vendredi 28 juin 2019

Caravansérail, l'utopie d'une revue



Au pied d'immeubles juchés sur des pilotis, dans une immense cuvette de sable, les couleurs des vêtements des enfants jouent avec celles de la façade.
Ponctuation contre ponctuation.
Cette agora de l'enfance est l'un des lieux les plus emblématiques des expériences urbaines et architecturales de la France post-soixante-huitarde, mais la quaifier ainsi c'est déjà en faire une réduction qui n'est pas si claire.
L'Arlequin de Grenoble.
Et cette image, éditée en carte postale, tomba de la revue Caravansérail au moment-même où je l'ouvrais pour la lire.
La photographie de cette carte postale est de Honoré Parise dont une partie du Fonds photographique sur ce quartier révolutionnaire de Grenoble est présentée à la fin de cette nouvelle revue. Superbes images !
Le N°1 !
Bonne chance à elle.
Soulignons que cette revue tente une nouvelle approche pour écrire et présenter l'architecture. Ici, elle est presque entièrement consacrée à ce grand quartier nouveau, lieu d'expérimentations mais aussi maintenant de crises et d'avenir. Que faire de cet héritage trop souvent mal compris parce que trop souvent associé (comme il est judicieusement rappelé au début) au mot utopie devenu l'objet presque d'un refuge parfait à l'incompréhension.
L'utopie ce n'est pas le rêve de doux dingues hors sol auxquels il faudrait répéter les réalités de la vie. Ici, l'utopie consistait justement à travailler le réel, j'ai envie de dire, de le travailler pour une fois.
Notre époque préfère la simplicité et on rase, on éradique, on décompose, on fait de faux hommages communicationnels comme au Mirail avec Michel SerreS en complice qui n'a rien compris. Le ventre de sa maman comme architecture idéale...
Ici, dans la revue, sans langue de bois, dans le concret même de la promenade et du déplacement dans les lieux, la conversation s'engage, les souvenirs des acteurs reviennent et les errements ou les erreurs ou encore les réussites viennent aussi tranquillement à ceux qui ont conçu vers ceux qui tentent de comprendre et de respecter. C'est rare comme moment d'étude cette tranquillité du discours et cette analyse qui évoquent autant les plans-masse que la poignée de porte, le jardin que le parking, les usages que les utopies.
Caravansérail s'annonce donc dans ce paysage de la revue d'architecture comme un contre-exemple d'un remplissage éditorial d'articles les uns derrières les autres, offrant l'actualité de l'architecture.
Ici, on tente son usage. Et on parle devant elle.
Mise en page, iconographie, ruptures du discours par des interventions, tout cela permet de bien saisir ce lieu et cette histoire. J'ai aimé entendre (ou lire comme vous voudrez) Monsieur Vassal ou encore Monsieur Tribel.
J'ai aimé la dernière phrase de Monsieur Vassal : "être d'une extrême gentillesse."
C'est le genre de conclusion qui redonne confiance en l'architecture et aux architectes.
Voilà. Rien à ajouter. C'est l'utopie d'aujourd'hui sans doute.
Ce que les auteurs appellent en début de leur revue : une rétroprospective...
Et merci Xavier Dousson de m'y avoir convié.

Caravansérail, N°1
12 euros (vraiment pas cher)
revue du BazarUrbain
www.bazarurbain.com





































Pour revoir quelques cartes postales de ce lieu :
https://archipostalecarte.blogspot.com/2013/01/raoul-volfoni-villeneuve-de-grenoble.html
https://archipostcard.blogspot.com/2009/05/grenoble-aua.html

Je vous propose quelques extraits mais faites vous plaisir et offrez-vous et offrez cette revue, c'est essentiel de soutenir ainsi les initiatives éditoriales :
















































































mercredi 26 juin 2019

Nancy du fer, Nancy du béton aussi

Dans une banlieue de grande ville de Province, on pourrait moquer l'absence de belles architectures, de lieux intéressants, une certaine inutilité à s'y promener.
Mais Jarville, près de Nancy n'est pas de cette catégorie car elle possède, si, du moins, on en croit le pittoresque des cartes postales, des raisons de s'y rendre.
D'abord, presque une star, presque une vedette, une petite chose provinciale un peu oubliée et pourtant absolument magnifique et exemplaire : le Musée de l'Histoire du Fer.
Le voici :

