mardi 30 septembre 2014

Kraftwerk et laboratoire suisses

On ne vous donnera pas aujourd'hui pléthore d'informations sur des architectes, on rechignera même à évoquer l'histoire, voyez-vous, j'ai juste une énorme envie d'images belles, comme parfois j'ai une énorme envie de chocolat.
Ça tombe bien puisque nous allons aller en Suisse par deux fois. Et quelle qualité !
Allez, ne perdons pas de temps et jubilons des cartes postales qui nous offrent encore l'occasion de voir la qualité photographie et éditoriale de cet art populaire.
La nuit :



Ce superbe immeuble est à Bâle, il s'agit de l'immeuble Geigy. La carte postale est un peu particulière car elle fait partie des cartes promotionnelles imitant avec beaucoup de finesse une vraie carte postale manuscrite. Ici, le message vante le Néocide 1958 qui est un insecticide mais qui nous permet de dater la carte de... 1958 !








On admire la beauté du cliché qui donne toute la place à la lumière intérieure venant découper les fenêtres comme dans un beau découpage de notre ami artiste Hansjörg Schneider ! Le cliché est signé de Jep et Carre sans plus de précision sur l'architecte de ce bel immeuble. Il pourrait bien être l'œuvre de l'agence Burckhardt.
Le jour :



Cette fois nous sommes à Zurich devant une usine dont les qualités plastiques sont évidentes. Comment ne pas aimer immédiatement la richesse des grilles, la beauté des gris, le jeu des ouvertures et la volumétrie dont les emboîtements successifs forment un Architekton pour de vrai.
J'aime tout particulièrement ce détail des strates du banchage du béton sur ce qui doit être une tour d'aération. Il s'agit de la Fernheitzkraftwerk a. d. E.T.H. (sic).
Il est certain qu'ici l'usine fait la nique à beaucoup de constructions incapables de jouer ainsi de leur programme et prouve que l'esthétique née simplement de la fonction, s'appuyant dessus en fait, forme une émotion architecturale puissante que, bien évidemment, la parfaite photographie sobre et délicate dans ses tons et sa lumière permet encore plus d'apprécier. Les droites montent vers un ciel tendu et égal, la palette c'est faire feu de tous les lavis, les aplats parfaits jouent avec l'orthogonalité des lignes.
Une merveille photographique que l'on doit à Verlag Beringer et Pampaluchi de Zurich. Mais me croirez-vous quand je vous dirai que cette merveille date de 1935 ?
Elle est l'œuvre de Otto Rudolf Salvisberg et, moi je dis, devant une si extraordinaire architecture : merci Monsieur Salvisberg.





lundi 29 septembre 2014

Je suis de cette image



Depuis cette carte postale du centre commercial de la Teste du Busch en Gironde par l'éditeur La Cigogne, je pourrais vous faire le coup de l'architecture passionnante des centres commerciaux, de l'influence de Martin Parr, de la beauté formelle de l'architecture magnifiée ici par un cadrage audacieux jouant parfaitement avec le jeu des poutres sombres barrant le ciel. Je pourrais même vous faire l'article sur les architectes un peu oubliés de ce centre commercial mais parfaitement nommés par l'éditeur : messieurs Tagini, Bersagol et Bouey.
D'ailleurs quelques minutes de recherches et me voici plongé dans Architecture d'Aujourd'hui de 1956 nous montrant un ensemble résidentiel dessiné avec habileté par ces messieurs :







Bon.
Vous pourriez alors me dire que je fais comme d'habitude. Certes.
Mais voyez-vous ce qui me trouble dans cette carte postale ce n'est pas tant son architecture ou la puissance narrative de sa photographie mais un détail curieux pour moi, un détail... vestimentaire. En effet, quatre des personnages de cette carte postale sont vêtus d'un short aux motifs hawaïens que j'ai reconnu immédiatement comme similaire à celui que je portais à la même époque...
Regardez bien :
































Et mon appartenance possible à ce moment vestimentaire conjugué à ce moment architectural me trouble au plus au point, comme si, ce vêtement que j'ai moi-même usé jusqu'au bout me permettait de m'accrocher à une image mais aussi à une époque. En quelque sorte, comme ce petit garçon debout qui regarde le photographe, je suis de cette image.
Et me voici à mon tour portant un plâtre... et le fameux short hawaïen :



Sommes-nous en 1973 ou 1974... Il nous faudrait regarder dans les catalogues de ventes par correspondance, dans la ligne Prisunic de vêtements pour enfants pour comprendre comment ce modèle de short hawaïen (qu'à l'époque on devait nommer caleçon) a pu ainsi se répandre aussi largement dans une seule carte postale !
J'étais donc à la mode !
Mais d'où venait cette mode hawaïenne ?


