jeudi 26 février 2015

Wallace Neff est gonflé



Et si après la bulle six coques en plastique de Monsieur Maneval, nous allions revoir de vraies bulles, elles, vraiment gonflées ?
Vous vous souvenez sans doute que nous avions découvert il y a peu le travail de Wallace Neff à Dakar et à Madagascar. Alors nous allons juste cette fois faire une petite promenade à Dakar dans le quartier des maisons ballons avec trois nouvelles cartes postales de deux éditeurs différents, preuve de l'intérêt suscité par ces constructions à l'époque.
On commence ?



Rangées comme une plantation de choux, on retrouve nos maisons ballons. On remarque que le plan d'ensemble préserve des espaces libres entre les carrés de plantation mais surtout je remarque un détail qui jusqu'alors m'avait échappé c'est l'existence de maisons ballons doubles sur le bord du lotissement.



L'ensemble depuis l'avion semble perdu dans un désert urbain. L'éditeur Hoa-gui nous donne comme informations : A.O.F. le Grand Dakar, Les Habitations ballons. Le cliché est de Cerbelot à Dakar.





Toujours chez Hoa-gui éditeur et toujours de Cerbelot photographe, voici un détail qui implante un peu mieux le lotissement dans le paysage. Ici il n'est plus question d'habitations mais de maisons "ballon". Au fond, le phare des Mamelles, cela ne s'invente pas.


















Avec cette carte postale Carte Africaine on retrouve le sol et la belle perspective nous montre un peu mieux les constructions gonflées de Wallace Neff. On notera un portail inexistant sur les autres cartes postales et toujours également un vide de présence humaine. Le ciel lourd a sans doute retenu les bulles de béton gonflées de l'intérieur sur le sol.
Le souffle de l'architecte gonfle-t-il encore les maisons ballons de Dakar ?

samedi 21 février 2015

Faire Bulles de neige



Dans une lumière frémissante, un rien dure venant de la gauche et qui bleuit l'image, des bulles six coques sont posées sur leur terrain. Le jour se lève, la neige commence à fondre, le jour annonce le printemps.
Nous sommes bien à Gripp, dans le village de vacances où était installé le plus grand regroupement de bulles six coques, toutes aujourd'hui démontées et sauvées.
Mais ce que porte cette carte postale d'intéressant au-delà du sujet architectural qui prouve que l'utopie est réalisée, c'est bien la forme tranquille de ce cliché, ne faisant pas de ce lieu un lieu plus surprenant qu'un autre, ne mettant pas en avant l'étrangeté ni l'aspect iconique des bulles six coques.
Elles sont là, simplement, dans leur usage et leur paysage, dans une indifférence relative que le photographe Doux pour Théojac semble même vouloir atténuer encore en les perdant un peu dans les pins.
Nous sommes debout, dans un matin (j'imagine le matin, je ne sais pas pourquoi) frisquet mais lumineux, allant rejoindre la chaleur douillette d'une bulle surchauffée et parfaitement isolée.
Un chocolat chaud nous attend, on regardera le paysage au travers d'une immense baie verticale pour faire plaisir à Perret et emmerder Corbu, et debout, le bol dans la main, on surprendra les oiseaux venant chercher quelques miettes.
La lumière passera au travers des fenêtres, et la blancheur de la modernité trouvera sans heurt la blancheur d'une neige un peu vieille qui meurt sous le soleil.
C'est ce que nous rêvons de vivre à Piacé-le-Radieux, c'est pour cela qu'on vous attend demain, pour que, dans son intégrité retrouvée avec ses baies toutes neuves, la bulle six coques en cours de restauration nous permette ainsi, un matin, de voir la brume se lever sur le champ communal, entouré de verdure mais surtout, dans un excès d'une poésie facile mais juste, entouré de chaleur humaine.
Viendrez-vous demain pour nous aider ?
À demain, donc.

