mardi 31 janvier 2017

C'est le jour

Je vais faire comme tout le monde. Je vais vous raconter quand j'étais petit, ma nostalgie amusée naissant sur les quarante années passées. Mon frère revenant d'un voyage scolaire à Paris, ayant vu, lui, la bête et apportant à la maison un livre sur le Centre Pompidou. Ma jalousie et mon impatience à y aller à mon tour. L'attente d'une année.
Je vais vous chanter comme tout le monde que l'année 1977 c'est l'année de Beaubourg, de Star Wars, de la Ville Nouvelle du Vaudreuil, des feux s'éteignant d'une utopie dont on nous avait nourri, de la jeunesse joyeuse.
Ah... Quarante ans ! Beaubourg a quarante ans et cela a l'air d'étonner tout le monde comme si, finalement, on s'apercevait que le cadavre de cette utopie bougeait encore. Et on y va sur la modernité encore présente de son architecture, sur son aventure à sortir de terre, sur cette modernité acceptée qui aujourd'hui fait si vintage... Et puis les tuyaux de couleurs, l'escalator sur la façade, coursive finalement aboutie de la Modernité des années 20, le plan libre, la légèreté des cimaises déjà pourtant présentes ainsi au Musée Malraux, et la Pop Culture que Baudrillard dénoncera.
Rendez-vous compte : Chirac et Pompidou pour, la gauche philosophique contre... Amusant les retournements de l'histoire. Faut bien penser le contraire pour se croire penser quelque chose.
Si sympathique Pompidou et si sympathique Chirac. Et surtout si trompé Baudrillard qui a parlé trop vite, sans doute pour prendre LA place de la critique. Aimons les bateleurs.
Je remarque que, ce midi, les journalistes de France 3 nomment Renzo Piano mais oublient Rogers et Baudrillard. Pourquoi ? Je ne sais pas.
On fabrique une légende comme si l'architecture contemporaine devait en passer par là pour être acceptée.
Réjouissons-nous ! Plus rien de ce qui a fait la révolution de Beaubourg n'existe. Plus rien sauf, peut-être la Bibliothèque et l'idée que l'on s'en fait.
Les restaurants chics avec rose en soliflore pourrissent sur la jubilation populaire des patios, les entrées sont fermées, on entre au compte-goutte. Que voulez-vous ? Il faut être en sécurité pour voir Picasso remis sur des murs en dur. On pose les contrôles au pied de l'escalator, comme ça c'est plus clair la nouvelle perception de la circulation.
Baudrillard doit être content.
Reste une collection exceptionnelle, des expositions géniales et tout, tout, tout ce que je lui dois.
Tout.
La piazza est bien sage. Tant mieux, j'ai toujours détesté le spectacle de rue, ces jongleurs de balles débauchés du cirque du soleil, les cracheurs de feu hydrocarburé, les accordeonneux mal accordés, la pouaisie pouette pouette de la rue, les surprises des rencontres... Tout ça m'emmerde. Je suis trop vieux, Mon Pompidou. Trop vieux.
Allez ! La quarantaine c'est un bel âge ! C'est celui de Sylvain. Une vigueur bien maîtrisée, un recul malin, les responsabilités. J'aime bien ceux qui ont quarante ans.
Joyeux anniversaire Centre Pompidou !

Quelques cartes postales ? Allez, vous êtes venus là pour ça, finalement :



Pour rappel, voici une carte postale montrant le Centre Pompidou en construction et nous laissant voir sa géniale, superbe structure. L'éditeur Lyna nous raconte :



On jalousera Alain Gesgon qui a vu ça. On aimerait qu'il nous montre le reste de ses photographies de ce chantier. Monsieur Gesgon... On vous attend ! On notera le nom de la série " la fin des halles" qui doit donc comporter d'autres beaux morceaux. C'est, sans aucun doute, l'une des plus belles cartes postales de ma collection, l'une des plus importantes aussi à tous points de vue...
Comme c'est un anniversaire, je vous montre une suite de cartes postales de la fameuse série Prestige que l'on reconnaît par son P majuscule sur l'image. C'est l'éditeur Cap-Théojac qui régale. On notera qu'il nomme bien Piano et Rogers comme architectes. Comme il s'agit d'une collection un peu chic et parfaitement éditée, on a aussi le nom des photographes.
On commence par un cliché de nuit de J. Dimaggio et J. Kalish de l'agence bank. Point de vue particulier venant coller à droite l'angle de la dalle. On note l'affiche de Paris-Moscou sur la façade donc nous sommes en 1979 :



