dimanche 30 juin 2013

D'air et de béton : Wallace Neff à Dakar

Aujourd'hui on va faire exactement ce que j'aime : apprendre.
Comment ?
En partant de la découverte d'une carte postale représentant les constructions ballon à Ouakam à Dakar, on va remonter le fil des informations et découvrir un architecte, une technique et une histoire. Tout tiendra dans la succession des informations obtenues par internet pour finir... par trouver l'architecte perdu dans les feuilles d'une revue rangée simplement dans ma bibliothèque !
Ça démarre ?



D'abord donc cette carte postale qui me surprit complètement lors de sa découverte. Éditée par la carte africaine qui est une émanation du service Info de l'A.O.F, cette carte postale vient tout juste de fêter ses
60 ans... puisque datée du 25 juin 1953 par la correspondante qui d'ailleurs, ne dit rien de cette architecture !
Dans une très belle qualité éditoriale due au tirage en véritable photographie, on y voit une succession de petites constructions posées un peu au hasard. Mais la qualité plastique de ces constructions, ces demi-sphères blanches posées sur le sol, nous rappelle bien des choses, bien d'autres architectes. Pour qui ont-elles été construites ? Comment ? Pourquoi ce type de constructions en Afrique ? On pourrait s'amuser à croire que soit Monsieur Szekely, soit Monsieur Haüsermann ont fait ici des expériences !
On se rappelle aussi que nous avions trouvé une expérience de micro-habitat en Afrique avec Monsieur Ernst May.
Mais les agrandissements ne montrent pas cela :





Ne croirait-on pas en tout cas être bien plus sous une influence hippie et joyeuse de la fin des années 60 que du début des années 50 ?
J'entame ma recherche.
Je tombe d'abord sur un document signé par Benoît Laffiché nommé Airform Western qui évoque son séjour à Dakar. Il nous dit avoir réalisé un film sur ces maisons ballons en 2012 dans le cadre d'une manifestation de l'Institut Français à Dakar. On aimerait beaucoup voir ça !
Voici un extrait de ce texte passionnant :


Les habitants du quartier et certains spécialistes à Dakar pensent que l'architecte se serait inspiré des cases Peuls de la région du Fouta pour dessiner les maisons ballons. Nous serions donc face à un module de béton dont la forme serait inspirée des cases traditionnelles africaines afin de loger les fonctionnaires français de l'AOF. Aiguillé par le chef du quartier de Ouakam, qui enfant jouait sur le chantier et regardait avec étonnement la construction des maisons ballons, je découvre au service des cadastres le premier nom du quartier de Ouakam « Cité Air Form de Terme Sud ». Avec cette information, j'ai retrouvé le nom de l'architecte Wallace Neff et découvert son intérêt pour les constructions autoportantes à faibles coûts, réalisées grâce à une structure gonflable : les maisons ballons. C'est la recherche d'une construction à faible coût qui semble avoir déterminé la forme des maisons ballons.

Il me fut aisé suite à ce texte de chercher des informations sur le nom de l'architecte Wallace Neff qui est loin d'être un inconnu mais qui a eu semble-t-il un parcours étonnant allant de la Californie des Stars de cinéma aux constructions économiques et d'urgence !
Il fut en effet un dessinateur de villas très marquées par un style ranch espagnol hollywoodien un rien... cinématographique...
Mais revenons à ses constructions étranges !
Dans un numéro de l'Architecture d'Aujourd'hui de 1945 (oui, je sais, vous êtes jaloux) je trouve une page entière consacrée à la construction des maisons Airform ( Hays Econocrete System) de l'architecte.
Le principe est parfaitement décrit par l'article. Un socle, un ballon gonflé, on pose les fenêtres, on projette le mortier, ça sèche, on retire le ballon et Hop ! On a une maison ! Et... on recommence autant de fois que nécessaire ! C'est magique et drôle aussi de penser que l'air sous pression fait la forme. On appréciera le commentaire de l'article disant que l'architecture ainsi créée fut un rien critiquée et que :  " Chose essentielle, les occupants sont satisfaits de leur maison."
Et nous aussi !
On trouvera sur le site Planet, un bel article avec des photographies des maisons de Monsieur Wallace Neff dont voici un portrait que je me suis autorisé à reprendre.


