mardi 30 juin 2015

Coulons les vieux dans le béton brut



Une carte postale en noir et blanc est coloriée de trames un peu mal posées.
Un grand pan de béton brut dont les planches sont fossilisées dans sa peau nous donne le programme à l'entrée de la bâtisse : Foyer des Vieux, Ambroise Croizat.
S'y opposent immédiatement, un autre pan, celui-ci de briques, puis un toit en tôle ondulée et de grandes ouvertures. Là, dans l'embrasure, un vieux monsieur se tient fièrement et regarde le photographe et donc, nous regarde.
On pourrait un peu s'ennuyer si nous n'avions pas une certaine habitude de cet ennui que nous décryptons immédiatement. Non, il ne s'agit pas d'une Boring Postcard. Quelque chose de simple, d'équilibré, de généreux dans les ouvertures et dans la simplicité aimée des matériaux nous fait signe d'une architecture.
Le verso de la carte postale Combier en photographie véritable nous donne la réponse à ce doute : l'architecte est nommé, c'est Paul Chemetov.
Nous sommes à Vigneux-sur-Seine où l'architecte a aussi livré des H.L.M et donc ce Foyer des Vieux, appellation que le politiquement correct renommerait aujourd'hui foyer des cheveux argentés, Maison des aînés... Les vieux on n'aime plus ça.
J'avoue qu'il est difficile depuis cette carte postale de vous raconter quelque chose, de vous en parler en termes d'architecture. Depuis la frontalité serrée d'une image, on ne peut que saisir des détails parlant d'un tout. L'ensemble apparaît comme une construction économique, ne camouflant pas cela, jouant simplement et efficacement de matériaux premiers, laissant les matières donner leur rôle. La brique porte, le béton soutient, la tôle protège, l'auvent fait abri, les ouvertures larges distribuent la lumière.
On ne devine rien du plan ou trop peu, on ne devine même rien de l'ampleur de la construction. Mais la solitude de ce vieux posant sa main sur une huisserie épaisse, le débordement du béton de ses planches de coffrage, un jeu optique de briques très délicat (il m'a fallu dix minutes pour le saisir) tout cela donne la sensation d'une construction tournée vers l'essentiel : son programme au plus ample de ses moyens techniques et financiers. On appelle cela, voyez-vous, l'Architecture.
Alors je vais tenter d'avoir plus d'informations auprès de qui vous savez.



Mais sur cette autre carte postale Combier, nous retrouvons la belle architecture du Village Vacances Familles de Grasse dont l'éditeur nous dit que Jean Deroche est l'architecte. On veut bien le croire. Là aussi, on devine ce beau sens du matériau, cette application à la française d'un brutalisme intelligent encore héritier de Le Corbusier. Masses, volumes, jeu avec le paysage, plaisir des liaisons fondent un ensemble d'une très grande qualité. Nous en avons déjà parlé de nombreuses fois ici sur ce blog.
Mais cette carte postale possède son punctum.
En haut de l'escalier, un petit groupe de personnes âgées s'est formé pour être sur la photo et donc sur la carte postale. Ils sont là, heureux au soleil, s'amusant de leur rôle de témoins et animant discrètement la photographie de cette carte postale.
Cela m'émeut un peu, que voulez-vous, je suis sensible.
Comme toujours, j'imagine la scène, les dialogues entre le groupe et le photographe. Hasard d'une rencontre ? Rendez-vous ? Choix des sujets ou joie simple d'un moment partagé ?
Plus personne ne doit le savoir. Combien d'entre eux ont acheté la carte postale ensuite pour l'envoyer à la famille ? Qui, un jour, au hasard d'une fouille dans l'album familial s'apercevra que Tata Yvette ou Raymond sourient en haut des marches sur une carte postale ?
L'architecture s'offre ainsi un public et des usages d'images.
Tant mieux.
Et rien des discours pré-construits ne peut rivaliser avec la véritable tendresse d'un corps heureux de partager un espace et de l'inscrire sur, oui, ce que vous appelez un cliché.