De jour, cette fois, le photographe P. Chabartier nous offre un détail de la façade avec cage d'ascenseurs et escalator et même toile de cirque posée sur la piazza. Parfait pour comprendre la légèreté du squelette :



De l'autre côté, sur l'autre façade, depuis un étage, le même P. Chabartier a dû demander une autorisation pour accéder à ce point de vue que j'envie. J'adore la proximité :



Toujours le même éditeur mais cette fois c'est J.-M. Chourgnoz qui depuis le bas regarde les tuyaux. C'est comme à Grand Couronne, c'est aussi beau :



Un peu de naïveté ?
Voici une carte postale étrange ne disant rien finalement de la pensée de son auteur, Sylvie Veillevigne, qui laisse assez de place pour la critique positive ou... négative. Une édition MIC MAX qui est un extrait d'un livre, Promenade à Paris, édition au Chat Perché. La place est surtout offerte à la fréquentation de la piazza :



Et puis, inévitable, une position politique et citoyenne. Une carte postale éditée par Solidarité France Croatie dont la photographie est de Neven Jagodic. L'action est claire. Je ne sais rien du mode de diffusion de cette carte postale, ce qui est certain c'est qu'il s'agit bien d'un point de vue fabriqué et que cela raconte l'un des usages du Centre Pompidou :



Pour voir un beau et très informé film sur Beaubourg, je vous conseille vivement celui de Julien Donada :
 http://www.france2.fr/emissions/infrarouge/diffusions/24-01-2017_541897

dimanche 29 janvier 2017

Les germaniques

Toujours cette surprise !
Dans le flot d'environ 1000 cartes postales des plages de l'Espagne, rangée dans une boîte à chaussures sur une table aux Emmaüs, une carte postale me suffit à justifier mon temps et ma venue :

 

Vous comprenez, j'en suis sûr...
L'éclat soudain du métal brillant, la puissance parfaite de la structure, les volumes à la fois emballés et identiques tout en étant vibrants de décrochements, les raccords délicats entre eux, le soleil plombant le ciel d'un bleu plus dur que l'habitude et faisant blanchir l'aluminium, tout cela, tout cela me réjouit au plus au point.
Je dirais même que cette carte postale, de par cette incandescence, est l'une des plus belles découvertes architecturales qui m'ait été offerte par ce genre.
Je ne connaissais absolument pas cette construction, je ne me souviens pas l'avoir déjà vue dans une revue ou en toute autre occasion.
"Putain ! Mais c'est quoi ce truc ?" Voilà bien mon monologue intérieur, hier, dans la salle des Emmaüs. Mais je ne vous ai pas encore dit de quoi il s'agit.
L'éditeur (et photographe ?) est Fritz Witzig, c'est lui qui nous offre l'opportunité de voir l'Hypo-Haus de Munich, München comme disent nos amis allemands. La chance que nous avons, car nous sommes en Allemagne, c'est que l'éditeur nous offre même le nom des Architekten de cette merveille : Walther et Béa Betz.
Une fois que l'on tape sur les moteurs de recherches ces noms, on trouve une quantité incroyable de documents et d'images de cet Hypo-Haus et des deux architectes. Comment se fait-il que depuis autant d'années, je n'ai pas eu l'occasion de les voir et de les rencontrer ? Cela m'intrigue, surtout que Münich est une ville qui possède bien d'autres beautés ruisselantes de ce luxe appliqué à la puissance.
Cette absence, entendez-le comme vide, est une preuve que l'histoire personnelle que l'on se fait de l'architecture reste encore une question parcellaire, à la fois faite d'un territoire, d'un univers particulier et de chance aussi de découvertes. Je ne trouve rien en langue française sur ce couple d'architectes. Pourquoi ?
Sans doute que l'absence de construction en France n'y est pas pour rien.
Si vous êtes comme moi parfaitement ignorants de leur travail et désireux d'en apprendre plus sur Walther et Béa Betz, je vous conseille donc vivement d'aller sur leur site.

