mardi 30 mars 2021

Un petit pet à l'UNESCO



 -Tu ne bouges pas ! Compris ? Tu m'attends là et tu ne bouges pas !

Alvar regardait Jean-Michel Lestrade s'éloigner en compagnie d'un monsieur un peu âgé qui était venu à la rencontre de son grand-père. L'homme, avec de grands gestes, pointant ici ou là un détail avec son index, avait posé son autre bras sur les épaules de Jean-Michel. 

Alvar avait alors compris qu'il existait une complicité et une familiarité entre les deux hommes que pourtant son grand-père n'avait pas jugé bon d'expliquer à son petit-fils âgé alors de sept ans. Alvar était assis sagement dans l'un des fauteuils. Il s'amusait que ses pieds ne touchent pas par terre et quand il se mettait plus au fond, le dos contre le coussin du dossier il avait à peine les pieds qui dépassaient de l'assise. Il remarqua que son lacet, à la chaussure droite était défait. Il essaya vainement de se rappeler la comptine qu'on lui avait apprise pour refaire le nœud mais il ne réussit à n'en faire qu'un très disgracieux, un peu mollement desserré qui ne le convainquit pas. Il se sentait un peu bête et il se demanda si un jour il arriverait à faire tout seul ses lacets. Il y avait plein de choses encore comme cela dans sa vie qui le préoccupaient comme le jour où il pourrait enfin monter devant dans la voiture de son père, le jour où le coiffeur ne mettrait plus sous ses fesses cet humiliant réhausseur sur le fauteuil du salon de coiffure, ou encore il rêvait du jour où il pourrait avoir enfin l'aile du poulet rôti le dimanche midi. Par contre, il aimait bien que sa mère le lave encore, il aimait qu'on le serre dans d'immenses serviettes éponges que sa mère lui présentait au sortir de la baignoire et dans laquelle il se perdait comme dans un cocon, sentant les mains vigoureuses de sa mère qui le séchait. Il voulait alors que ça dure toujours d'être un enfant.

Alvar regarda autour de lui, se demandant combien de temps son grand-père allait le laisser seul ainsi. Il avait perdu de vue ce grand-père et, étrangement n'avait pourtant pas peur. Une dame pressée lui passa devant, il fut inquiet qu'elle lui demande ce qu'il faisait là mais elle ne lui prêta une attention que par un large sourire qu'Alvar perçut sur une silhouette déjà passée, disparue dans les couloirs. Mais pourquoi donc avait-il demandé avec autant d'insistance à accompagner son grand-père dans ce bâtiment tout en béton alors que les adultes lui avaient bien expliqué qu'il allait s'y ennuyer et que surtout, son grand-père n'y allait pas pour s'amuser ? La joie qu'il avait ressentie au moment où son grand-père avait finalement cédé et décidait de le prendre avait maintenant disparu et Alvar s'ennuyait ferme ici.

Il essaya de comprendre la peinture sur le mur et trouva que le dessin était un peu simple, que lui aussi aurait pu faire ça, même que l'autre jour, pour l'anniversaire de son père, il avait fait un dessin avec un avion à réaction et un château fort bien plus beau et réaliste. Il avait même dessiné le casque du pilote de l'avion et le drapeau bleu, blanc, rouge sur sa carlingue, ce qui lui avait valu des cris d'admiration de son père et un gros baiser mouillé dans le cou. Mais perdu dans ses pensées, il s'aperçut d'une chose amusante. Sous son poids, il se voyait s'enfoncer tout doucement dans le coussin et ses jambes qui jusque là étaient à l'horizontale commençaient à prendre un angle, les fesses étant maintenant enfoncées dans le coussin. Débuta alors pour lui un jeu qui consistait à s'asseoir en se jetant dans le fauteuil puis de se laisser ainsi avaler par le coussin, tout doucement. Cela s'accompagnait d'un petit bruit étrange comme un pet joyeux et sympathique lorsque après que le coussin ait repris sa forme, le poids du garçon l'enfonçait de nouveau. Il remarqua que ces plongeons successifs dans le fauteuil faisaient faire des plis au tapis et il eut soudain peur de se faire gronder.

Mais au loin, il entendit une conversation qui se rapprochait et puis finalement il reconnut la voix de son grand-père qui revenait.

-Tu vois... béton... non, non, non, Brésil...ah oui !... pas avant la fin de l'année... Jocelyne..

Alvar n'entendait ainsi que des bribes hachées car, à la fois la conversation des adultes ne l'intéressait guère et de toute façon, le son des voix se répercutait sur les parois du béton des murs ne laissant aucune clarté possible à la conversation.

-Voilà Amir, c'est mon petit-fils !