Je dois donc pour ce parcours, remercier chaleureusement Benoît Laffiché pour sa première marche, les sites internet Planet, le site Archires et... les rédacteurs d'Architecture d'Aujourd'hui pour ce cheminement allant d'une carte postale à une revue historique.
Comme quoi, documenter, chercher, enquêter c'est toujours mieux que ce contentement de peu, celui des images...
A bon entendeur...
Bien à vous.









samedi 29 juin 2013

Port Leucate, un manifeste



Sur cette carte postale "Théojac" expédiée en 1975, on admire les Carrats un village de vacances dessiné par Georges Candilis.
La carte est coupée en deux et veut surtout situer le village dans son paysage. Dans le registre du haut, l'œil glisse surtout sur le cube logotype du centre de vacances et sur la très jolie Alfa Romeo...



Pour l'architecture... il faut reconnaître qu'on ne voit pas grand chose... On devine le jeu de cubes emboîtés, la blancheur du crépi et c'est tout !
Pourtant on sait les qualités extraordinaires de cet espace, la complexité du jeu d'emboîtage des volumes formant dans une grande densité des espaces publics et privés s'articulant parfaitement et jouant à se faire de l'ombre les uns les autres.
Le registre du dessous ne nous aide pas non plus à aimer cette architecture qui ici est comme une ligne basse posée sur le sable. Les lecteurs munis de loupe pourront sans doute retrouver là un jeu pour enfants que nous connaissons bien.



Comme la carte postale fait un peu défaut, je vous offre quelques images provenant de ma visite à Perpignan au mois de Février dernier pendant la manifestation le Design s'expose.













D'ailleurs, si je reviens vers vous avec le centre des Carrats de Georges Candilis, c'est bien que se prépare une autre manifestation organisée par Clément Cividino autour du centenaire de Georges Candilis. Cette manifestation met en avant l'héritage précieux de cet architecte important dans l'invention de cette ville. On sait l'importance de l'Hexacube dans cet héritage. Mais une autre particularité est la mise en avant également, en plus de l'architecture, du design spécifique du mobilier  réalisé par Candilis et Anja Blomstedt. Cette dernière personnalité nous a, en effet, offert un design particulier, radical et sobre dont la beauté vient sans aucun doute de l'extrême simplicité dont les influences nordiques sont transparentes ! Simplicité ici relevant bien plus d'une image car c'est bien cela qu'il est difficile d'inventer ! Tout le mobilier tient en quelque sorte à la jonction des pièces de bois clair par une équerre dessinée spécialement et permettant de lier l'ensemble des meubles !
La quadrature du cercle : économie, solidité, chaleur, et esthétique est ici à son apogée et sans la lucidité de Clément Cividino et son attachement à cette histoire tout cela aurait sans doute déjà disparu...
Il est bien un inventeur.
Il me fournit ici l'occasion de vous communiquer quelques images rares de ce mobilier mais il vous faudra venir tous à Port Leucate pour fêter pendant toute la manifestation cet héritage ayant su mixer le Grand Nord et le Grand Sud comme quoi la qualité, la générosité et l'intelligence constructive savent bien s'accorder.
TOUS à PORT LEUCATE !
Toutes informations ici :
Exposition Port Leucate
Centenaire Georges Candilis
du 6 juillet au 31 août
espace Henry de Monfreid
Capitainerie