J'ai aimé comment ce film nous montre une façade mouvante qui fait rouler les voitures à la verticale, comment la technologie joue avec le soleil, comment l'architecture devient une machine. On aimera aussi que les hommes en costume noir, tous identiques, uniformes en livrée et célibataires même, semblent trouver dans ce genre, une forme de nid pour la direction du Monde.
On aimera comment Dan Flavin donne de la couleur à des murs trop blancs, comment la spatialité architecturale reçoit le baroque des néons colorés.
C'est beau. Un peu loin aussi.
Mais que voulez-vous ? Devant autant de perfection, d'Allemagne triomphante, de puissance, je reste éberlué et joyeux. Je vais mettre un costume et me trouver un porte-documents en cuir noir pour pouvoir arpenter la couleur, la mécanique des fluides, le cinétisme des façades.
Peut-être que Gilles Lestrade pourra nous en dire davantage...
Gilles ? Tu lis ça ?

 




samedi 28 janvier 2017

Faire le tri

Il y a des collectionneurs de cartes postales qui collectionnent les Postes et aiment pousser le vice jusqu'à ce que la carte postale en question, en plus de représenter la Poste, soit expédiée depuis celle-ci...
L'image rejoint alors le réel, l'image glisse dans son objet, au sens propre, tombant par la fente de la boîte aux lettres et sous le tampon d'affranchissement, preuve administrative de ce mariage forcé.
Mais qui sait ce qui se passe ensuite ?
Où part cette carte postale ?
Ici, peut-être :



Vous n'avez qu'à lire l'image pour comprendre l'objet. Nous sommes donc devant le Centre de Tri Postal automatique de Nancy, œuvre importante de Claude Prouvé qui fit l'objet, il y a peu, d'un réaménagement qui est devenu, malheureusement, une ré-écriture par l'agence Barani.
Je ne vous ferai pas l'affront de vous en raconter l'histoire ou même d'oser une description étant donné la très complète et bien documentée fiche des amis de  DOCOMOMO lisible ici :
http://www2.archi.fr/DOCOMOMO-FR/fiche-tri-postal-nancy.htm 
Impossible de faire aussi bien.
Cette carte postale est une édition Hansi qui ne nous donne aucune indication de l'architecte ni aucune date. Elle décrit vaguement les trois images, tri des lettres, des paquets, et le Bâtiment avec un B majuscule...
Difficile aussi de savoir la portée éditoriale d'une telle carte postale car même si l'époque aime la modernité de l'automatisme et de l'architecture qui la porte, il y a sans doute à Nancy d'autres merveilles. Mais il y a aussi une clientèle pour ce genre d'images rompant justement avec l'attendu de la carte postale, on connaît bien cela ici.



On devine aussi au choix d'une carte en multi-vues le désir surtout de parler des performances de cet automatisme, de nous montrer les machines, leur puissance et leur modernité tout autant que l'architecture. On aime dans cette période les barrages, les ponts, les chaînes d'usines et donc les tris postaux. Qui aujourd'hui fera une carte postale d'un centre de distribution Amazon ?
On aimera que la requalification de ce Tri Postal de Nancy ait eu droit à un grand nombre d'articles sur le sauvetage ou la qualité de cette requalification, alors qu'il semble que sa création elle-même n'ait finalement pas autant soulevé d'intérêts. On ne peut que se réjouir que, pour une fois, en France, la question de cette requalification ait fait débat.



Je vous laisse juge de ce que cela à produit. On aimera comment, par exemple, les halls voûtés et les très beaux toboggans sculpturaux de descentes du courrier sur la façade ouest furent requalifiées... Quand on nie à ce point ce qui fonde et fait l'image d'une construction, je ne suis pas certain qu'on lui rende hommage. Reste une peau, à peine même un placement urbain, dont le tuning voyant et affirmé se veut un geste architectural. Faire le tri entre les torchon et les serviettes, le grain et l'ivraie.
Espérons que les dernières icônes puissantes du mur-rideau à Nancy ne se voient ainsi "requalifiées".
Remercions donc encore les éditeurs de cartes postales de nous donner à voir et à comprendre le sens exact de l'architecture. On s'amusera que la vue satellite de Google nous donne à voir encore le chantier.