Allez aussi ici.
ou mieux,
Allez ici.







jeudi 19 février 2015

Faire un, non, 33 tours avec Émile Aillaud

On va sonoriser un peu ce blog, au moins pendant deux articles.
Commençons par ce disque 33 tours intitulé Émile Aillaud parle, l'architecture un problème d'individus. Ce disque appartient à la collection Français de notre temps, production de l'Alliance Française, donc très officielle et certainement mise en place pour diffuser le génie français dans les établissements scolaires par exemple ou dans tout autre lieu de culture. Au dos de la pochette, la liste des personnalités est incroyable et j'aimerais beaucoup avoir les disques de Marguerite Duras, Raymond Queneau, Le Corbusier, et des jeunes agriculteurs.





Le disque est un petit format proche d'un 45T mais c'est bien un 33. On notera en bas de la pochette le petit texte qui contextualise l'enregistrement : "Confortablement installé dans son bureau, insensible aux bruits de la rue St-Honoré, M. E. Aillaud nous a développé ses rêves d'une architecture adaptée à l'habitat humain de "l'innombrable". Le nous reste peu identifié et la voix féminine qui fait l'interview reste anonyme... Dommage.
La photo de la couverture est de Kossakowski et on voit l'architecte en mode pensée active avec sa célèbre cravate lavallière.
On notera une attention très particulière à la place de l'enfant dans l'architecture, à une attaque en règle des aires de jeux telles qu'elles sont organisées et même des maisons de jeunes.
"Pour que l'on puisse aimer un autre, deux autres, et puis c'est tout."
On aimera le passage sur les architectes entourés des avis des sociologues et des pharmaciens ainsi que les positions sur la préfabrication mais surtout l'architecte comme modèle conscient de ses responsabilités.

Pour entendre la voix d'Émile Aillaud, cliquez sur l'image ou sur ce lien :
https://vimeo.com/119972495


Comme je vous donne à voir mais surtout entendre ce disque, je ne ferai pas de transcription du texte mais je vous donnerai comme ça quelques citations pour colorer un peu la carte postale qui va servir à illustrer les propos de l'architecte même si les constructions évoquées par Émile Aillaud sont bien plus récentes que celles des Courtillières puisqu'il parle de la Grande Borne et des Miroirs de la Défense, dont, il faut le dire de suite, même si j'ai une sympathie pour cet architecte, heureusement n'ont pas été construits.
"L'architecture n'étant que le support et le cadre d'une vie éventuelle ce n'est pas du tout une fin en soi."

"L'enfant qui m'importe n'est pas le moutard qui joue c'est l'adulte qu'il sera."

"Ce n'est pas l'habitation elle-même, c'est l'entour qui me paraît important, cette sorte de tendresse."

"Tout le monde a son mot à dire..."

"L'architecture n'est jamais la meilleure des solutions."

"Loger l'innombrable implique également une architecture."

"Il faudrait donc trouver un ordre caché sous l'apparent désordre."

"De même que  les feuilles de l'arbre sont toutes pareilles et que leur frondaisons sont innombrables on pourrait faire d'une architecture innombrable également un événement surprenant et c'est peut-être là que ce trouverait la forme du futur, peut-être."



La carte postale Yvon nous montre donc le Parc des Courtillières avec un point de vue très tranchant puisque la rue traverse l'image comme un canyon coupant à sa guise tout ce qui se présente !
Je n'arrive pas à retrouver le point de vue de cette image sur Google, il semble que cette hauteur ait disparu tout comme les petites barres du premier plan. La carte postale nous montre une petite animation, on devine un marché. On remarque aussi l'absence pour l'instant d'une végétation qui fait monter dans l'image l'architecture confrontant les courbes et les droites, les plans et les ombres. On retrouve au fond de l'image des immeubles que nous avions déjà vus par exemple ici.
Pour information, la carte fut expédiée en 1959 le 26 octobre pour être précis. L'expéditeur se plaint que  le temps est gris et brumeux, certainement un signe Grautag à Nicolas Moulin.


