dimanche 28 juin 2015

Autodafé agricole et célébrations corbuséennes

Ça y est ! La Quinzaine Radieuse est lancée et les expositions sont ouvertes à Piacé.
Je vous donne à voir en ce dimanche quelques images de l'événement inaugural que vous avez peut-être, malheureusement pour vous, loupé et quelques images des expositions pour vous donnez envie de venir.
Pascal Rivet a donc réalisé sa performance Jour de Fête le soir même de l'ouverture des expositions. Le spectacle fut incroyable d'intensité quasi-dramatique tant l'incendie d'une oeuvre, sorte d'autodafé agricole, est chargé malgré (ou avec...) l'artiste d'images débordantes.
Pendant que je faisais visiter la bulle six coques de nombreux visiteurs ne voulaient pas croire que l'artiste était déterminé à embraser ce superbe tracteur de bois, certains étant sidérés, d'autres à la limite de la colère et de l'incompréhension. Pourtant, tranquillement, déterminé par son action, l'artiste Pascal Rivet s'est approché de ce si particulier fagot pour l'enflammer. Aucun retour en arrière possible. C'est sans doute cela qui fait la force du feu, cette projection immédiate dans le futur de la destruction. Le silence intense du public venu nombreux, le cercle de distance respectueuse (le feu l'impose) qui se fit autour du brasier, la lumière s'intensifiant au fur et à mesure que le jour décroissait, et les visages des spectateurs tremblant d'une lumière orangée, tout cela fit de la performance de l'artiste un moment de souvenir collectif qui marquera je crois tout ceux qui y ont assisté. C'était beau, empreint d'une nostalgie douce, d'une attention au danger, chacun rêvant à la conclusion possible de ce feu. La peur, le danger, les enfants courant librement autour, les adultes regardant comment l'image du tracteur a produit des signes politiques, sociaux ou simplement une beauté saisissante, tout fut parfaitement réalisé. Et alors que le tas de braise finissait de mourir, la fête a continué avec la musique et la danse.
Pourquoi n'êtes-vous pas venus ?






Pascal Rivet met le feu à son tracteur :




 Le public, la lumière et la chaleur :



Élina et Lucas attentifs :



































Le lendemain, Pascal Rivet ramasse les cendres du bûcher pour faire l'édition de 30 boîtes reliquaires qui sont disponibles à l'achat à Piacé.




























Mais la Quinzaine Radieuse c'est aussi cette année une exceptionnelle exposition des œuvres du sculpteur Joseph Savina et de Le Corbusier. Des pièces superbes et très rarement visibles sont présentées avec des dessins, des courriers, des photographies qui prouvent comment les deux hommes dans une amitié solide réussissaient à faire des œuvres signées deux fois. Les questions de la traduction, de l'originalité, de l'interprétation et de la qualification incertaine entre art et artisanat sont posées par cette exposition. C'est rare de voir ainsi ce travail.
Ajoutez le parcours d'œuvres contemporaines et les deux expositions permettant de voir le travail de Norbert Bézard, céramiste et concepteur avec Le Corbusier du rêve d'une ferme radieuse et vous n'avez aucune raison de ne pas venir à Piacé pour passer une journée inoubliable dans un petit village sachant jouer avec son monde, son histoire.
Venez ! 
Pour toutes informations et pour organiser votre visite :












mercredi 24 juin 2015

la Cité Radieuse et ses décorateurs



Voilà bien une première...
Sur cette carte postale en multi-vues de la Cité Radieuse de Briey-en-Forêt, on peut voir le mobilier et les espaces d'un appartement. Mais pour la première fois, l'éditeur de cette carte postale, la maison d'édition Mage, nous nomme non seulement l'architecte Le Corbusier mais aussi le décorateur !
En effet, Antoine Benoît est ainsi crédité de son travail de décorateur dans cet appartement. Difficile de savoir s'il s'agit là d'un appartement témoin ou de celui d'un particulier ayant ouvert ses portes. La première solution semble la plus juste.
Je ne sais rien de ce Monsieur Antoine Benoît. Est-il un familier de l'architecte, un chanceux ayant eu son heure de gloire, un décorateur faisant de son appartement un show-room...?
On va agrandir les images mais vous allez voir que... l'on ne verra que peu de choses !
Quelques pièces de mobiliers difficiles à identifier, des plantes, des couvertures de lit très bariolées et beaucoup de vide sans doute pour donner une plus grande importance à l'espace.