mercredi 25 janvier 2017

Royan aime les guignols



Alors ?
Vous la trouvez comment cette carte postale ?
Comme ça, rapidement, vous pourriez me dire que, bon, on en a vu d'autres du même genre de l'église Notre-Dame-de-Royan et vous auriez raison. Mais voyez-vous le petit détail qui va me permettre de répondre à une autre question que je me pose sur ce point de vue ?
Là, regardez :






Oui, les grues sont en place pour le montage du clocher. Ce qui est la preuve que ce point de vue de  l'entrée, très bas, permettait de camoufler le chantier et laissait croire que l'église était achevée. Oui. Ce qui est intéressant avec cette carte postale, c'est qu'il s'agit d'une carte-photo et non d'une vraie édition. Donc, je le rappelle un cliché d'un amateur tiré sur un papier imprimé avec au dos les signes habituels d'une carte postale. Donc rare aussi. Mais pourquoi diable se refuser ainsi à la joie du chantier, pourquoi ne pas le penser comme photogénique ? À croire que la construction en elle-même intéressait peu les visiteurs à cette époque. On notera aussi que les verres ne sont pas posés sur l'hélice de l'escalier montant sur la façade et qu'un ouvrier en sort. On sait que l'église était ouverte avant l'achèvement total. Au dos ne figure aucune date, aucune indication. Dommage.










Et maintenant vous voulez voir comment le Front de Mer sera beau à nouveau quand les horreurs d'auvents seront retirés ? Mais qui avait eu cette idée débile ?
Eh bien voilà :




Oui, il est grand temps de retrouver cette belle ligne du Front de Mer, de pouvoir à nouveau en saisir tout son sens architectural qui le reliait avec la plage. Merveilleuse galerie ouverte sur le balnéaire, elle est aujourd'hui un épouvantable couloir où l'on vous impose de passer entre des restaurants à touristes qu'il faut fuir absolument et des commerces pour le moins inutiles. Où sont donc passés les belles terrasses et les vrais bazars de la plage ?
Battons-nous pour le réaménagement rapide de ce Front de Mer. La reconstruction du Casino étant acquise pour 2018 ainsi que le portique pour 2019 et le retour du Pavillon 8X12 de  Prouvé pour 2020, il y aurait là une cohérence du rêve.
Reconstruisons Royan avec le même courage et la même rage que nos aînés.
On s'amusera du Guignol qui attend les enfants, du manège forain et les amateurs d'automobiles seront servis ! 2Cv, 203 Peugeot, Traction et Panhard ! Pour info, la carte fut expédiée en 1963, c'est une édition Marceau Carrière pour Flor.
Moi, j'aime bien les Guignols...

 





samedi 21 janvier 2017

Poser des meubles chez Corbu



Nous poursuivons la visite des appartements de la Cité Radieuse à Marseille de Le Corbusier, nous continuons de nous étonner du mobilier, des espaces, des décors qui l'animent et en font un lieu habité et non rêvé.
Enfin ! Plus d'utopie !
Cette carte postale appartient bien à la série éditée par Ryner, Société Édition de France. Nous n'aurons pas de nom de photographe, ni même de l'habitant mais la carte postale est tamponnée par Voyagence comme beaucoup d'autres vues sur ce blog.
La carte postale n'est pas datée ni expédiée.
Mais reconnaissez-vous cet espace ?
Pour ma part, ce sont les arums qui m'ont rappelé immédiatement que j'étais déjà venu là :
http://archipostalecarte.blogspot.fr/2014/10/meubles-immeuble-le-corbusier.html 



Étant donné ce bouquet, il est évident que ces clichés d'intérieur de la Cité Radieuse en vue d'une production de cartes postales ont tous été réalisés dans le même temps. Cela explique sans doute ce mélange d'images composées, rangées et l'intimité qui malgré cela s'affiche tranquillement dans de menus détails qui prouvent qu'il ne s'agit pas d'un appartement-témoin mais bien d'un lieu de vie. Dès que j'ai reconnu le lieu grâce aux fleurs, j'en ai retrouvé aussi ce sentiment d'un mobilier un peu lourd, un peu bourgeois, un rien épais et massif encore pris dans un Art Déco finissant où marqueterie et bois précieux s'associent dans des formes parfois modernes (la petite console) parfois très classiques comme les chaises ou le monumental bahut à droite. Je crois que seule la céramique posée sur ce bahut lui donne son caractère très cinquante un peu comme celui de Dubroc dont Madame Arpel est si fière.

