mercredi 31 octobre 2018

Stynen à découvrir

C'est sans doute une certaine forme de fidélité qui fait que je vais vous proposer une architecture de l'un des plus grands architectes belges : Léon Stynen. Cette fidélité est une fidélité amicale née il y a bien longtemps maintenant lorsque j'étais au collège comme élève et que Philippe Radigue y était mon enseignant en Arts Plastiques ! Vous imaginez... Milieu des années 80...
Mais c'est bien grâce à Philippe Radigue que j'ai aimé l'art, que j'ai pensé en faire mon avenir et donc, finalement écrire ce blog aujourd'hui.
C'est Philippe Radigue qui, il y a peu, me parla pour la première fois de Léon Stynen architecte dont je l'avoue je n'avais jamais entendu parler jusque là.
Alors :






































Oui.
Cette merveille de béton brut qui monte vers le ciel accompagnée de sa frêle croix de fer est bien une église, c'est Sainte Rita à Harelbeke. Facile d'imaginer mon choc en découvrant ce beau morceau de brutalisme au béton plié brut. Existe-il plus radical ?
La carte postale est une photographie de J. Vandecasteele qui fait là un très beau travail, durcissant le contraste, construisant parfaitement son cadre, donnant à l'église Sainte Rita toute sa force de surgissement. C'est très direct. On aime aussi les petits arbustes venant troubler de leur fragilité la peau du béton pas encore peint de blanc comme ce le sera plus tard malheureusement.
La forme évoque celle de la tente, celle d'une forme primitive de l'abri comme fossilisé par la Foi. C'est la force du béton qui, même à partir d'un dessin très épuré donnera toujours un sentiment de puissance, même si personne ne peut imaginer que l'épaisseur de ses plis, de sa coque n'est que de 8,5 cm... Une coquille donc.
L'œil voit un cône tronqué comme pour calmer l'ambition de gratter trop le ciel et pour aussi éviter l'image d'un cône alpin par trop simpliste. La surface ainsi ouverte laissera aussi passer la lumière à l'intérieur :






































Quelle photographie !
J. Vandesteele fait là un bien beau cliché où le grain de la photographie sert merveilleusement le grain du béton. Les verticales des plis à l'arrière jouent bien avec les tuyaux de l'orgue qui pourrait presque être considérée comme une maquette de l'église elle-même ! Le mobilier est superbe, raide, dur, sans concession, tout doit tenir dans l'émotion spatiale orchestrée par la lumière. Oui, messieurs les petits photographes contemporains, Monsieur Vandecasteele ne vous a pas attendus...
Allez, va prendre vite ton appareil et cours vers la Belgique faire tes photos pour la FIAC en jouant au découvreur.
Et que dire de l'audace de Monsieur Vandecasteele lorsqu'il cadre l'orgue ainsi, d'encore plus près ?



Tout se ramasse, tout se tasse, l'abstraction est tout au bord du monde, l'œil doit fouiller l'image. Le photographe coupe même l'élan de l'orgue, ratiboisant ses pointes !
Pour bien connaître Léon Stynen, je vous conseille l'exposition qui lui est consacrée en ce moment jusqu'en janvier :

https://www.vai.be/en/news/stynen2018
https://www.lecho.be/sabato/architecture/casino-king-sur-les-traces-de-l-architecte-leon-stynen/10027532.html
Pour tout savoir sur Sainte Rita :
http://www.eglisesouvertes.be/church_detail.asp?n=sint-rita&churchID=1835 

La Belgique Brutaliste est un terrain de jeu pour nous. C'est par le partage des connaissances qu'elle se révèle, sans laisser croire ni à sa rareté, ni à sa découverte ou à son invention. Espérons donc que les amis belges protégeront ses merveilles que nous aurons plaisir à venir, revenir voir.
Merci Philippe pour se partage et pour tout le reste. (Pudeur)
http://archipostalecarte.blogspot.com/2018/09/brutalisme-belge-2-sos-brutalism.html
http://archipostalecarte.blogspot.com/2018/07/brutalisme-belge-1.html





















































dimanche 28 octobre 2018

Bon coup de balais à Brasilia

Vous allez tomber de vos chaises, à moins que vous ne tombiez de votre fauteuil Barcelona !
Quelle chance avions-nous de croire ou de penser  trouver une carte postale montrant une icône de l'architecture quelques heures avant son inauguration, au moment même où on y installe ses meubles et ses tapis, avec les ouvriers en plein travail ?
Regardez !