mardi 17 février 2015

Royan-lès-Bruxelles



Jean-Michel était furieux. Il regardait ses plans, reprenait ses calculs, essayait en vain, dans une posture d'atterrement de comprendre ce qui venait de se passer. Là, sur la table, le projet de Guillaume Gillet pour l'exposition de Bruxelles s'étalait en de multiples rouleaux bleus dont la netteté du dessin pouvait laisser croire à leur exactitude.
La tête enfoncée dans ses deux mains, elles-même tenues par l'appui des coudes sur la table de bois, Jean-Michel prenait ce geste comme une structure dont il fallait calculer les forces. Le projet de Gillet était ambitieux. En effet il était une structure complexe en équilibre sur un seul point d'appui dont tout devait partir pour tenir ainsi comme une fourchette que Tom Titt fait tenir sur le rebord d'une bouteille.
Pourquoi donc Jean Prouvé qui venait de quitter son bureau lui affirmait-il qu'ici, dans l'articulation entre sa façade et les piliers-poutres de Jean-Michel, il aurait oublié la dilatation des joints ? Comment Jean-Michel avait-il pu faire une telle erreur et être (heureusement d'ailleurs pensait-il) repris par Jean Prouvé. Jean-Michel n'en voulait qu'à lui-même car il n'était pas question de remettre en doute ce que Prouvé venait de lui pointer.
Il y avait bien une erreur. Jean-Michel ferma ses yeux et resta là, assis, dans le silence de l'agence. Comme il aimait le faire, il fit tourner dans sa tête tous les éléments, il pouvait ainsi construire dans des images mentales l'ensemble de la structure, agrandir des détails, revenir sur des points, revisiter l'ensemble. Il pouvait déboulonner à sa guise, souder, dessouder, couper, associer les objets techniques. D'ailleurs lorsque Jocelyne le trouvait dans cette posture, elle faisait immédiatement demi-tour et elle interdisait aux enfants de passer dans le bureau.
Soudain Jean-Michel ouvrit les yeux, chercha dans les plans l'un de ceux de chez Prouvé qui lui avait été envoyé dès le début du projet. Il ne le trouva pas puis se rappela qu'il était rangé dans les tubes avec ceux de Gillet. Il déploya d'un coup le rouleau qu'il retint aux quatre coins par des briques vernissées qui lui servaient ainsi de poids pour empêcher les plans de se rouler tout seuls sur la table. Jean-Michel fit claquer ses doigts dans l'air. Il venait de pointer une erreur du plan venant de chez Prouvé......



......Là, au pied de Notre-Dame de Royan, Jean-Michel venait constater les états du béton notamment au bas des V de Bernard Laffaille dont il avait dû, après la mort de ce dernier, sur les ordres de Gillet, reprendre les calculs sous la direction de René Sarger. Jean-Michel avec son carnet regardait ainsi le granulat, les épaisseurs, et il aimait aussi, tout juste à la fin des chantiers traîner dans les déchets des planches de coffrages et de ferraillage pour lire ainsi dans les reliquats une forme négative de la construction qu'il trouvait instructive. Reste-t-il du béton sur les bois, quelle épaisseur faisaient les fers ? Il passait sa main sur la matière, et percevait ainsi mieux et plus tranquillement les entrailles de la construction. Il était maintenant sur le toit de l'église et savait que sous ses pieds seulement quelques centimètres le séparaient du grand vide de la nef. Il était en fait comme une sur une toile tendue de béton, un filet de pêcheur au séchage comme le disait souvent René Sarger pour faire une image comprise des néophytes. Il pensait à la conversation téléphonique orageuse qu'il avait eue hier avec Prouvé, et la manière dont il avait dû lui annoncer que l'erreur venait de chez lui. Prouvé avait demandé l'envoi des plans incriminés et avait fait comprendre à Jean-Michel que le cas échéant on lui retirerait le chantier. Jean-Michel, sûr de lui, avait osé demander qui était ce "on" car le seul qui pouvait lui retirer le chantier n'était pas l'ingénieur mais Gillet l'architecte. Jean-Michel, à cette question, comprit que le téléphone venait de lui être raccroché au nez....