La carte postale La Cigogne nous le montre magnifiquement et nous donne plein d'informations qui me font, pour une part, sursauter. D'abord On y apprend que ce musée a obtenu le prix de "l'Équerre d'Argent" en 1969, ce qui est déjà une belle chose. Puis on y apprend que Claude Prouvé en est l'un des architectes, ce qui est là aussi une belle chance mais on y apprend aussi que les autres architectes seraient J., M. et J.L André...
Oui... Jean-Luc André celui-là même qui est aussi l'architecte de ce bâtiment maintenant menacé gravement et stupidement à Laxou :

https://archipostalecarte.blogspot.com/2017/02/jean-prouve-en-banque.html

Hasard de mes fouilles, la coïncidence est stupéfiante.
L'autre carte postale de La Cigogne nous éloigne un peu de la construction mais nous permet de mieux en lire les volumes. J'aime qu'une belle Renault 16 soit associée dans cette carte postale à ce Musée, je trouve beaucoup de points communs à ces deux objets révolutionnaires.


Dans le Guide d'Architecture de Monsieur Amouroux, on trouve une page pour ce Musée de l'Histoire du Fer. Dominique Amouroux ne nomme pas Jean-Luc André comme architecte.
Le site du Musée nous donne bien Jacques et Michel André comme architectes mais pas Jean-Luc... Est-ce possible que l'éditeur de cartes postale soit le plus précis ? Et qui est donc cette famille André à Nancy, toute entière dévouée à l'architecture  et à la famille Prouvé ?






En tout cas, j'aime beaucoup la conclusion de Dominique Amouroux :










Plus loin dans ma main, je trouve cela :


Nous sommes toujours à Jarville, dans le quartier de la Nouvelle Californie.
Comment ne pas immédiatement tomber amoureux d'une telle image ? Nous ne pourrons malheureusement pas remercier le photographe des éditions La Cigogne pour Iris qui n'est pas nommé par son éditeur. Dommage.
La qualité de son cadre, la composition superbe toute tenue par la légère diagonale de la passerelle, le point jaune du pull de la passante faisant un signe aux stores de la Tour toute droite, impeccable de ses verticales redressées et le ciel parfait, tout concorde à un instant solide et beau, d'une tranquillité irradiante.
En plus l'éditeur nous nomme bien les architectes : Messieurs Kruger, Lucca, Malot et Marconnet pour la Solorem à Nancy.
Pas grand chose sur ces messieurs, je les écoute s'ils m'entendent.
Le photographe fait un autre cadrage, laissant la passerelle prendre un peu la vedette :


Est-ce que celle-ci aurait un peu trop pris le jour qui aurait éteint le jaune vif des stores ou bien le brun est bien leur couleur d'origine ?
Je ne sais pas.
Je me promène à Jarville, j'y retourne en quelque sorte, nous y étions passés en 2011.
C'est le sens même des images que de défendre ce déplacement, ce retour.
N'oubliez pas de faire tout ce que vous pourrez pour sauver le bâtiment de Jean-Luc André et Claude Prouvé à Laxou.
Nancy est un paysage du fer et du béton assemblés. Sauvons cette vision, cette intelligence.

Pour toutes les informations sur le Musée de l'Histoire du Fer, vous trouverez ici un excellent et complet article qui nous donne des pistes pour la famille André (merci Caroline Bauer) :
https://www.itinerairesdarchitecture.fr/ficheop.php?id=246
et ici de quoi organiser votre visite et voir des photos du chantier :
http://www.museehistoiredufer.fr/le-musee-et-le-chateau-de-montaigu/musee-de-lhistoire-du-fer/personnalites/

lundi 24 juin 2019

Les morts à l'angle droit

Venise.
Retour.
Les images n'usent rien Monsieur Benjamin. Rien.
C'est ici impossible à Venise, c'est même ici une joie de les voir et de les traduire à nouveau en réel.