Merci de respecter les droits à l'image pour ces photographies :










mardi 25 juin 2013

Vas-y Vasarely

Le grand retour de Vasarely dans le monde de l'art contemporain est une vraie drôlerie.
J'entends par là qu'à la fin des années 80, lorsque votre serviteur était étudiant aux Beaux-Arts de Rouen, il était tout bonnement impossible d'aimer cela. C'était, j'ose, interdit...
Vasarely était ringardisé, méprisé, ignoré. C'était assez douloureux pour notre génération car nous en avions souvent une perception nostalgique de notre enfance ayant, pour la plupart vécu gamins dans les années 70 où Vasarely était absolument partout. Je me souviens bien des panneaux Decaux avec aussi des œuvres de Yvaral et tous les posters dans les M. J .C, les bureaux, les écoles.
Vasarely c'était moderne !
Dans la même popularité vous aviez pour les tenants du réalisme les peintures de Bernard Buffet dont les clowns et autres pathétiques bouquets de fleurs ornaient aussi bien des murs. Dali, lui aussi savait tenir de ses images que j'aime toujours (eh oui...) la partie onirique des petits rêves d'art de notre jeunesse.
Mais voilà, l'histoire tourne et notre génération dans son goût immodéré pour le vintage vient sauver Vasarely et le remettre sur le devant de la scène. Certainement que les préoccupations des plaisirs optiques, les jeux vidéo, et aussi le désir d'un art à nouveau accessible et joyeux dans une morosité absolument étouffante font que ce peintre, cet amuseur de l'œil retrouve à juste raison une place prépondérante.
Voyez le succès de l'exposition DYNAMO !
Alors, il ne sera pas long avant que les fresques, les sculptures, les peintures reléguées dans les caves des administrations retrouvent le grand air et que la fierté revienne de posséder un Vasarely public !
Qu'est devenu celui de Villeparisis ? Il est toujours en place !



Sur cette carte postale Lyna que l'on doit à l'excellent Rolf Walter, photographe, on voit bien devant le Centre Culturel Jacques Prévert, le très beau V majuscule de Vasarely. L'effet d'ailleurs marche bien aussi sur cette image et la sensation trouble d'un volume est très présente alors que l'œuvre est bien plate... On la dirait collée sur l'image comme un trucage Photoshop dernier cri !
L'éditeur ne nomme ni la pièce ni l'artiste.



On retrouve ce lieu et cette œuvre de Vasarely sur cette autre carte postale Lyna, cette fois due au tout aussi excellent J.E. Pinet. Messieurs les photographes de Lyna... Contactez-moi !
Monsieur Pinet joue la carte classique en venant faire dialoguer habilement les roses et la sculpture. On devine mieux aussi la très belle et si typée architecture de ce Centre Culturel de Villeparisis. On devine un grand volume blanc circulaire ou oblong et une galerie très ouverte et transparente tout autour. La frise couchée qui entoure la construction est comme une colonne sans fin de Brancusi à l'horizontale !
Mais voyons...
Deux cartes postales du même éditeur et deux photographes différents pour un même lieu...
Est-ce que Monsieur Pinet et Monsieur Walter partaient tous deux en vadrouille en même temps ? Allaient-ils chasser l'un après l'autre ? Étaient-ils concurrents ou amis ?
Pour ce qui est de l'architecte du Centre Culturel de Villeparisis, je n'ai pas l'information.
Qui la trouvera ?
Daniel sans doute !



dimanche 23 juin 2013

Urbanité, Propreté, Sexualité





Je m'appelle Romain.
Et je suis là, sur cette photographie prise à Nanterre sur le campus au début du mois de mars 1968. J'ai mis trente ans à savoir que j'avais ainsi été photographié.
Un jour, en effet, on m'apporta ce numéro de Juin 1968 de Paris Match et on me désigna sur cette image que je ne connaissais pas. Ce "on" c'est Édouard, mon ami congolais. Il est aussi sur l'image à ma gauche. On a bien changé.