-Il est adorable ! Tu ne t'es pas trop ennuyé ? Tu vois je te rends ton grand-père ! Les deux hommes ne laissèrent aucune chance à Alvar de répondre aux questions et déjà la main de Jean-Michel Lestrade emmenait vers la sortie son petit-fils et l'homme avait repris le cours de sa vie, s'éloignant rapidement.

-C'était qui Grand-Père ? demanda Alvar.

-Un vieil ami, mon garçon, un vieil ami. 

Jean-Michel remarqua le lacet mal fait de son petit-fils. Il s'agenouilla donc pour le refaire. Alvar sentit alors que ce nœud était bien plus serré que sur l'autre pied mais n'osa pas le dire à son grand-père. Il aimait bien voir le cercle de cheveux manquant sur le crâne de ce grand-père, quand ainsi celui-ci était plus bas que lui ou que, il y a encore peu, Jean-Michel le portait sur ses épaules.

-Un vieil ami...

Une fois encore et étrangement, Jean-Michel prononça cette phrase à peine audible en sortant de l'UNESCO. Alvar mettra longtemps à comprendre la raison de ses mots prononcés ainsi dans un souffle.




samedi 6 mars 2021

Presque Cités Radieuses

Quand un historien ou une historienne de l'architecture décideront de faire un ouvrage sur les presque Cités Radieuses, lorsque, enfin, on se décidera de regarder à nouveau ces modèles du logement social dense et humaniste, il ne fait aucun doute qu'il leur faudra aller là :



Là, c'est à Anvers dans le quartier de Kiel.

Comment, en effet, ne pas immédiatement coller à tort ou à raison, sur cette magnifique Résidence "Edgar Castelein" le titre de Cité Radieuse ? Oh, bien entendu, j'entends les spécialistes, les aficionados de Corbu rire de toutes les choses qui manquent pour en faire une vraie Cité Radieuse : la signature de Corbu, un toit-terrasse aménagé, une répartition en duplex des appartements, des rues intérieures et une certaine réalité physique et brutale du béton. Mais tout de même...

J'avoue que la carte postale en noir et blanc doit aussi accentuer l'imitation possible au modèle de notre Maître. On peut d'ailleurs saluer immédiatement la très belle qualité éditoriale et photographique de cette carte postale qui semble curieusement n'avoir été disponible qu'auprès de la "Drogisterji-Parfumerie" ! 

Pour ma part, je lui trouve à cette "résidentie"de très belles qualités plastiques qu'une visite sur Google Street vous permettra aussi de colorer avec les belles couleurs modernistes de l'époque, toujours visibles sur place. Eh oui... Leçon pour la France, leçon pour Le Mans...

Ce que j'aime aussi beaucoup c'est la hauteur des pilotis qui dégage vraiment l'ouverture sous le bâtiment, ce qui, pour les vraies Cités Radieuses m'a toujours semblé un peu raté, manquant un peu de hauteur. Là, ça traverse vraiment et même, les pilotis semblent presque trop graciles pour supporter la masse. Mais quelle belle grille moderne ! Quelle belle écriture franche, directe, lisible. Admirez aussi sur cette première carte postale le volume des escaliers à gauche qui relie, de fait, deux barres entre elles sur leur angle.

Voulez-vous en voir plus ? Mais voilà, chers amis, chères amies :



Magnifique non ? Regardez une fois encore le bel espace sous les pilotis. On commence à mieux comprendre les articulations des bâtiments entre eux. On perçoit aussi comment la densité a permis de libérer les espaces verts, ici, complètement vides de voiture. Comme c'est beau.

On se rapproche ? Cette fois c'est la résidence "Jozef Schobbens". On voit bien comment les deux barres sont accolées l'une à l'autre, dans un angle très ouvert d'ailleurs. 



Allez ! Je vous sens gourmands :



Cette dernière carte postale nous montre la résidence "Alfred Cools" mais surtout finalement les jardins et les jeux des enfants. Je trouve cette image presque trop parfaite, trop idéale à l'attente de l'urbanisme moderniste, presque trop ouverte en quelque sorte. L'espace y est si généreux que les distances semblent pour des constructions urbaine trop horizontales. Mais je n'ai qu'une envie : aller voir ces beautés car, oui, elles sont toujours debout.

Comme un bonheur ne vient jamais seul, il se trouve que l'Architecture d'Aujourd'hui de 1954 a publié un excellent et long article sur cet ensemble. On a donc une date, 1954 et même le nom des architectes : R. Braem, R. Maes, et V. Maeremans. Du beau monde donc.

Je vous donne ici quelques extraits de la revue, les photos sont de F. Claes :





Et je vous invite à une petite promenade. Peut-être nous retrouverons-nous au pied de ces belles barres, un jour, à Anvers.