 


 

 



On s'amusera des flambeaux, des appliques sur le mur, vraiment difficiles pour moi à aimer. Le coffrage décoré de l'escalier nous permet de bien reconnaître l'intérieur d'un appartement de la Cité Radieuse... Est-ce que, comme moi, vous avez mis du temps à comprendre ce détail ? Regardez :



Je ne comprenais pas cette percée dans la cloison.
Puis... j'ai compris qu'il s'agissait simplement d'un immense miroir ! Malheureusement celui-ci ne nous donne pas à voir le photographe comme dans cet exemple. Par contre, il est touchant de pouvoir lire dans la succession de ces deux points de vue sur le même salon, les déplacements du photographe, d'imaginer son corps dans cet espace, son désir d'en prendre en champ et contre-champ les volumes. Il ne fait aucun doute que le miroir offrait aussi une lumière minimum qui manque un peu, la photographie est un rien sombre, tenue dans une valeur continue d'un gris sourd que seuls les éclats du reflet et de l'ouverture très loin au fond animent un peu. Le miroir a-t-il eu comme fonction un désir des habitants de multiplier la lumière voire même d'agrandir l'appartement ?
J'imagine (et je m'en excuse) le photographe et la Maîtresse de maison, arrangeant ici un vase, déplaçant ici une chaise et se mettant tous deux derrière l'appareil photographique pendant la pose, le chien dormant derrière eux. J'imagine le mari parti en courses, ayant acheté sur les conseils de sa femme, un bouquet d'arums pour mettre dans le vase de Baccarat acheté l'année dernière lors de la visite de la ville. Tout devant tenir dans le cadre, à la fois les espaces de l'architecture et les joies de l'habitation.
Combien de temps les habitants de cet appartement ont pu envoyer en cartes postales leur appartement ? Comment les autres habitants s'amusaient-ils de pouvoir voir les aménagements de leurs voisins ? Pourquoi c'est cet appartement qui fut choisi et donc est devenu une sorte de modèle ? Quelle conversation, quelle rencontre, quelle intimité ont permis au photographe de venir là au lieu d'aller dans l'appartement du dessus ou à côté ? Je ne le sais pas. Reste que pour l'instant, dans ma collection de cartes postales, il n'existe pas d'autre exemple de logements des Trente Glorieuses ayant eu l'opportunité de montrer ainsi son Art d'habiter. L'exception de la Cité Radieuse est donc appuyée ici par ce désir d'en partager à la fois l'image mais aussi le programme. On s'aperçoit donc que sa Modernité, sa fable, sont en quelque sorte, et c'est heureux, interprétées toujours librement par ceux qui y circulent, s'y assoient, s'y couchent, y rangent la vaisselle.
On habite là, il n'y a pas de doute.

Pour revoir les autres articles sur le mobilier des Cité Radieuses :
http://archipostcard.blogspot.fr/2010/02/le-corbusier-habitable.html
http://archipostalecarte.blogspot.fr/2014/04/le-carnet-et-le-corbusier.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2010/04/une-folie-marseillaise.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2012/01/la-photographie-accuse-tort.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2012/02/corbusier-mets-la-table.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2011/03/pieces-deau.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2010/09/le-corbusier-dans-ses-meubles.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2011/09/le-corbusier-2-dedans-2-dehors.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2011/08/un-reflet-tres-moderne.html
 