..."Tu vois Alvar, sur cette carte postale où on voit des choses étonnantes. Tu as le très beau et célèbre Atomium construit par mon ami l'ingénieur André Waterkeyn et qui fut et reste un objet architectural et technique étonnant. Puis tu as le Pavillon Français de Gillet avec la façade de Prouvé suspendue pour laquelle je t'ai déjà raconté l'histoire. Puis tu as le Pavillon Suisse que j'aimais beaucoup à l'époque et qui est de Werner Gantenbein. Cette carte postale me fut envoyée par Briniscu pour me montrer la terrasse où nous aurions notre rendez-vous. C'est à l'une de ces tables qu'il me remit les plans de l'hôtel dont on parlait la semaine dernière. Je suis rentré à Paris avec dans le coffre de la Traction ces plans sans savoir où ils me mèneraient. Mais à l'époque, surtout, ce que j'aimais, c'était pouvoir travailler avec un tel écart géographique. Entre Paris, Royan et la Belgique. J'ai tué un moteur de Traction avec ces aller-et-retours. Et j'ai un peu trop négligé ton père et ton oncle. Enfin, c'était l'époque, trop de travail puis plus rien, mais une énergie et une passion pour le progrès technique et, tout ça mon gars, sans calculateur, sans calculateur Alvar."
- On dit ordinateur grand-père !
- Comme tu veux, Alvar, sans ordinateur alors !






Par ordre d'apparition :
Pavillon de la France, Exposition Universelle de Bruxelles 1958, cartes-vues Expo 58 Egicarte.
Il s'agit de la maquette ! La carte est expédiée en 1958.
Royan, église Notre-Dame, Berjaud éditeur, véritable photo au bromure.
La carte nous donne également : Architecte : Guillaume Gillet, Bernard Laffaille ingénieur conseil, René Sarger ingénieur et Architecte d'opération : M. Hébrard mais ne nomme pas, cela va de soi Jean-Michel Lestrade comme ingénieur-structure ! La carte fut expédiée en 1961.
Le Pavillon de la Suisse, Exposition Universelle de Bruxelles 1958, cartes-vues Expo 58, Egicarte.
Cette carte me fut envoyée par Mathieu Marsan. Merci Mathieu !

lundi 16 février 2015

I am so purple !

La revue de mode Purple Fashion Magazine me fait l'honneur de me recevoir dans ses pages.
En effet le dernier Volume III du printemps vient de sortir et la rédaction de cet énorme pavé dédié à la mode et à l'art m'a demandé un texte pour un article illustré des photographies de Gianni Oprandi, photographies faites à Créteil autour des Tours de Grandval.







Je vous donne en français le texte ci-dessous pour les personnes qui ne pourraient pas lire l'anglais, car, toute la revue est dans cette langue.
Cette revue fait une large part bien évidemment à la Mode avec de nombreux articles incroyablement illustrés de photographies superbes dans une mise en page et une qualité d'impression remarquable qui fait que, sous la main comme sous l'œil, c'est immédiatement un objet d'un luxe inouï qui est reconnu. Mais Purple Fashion Magazine aime aussi l'architecture moderne et contemporaine en l'utilisant comme décor, comme lieu de shooting pour des articles ou des publicités mais aussi donc, pour des articles analysant pour eux-mêmes les lieux.
La publicité pour Ermenegildo Zegna est à ce titre remarquable de la manière dont on peut reconnaître un espace. J'ai immédiatement reconnu derrière la fiction des mannequins et de la narration amusée de leur espace, le toit du Parti Communiste Français d'Oscar Niemeyer ! J'avoue que cela est assez drôle cette reconnaissance par le Luxe de l'un des objets architecturaux les plus éloignés sans doute par sa fonction de cet univers.









