RépondreSupprimerMerci de ce commentaire sur les cartes postales du Quartier du Château de Rezé. Petite précision : sur la carte Gaby, le clocher est celui de l'église Saint-Paul. Ajoutons que ce quartier continue de vivre pleinement : quelques mètres au-delà de la croix bleue faite au bic, Rudy Ricciotti démarre en septembre la construction d'un auditorium. D'autres cartes postales, si elles existent pourraient nous montrer sur ce quartier, les constructions de Roland Castro (les Mahaudières), de Massimiliano Fuksas (la médiathèque Diderot), etc.
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