J'étais étudiant en socio, j'arrivais de Tours, je ne savais rien de la politique. Je ne savais rien tout court. J'ai tout appris là, sur les pelouses et dans les amphis de Nanterre. Tout. Surtout les désillusions.
De Nanterre à mon arrivée je ne connaissais que cela :







Des constructions alignées, froides, dont les ombres noires dessinaient des espaces un peu vains et inutiles que nous devions traverser pour rejoindre nos chambres d'étudiants ou les amphis. Chauliat, l'architecte ne pouvait savoir que nous ferions de ces vides des places publiques.
Je me souviens à peine de ce moment avec Édouard. Je me souviens que nous allions de groupe en groupe, d'amphi en amphi tenter de se faire une idée dans le brouhaha des opinions souvent dirigistes. Nous pensions que ce mouvement, notre mouvement était une liberté. Je me souviens surtout de la beauté d'Édouard et de sa lucidité qui m'impressionnait. Il n'était pas étudiant, il était venu comme ouvrier sur les chaînes de montage de SIMCA. Il avait été élu délégué syndical et après le travail, il venait à la Faculté prendre l'air politique de la jeunesse française... Il ne fut pas déçu. Il est toujours délégué syndical. Il est resté en France. J'ai, pendant les événements de mai, surtout suivi Édouard. Je le suivais partout, même à l'usine où j'assistais parfois à des réunions du syndicat. Je me politisais, j'étais aussi très admiratif des mouvements noirs et gays américains. Je ne savais pas que notre liberté viendrait aussi de là, étrangement, des U. S. A alors que la Chine semblait pour eux, pour ceux ainsi assis sur l'herbe, le pays modèle.
Non, moi j'aimais Édouard. Je ne le savais même pas à ce moment-là, au début. Je courais avec lui dans les rues, nous nous amusions bien. Le soir, il faisait ce qu'il pouvait pour nous nourrir et nous retrouvions alors ses camarades dans une sorte d'appartement surpeuplé à Nanterre. Il n'y avait jamais les mêmes personnes. Je n'ai jamais su s'il habitait là ou s'il squattait. Il semblait ainsi toujours détaché d'une forme de réalité, libre mais ce qu'il me racontait de l'usine était dur, infernal, poignant. Il fallait que nous fassions quelque chose. Nous ne savions pas trop quoi. Lui, il avait déjà choisi avec son action syndicale. Il avait déjà quitté trois entreprises. Il s'engueulait toujours avec les patrons mais aussi avec ses camarades. Il rêvait d'autre chose. Nous rêvions d'autre chose. Nous parlions de littérature, de cinéma et de chanson. Nous étions à ce point timides. Il nous fallut presque trois mois pour passer une nuit ensemble. Juste dormir ensemble. C'était ça aussi notre révolution.
Et les slogans sur les murs disaient la force, le mouvement, la liberté. Je ne sais pas pourquoi mais j'ai retenu depuis toutes ces années celui-ci que j'avais vu scotché sur la porte de la bibliothèque : Urbanité, Propreté, Sexualité.
J'en parle aujourd'hui avec Édouard. Il s'en souvient et on rigole tous les deux. Il est grand-père aujourd'hui ! C'est dingue. Ses petits enfants sont étudiants à leur tour, l'un est à Paris et l'autre en Province du côté de Bordeaux. C'est l'un d'eux qui a trouvé ce Paris-Match et a cru y reconnaître son grand-père qui m'a, à son tour, identifié. Il a parlé librement de cette relation avec ses enfants et ses petits enfants. Et eux se marrent de penser que leur père et leur grand-père fut amoureux d'un freluquet tourangeau blanc comme neige. On se marre tous, sans arrière-pensée. On peut de nos jours.
Aujourd'hui, je vis toujours à Nanterre. J'y suis resté. Après avoir travaillé à l'usine pour connaître la "vraie vie" ouvrière, j'ai rencontré celui avec qui je vis. Et quand Jean Ferrat chante : "Ma môme elle joue pas les starlettes, elle porte pas des lunettes de soleil, elle pose pas pour les magazines, elle travaille en usine, à Créteil", je m'autorise à penser que c'est de nous qu'il parle. Il, elle, quelle importance...