Il y a aussi un article sur la Villa Savoye dont les photographies sont de Olivier Zahm. La Villa Savoye sert de fond à un article nous montrant la nouvelle collection Hugo Boss. Ici l'objet architectural est bien mis en relation avec les vêtements et leurs coupes, quelque chose souvent de délicat et qui n'éteint ni l'architecture, ni les vêtements ce qui est pourtant la difficulté du genre. La promenade architecturale est réussie et un hommage appuyé à Saul Steinberg est toujours bien venu !
Un autre article se déroule à la Fondation Maeght...
Mais ma joie, au-delà de mon article, c'est que je suis voisin de l'un de mes photographes favoris, Wolfgang Tillmans dont j'admire tant le travail. Alors, même si ce frottement n'est que de hasard, laissez-moi croire quelques minutes que je côtoie le photographe !
La revue contient également des articles sur l'art contemporain comme John Armleder, Gabriele Orozco ou encore Laurence Weiner et Claude Rutault. Les amoureux du naturisme se régaleront d'un article sur l'île du Levant mais la revue contient surtout des articles sur la mode cela va de soi. L'article sur la collection hommes du Printemps avec des photographies de Mattias Karlsson est juste incroyable. Il y a plus de 500 pages en tout donc... Bonne lecture !
Je remercie la rédaction de Purple Fashion Magazine pour sa confiance.
Luxe, calme et volupté... D'une revue qui est si proche d'un livre d'Art.
Bien à vous.

Purple Fashion Magazine
Volume III Issue 23, Printemps 2015
25 euros




























Voici la version originale de mon texte sur Grandval largement remaniée :

Dans son extraordinaire Guide d'architecture contemporaine en France, publié en 1970, Dominique Amouroux parle de l'opération de Créteil par Gérard Grandval en ces termes : " Immeubles pétales de G. Grandval simple décoration de façade qui cache mal la pauvreté des cellules intérieures..."

Dominique Amouroux avait raison. Pourtant, ces immeubles sont devenus des icônes de l'architecture des grands ensembles et des villes nouvelles, dans une confusion certaine entre spectaculaire et modernité, réalité des positions architecturales et emblèmes monumentaux.
Que peut-on y faire et surtout est-ce démérité ? L'histoire de l'architecture est ainsi faite que l'intelligence (et même la poésie) du Mirail à Toulouse ne sont  pas reconnus (et même détestés) alors que des effets de façades par leur design traversent l'histoire et prennent par leur magie bucolique un sens.
Il ne faut pas lutter contre cette histoire et se réjouir pour l'un en regrettant pour l'autre. Il faut croire que la puissance d'image en architecture fait autant son succès que son intelligence conceptuelle et que, pour ceux qui vivent là, également, la valeur monumentale, celle d'un signe urbain reconnu est également une chose importante.
On habite aux Choux de Créteil et cela suffit à habiter quelque part. Tout le monde se fait une image de ce lieu particulier dont les balcons en forme de pétales qui m'évoquent bien plus les feuilles du Ginkgo Biloba que celles des choux devaient supporter une végétalisation qui ne fut jamais réalisée. La crainte d'un entretien mal assuré par les habitants et le coût ont eu raison de ce désir. Une tour fanée n'aurait pas été supportable ! Restées debout, vides de l'âme bucolique qui devait les habiller, les tours de de Monsieur Grandval ont atteint le statut d'icônes. 
Pour ma part, je préfère sans doute comme Dominique Amouroux le génie de Jean Renaudie qui réussit pour du logement social à offrir dans ses plans des appartements ayant parfois plusieurs terrasses végétalisables.

À notre époque où l'on nous ressert le mur végétal comme panacée face au souci urbain, où l'on croit que l'architecture parce qu'elle est habillée d'une broche verdoyante est plus acceptable, il est bien possible que le refus même de végétalisation des tours de Mr Gandval, par un curieux effet elliptique, en ait valorisé le statut d'aïeule de l'architecture verte. Les grands ensembles s'entouraient de parcs qui aujourd'hui font de l'œil aux aménageurs urbains avides de densité, mais très peu de programmes incluaient dans leur programme une façade végétale dégoulinante comme les lianes sur les ruines des gravures de Piranèse. Monsieur Grandval rêvait d'une image. Il a sans doute réussi. Et les coquilles vides de ses balcons de béton ont sans doute dans leur beau dessin donné le change à ce refus du vrai vert.
Alors, en me promenant à Ivry-sur-Seine, en regardant les terrasses en friche ou cultivées de certains appartements de Monsieur Renaudie, je me dis qu'il n'y a pas de morale en histoire de l'architecture. Il n'y a que notre désir de reconnaître, de nommer, de situer.