dimanche 15 janvier 2017

Profondeur de chant brésilien


Le silence se fit.
On entendait uniquement le bruit des talons sur le sol. Étrangement le groupe d'architectes n'arrivait pas à se dissoudre dans l'espace comme il avait su le faire lors des visites de la ville. Le choc était total comme si la lumière était un uppercut et l'espace un crochet du droit.
Jean-Michel Lestrade était presque tremblant. La perception du plan et la mise en fuite de la profondeur ne laissaient au regard aucun obstacle, aucun point, rien qui ne puisse faire autre chose que d'étirer les distances et même le temps.
Suspendu.
Littéralement suspendu dans cette architecture qui devenait moment.
On parlait bas, on n'osait avancer, on voyait même des membres du groupe d'architectes qui refusaient obstinément de poser leurs chaussures poudrées par la terre rouge de Brasilia sur les tapis.
Jean-Michel devant cette débauche de modernisme ne put s'empêcher de penser que ce Palais de l'Aurore portait bien son nom. C'était bien depuis cette lumière que l'architecture d'aujourd'hui devait prendre son jour naissant. Enfin, après les quelques minutes d'étourdissement, tranquillement, le groupe se fractura et, de minuscules audaces en petites tentatives de saisir le lieu, on vit les architectes partir à la conquête de ce Palais de L'Aurore, résidence officielle du Président du Brésil. Là, un collègue touchait le poteau, ici, un autre osait s'asseoir sur un siège Barcelona de Mies van der Rohe, un autre soulevait les tapis. Mais un seul sortit un carnet, en souleva l'élastique pour en ouvrir les pages et se mit à dessiner au crayon bleu, tranquillement installé sur la banquette. C'était Jean-Michel. Rapidement, en quelques traits, il tentait de représenter l'espace, chercha les hauteurs, les angles, les lignes pour donner à son dessin le vrai sens de cet espace d'Oscar Niemeyer. Jamais, il n'oubliera ce moment. Il s'amusa de voir soudain chacun des sièges occupé par un architecte français du groupe. L'espace était ainsi ponctué de têtes chapeautées à l'intérieur desquelles les représentations agissaient : des crânes, petites boîtes, pleines d'images enregistrées à garder pour le retour. On photographiait peu finalement.
























Alors que Jean-Michel hachurait rapidement une ombre, quelque chose d'imperceptible le réveilla au présent. Un son. Non, une musique. Mieux, une voix.
Depuis son siège, Jean-Michel put placer cette voix sur la mezzanine. Une femme chantait, vocalisait doucement tentant de placer sa voix dans l'écho de l'espace. Un chant profond qui lui fit penser à Yma Sumac que Jean-Michel aimait tant. Depuis sa place, il ne pouvait voir la chanteuse, il ne pouvait que l'entendre. Il demanda au guide qui chantait ainsi. Ce dernier lui répondit que l'on répétait pour un gala ce soir mais qu'il ne savait pas qui était la mystérieuse chanteuse. Il fallait partir.
Dans une dernière tentative, sur la montée d'un octave, Jean-Michel prit l'escalier métallique. Il ne réussit à voir que les chaussures de soie bleue de la chanteuse avant d'être arrêté par le guide.
-Vous n'allez pas encore nous quitter, dit gentiment le guide à Jean-Michel. Nous devons poursuivre la visite !
À contrecœur, Jean-Michel redescendit. Il eut le temps depuis le promontoire parfait que lui offrait l'escalier de regarder une dernière fois cet espace. Une note grave et longue poussée par la chanteuse remplit le volume.
C'était comme si l'architecture elle-même lançait son chant..