Ce samedi et sur ma demande, mon frère Christophe, grand collectionneur de vieux papiers et de catalogues en tous genres, m'apporte le catalogue de vente La Redoute de l'été 1971 !
Et voici que l'on trouve dans les pages enfant et homme les fameux caleçons appelés bermudas qui, à bien y regarder ne sont pas si hawaïens que ça ! Mais c'est bien le modèle de l'époque et même certainement, étant donné la fidélité de notre mère à La Redoute celui que je porte.
1971 c'est un peu vieux, j'ai dû hériter du bermuda de l'un de mes frères ce qui expliquerait euh... son état !




vendredi 26 septembre 2014

On ne subit pas l'avenir, on le fait



Ce matin, Jean-Michel était heureux. Il allait passer la journée avec André Sarrazin, un ami architecte avec lequel il avait appris le métier et pour lequel il aimait collaborer.
C'est en sifflant dans la Ds qu'il prit la route vers Saint-Gratien dans le Val d'Oise. André Sarrazin l'attendait à l'entrée du foyer municipal qui était une construction déjà un peu ancienne mais que Jean-Michel aimait tout particulièrement parce qu'elle marquait son entrée dans la profession.
Avant d'entrer et de retrouver l'architecte, Jean-Michel une fois encore s'éloigna un peu et regarda le foyer depuis le trottoir d'en face. La volumétrie restait superbe et même osée combinant la brique et le béton d'une manière habile sur cette petite parcelle. André Sarrazin avait réussi à massifier la construction sans l'allourdir. Sculpté, évidé mais aussi largement ouvert par des baies généreuses et l'utilisation du pavé de verre, ce foyer avait belle allure. Certes, aujourd'hui, le bâtiment de Sarrazin était un rien marqué par un modernisme un peu d'avant-guerre mais pourtant dans sa présence débordait largement les questions de mode. Et, après tout, ce que regardait aussi Jean-Michel devant ce foyer municipal dessiné par Monsieur Sarrazin c'était aussi lui-même en train d'apprendre.
Jean-Michel retourna dans sa DS garée sur le trottoir pour prendre un paquet qu'il comptait offrir à l'architecte. Il salua le planton à l'entrée.........








........André Sarrazin faisait le tour, signalait par des gestes amples, pointait avec son doigt des détails. Jean-Michel suivait l'architecte, écoutait, prenait des notes. Le marché couvert de Saint-Gratien sentait encore le béton frais et même un peu l'humidité lorsqu'ils y entrèrent. C'était la dernière livraison de l'architecte et il était surtout très fier de ce toit en parachute ouvert offrant un contraste formel fort avec les immeubles. Subtil dans les espaces, précis dans les combinaisons d'entrée et de refend, signal fort pour la population, le marché couvert de Saint-Gratien avait tous les atouts de la modernité avec ce jeu du béton courbé et dansant.
Oui, bien évidemment, et cela ne lui posait aucun problème, André Sarrazin confirma qu'il avait bien vu et regardé le marché couvert de Royan. Jean-Michel comprit pourtant qu'ici, sans doute, André Sarrazin avait avec modestie, et dans un désir amoindri de faire un coup, un exploit, surtout voulu offrir un lieu, un objet reconnu par la population. Jean-Michel acquiesça à cette précision.
Tout en regardant la construction, l'architecte demandait des nouvelles de la famille de Jean-Michel, comment allaient Momo et Gilles, et Jocelyne ?
Jean-Michel allait-il enfin monter sa propre agence ? André Sarrazin savait que ce dernier en rêvait sans oser vraiment passer le cap et l'architecte aurait aimé que ce denier soit plus ambitieux.
Ils pourraient travailler ensemble en toute tranquillité.
Dans le paquet offert par Jean-Michel, André Sarrazin avait trouvé une superbe brique de terre vernissée et décorée de motifs géométriques abstraits que Jean-Michel avait simplement ramassée sur un chantier de démolition au Maroc. Tous deux, l'ingénieur et l'architecte savaient que dans ce modeste objet c'était toute l'architecture qu'ils aimaient qui était contenue : simple par sa réalité constructive, belle dans sa fonction, sensible dans sa matière.
La brique s'enfonça mollement dans la Moleskine de la banquette arrière de la DS de Jean-Michel qui reconduisait l'architecte.
-"On ne subit pas l'avenir, Jean-Michel, on le fait."
Ce fut, sur le bruit du moteur démarrant, le conseil de l'architecte à l'ingénieur.