Et au jeu des nominations, les Étoiles de Monsieur Renaudie brillent, excusez-moi, toujours un peu plus que les Choux de Monsieur Grandval que, par ailleurs, j'aime comme on aime une image.
David Liaudet

samedi 14 février 2015

Bron Bron Bron faisait l'avion



 - Oh c'est incroyable !
 - Pardon ?... entends... bien...
 - Je dis... est... oyable...
Jean-Michel fit signe avec son pouce en l'air que la virée lui plaisait bien ! L'avion passait maintenant pour la deuxième fois au dessus de L'U.C. 1 de Bron-Parilly. Le pilote, un type aussi jeune que lui avait appris à piloter en Angleterre à la Royal Air Force pendant la guerre et se permettait des mouvements d'appareil un rien effrayants. Il lui arrivait de tenir le manche entre ses genoux pour pouvoir faire des signes des deux mains à Jean-Michel car le bruit du moteur était assourdissant et caviardait la conversation sans arrêt. Alors les signes des mains remplacèrent le langage des mots et les deux jeunes hommes dans la complicité de leur génération et la folie joyeuse de leur jeunesse commune faisaient des acrobaties qui débordaient largement la mission photographique confiée à l'ingénieur par Bourdeix et Grimal, deux des architectes de cet ensemble hyper-moderne et innovant. Jean-Michel travaillait surtout avec le troisième architecte, René Gagès pour lequel il avait une admiration profonde due au charisme simple et tempéré de ce dernier.





Jean-Michel voyait parfaitement les cabanes du chantier et notamment celle un peu isolée au bord de la route où il travaillait depuis deux mois. Il regardait la forme générale de l'ensemble et s'émerveillait de sa belle grille de façade cinétique et du très beau travail de couleurs fait par Jean Amado mais aussi, il s'étonna de la proportion de cette barre si étroite pour sa longueur qui en faisait depuis le ciel une chose presque fragile, fine, comme un tasseau posé sur son champ. Et quel contraste avec le reste des habitations et du paysage ! Jean-Michel aurait voulu que cette barre coure à l'infini de ce paysage, adoptant sa topographie, jouant avec les vallons comme un mur de pierre avançant dans la campagne. Il se souvenait du choc du projet d'Alger de Le Corbusier et d'ici, depuis l'avion, il se dit que le toit aurait bien pu aussi être un paysage comme pour Marseille.



L'avion fit un appui sur la gauche et reprit de l'altitude puis plongea à nouveau vers la droite et soudain, comme pour confirmer ses réflexions, la grande courbe de l'autre unité de voisinage vint s'inscrire sur le Plexiglass du cockpit. Plus aucune parole, plus aucun geste dans l'avion, les deux hommes étaient comme muets devant la puissance de cette construction qui faisait fi de son  environnement, prenait l'espace et surtout, l'inventait. En même temps que Jean-Michel voyait par transparence les structures, les défis techniques, les réalités de la construction, il était saisi par la poésie délicate de l'ensemble et comment l'architecture ici dessinait le monde au service du logement social. Il voyait dans l'immeuble la force de cette France qui se relève, la naissance possible d'un nouveau monde offrant toutes les ambitions de l'industrie au service des populations à reloger. Et dans cette forme géométrique dont il savait jubiler, dans l'étalement de cette courbe, c'étaient soudain toutes ses compétences réunies qui prenaient formes dans le réel, comme pour dire que la géométrie, le calcul, les mathématiques et les matériaux ne sont pas des abstractions vaines ou violentes mais des outils d'émancipation. Le pilote s'amusa un peu et vint en rase-motte au-dessus du toit sur lequel de minuscules ouvriers travaillaient encore. Puis l'avion passa entre les deux tours avant de remonter d'un coup, clouant les deux hommes dans leur siège.



