lundi 21 août 2017

Revin, Brutalisme à la française

J'étais en silence. Parfois, il faut se taire.
Il semble que le Brutalisme soit devenu mainstream, un nouveau joujou pour les créatifs et les apéros carottes bio et bière locale.
Tant mieux ? Tant pis ?
Je vais vous parler de Hard French, ce Brutalisme à la française. Du vrai, du solide, du beau et ici, il n'y a vraiment pas d'humour ou de second degré quand je dis beau.
Rares sont les (Grands) Ensembles ayant en France cette force puissante et ce systématisme des grilles marquant, par la construction du chemin de grue, le paysage, comme on construit des Bastides, des Forts, des architectures tombant pour de vrai du ciel.
Nous irons à Revin, à Orzy dans les Ardennes. Je ne sais pas pourquoi mais je trouve que Hard French ça va bien avec Ardennes, une terre forte, puissante, sans joliesse facile. Dans la boucle de la Meuse les architectes et les autorités ont décidé de construire un ensemble de logements sur cette terre. On a fait comme on fait à l'époque. On a barré.
Regardez comment cette carte postale La Cigogne a enregistré le nouveau paysage :



Inutile de trop en dire, on saisit bien comment la géométrie pure des barres de logements est venue contre les courbes du paysage. C'est beau. J'aime ça. C'est bien comme cela que l'on fait monter au regard les particularités d'un lieu en y opposant les contraires. On dirait : sans remords. C'est ça. Sans remords. On devine déjà que les barres de logements s'enfoncent dans les douceurs des collines comme un coin d'acier dans une buche.
On a de la chance car on trouve facilement le nom des architectes et des collaborateurs de cette Z.U.P ici :
http://archiwebture.citechaillot.fr/fonds/FRAPN02_BOSJE/inventaire/objet-12696
Et quelle joie de retrouver le nom de Jean Bossu ! Les plans nous montrent la construction d'immenses carrés presque fermés ou même totalement fermés par les barres de logements qui viennent donc sans égard s'enfoncer dans la terre. On saisit bien cette idée du Modernisme de s'interdire l'étalement pour libérer le sol et, par une verticalité en quelque sorte horizontale, densifier les habitations et former ainsi des espaces dont, bien entendu, on mesure mal l'usage car si peu paysagé. C'est un reproche que les paysagistes d'aujourd'hui font à ces espaces, leur blancheur en quelque sorte, leur platitude mal engazonnée. Car l'époque n'est pas aux herbes folles, aux touffus organisés, à l'abandon du jardin à sa propre liberté. On dessine. Du plat dans lequel des chemins d'usage seront tracés.
Rapprochons-nous :



Vous voyez la Beauté des fortins ?
Au premier plan l'ilot est entièrement clos, inventant une ile intérieure aux constructions, une exception spatiale que peut-être ai-je le droit de comparer aux réalisations de Fernand Pouillon. Je me souviens aussi de Firminy-Vert. Mais ne vous faites pas avoir par l'échelle car cette fermeture apparente permet tout de même à tous les logements de bénéficier d'une vue, d'un dégagement très ouvert sur le paysage.
La vue.



Des machines à voir et à habiter, voilà ce que cette Z.U.P offre.
Aujourd'hui on ouvre les îlots pour la Police et les pompiers. On ouvre pour que "ça circule", pour que le mystère de cette cour fermée soit mis au grand jour des autorités. Il existe pourtant des places qui ne sont des lieux que parce qu'elles sont fermées. Cette carte postale nous permet aussi de deviner la très belle et régulière grille de la façade, alternance simple et cinétique des ouvertures et des plans de béton. Là aussi la ponctuation de cette façade et son étendue s'opposent ou plus certainement font vibrer comme une contre tonalité le reste de l'image. On ira voir tout à l'heure comment cela est si bien dessiné et comment le principe de construction est laissé lisible, voir affirmé car, on croit encore à l'époque que la structure est une esthétique et que sa franchise est une morale. Le voilà, le vrai et utile Brutalisme.
Sur cette dernière carte postale :


Un point de vue, un point de vue organisé comme tel puisque même une pancarte et des aménagements prouvent que l'on vient là voir le paysage. Et que croyez-vous que le spectateur voit ? Il voit le chantier de cette Z.U.P. Quelle chance !



La grue est encore en place, le sol est encore retourné et le spectacle du montage des immeubles devait être un beau cadeau pour ceux qui venaient jusque là. On aimera la veste rouge du monsieur qui me rappelle le point rouge sur les cartes postales de l'éditeur-photographe John Hinde.