Par ordre d'apparition :
Saint-Gratien, le Foyer Municipal, André Sarrazin, architecte. Pas d'éditeur.
Saint-Gratien, le Marché Couvert, André Sarrazin, architecte. Pas d'éditeur.




jeudi 25 septembre 2014

Mariée comme un nu descendant un escalier



-Mais dis donc Papy c'est quoi cette carte postale ?
Alvar venait de trouver la carte postale un peu mal rangée dans un dossier "escalier", débordant par le haut des pages. Jean-Michel sortit de sa torpeur et hésita pendant deux secondes entre un sentiment de gêne et un rire ouvert. Il choisit le rire ouvert.
-Mais Alvar, regarde bien cette carte postale, regarde bien...
-Ba je comprends bien que là, Papy, c'est sans doute pas l'architecture qui t'intéressait... Quoique cet escalier de plongeoir en vis est assez beau. C'est où ? À Monte-Carlo ? L'heure du bain au Beach ?
-Oui ! Et ?....
-Ba, je ne sais pas moi, c'est toi qui as dessiné l'escalier ?
-Ah non ! Pas celui-là mais c'est vrai que ce fut l'un de mes tous premiers chantiers et... donc... tu ne devines pas ?
-Non... y a de belles pin-up !
-Et ?
-..........
Sans même montrer à Alvar, Jean-Michel précisa :
-En haut de l'escalier, la deuxième en partant de la gauche, le bras levé...
-Oui, elle est jolie... Oh Putain ! Pardon !... Enfin... C'est Mamy ?!



-Eh oui... C'est ta grand-mère, c'est Jocelyne ! On était plus jeune que toi aujourd'hui ! J'avais tout juste 19 ans et elle 20. En fait, j'étais venu au bras de la première sur l'escalier au milieu, une jeune finnoise rencontrée en camp de jeunesse en Hollande, juste après guerre. Elle venait voir la France, Vicky ! Elle, est repartie avec Günter un étudiant en droit allemand et moi, moi, je suis reparti avec Jocelyne !



-Eh bien, tu t'ennuyais pas !
-Dis donc ! Toi non plus je crois savoir...
-Mais pourquoi cette carte postale, cette photo ?
-Tu demanderas à ta grand-mère si tu en as le cran... En fait, j'étais au boulot même si cela ne se voit pas sur ce cliché. J'étais bien venu là pour le chantier et pour fêter la réouverture de la piscine, ils avaient eu l'idée de cette carte postale. Tu imagines bien que je l'ai achetée, d'ailleurs, ta grand-mère n'a eu connaissance de cette carte dans mes affaires que très tard ! Je la planquais à l'agence.
-Et la finnoise, elle est devenue quoi ?
-Vicky ? Elle s'est mariée, elle vit à Stuttgart avec Günter. Elle aussi est grand-mère !
-Mais pourquoi, il y a aussi cette carte postale d'escalier rangée avec ?