Jean-Michel eut le temps de reconnaître une dernière fois la voiture de René Gagès et il comprit alors que ce dernier lui avait offert, au-delà de sa mission, une occasion unique de voir son travail.
Grimal, Bourdeix et Gagès venaient par ce vol de lui dire merci pour l'ensemble de son travail de calcul. Il fit pour rien un signe de la main pour tenter à son tour de les remercier.
Il ferma les yeux laissant pendant quelques secondes le bruit du moteur habiter son esprit.
Il faudra raconter cela à Jocelyne.

Par odre d'apparition :
Bron-Parilly, architectes Bourdeix, Gagès et Grimal, vue aérienne sur U.C. 1, éditions J. Cellard.
Bron-Parilly, Vue générale, éditions Cellard, architectes en chef : MM Bourdeix, Gagès et Grimal.
La carte est datée du 2 septembre 1958 à midi...

jeudi 12 février 2015

Gérard ! Mets tes chaussons !



Trois garçons et une petite fille sont assis sur le tourniquet. Trois d'entre eux sont plus resserrés, l'autre est un peu éloigné. Mais immédiatement, alors même que je devrais vous parler de l'architecture superbe des Buffets, œuvre des architectes Lagneau, Weill et Dimitrijevic, qui reçurent le prix de l'équerre d'argent en 1960, alors même que je devrais raconter cette forme, ce projet, mon œil suit irrémédiablement celui des deux enfants à gauche. Comme moi, ce qui les amuse, en plus d'être photographiés c'est bien que leur camarade (frère ?) est en chaussons...
Oui, le blondinet qui semble d'ailleurs le plus âgé est descendu dans le parc avec sa paire de charentaises si françaises !





Le photographe des éditions Varnerot a-t-il vu ce détail ce ça de l'image ? J'en suis certain, vu comment toute la petite troupe est amusée d'elle-même prise ainsi dans une carte postale, au premier plan avec cette distance si particulière et que nous avons déjà décortiquée de l'enfance photographiée dans la carte postale des grands ensembles des Trente Glorieuses.
Ni trop proche, ni trop loin, l'enfance anime, rend vivante l'architecture moderne et toute neuve. L'enfant c'est toujours le signe d'une vitalité, d'une jeunesse, une chose positive dans l'image. Mais il n'est pas question ici de faire du Doisneau, alors les gosses sur les images, pourquoi pas, mais pas trop près...
Et soudain, l'agrandissement de l'image, du détail, fait surgir des petits habits si marqués, le petit short, la petite chemise aux manches retroussées, la coupe de cheveux bien courte et la paire de sandalettes en cuir que l'on connaît encore.



Mais cette carte postale dit bien aussi la gestion de l'espace public de ce type de constructions construit en petits paquets légers perdus dans un terrain laissé libre et un peu dessiné. Ici, pas d'automobile, peu aussi de vrais jeux pour les enfants à part ce tourniquet planté là sur une pente douce. On imagine les parents surveillant les gamins depuis les fenêtres très largement ouvertes de l'immeuble et les appelant lorsque c'est l'heure du repas ou que l'un d'eux fait une bêtise !
Car ce qui trouble dans cet espace c'est son hyper-transparence à ce qui s'y joue comme événements de la ville. Et c'est sans doute cette familiarité possible, cette proximité entre le dedans de l'architecture et le dehors du parc qui fait qu'un jeune garçon peut oublier de mettre ses chaussures pour descendre au jardin !
Remonter, se faire engueuler car "quand même, on les a achetés la semaine dernière tes nouveaux chaussons, tu pourrais faire attention, ah mais tu as le diable au corps !" et aller dans sa chambre pour lire pour la douzième fois les aventures de Guy l'Éclair en se disant que "de toute manière, ça sera trop marrant de se voir sur la carte postale chez le marchand de journaux."
Je sais que ce garçon s'appelle Gérard parce que tous les garçons, depuis Mon Oncle de Jacques Tati qui ne savent pas quand on met ou retire ses chaussures s'appellent Gérard.
Et puis, finir cet article en faisant semblant de s'intéresser à l'architecture et reprendre le fil de son analyse. Dire que Lagneau, Weill et Dimitrejevic étaient de grands architectes ayant tenté et réussi de sortir des typologies de l'architecture Hard French et de la Reconstruction et que c'est bien à eux trois que l'on doit le très beau (et si contrastant à l'œuvre de Perret), Musée Malraux du Havre.
Et le soleil qui frappe la façade de l'immeuble des Buffets à Fontenay-aux-Roses, et les chaussons aux pieds des enfants disent tout cela et, croyez-le ou pas, mais la photographie de cartes postales nous le montre, nous le prouve, nous le raconte simplement et sans leçon.