On peut pourtant facilement reconnaître des icônes comme les chaises Fourmi et Papillon de Arne Jacobsen et le fauteuil de Harry Bertoia. Les tables, les lits restent sans éditeur et designer. Si vous avez des idées...
On ne dira rien des couleurs car elles sont posées a posteriori sur un cliché noir et blanc et on peut difficilement les considérer comme justes aux désirs du décorateur ou de Le Corbusier. La blancheur légèrement crémeuse des murs est en effet étrange.





Je profite de cet article pour diffuser une bonne nouvelle pour les aficionados de Corbu.
Notre ami Jean-Marc Drut ouvre les portes de son appartement à la Cité Radieuse de Marseille pour une nouvelle exposition de design qui, cette année, est confiée à l'ECAL, école cantonale d'Art de Lausanne.
La qualité est au rendez-vous avec des objets superbes, ironiques et joyeux montrant la vitalité du design dans cette école et aussi l'influence possible et sensible du lieu sur des jeunes créateurs. Comme quoi, tout en étant un fin connaisseur et un amateur très éclairé, on peut aussi croire que la création contemporaine vient justement faire sonner le Patrimoine.
Bravo à tous et bonne visite !
toutes les infos ici :
Exposition du 4 au 19 juillet 2015
Tous les jours de 12 h à 18 h
Unité d’habitation Le Corbusier
Appartement 50 / 5e rue
280 boulevard Michelet
13008 Marseille
France

Les photographies sont de Michel Bonvin.

Utopie, ECAL/Hansel Schloupt :



























mardi 23 juin 2015

Bulles six coques à leur endroit



La photographie est composée.
Elle pose.
Elle, c'est la jeune femme au premier plan, dans sa robe bleue qui fait semblant de rêver dans le paysage de Gripp. L'image ainsi produite par le photographe Doux pour Photo Pyrénéa se veut une image parfaite, narrative, joyeuse et artistique. Dans le paysage, une femme s'endort à l'ombre d'un arbrisseau, perdue dans ses rêveries alors que dans le fond se posent sept bulles six coques de Jean-Benjamin Maneval. Le photographe introduit donc le paysage comme dans la peinture avec un cadre composé entre des arbres, un personnage posé donnant l'animation et un vallon construit s'ouvrant sur les montagnes : pittoresque total et sans remord.
S'il s'agit d'un mode de représentation, s'il s'agit d'une image, il s'agit donc bien d'une œuvre. On la jugera si on veut bonne ou mauvaise, trop composée, mal fagotée, idyllique et inutile. Ou, au contraire, dans son archétype puissant, dans la révérence faite à l'histoire du paysage et à sa représentation, nous la trouverons digne, joyeuse et amusée à elle-même comme les sucettes de fêtes foraines trop grosses, trop colorées, trop sucrées.
Et puis nous soufflons sur les bulles six coques notre joie de les voir dans leur élément celui du centre de vacances  C.C.E S.N.P.A de Gripp. Mon œil commence d'abord par un balayage général de l'image, saisi par l'existence de ce moment de l'histoire de l'architecture où l'utopie a réussi son passage dans le réel. Oui, ÇA a eu lieu.
Lieu et instant réunis dans une image populaire.
Puis vient le frisson de savoir que maintenant quelque chose chez moi est lié à cette histoire et que notre aventure de Piacé avec Nicolas Hérisson trouve là un contre-point, une forme vraie de reconnaissance.
Enfin, au-delà de l'émoi, le regard plonge dans les détails tentant de manger tout ce qui est possible de ce moment photographique : la couleur un peu passée de certaines bulles, les rideaux aux fenêtres, la forme des fenêtres et leur orientation, la disposition des couleurs entre elles, le resserrement et la concentration des bulles, tout cela comme une visite possible du village aujourd'hui démonté, éparpillé chez un marchand et des collectionneurs heureux de vivre à leur tour la beauté des bulles. Ne regrettons rien. Une autre histoire commence grâce au regard avisé des collectionneurs et des marchands qui sauvent, eux, à la différence des institutions qui oublient.
Je ne sais pas comment s'appelle cette jeune femme toute de bleu vêtue. Je ne sais pas si ce matin-là, elle savait en mettant sa robe qu'elle serait photographiée ainsi. Je ne sais rien de son rôle dans le choix de la pose, de sa difficulté à s'asseoir et à s'adosser sur cette clôture de bois. Les rires qui accompagnèrent ce moment, la rigolade des ronces qui piquent les fesses, les orties qui grattent les jambes magnifiquement rasées. Le choix de la monture des lunettes de soleil me laisse croire à un homme ayant prêté ses lunettes et donnant en un geste simple toute une époque à cette image parfaite.
Je pourrais pleurer devant la force narrative d'une telle construction.
Je pourrais pleurer devant la réalité d'une image.
Je suis à Gripp.
Ne me cherchez pas aujourd'hui, je suis à Gripp.