Et comme vous êtes de fidèles lecteurs, vous aurez reconnu ce point de vue que nous avions déjà vu ici.
https://archipostalecarte.blogspot.com/2017/01/profondeur-de-chant-bresilien.html

Il faut croire que l'invention de Brasilia, sa modernité, l'événement de son surgissement ont provoqué une impatience telle chez les éditeurs qu'ils n'ont pas su attendre que tout soit terminé pour photographier et diffuser des moments de son invention. N'est-ce pas touchant et improbable que nous ayons sous les yeux ce moment ou les balayeurs et ouvriers installent le mobilier dans le Palais de l'Aurore ?
























Tout au fond de la photographie, deux ouvriers déroulent un tapis ou un morceau de moquette, l'un d'eux regarde le photographe. À gauche, un balayeur se reflète dans le grand miroir, il est entouré lui aussi de grands rouleaux qui sont sans doute des tapis.



À droite, son collègue, comme en symétrie, fait le même geste mais regarde, lui, dehors. On aime aussi en voir le reflet dans l'immense baie. Au premier plan, les fauteuils Barcelona ont leurs coussins encore protégés par des papiers ou des housses, la table basse n'a pas reçu son plateau, le canapé n'est pas découvert... les rideaux ne sont pas posés, etc...




On peut s'amuser à jouer au jeu des erreurs entre les deux cartes postales.
Nous voilà dans un moment bien intime, peu enclin d'habitude à recevoir des visites. Il faut croire que le photographe des éditions Colombo pouvait ainsi circuler dans les bâtiments sans crainte et que surtout, il a considéré lui-même ce moment comme digne d'être représenté. C'est bien là qu'est notre étonnement ! Doit-on voir là l'impatience dont je parlais plus haut ou une forme d'attention portée au travail des ouvriers, véritables acteurs de la naissance de cette ville ? Veut-il, ce photographe, nous signifier la nouveauté de ce Palais de l'Aurore en évoquant l'actualité de sa naissance, les dernières petites attentions à la mise en scène de cette architecture de Niemeyer ?
Quel document...
On pourrait presque questionner la mise en place de ces éléments de décoration et d'ameublement à l'aune de cette photographie car le volume et son étendue semblent bien dire un vide difficile à articuler, obligeant à inventer des îlots de convivialité que les fauteuils posés en groupe un peu loin les uns des autres organisent. Ici l'architecture de Niemeyer apparaît donc d'abord comme une absence, au moins une scène, donnant la chance à la vue redoublée par le miroir géant de se perdre dans l'horizon du paysage. Comme si ce surplus d'espace un rien gratuit était le vrai luxe de ce bâtiment dont le spectacle vient bien de cette surprise du vide. En ce sens, le regard du balayeur comme stoppé dans son élan de travail, se perdant dans le paysage extérieur, dit toute l'étendue de ce désir de perte, sa langueur. L'œil se perd au-delà de l'architecture préférant regarder la ville qui se construit.
Comme c'est bien le même éditeur (et photographe ?) qui est venu pour faire les deux clichés, on peut en conclure tout de même qu'il préféra donner à voir le moment parfait où tout est en place. Combien de temps le cliché de l'installation a-t-il été disponible à la vente, mettant l'actualité de la construction en rapport direct avec son image ? Avait-on le choix entre les deux cartes postales ? Les balayeurs et ouvriers ont-ils aimé ainsi être immortalisés dans leur tâche ?
Ma carte n'étant pas écrite, je ne sais rien de cette réception. Jean-Michel Lestrade lui avait fait le choix de la deuxième carte postale.
On notera que l'éditeur écrit Futura capital ce qui signifie bien que la Capitale et au moins le Palais de l'Aurore ne sont pas officiellement ouverts. Nous sommes donc avant le 30 juin 1958.

Espérons qu'aujourd'hui, le Brésil ne se laisse pas tenter par des arguments immondes et que ce coup de balais au Palais de l'Aurore fasse le ménage en mettant la poussière réactionnaire dehors et surtout pas sous le tapis.