mardi 10 février 2015

25 juin 1955 à Royan



... Pourtant la veille, la dame de l'hôtel de Paris lui avait juré qu'il y aurait une matinée de pluie sur Royan. Et le soleil qui formait des ombres sur la rue Gambetta offrait un démenti parfait et heureux.
Jean-Michel était descendu acheter son journal car personne à l'hôtel n'avait eu le temps d'aller le chercher. En remontant la rue, Jean-Michel regardait les constructions toutes neuves de ce Royan qu'il avait toujours considéré comme un modèle de la Reconstruction offrant une belle unité mais sans l'étalement trop prononcé d'un style comme au Havre. Jean-Michel n'était pourtant pas venu pour la plage ou la mer, il n'était pas venu non plus pour admirer les constructions de ses collègues et ici, celle en particulier de Roger Mialet à sa droite pour cet îlot qu'il aimait tant.



Jean-Michel travaillait sur le projet de Notre-Dame de Royan pour lequel il avait été appelé par René Sarger et Laffaille pour les calculs des poussées. Ils avaient décidé avec Gillet d'offrir une ceinture en mi-hauteur qui formerait ainsi un triforium tenant droit les piliers entre eux et évitant ainsi l'écartement et l'ouverture de la nef. Jean-Michel avait amené avec lui depuis l'agence ses rouleaux et ses calculs et hier, il avait cimenté par accident une paire de mocassins de daim toute neuve et cela finalement le tracassait plus que les risques d'erreurs de ses calculs.
Soudain un grand coup de Klaxon retentit et dans le même moment il fit un écart sur sa droite et vit passer à toute allure une Aronde Plein Ciel qui le doublait. Il comprit qu'il était en plein milieu de la chaussée en ce matin tranquille et que son admiration pour la ville venait de lui faire prendre un risque un peu stupide. Cette manie qu'il avait, même dans Paris, de marcher au milieu de la rue...
Alors qu'il arrivait à l'hôtel, il pensa en posant sa main sur la poignée de la porte aux deux enfants à la maison. Il pensait à ce fils attendu et arrivé un peu par hasard, Gilles et à l'autre, aimé tout de suite,  Mohamed alors qu'il n'était pas le sien. Il pensait à comment il allait fabriquer sa vie avec ces deux enfants, comment il lui faudrait construire là aussi des appuis, là aussi des soutiens et comment et par quels échafaudages, il réussirait ou pas à faire une famille. Il voulait aider Yasmina mais ne voulait pas non plus que cette adoption soit plus forte que sa vraie famille celle qu'il avait fondée avec Jocelyne. Mais ce qu'il ignorait encore c'est que Jocelyne possédait un liant parfait pour faire tenir le chantier de leur vie à tous : un amour simple et qui se multiplie.
"Monsieur Lestrade ! Vos chaussures !"
Cette intonation réveilla Jean-Michel de ses rêveries et de ses doutes. La dame à l'accueil venait de remarquer l'état des mocassins de Jean-Michel et s'en étonnait.
"Oui ! Vous avez vu ! Il faut absolument que j'en achète de nouvelles aujourd'hui !"
" Un monsieur a laissé un message pour vous."
Jean-Michel reconnut immédiatement l'écriture de Guillaume Gillet. La phrase était courte et dure :
"Laffaille est mort hier. Je suis sur le chantier. Venez immédiatement."


























La carte postale est une édition d'Art A. Videau sans date ni nom de photographe.