Il existe toujours, au-delà des préparations de voyages, des guides rabâchés ou de la certitude d'avoir tout vu et tout lu sur la ville, la surprise encore de découvrir, sans aucune ambition du voyage parfait, l'apparition géante d'un cimetière moderne.
Celui dessiné par David Chipperfield pour San Michele.

Un peu perdus dans le cimetière ancien, ne sachant pas trop finalement ce que nous devions y voir et voulant au moins trouver Stravinsky et Diaghilev, nous sommes tombés sur cette agrandissement contemporain du cimetière réalisé par l'architecte anglais.
Je le dis de suite, la fascination est d'abord venue de la géométrie et du vide, l'un et l'autre associés pour former des volumes francs, presque froids, dont l'échelle gigantesque ne laissait aucun doute sur l'ambition de bâtir un monument.
Quand on arrive là sans aucune connaissance, sans a priori, l'effet est puissant. La photogénie du lieu, absolument vide lors de notre visite, laisse même planer un érotisme soudain que le silence associé à un soleil de plomb permet toujours.
Les corps achalés aiment la netteté d'une architecture dont le seul chant est le gazouillis d'un jet d'eau quand bien même, ces corps vivants, seraient en promenade au milieu des morts.
Et puis les angles droits.
Et puis les ombres.
Et puis les grands oiseaux marins et leurs petits poussant des cris à notre approche, se croyant encore, la seconde d'avant, seuls au monde dans cet immense hommage au rationalisme italien.
Car oui, je le crois, David Chipperfield fait bien ici un retour sur l'histoire de ce mouvement architectural bien particulier, celui d'une rationalité bien ordonnée et majestueuse, celui d'un ordre parfait qui combine les espaces, les volumes et les vides. Et c'est peu dire que dans cette extension du cimetière de Venise, Chipperfield rend ici les armes de la Modernité, plagiant presque ses manières : colonnes fines sans chapiteau, redans encaissés aux découpes froides offrant le ciel, mots posés et inscrits en typo antique ou murs aveugles laissant les patios invisibles au premier regard.
Cela se veut sérieux et poétique comme les peinture de villes de Chirico ou les dessins en perspective d'Abraham Bosse.
Je ne sais pas quel lien David Chipperfield entretient avec l'histoire de l'architecture italienne, son site ne laisse rien percevoir d'un goût particulier pour les citations historiques. Pourtant, ici, il me semble bien que l'architecture des années 30 italiennes, celles un peu sulfureuses des accointances au fascisme est bien présente.  Du moins, c'est une approche ferme dont l'esthétique tiendrait d'une forme d'économie du décoratif, d'une rationalité de l'espace et d'une poésie subtile naissant d'un minimalisme tendu. Comme si le ciel de Venise et donc aussi sa lumière devaient être les seuls éléments de décoration ou mieux, de spectacle. Donner une chance à l'infini du ciel, à l'infini des fuyantes contrecarrées par des espaces ombragés et quelques fontaines.
C'est beau, un rien écrasant, tranquille.
Le mot qui lui va le mieux à ce nouveau cimetière est la sérénité.
Vous verrez aussi que dans une autre partie de ce cimetière, on trouve des caveaux contemporains, dont l'échelle oscille entre maquettes géantes ou réduction de villas contemporaines. Des folies comme on disait avant. Certaines font un clin d'œil à Scarpa.
Des folies pour l'éternité.
Tout y est construit avec une infinie qualité et même un luxe de détails, certains caveaux ou monuments funéraires étant même traités comme des petites propriétés, avec cour, clôture, portail.
La surprise est venue aussi d'un caveau en oblique dont l'ambition d'étrangeté est certainement l'expression du rêve de tenir encore les vivants à son admiration.
Bonne visite.

https://davidchipperfield.com/project/san_michele_cemetery


























































































































































































































































Quelques caveaux modernes :