Vous pouvez revoir les derniers articles sur Brasilia  ici :
https://archipostalecarte.blogspot.com/search?q=brasilia




samedi 20 octobre 2018

Corbu ! Range ta chambre !


Perplexité.
Profondeur de champ.
Traversant.
Absence.
Il me faudrait pour faire un article intéressant sur cette carte postale de la chambre des enfants de la Cité Radieuse de Marseille pouvoir articuler tous ces mots.
Je n'y arrive pas immédiatement car un détail attire irrésistiblement mon regard : les usures de la grosse poignée de la cloison coulissante. Comment se fait-il qu'elle soit ainsi déjà usée, abîmée ?

























Est-ce que son usage en est si intensif qu'elle a déjà enregistré toutes les agressions des enfants ou des parents utilisant chaque jour cette grosse poignée pour ouvrir et fermer ladite cloison ?
Bien entendu, je pourrais vous faire la leçon sur la lumière provenant du fond de l'image, autrement dit ici, à la Cité Radieuse provenant de l'autre façade puisque l'immeuble propose bien une orientation Est-Ouest permettant de suivre la course du soleil. Le voici du côté ouest, nous sommes donc l'après-midi.
On note que ce détail est certainement bien cadré et choisi par le photographe qui tient à noter cette particularité qui donne bien l'idée de la profondeur de l'appartement, s'étirant jusqu'à la blancheur un peu dure du fond de la perspective. Car cette carte postale a bien vocation didactique en nous montrant par l'une de ses pièces, la mobilité des espaces, leur taille, la promenade architecturale et aussi nous faire percevoir son habitabilité. Un piano peut même y venir trouver sa place, place qu'il prend à l'espace des enfants. On trouvera comme pour les autres cas de cartes postales des intérieurs de la Cité Radieuse, un mobilier bien peu avant-gardiste et même ici, soyons clairs d'une grande banalité. La grosse armoire n'a vraiment aucun intérêt autre que d'être un coffre, les lits sont recouverts de couvertures bien d'époque et on ne peut s'empêcher de rire à la vision de ce lampadaire en bois tourné (entre pseudo-breton ou pseudo-basque) et son abat-jour en ruban de plastique si moderne. Pour le reste, une banale plante verte dans un pot comme posée là pour signaler la niche, deux malheureuses céramiques qui font pâle figure et c'est tout ! Mais alors pour qui est ce piano ?
Et surtout, si on regarde bien (et l'agrandissement d'un scanner nous le permet) on devine au fond un peu de bordel oublié et une couronne de plumes d'indien qui ne laisse aucun doute sur une présence enfantine.


Est-ce donc un vrai appartement habité et rangé pour la photographie ? Je le crois. Cela expliquerait l'usure de la poignée de la porte coulissante et finalement, la vie qui s'y déroule.
Au dos de la carte postale diffusée par la Société Éditions de France Ryner, nous sommes informés que nous sommes bien dans la chambre des enfants et que la cloison est coulissante. Un tampon bleu affirme que la carte postale fut achetée sur place. Rien d'autre. Le photographe est oublié. Espérons qu'il ne fut pas trop autoritaire en demandant aux enfants de ranger leur chambre...
Gérard mets tes chausson, Gérard range ta chambre, Gérard fais tes devoirs !

Pour voir ou revoir quelques (Oups !) articles sur le mobilier chez Le Corbusier :
https://archipostalecarte.blogspot.com/2017/07/faire-lamour-chez-corbu.html
https://archipostalecarte.blogspot.com/2018/08/very-hard-design.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2011/02/le-corbusier-concret.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2010/10/le-corbusier-interieur.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2012/02/corbusier-mets-la-table.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2010/02/le-corbusier-habitable.html
http://archipostalecarte.blogspot.fr/2014/04/le-carnet-et-le-corbusier.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2010/04/une-folie-marseillaise.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2012/01/la-photographie-accuse-tort.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2012/02/corbusier-mets-la-table.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2011/03/pieces-deau.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2010/09/le-corbusier-dans-ses-meubles.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2011/09/le-corbusier-2-dedans-2-dehors.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2011/08/un-reflet-tres-moderne.html