samedi 22 juin 2013

Brutalisme à la plage



À Saint-Jean-de-Monts en Vendée sur la plage, on peut admirer (oui) le très beau V.V. F et son pavillon central.
On a déjà chanté sa beauté, interrogé son histoire mais rarement encore vu ainsi sa beauté. La carte postale Artaud ici nous le montre puissant, érigé et solide.
L'éditeur a parfaitement nettoyé l'image, découpant la construction sur son ciel, durcissant ainsi l'image et surtout l'architecture. En allant également en contre-plongée poser la proue d'une barque au premier plan, le photographe s'amuse sans doute des deux formes apportant aussi un registre coloré qui a disparu de la façade du V .V. F.
Cet immeuble serait de Jean (?) Marty, architecte. Il va sans dire que nous aimons tout particulièrement ce type de construction sculpturale, massive et intelligente dans l'organisation de sa façade. Un brutalisme à la française, d'une échelle humaine.





La tour de l'escalier est spectaculaire sur son mur aveugle et cette autre carte postale nous permet aussi de saisir la manière dont Jean (?) Marty a posé sa tour sur le sol. Regardez le très beau dessin de la passerelle !
Il s'agit là d'une belle œuvre qui soutient encore l'idée que les V.V.F à cette époque savaient être modernes et audacieux, ne cédant en rien à un régionalisme béat.
Il faut espérer que cet ensemble soit protégé et que rapidement il retrouve sa plénitude brutaliste.





vendredi 21 juin 2013

Avoir des facultés



Une carte postale La Cigogne fait le tour des équipements des Facultés de Bordeaux.
Trois constructions modernes encadrées sur un fond de grille en fer forgé grandiloquente et sérieuse (grille réalisée par Raymond Subes) donnent à voir le dynamisme du secteur éducatif dans ce Bordeaux de l'après-guerre.
Sans doute destinée aux étudiants eux-mêmes pouvant ainsi faire un peu vivre à distance leur nouvel espace de vie, cette carte postale tente de prouver la nécessité d'images pour ces lieux particuliers.
On a donc l'entrée de la Faculté des Sciences, l'Institut d'Études Politiques, la Bibliothèque et les Facultés de lettres. Mais qui est quoi ?
Par exemple ce très beau bâtiment est-ce la Bibliothèque ?



On trouve bien dans cet article de Marc Saboya une construction quasi-similaire mais avec des étages supplémentaires qui serait une œuvre de l'architecte Sainsaulieu. On y trouve aussi une vraie richesse architecturale pour ce campus qui donne envie d'y retouner ! Il y a là une œuvre de Monsieur Fuksas très impressionnante !
On complétera les recherches avec cet article de Franck Delorme lisible ici.
À Clermont-Ferrand, on aimera tout particulièrement ce beau bloc :



Ce qui constitue sans aucun doute un amphithéâtre pour la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines se greffe sur une façade. La carte postale Combier  de 1969 nous donne bien les noms des architectes Messieurs Noël et Bauchet dont nous ne connaissons que peu de choses. Bien évidemment ici nous aimons ce bloc à peine ouvert dont la massivité semble vouloir protéger comme un trésor l'enseignement qu'on y prodigue !



Regardez bien les deux personnes sur le trottoir, qui tout en étant des admirateurs de cette architectures sont aussi un bon moyen d'en avoir l'échelle.
Du béton et du béton belge :



Nous sommes à Louvain-La-Neuve sur la place des Sciences devant la Bibliothèque des Sciences.
Et... que c'est beau !