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- Tu en penses quoi Émilie ?
- Oui... je suis d'accord avec toi, David, il faudrait pouvoir faire des agrandissements des photos de la revue et mettre en regard cette lettre de Jean-Michel adressée à Cardozo.
- Ouais mais avoir l'autorisation de la rédaction de L'Architecture d'Aujourd'hui ça risque peut-être d'être dur non ?
- Non Alvar, je pense que le plus difficile sera de trouver les ayants-droits des photographies de ce Monsieur Gaucherot dont, pour ma part, je ne sais rien.
Nous étions tous les trois penchés sur la revue Architecture d'Aujourd'hui de 1958 tentant de se décider de ce que nous devions montrer lors de la future exposition sur Jean-Michel Lestrade. Pour ma part, je pensais qu'il était toujours bien de contextualiser les documents de l'agence, en l'occurrence ici un courrier de Jean-Michel Lestrade envoyé à cet ingénieur Joachim Cardozo qui avait aidé Niemeyer pour la part technique du béton de ce Palais de l'Aurore. Courrier dans lequel Lestrade disait son admiration à son collègue. Alvar préférait pour sa part qu'on ne s'encombre pas trop de documents annexes qui risquaient d'alourdir la visite et puis, c'est vrai que tout cela demandait des autorisations, des prises de contacts et que, les uns et les autres nous n'avions que peu de temps.
Jean-Jean arriva. Il posa son sac à dos sur la table, ne se mêla pas à la conversation, nous regarda échanger nos opinions. Il prit la lettre de Lestrade entre ses mains, en soupesa le papier, entra en réflexion. Je compris qu'il essayait de lire le texte. Il ne disait rien.
- Comment fut ta journée mon chéri ? demanda Émilie à son fils.
- Seul.
Ce fut sa réponse et il se plongea à nouveau dans la lettre.
Je croisai alors le regard d'Émilie qui ne broncha pas et me fit comprendre de ne pas relancer.
Silencieusement, Jean-Jean me pointa sur la lettre un mot écrit par son arrière-grand-père. Je remarquai que l'ongle de son index était verni d'un noir mat, juste sur cet ongle. Je compris qu'il n'arrivait pas déchiffrer l'écriture de ces mots et qu'il me demandait de le faire.
- Euh... Oui... Voyons... Je crois que c'est "précontrainte" Jean-Jean. Oui, c'est ça, "structure précontrainte".
- Ah, oui. Je pensais aussi. J'étais pas sûr.
Jean-Jean reprit sa lecture en silence. Alvar apporta des bières et un Coca pour moi. Je regardais l'ongle noirci de Jean-Jean soulever l'opercule de sa canette de bière. Je me demandais si le vernis à ongle allait s'écailler.
- L'expo commence quand ? demanda Jean-Jean.
- Vers septembre de cette année, si tout va bien. Pour l'instant, il nous manque un peu d'argent.
- Combien ? reprit Jean-Jean.
- J'sais pas. Environ 5000 euros, répondit son père.
- Je les ai. Je les ai. Si vous voulez.
Nous ne comprenions pas bien ce que venait de dire Jean-Jean. Je crus d'abord à une blague. Mais il ne bronchait pas, ne souriait pas. Je regardais les parents, comme moi, abasourdis.
- Comment ça Jean-Jean ? demanda Émilie.
- Non, non, tu dois garder ça pour autre chose, rétorqua immédiatement son père qui, lui, avait deviné.
- C'est mon fric, il en vaut bien un autre et moi ce fric il me fait souffrir. J'trouve que là, dans cette expo, il serait bien dépensé. Et j'en aurai encore.
Un silence se fit. Personne n'osa bouger. Devant notre atterrement, Jean-Jean reprit :
- Alors j'explique à David ? Personne d'autre ne veut le faire ?... C'est mon héritage !
Tout tourna. Il me fallut un moment pour comprendre de qui Jean-Jean avait pu hériter.





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Copie carbone courrier. Tamponnée Archive Lestrade 12/59
Papier léger, type courrier par avion.


Le 2 décembre 1959
Jean-Michel Lestrade
à
Joachim Cardozo

Cher collègue, Cher ami,

De retour en France, il m'était impossible après ma visite du Palais de l'Aurore à Brasilia il y a quelques semaines de ne pas vous adresser mes sincères félicitations pour cette œuvre d'une très grande tenue architecturale dont seul votre génie structurel a permis la parfaite exécution. Admirable votre traitement du béton, admirables vos solutions pour que la structure précontrainte semble aussi naturelle que la pousse d'une branche sur un arbre. J'ai vu ici, au Brésil, la plus haute expression du génie architectural de l'Amérique Latine et ma jalousie à vos possibilités qui semblent infinies dans un monde en croissance est immense. Nous ferez-vous l'honneur d'une visite en France, aurons-nous la chance de vous entendre sur cette réalisation ?
Il serait en effet bien utile que notre nation, celle de Perret, de Freyssinet et de Le Corbusier puisse voir comment l'ingénierie et l'architecture sont ensemble toujours plus promptes à faire des espaces dignes et honnêtes alors que bien trop souvent ici, on les oppose dans de stupides guerres d'écoles.
Si vous venez en France, faites-moi l'honneur, cher collègue, d'accepter mon invitation et je serai heureux de vous faire la visite de quelques-unes de nos plus belles réalisations françaises.

Cordialement, votre fidèle collègue et, acceptez également mon amitié franche et réelle.

Jean-Michel Lestrade




Merci de ne pas copier ou diffuser sans autorisation de la Famille Lestrade.