mardi 16 octobre 2018

Overdose de chlore

Je n'ai pas de chance car, chaque fois que j'entends Vesoul, j'entends Brel bêler sa chanson et, comme je déteste ce chanteur, j'ai du mal à être objectif.
Un type en sueur qui gueule  qu'il pisse comme il pleure sur les femmes infidèles est tout de même peu admirable. Les femmes, quand bien même seraient-elles infidèles ne méritent pas qu'on leur pisse dessus. Face à de tels misogynes, l'infidélité est une sortie de secours à Vesoul ou à Amsterdam.
Mais il ne faut pas non plus pisser dans le grand bassin. La piscine est associée à cette légende tenace qui, enfant, vous refroidit l'envie de plonger et nager avec vos camarades même si la rumeur court que l'eau changerait de couleur si par hasard ce relâchement avait lieu...
Vesoul...
Voilà ta chance :

Cette très belle carte postale Combier nous montre donc la piscine Caneton de Vesoul. Le photographe choisit le moment où elle est fermée et montre donc ses très beaux panneaux géométriques de couleur orange alternant avec des vitres très sombres ici. On aime comment cette ligne vient jouer avec les courbes du petit bassin en forme de haricot encore très années cinquante et le petit bordel d'une rocaille donnant aux baigneurs, sans doute, l'impression d'être à la montagne...


Au dos de la carte postale, très étonnante, une phrase écrite par la correspondante indique : " la piscine découverte est à la place du photographe."
Qu'est-ce que cela veut dire ? Y-a-t-il un autre bassin ? Sans doute. En tout cas, c'est un cas rare dans ma collection d'une prise de conscience par l'acheteur de la position du photographe de cartes postales.
Comme nous aimons bien les belles piscines Caneton, nous avons grand plaisir à retrouver celle de Salbris dans un très beau cliché toujours par Combier :



Quel document merveilleux ! Dommage que nous n'ayons pas le nom du photographe !
L'animation est superbe et surtout nous pouvons parfaitement lire les structures de cette piscine, la belle idée de sa transformation et comment la capillarité entre dedans et dehors est ici bien travaillée. L'ouverture des panneaux à peine lisibles laisse toute la chance à l'espace, au soleil, au ciel. Le photographe semble très curieusement bien au-dessus du bassin et il est bien repéré par les baigneurs. Je tiens le pari que les deux photographies de cette piscine de Salbris furent prises lors de la même séance.



Retournez-là pour revoir de belles images de cette piscine :
https://archipostalecarte.blogspot.com/2017/09/piscine-couleurs-primaires.html
On aime que l'éditeur Combier nous donne toutes les informations : Arch : Cabinet de Messieurs A. Charnier, J-P. Aigrot, F. Charras à Fontenay-aux-Roses. Au fond le grand bassin, Arch Mr Joubert à Blois.
Voilà qui est précis !
Retrouvons une vieille amie :



Ce chaos superbe de volumes penchés dont la polychromie accentue encore le mouvement est bien la piscine de Grande Synthe. J'avoue beaucoup aimer ce genre de machine étrange. Malheureusement, je ne trouve pas qui en est l'architecte ou le concepteur ni qui en a conçu le jeu de couleurs rayant ainsi toute la surface en tôle de bleu clair, de bleu foncé, et de blanc ! La carte postale est une édition de l'Europe Pierron. On note que le photographe replace depuis une hauteur la piscine dans son élément : une cité en hard french. Le parking donne sans doute la mesure de la fréquentation de cette piscine qui semble énorme ! Elle n'existe plus ainsi.



Retrounez la voir ici aussi :
https://archipostcard.blogspot.com/2012/09/la-beaute-du-monde-parfois.html
Pour finir avec vos icônes favorites, celles qui vous font faire le Tour de France de leur présence ou de leur disparition, celles devenues des stars des Trente Glorieuses, celles enfin, d'un fantasme de sauvetage pour y vivre, voici, oui, voici (roulement de tambour), voici deux piscines Tournesols :




On aime la belle piscine Tournesol de Bourgoin-Jallieu et sa robe orange vif, on aime la pureté de la blancheur de la piscine Tournesol de Saint Estève.
On remercie pour la première les éditions Cellard et on aimerait aussi savoir qui a dessiné le centre de formation d'apprentis de Bourgoin-Jallieu qui semble bien intéressant. Voilà une piste à creuser.
On remercie les éditions Audumares de Perpignan pour celle de Saint Estève.
Je n'ajouterai rien, tout a déjà était écrit, commenté, discuté, regretté...pillé.