"Il fait beau, on a fait bonne route. Les enfants sont contents des maisons. Demain on va à la ferme acheter du lait. Bises à Mémé Jeannette et à toute la famille."
David

On notera que la carte postale n'est pas datée, ne fut pas expédiée, ne nomme pas l'architecte...








mercredi 17 juin 2015

Deux coquilles alsaciennes cherchant un architecte



Voici donc qu'une petite ville, par l'intermédiaire d'un éditeur de cartes postales, nous donne à voir les quelques originalités touristiques à y découvrir.
D'abord le beau paysage, puis la rue principale où se gare la Ds break, puis le creux du vallon de la ville et enfin...



Oui...
L'éditeur "Europ" ne nous donne aucune explication sur cette particularité. Elle n'est même pas titrée au verso de la carte, nous n'aurons donc ni le nom de la maison ni le nom de l'architecte.
On y reconnaît pourtant une maison en auto-construction de voile de béton projeté à la mode de Pascal Haüsermann ou de Antti Lovag mais mes recherches pour l'attribution de celle-ci restent vaines.
La maison-bulle est comme posée sur un socle offrant ses deux coquilles largement ouvertes au regard. On devine un potelet de soutien tout de même pour maintenir le porte-à-faux sans doute un rien limite structurellement.
La ligne continue de fenêtres entre les deux coquilles et le dessin de la grande baie font bien penser au style de Pascal Haüsermann ainsi que l'ourlet sur la coque supérieure. Mais je n'ai aucune preuve de cette attribution, d'autant plus difficile que, par définition, l'auto-construction savait se servir de modèles, les partager, les copier. Peut-être donc, une maison construite par un amoureux de ce style sans qu'il ne puisse forcément s'agir de Pascal Haüsermann lui-même.





Pour ce qui est du dessin, j'avoue être troublé par les petits arc découpés dans le socle donnant un style mini-mauresque un peu curieux. On remarque que la construction s'appuie sur un léger remblais, peut-être y-a-t-il une entrée à l'arrière. La petite vue de la carte postale permet également de s'amuser du contraste entre cette maison-bulle de Lapoutroie et le reste de l'architecture de la ville avec à l'arrière plan, une maison bien normale. Et je m'amuse que le blason de la ville soit fait d'un cygne blanc tout en courbes posé lui aussi sur trois piliers d'un pont.
Voilà donc une énigme à résoudre sur le commanditaire de cette maison, son architecte et l'histoire de cette construction particulière dans ce beau paysage du Haut-Rhin. L'Alsace réserve donc bien des surprises...
Aujourd'hui la maison est enfouie sous la verdure et la Google Car ne réussit à nous en montrer que le sommet de la coquille.