-Fais voir...
-Ah, celle-là ! Elle est moins sexy non ? Il n'y a pas ta grand-mère dessus ! C'est mon premier vrai chantier avec les responsabilités et le suivi du chantier. Un escalier... Tu imagines... J'avais fait le dessin et les calculs pour les appuis et j'avais dirigé les gars sur le chantier. J'avais 22 ans ! Et les types 10 à 15 ans de plus que moi. Tu m'aurais vu, un vrai petit roquet ! Mais c'est là que j'ai fait la connaissance de Luigi, l'un des maçons italiens qui est devenu notre chef de chantier pendant plus de 25 ans à l'agence. Un type solide et sérieux.
Mais Jean-Michel finissait sa phrase tout seul, il entendit les pas d'Alvar son petit-fils s'éloigner dans la maison. Au fond du couloir, Alvar, la carte postale à la main appelait déjà sa grand-mère. Jean-Michel, sourire aux lèvres, se tassa sur son fauteuil, attendant l'orage qui allait venir. Pourtant, il ne réussit seulement qu'à entendre :
-Oh! Dis donc ! Il y a longtemps que je l'avais vue cette carte ! Ton grand-père la cachait dans son tiroir à l'agence ! Que de souvenirs ! Regarde Alvar, là c'est moi et là c'est Vicky ! Et ton grand-père, il est derrière le photographe ! Jean-Michel, regarde, tu as vu ce que Alvar a trouvé ? Jean-Michel ? Jean-Michel ?.......










Par ordre d'apparition :
Monte-Carlo, l'heure du bain au Beach, éditions Rella, expédiée en 1945.
Sotteville-sur-Mer, la descente à la plage, Combier éditeur.

mercredi 24 septembre 2014

Karavan et les chiens du désert

Dans l'histoire de la sculpture, il nous arrive parfois de croire que certaines œuvres, bien que fondées sur des raisons extrêmement éloignées de nous, puissent avoir été construites pour répondre à nos propres désirs.
Nous avons déjà sur ce blog évoqué un sculpteur que le Comité de Vigilance Brutaliste commence a considérer comme l'un de ses aînés : Dani Karavan.
Je vais vous montrer aujourd'hui l'une de ses œuvres qui, à elle seule, pourrait être un monument à nos désirs : le Monument de la Brigade Negev à Beer-Sheba (Beer-Sheva) en Israël.
Je dois avouer que j'ai cherché en vain pendant longtemps une carte postale représentant cette sculpture, cette architecture, ce jardin de béton perdu dans le sable, certain qu'il devait bien y en avoir une. La voici :







La carte postale étrangement en position verticale place le Monument de la Brigade Negev dans le bas de la photographie prise d'avion. Ainsi, le Monument apparaît comme, au choix : une oasis, ou des ruines archéologiques étranges dégagées du sable. On ne peut en voyant cette œuvre que penser au projet de Claude Parent pour le monument à Yves Klein, à l'observatoire astronomique en Inde ou au travail des aires de jeux de Pierre Székely. Des courbes, des formes géométriques pures, des ouvertures dans des blocs, génèrent un paysage abstrait dont rien ne permet de lire directement les origines, mais laissent un sentiment de connivences formelles allant de la centrale nucléaire, de l'usine de béton, jusqu'à un objet extraterrestre. On sent une fonction, on espère une symbolique que seule sans doute la dénomination de la pièce permet de saisir et de décrypter. C'est bien cette distance abstraite qui permet de se l'approprier. On notera que l'éditeur Palphot ne nous donne aucune information et ne nomme même pas l'auteur Dani Karavan. La carte postale fut expédiée en 1982 vers la Roumanie...
Il ne fait aucun doute que le Comité de Vigilance Brutaliste ira à Beer-Sheva parcourir cette île de béton.
Il me faut donc pour avoir des informations aller vers mes archives. Je trouve dans Architecture d'Aujourd'hui de 1970 un article complet !
On remarquera que l'article insiste sur le fait que l'on peut arpenter la sculpture en tous sens comme un paysage et nous livre également l'histoire et la symbolique de ce Monument aux Morts de la brigade Negev. On remarque aussi que le point de vue nous permet de replacer ce Monument dans une proximité de la ville soudain bien plus présente !














L'œuvre de Dani Karavan et de Abraham Karavan fut réalisée avec l'aide d'Oscar Sirkovitche entre 1965 et 1968. Dans l'excellent le béton dans l'art contemporain de Marcel Joray on retrouve ce monument :





Mais le plus surprenant sans doute, c'est qu'on peut faire la visite de ce Monument depuis Google Earth ! La Google Car ayant pris le chemin sablonneux qui mène à la sculpture de Dani Karavan, on a la sensation de la chaleur, du bruit du moteur. Et là, seuls, perdus au pied de la construction, attendant les visiteurs pour une maigre et improbable pitance, nous regardent les chiens du désert. Nous irons à Negev.