vendredi 12 octobre 2018

La propriété privée c'est le vol



















L'îlot est fermé, son usage, du moins, est réservé.
Peut-on établir à partir d'une carte postale les lois de la propriété, comprendre comment un point de vue touche une limite, une frontière urbaine ?
La tarte à la crème de l'îlot ouvert*, offrant de la circulation à la ville, un filtre ouvert aux passages est souvent mise en avant comme une qualité. Laisser de la place aux déplacements, à la promenade, à la traversée serait un peu comme une qualité indéniable, nécessaire, absolue. Des pilotis de la Cité Radieuse de Corbu à la Fonction Oblique de Messieurs Parent et Virilio, cette capillarité de l'architecture à son franchissement semble bien une question primordiale.
Alors est-ce possible à partir de cette carte postale du Domaine de l'Ile aux Dames à Le Pecq d'évoquer cette question qui replace l'usage privé et l'usage public au centre de l'architecture et donc de l'urbanisme ?
Oui.

Car le lieu même où se place le photographe pour faire son cliché est la limite de propriété de l'îlot, obéissant en quelque sorte, à l'injonction pour les non-résidents (et non-invités) de rester à l'extérieur. Bien évidemment, comme piéton, rien n'entrave la liberté du photographe de chez Lyna à passer outre, d'entrer dans cet îlot et certainement d'en faire des photographies. Mais, sans doute, hors des autorisations nécessaires, il préfère faire sa photographie sur le trottoir de la voirie publique s'autorisant de fait, à inventer son image depuis cette liberté légale.
On remarque que ce point de vue, que ce cadrage permettent de le titrer car il cadre la pancarte d'entrée qui agit alors comme un cartouche. Vous serez comme moi bien dubitatifs par contre à ce que ce cadrage puisse donner du lieu une représentation. Seule la perspective de la voirie s'éteint au fond de l'îlot, un arbre occupe le premier plan et les façades et les barres sont donc illisibles. Le photographe fait bien là le minimum possible, crée une sorte de frustration à nous qui voudrions aller voir... Exactement comme si, sur ce trottoir nous n'osions entrer dans le Domaine privé.
J'aimerais faire à nouveau cette expérience : garer ma voiture à l'extérieur et, appareil photographique en bandoulière, arpenter et photographier ce domaine. À quel moment, verrais-je une personne venir me demander ce que je fais là, quelle autorisation j'ai et pourquoi je m'intéresse à ces bâtiments ? Verrais-je comme avec le petit toutou à ses maîtres de la Résidence de France au Havre, habillé de frais d'une combinaison grise militaro-sécuritaire et d'une autorité de pacotille m'ordonner de partir, toujours au nom de la Propriété Privée ? Le concierge déguisé en videur.
Mais cette frustration de l'image, de ne pouvoir voir, est tout de même récente et l'époque de cette carte postale était bien plus à l'ouverture des lieux. Alors ? Ma conclusion serait-elle hâtive ?
Je ne le crois pas. On devine qu'un tel Domaine est un marché potentiel pour l'éditeur, tout comme les cités, heureux que seront les habitants de trouver une image qui les représente. Montrer l'entrée d'un Domaine, un peu comme on montre la grille en fer forgé d'un Château, c'est bien dire une limite, raconter le privé. Le mot Domaine, bien entendu ici, vient contrecarrer le mot Cité ou Résidence, il dit l'ampleur du territoire construit mais aussi que là habite une catégorie de population. Et cette architecture ne se signale pas tant que cela comme à part de la production habituelle de l'époque pour du logement collectif. L'architecture du Domaine de l'Ile aux Dames tient toute entière dans la catégorie socio-culturelle de ses habitants. On sent bien un traitement des façades, une organisation des balcons filants et des larges baies très ouvertes sur le parc comme seuls indices de cette architecture de promoteurs. Il existe des programmes de Logements Collectifs bien plus originaux, audacieux et surtout plus intelligents dans leur capillarité avec le reste de la ville. Ici, dans un chic propret et attentif, les petites barres sont honnêtes à leur fonction mais ne bouleversent en rien l'histoire de l'architecture.  Les architectes de ce Domaine de l'Ile aux Dames seraient Abro et Henri Kandjian qui ne sont pas nommés par l'éditeur de notre carte postale.
Alors quoi ?
Alors doit-on préférer cela :