Mais m'en voudrez-vous beaucoup si je vois sur cette carte postale un signe à moi particulièrement adressé ? Pour saisir le point de vue, les autorités locales ont disposé des bancs de béton superbes. Il se trouve que j'ai trouvé, perdus dans les feuillages, en compagnie de mes amis Catherine, Lucas et Isaac ces mêmes bancs à côté de chez moi. Comme l'architecture d'Orzy, ils ont une franchise, une beauté simple et un sens de l'accueil dans leur dessin. Ils sont très beaux. Je n'ai pas trouvé le nom de leur éditeur ou designer.





Aujourd'hui Google Earth nous permet de voir que l'îlot au premier plan a été ouvert. On remarque aussi des pignons décorés de tuiles d'une laideur immonde que les bailleurs ont tant aimé poser sur les murs aveugles des cités de France. Heureusement, il semble que les façades n'aient pas trop bougé et que le polystyrène d'une isolation par l'extérieur ne soit pas encore posé. Pour combien de temps encore pourrons-nous jouir de la grande qualité structurale de cette façade ? Pour combien de temps encore ?
Espérons que quelque part à Orzy ou à Revin, quelqu'un aime cette architecture et défendra ses particularités structurelles et que Monsieur Hulot et ses services ne viendront pas nous emmerder, je parle du Ministre pas du génie de l'espace construit.
Sans aucun doute aussi que Xavier Dousson viendra également nous donner quelques éclairages sur Jean Bossu.







 








 

samedi 5 août 2017

Mon œil


Qu'est-ce qui fait la qualité d'un espace ?
Pourquoi, immédiatement, les sentiments de plénitude, de tranquillité et de paradis sont venus se poser sur cette image comme si je l'attendais depuis toujours ?
Est-ce l'objet même de l'espace qui me séduit : un escalier solide et massif montant sans obstacle, ou bien l'articulation des circulations entre le palier et la possible jonction avec deux mondes invisibles, celui de l'étage et celui derrière le corridor ? Ou est-ce la ligne noire de carrelage parfaitement à l'horizon de mon œil qui, soudain, forme une quasi ligne horizontale alors qu'elle se plie aux angles des pièces ? La blancheur.
La blancheur ombrée à peine, doucement, comme si chaque grain de lumière devait jouer avec les imperfections d'un pigment. Et croire aussi à la traduction du noir et blanc sans se poser la question de la couleur. Une porte fermée, simple, sans effet de mystère est comme une échappatoire possible. Elle n'effraie pas ou ne met pas en demeure de l'ouvrir. La grille orthogonale de sa fenêtre est comme la visée de la mise au point du photographe. Sans doute qu'ici, l'infini et la profondeur de champ furent ainsi réglés. Les deux arcs en plein cintre, l'un immense et l'autre plus petit, se retrouvent sur l'angle droit d'un mur. Pas d'effet de colonne, juste la tombée parfaite de leur épaisseur.
Il m'aura fallu un moment pour voir le brancard. Abandonné dans le couloir, derrière, laissant tomber sur lui, à la perfection, son drap blanc que, malgré tout ce bonheur, je ne peux penser que mortuaire. Pourtant même cela ne m'effraie pas, ne m'inquiète pas, et même me rassure. La mobilité possible sans doute, le mouvement bien huilé des roues sur un sol parfaitement propre sont aussi très rassurants.
Personne.
Enfin ! Je suis seul dans la lumière d'un lieu. Libre de mes choix. Monter, partir, mourir.
Je pense à Pieter Saenredam auquel on croit rendre hommage en évoquant la Modernité d'un Mondrian. Non.
Pas de cela s'il vous plaît. Simplement la lumière d'un soleil interstellaire venant de très loin se cogner dans l'architecture et rebondir sur les sels d'argent d'un plan-film. Et mon œil en écho. Mon œil au singulier, ma chimie, mes organes.
Et vous dire que malgré toute cette beauté, malgré cette perfection métaphysique l'auteur de l'image reste anonyme.
Je mets son anonymat au-dessus de tout. Perdu dans les limbes sérieuses de l'Histoire de la Photographie sa modestie oublieuse me répond. Après tout, pourquoi se raconter lorsque l'image le fait pour vous ? Et qu'est-ce qu'un nom de plus ou de moins imprimé au dos d'une carte postale aurait ajouté à mon voyage, à mon repos ?
J'aurais pu juste lui dire merci une fois de plus.
Merci.

St Antonius Ziekenhuis, Utrecht, Trappenhuis.
Pas de nom de photographe, d'éditeur ou de date.. .ou d'architecte.