Quel travail du béton ! Et aussi quel travail d'aménagement des espaces ! On trouve quelques documents sur le site de l'Atelier d'Architecture de Genval mais aussi un article dans l'Architecture d'Aujourd'hui de Juillet 1973.
On y entend une séparation claire et volontaire du secteur piéton et automobile et la création d'une forme de paysage ludique, changeant, permettant même des jeux libres pour les enfants. Qu'est devenue cette utopie joyeuse ? Comment finalement ces aménagements sont-ils vécus ? La carte postale nous donne à voir ce lieu et le traitement des espaces en mouvement et dans une utilisation libre et les slogans inscrits dans le béton frais ont-ils trouvé leur réalité ?
Restent sans doute une forme et une subtilité du dessin qui font de cette expérience l'une des plus surprenantes et originales de ce début des années 70. On aimera s'y rendre aussi sans doute.







mardi 18 juin 2013

Apprendre l'architecture

Il voulait être architecte et en cette chaude journée de juin, il était venu à Nanterre passer le concours de l'école d'architecture.
Il n'avait pas compris ce que voulait vraiment lui dire l'un des trois membres du jury en lui conseillant pour l'épreuve du lendemain de se promener dans la ville autour de l'école.
Il n'aurait pas su dire si c'était là un signe positif ou négatif.
Alors, dans ce doute, il avait suivi le conseil en se rassurant, en se disant que de toute manière s'il venait faire ses études ici, il devrait bien connaître cette nouvelle ville.
Ce fut assez étrange car finalement il n'avait que peu souvent regardé la ville pour elle-même comme un objet total, une collection d'architectures. De la ville, de toutes les villes, il ne connaissait souvent que les bitumes et les pavés arpentés par ses chaussures dont sa tête baissée par la timidité lui faisait suivre jour après jour l'usure.
Pourtant, il y avait bien eu ce déclic, cette certitude dans l'église de Talmont qu'une architecture c'est souvent une émotion spatiale.
Mais il était en ce jour bien loin de Talmont.



Il avait d'abord voulu s'éloigner de son école. Il voulait la voir de loin prise dans son paysage. Il aimait pouvoir la repérer par ses couleurs et cela malgré la grande présence de la couleur dans cet horizon urbain.



Il se souvenait ici qu'il avait eu vraiment très chaud devant son jury et qu'il n'arrivait pas à savoir si sa trouille ou si la climatisation de la construction était la cause de ce coup de chauffe. Il essayait de se rappeler les visages de ces personnes qui le jugeaient mais il ne se rappelait que la chemise trop ouverte sur une chaîne en or du type qui lui parlait. Et il se souvenait d'avoir maladroitement plié en le rangeant l'un des beaux dessins qu'il avait fait à Arc-et-Senans l'année passée.
Il trouvait la ville verte. Il rêvait déjà au jogging qu'il ferait ici le dimanche avec ses compagnons de promotion.
Il reprit sa marche, il bomba le torse voulant croire qu'il s'éveillait enfin, qu'il était bien là, bien vivant, bien certain de ce choix. Ce n'était pas de la fierté, juste une sensation qu'enfin il pouvait marcher et voir, apprendre.



Devant le Vallona dont le nom le fit sourire, il regardait la franchise appuyée de son dessin. Une masse colorée dont il ne savait pas s'il devait l'aimer ou pas. Il s'interrogea sur la perte des terrasses, sur ces espaces des toits plats ainsi abandonnés aux évacuations des fumées et des aérateurs. Il trouvait que c'était des espaces perdus et se demandait pourquoi on n'avait pas ici retenu la leçon de Le Corbusier à Marseille. Il aimait bien sentir dans sa pensée les petites connaissances qu'il avait acquises en suivant les conseils de la bibliothécaire de sa ville pour la préparation du concours. Il se trouvait soudain comme un spécialiste et imaginait d'un coup la hardiesse de ses propositions si, par hasard, il avait eu à faire ce genre de construction. Il rêvait à des jardins en terrasses, des places publiques sur les toits, inventant en quelque sorte une autre ville. Il rêvait.
Il trouva que l'ensemble avait de belles ouvertures, de beaux balcons et tout cela sentait le neuf. Il tenta même en observant la façade d'en extrapoler les plans des appartements. Il sentait dans sa tête les espaces se former, les murs descendre sur leur plan, les imbrications entre les appartements et même soudain, la complexité des tuyauteries internes et des évacuations formaient une sorte de puissante machine en trois dimensions dans son imaginaire. Il avait un peu senti cela à Talmont où en regardant la croisée d'ogive, il avait imaginé la stéréotomie des pierres de taille.
Il fit une visière devant ses yeux avec sa main droite pour calmer la morsure du soleil sur son visage, il avait vraiment chaud et même un peu soif.