Oui !
Si l'on croit que l'architecture doit produire une émotion (et pas une émotivité), servir une pensée urbaine, tenter l'incroyable résistance de ses formes face à la Ville, si on croit que l'architecture n'est pas une absence mais une présence sans remords (aucun, même pas la laideur), alors une muraille peu bien faire l'affaire.
Muraille ?
C'est bien comme cela que l'éditeur La Cigogne nomme cette longue barre reprenant même l'appellation populaire de Muraille de Chine ! Nous sommes pourtant à Clermont-Ferrand !
On a déjà vu des bananes :
https://archipostalecarte.blogspot.com/2013/12/banana-hard-and-very-long.html
https://archipostalecarte.blogspot.com/2013/04/jour-gris-pour-un-ami-un-peu-loin.html
Je sais que nous sommes peu nombreux (bien que...) à aimer sans hésitation et même sans second degré ce mauvais genre de l'architecture française. Et regardez comment le photographe s'en sert pour construire son image, coupant celle-ci en deux, forçant le mur, forçant ainsi l'infranchissable. Peu, en effet, de capillarité possible et visible depuis cette image, ne laissant à l'architecture que le droit de correspondre à la déformation langagière qui lui est accolée : une muraille.
Qui invente l'autre ? L'architecture ? Sa nomination ?  Son image ?  Qui invente le comment regarder un lieu ? Car cette carte postale finalement, en jouant à être l'équivalent du jugement populaire ne dit rien de la réalité architecturale de cet immeuble traversant la ville, ne dit rien de comment on y habite ? De comment il est réellement une clôture ? Ni même, si, de fait, une clôture ne pourrait pas être belle et intelligente.(voir le Haut du Lièvre)

Sur cette autre carte postale éditée par La Cigogne, on devine bien mieux l'implantation urbaine de la Muraille de Chine, d'ailleurs nommée ainsi par l'éditeur qui oublie le nom de l'architecte. On perçoit bien que cette Muraille de Chine surplombe une butte et permet donc bien d'offrir un immense panorama à ses habitants. Sans compréhension de cette implantation, sans égard pour cette chance urbaine, il est malhonnête d'affirmer rapidement que ce bâtiment est une fermeture, un mur. L'autre atout de cette carte postale c'est de lire la courbe de la barre qui apparaît bien mince en rapport à sa longueur. Il s'agit bien d'un acte d'architecture mais aussi d'urbanisme et même surtout un travail paysagé. L'invention de cette machine à panorama devrait aussi être jugée ainsi. Est-ce aussi parce que ce belvédère est populaire qu'il est ainsi mal aimé ? Et devrait être récupéré... par d'autres..?





































J'aime cette Muraille de Chine. J'aime son égalité affichée, sa puissance, avançant comme un train, ruinant la poésie du petit à petit du hasard des villes et des quartiers. J'aime qu'elle représente une politique, une intransigeance, une nécessité. J'aime les forteresses, les bunkers, les murailles, les infranchissables qui sont souvent comme pour les ponts, avant tout des objets d'échanges. C'est mon Pont du Gard à moi, mon Corviale.
Alors entre la clôture invisible mais réelle du Domaine qui raconte la propriété privée (le jeu des investisseurs) et la Muraille qui traverse la ville mais donne une chance au logement pour tous, j'ai choisi depuis longtemps.
Que voulez-vous, comme pour tous les politiciens de l'aménagement du territoire, il m'arrive aussi d'être démagogue en attendant d'être réaliste. Je ne céderai rien, jamais, à mes joies symboliques ou réelles.
Il faudra lancer une étude du nominalisme architecture : Muraille de Chine, banane, pot de yaourt, coquille Saint Jacques, grille-pain etc... Qui se lance ?






































* Je me souviens de ma déconvenue, à vouloir arpenter les Hautes Formes de Portzamparc dont on chante l'audace de la rue retrouvée, de l'îlot ouvert, du dessin du vide en lieu et place du bâti... et d'avoir affaire à une clôture et un portail empêchant de fait, de jubiler de la ville ouverte et de ses nouvelles capillarités... Une blague pour photographe de revues d'architecture ? Être... chez soi avec digicode, serait-ce le sens réel de ce vide que l'on ne peut traverser ?

On retrouve le même point de vue que la carte postale sur Google Earth et on remarque que la Google Car n'a pas osé franchir la limite territoriale du Domaine de l'Ile aux Dames...




















































Et la Muraille de Chine de Clermond-Ferrand est bien belle et lisible, elle devrait mieux s'appeler "le Panorama Géant de Clermond-Ferrand" :




























Beauté :




mardi 9 octobre 2018

Le Corbusier hydro-électrique

À moins que vous ne soyez un éminent spécialiste de Le Corbusier ou l'un de ses aficionados des plus experts, je suis certain que, comme moi, vous serez tout à fait étonné de savoir que la construction qui suit est bien de Le Corbusier :


Je remercie vivement mon ami Antoine Le Reste de m'avoir mis sur cette piste étrange et bouleversante.
Nous avions déjà vu Le Corbusier s'intéresser à un barrage à Kembs mais dans une veine bien plus corbuséenne. On s'amusera que le grand architecte aura dessiné des barrages et des... péniches, il faut croire qu'il aimait la vie le long des fleuves tranquilles. On se rappellera que les frères Perret ont aussi aimé la houille blanche.
Vous conviendrez avec moi que cette usine hydro-électrique de l'Isle-Jourdain n'a rien de vraiment corbuséen, n'arborant rien des 5 points essentiels de l'architecture par le Maître. Peut-être que la structure (sûrement même) et le pragmatisme de la réponse au programme seront les seuls indices de l'affiliation de l'architecte avec cet objet technique. Il semble bien que les débats sur cette attribution furent bien vifs même si Gilles Ragot semble avoir clos ce débat en faveur de Le Corbusier.
Après tout, comme pour la découverte du mobilier de Corbu dans les films pornographiques, notre étonnement vient bien d'une image construite que nous nous fabriquons de l'architecte, d'une certaine image esthétique imaginaire, que nous avons du mal à sacrifier à une réalité bien moins homogène de l'œuvre de Corbu.
Par contre, on ne s'étonnera pas de trouver moult cartes postales de ce barrage car les éditeurs ont toujours aimé éditer ces objets techniques qui rencontrent encore aujourd'hui un engouement public. On aime l'association du paysage bouleversé et des prouesses techniques, on aime en expliquer par des cartouches toutes les particularités et la puissance.






Les photographes tentent souvent de trouver un point de vue mettant en avant à la fois la construction mais aussi ce qu'elle engendre dans le paysage comme bouleversement. Je n'en trouve aucune montrant l'intérieur, par contre, il existe des cartes postales de sa construction. Les joies de la technique y sont donc palpables, la construction étant considérée comme un événement digne de représentation. Aucune des cartes postales de cet article ne nomme Le Corbusier ou Jeanneret. On ne s'en étonne pas, l'image d'un objet technique en carte postale préférant toujours évoquer ses capacités techniques plutôt que ceux qui en sont à l'origine. D'ailleurs, il n'y a certainement pas grande responsabilité technique directe de Corbu dans les exploits hydro-électriques de ce barrage, l'architecte n'ayant comme but que (si j'ose dire) l'habillage de ces exploits même si cet habillage réclame bien évidemment une intelligence bien comprise de la machine à produire de l'électricité.
Mais, bien entendu, même si les preuves historiques de cette attribution semblent maintenant actées que devons-nous faire de la surprise de cette attribution ?
Comment faire travailler dans notre imaginaire corbuséen ce type de réalisation avec le désir (rien d'autre) d'une œuvre plus serrée, plus radicale, plus ténue ?
Sans doute, un peu comme à rebours, nous sommes comme les premiers visiteurs de Ronchamp, surpris de voir le Maître ayant traversé ses propres images pour produire un autre chemin, une autre attention. Il faut toujours relativiser notre désir d'absolu à l'aune d'une réalité bien plus variée et surtout éclairante.
Ça tombe bien pour que l'ampoule s'allume, il nous faut... du courant... électrique.