Il était midi. L'ombre sous les automobiles cernait parfaitement leurs châssis. Il regarda les tours de l'avenue Clémenceau. Il sut d'emblée qu'il les aimait moins que le Vallona. Trop droites, trop dures, trop prévisibles aussi mais en même temps il s'avoua leur trouver une majesté par leur indifférence sans doute à la fonction.



Il pensa que les stores forment bien le seul élément joyeux et libre ; les jeux d'ouverture ou de fermeture fabriquent une sorte de cinétisme de toile orange qui tranchait bien sur ce gris et ce blanc dignes d'une sculpture minimaliste américaine. Il trouvait dure la manière dont cela surgissait du sol, sans faire travailler le corps du piéton, sans l'accueillir. Seuls les yeux obligés de suivre les lignes forçaient le cou à se tordre pour aller vers le ciel. Il n'y avait personne.



Mais soudain il aima cet immeuble dont il ne savait rien pourtant de son rôle.
Il aima son socle de béton gris en contraste sec avec sa façade de métal et de verre noir. Il aima les petits volumes sur le toit ou de dessin de la cheminée, il trouvait que, oui, ici, il y avait des intentions plastiques.
Il s'arrêta pour la première fois de sa promenade et sortit son petit carnet. Il pesta deux seconde car, comme à son habitude, il ne trouvait pas son crayon. Il dessina rapidement l'ensemble en limitant le nombre de traits. Il voulait saisir. Il avait appris cela, ce saisissement du dessin. Il avait appris à enlever, retenir mais en même temps faire de la main le sismographe de son œil. C'était dur, souvent mauvais comme méthode mais bien plus satisfaisant en terme de maintien de l'objet dans l'ère des souvenirs.
Il repris sa marche, heureux de cette rencontre.



Il éclata de rire.
Il ne put se retenir.
Devant l'Hôtel de Ville de Nanterre, devant cette forme qui criait si fort "je suis un monument" il ne put en effet retenir cette libération. Mais il n'était pas cynique. Il comprit aussi qu'il fallait pour ce type d'architecture faire un signe, dire en quelque sorte la particularité d'un rôle public. Et il y avait dans cette construction comme un morceau de science-fiction, un décor de film, quelque chose de narratif et d'imaginaire, une fantaisie républicaine que l'on pouvait bien s'accorder, aimer.



Et l'ensemble était beau, bien construit. Un détail l'amusa. Il vit sur les pentes de la pyramide inversée de cet Hôtel-de-Ville deux messieurs en train de nettoyer les carreaux bruns comme des lunettes de soleil. Il regarda ce manège de la propreté.
Il aurait bien mis ses pieds nus dans le bassin pour se rafraîchir comme il aimait le faire en Dordogne.
Il aurait bien aimé que la Ville, toutes les villes, autorisent ainsi ces libertés des corps. Tout ici était minéral, jardins décidés, mobiliers ordonnés.
Il compris qu'il venait de suivre son premier cours d'architecture.
Il comprit que c'était un conseil que lui avait donné cet enseignant.
Il comprit qu'il devrait toujours à présent vivre les lieux ainsi : les yeux ouverts à son imaginaire, les pieds courant sur les espaces, son corps présent aux formes.
Il était maintenant un architecte.