Je vous conseille pour Corbu et les fleuves :
https://archipostalecarte.blogspot.com/2015/03/le-corbusier-pour-les-hommes.html
https://archipostalecarte.blogspot.com/2016/03/le-corbusier-une-remise-niveau.html 
https://archipostalecarte.blogspot.com/2018/05/monsieur-robuchon-et-le-corbusier-sont.html

Par ordre d'apparition :
-éditeur et photographe inconnu
-cliché Raymond, Poitiers
-éditions modernes Théojac
-cliché Raymond, Poitiers, collection Lavaud.

lundi 8 octobre 2018

Nancy, mal à Prouvé ?


Sur cette carte postale un rien particulière, le résumé parfait d'une époque, comme l'heureux cliché d'un moment.
Automobiles, architectures et même cette inscription de Palais des Congrès nous plongent bien dans un espace-temps particulier.
Deux constructions différentes pourtant :


























Le Palais des Congrès et les immenses tours blanches à l'arrière plan et leur décor en balustrades de béton découpé tellement à la mode, faisant jouer un cinétisme simple.
Je me souviens de cet endroit et c'est bien ce qui me plut immédiatement à la découverte de cette carte postale. Nous sommes à Nancy, c'est même une édition de la Ville de Nancy puisqu'il s'agit d'une carte postale promotionnelle éditée par la Ville pour faire connaître le Palais des Congrès, je vous laisse lire ce verso de la carte imitant une correspondance fictive. Mais qu'est devenue Sophie qui joue le rôle du Timbre et remplace Marianne ? Toujours employée par le Palais des Congrès ?



Mais.
Mais revenons à l'architecture.
Je me souviens que je fus très séduit par ce Palais des Congrès, par le traitement de son rez-de-chaussée avec ses immenses jardinières très sculpturales. Bien entendu, à Nancy, les panneaux de façade de ce Palais des Congrès me firent rêver à Jean Prouvé.
J'aime leur couleur, l'arrondi des coins, leur surface d'un lisse parfait. On dirait des hublots de Boeing. Mais sont-ils de Jean Prouvé ? Je ne le pense pas.
Après tout, le mur-rideau n'appartient pas tout entier à l'ingénieur, quand bien même nous sommes à Nancy ! Qui pourrait les identifier et, ou, bien les attribuer ?
Mais le beau souvenir que j'ai surtout gardé de ce Palais des Congrès, c'était son escalier visible depuis l'extérieur et que j'avais rêvé récupérer :











































































































N'est-il pas magnifique cet escalier ? Qui a dessiné cela ? Qui aura eu le culot d'aller le chercher dans les gravats de la ruine du Palais des Congrès puisque ce dernier sera (est ?) bientôt démoli, détruit, anéanti ? Qui pour sauver ce magnifique élément d'architecture ? Qui sauvera en même temps quelques panneaux de façade si représentatifs de ce mode constructif de l'époque ? Le Musée du Fer ?
Battez-vous pour sauver cela au moins !

Les photographies qui suivent sont de 2011 déjà ! On remarque que les beaux immeubles avaient perdu leur découpage de béton et avaient donc eux aussi subi un malheureux ravalement niant leur esthétique. Je ne sais pas de qui sont ces immeubles mais ils formaient alors un bien beau morceau de ville associés ainsi à ce Palais des Congrès.
Ainsi, cette modeste carte postale aura eu deux mérites : maintenir dans mes souvenirs le désir de revoir et maintenir l'histoire de l'architecture de cette période à Nancy dans un beau document populaire. Et si l'architecture de cette période à Nancy est méprisée et donc sacrifiée, il nous restera ce document pour évoquer son existence mais aussi les modes de communication de la Ville de Nancy, alors, fière encore de sa Modernité.










































































Et comme dit l'autre avec son argument imparable....
« Il aurait été extrêmement difficile de restructurer un bâtiment conçu pour être un Palais des congrès. D’autant qu’il y a de l’amiante ! La démolition est la solution la plus simple », explique Philippe Jovignot, qui gère le projet pour la famille Deromedi.
Ben voyons... Où simplicité doit rimer forcément avec intelligence. On se marre.

On notera que les clichés de Google Earth datent de 2018 et que le Palais des Congrès y est encore debout. Ami(e)s Nancéen(ne)s Dites-nous ce qu'il en est aujourd'hui.
Sauvons ce qui peut encore l'être...