dimanche 29 avril 2018

Monsieur Borloo, le retour gratuit


Faut-il être si mal informé ? Avoir si peu lu ?
Faut-il avoir si peu regardé ? Visité ? Compris ? Vécu ?
Faut-il être entouré de si mauvais conseillers, communicants ?
Comment peut-on dans un rapport* qui se veut ouvert à des lieux en déshérence, en si peu de phrases, désirer nommer de suite un coupable (mort) qui ne pourra pas répondre ? Pourquoi d'emblée faire comme si nous étions tous d'accord et comme si mettre au bûcher une partie de l'histoire suffirait comme analyse urbaine et architecturale ?
Pourquoi Monsieur Borloo avez-vous besoin d'un coupable mort ?
Pourquoi avez-vous besoin d'un pilori ?
Que voulez-vous cacher derrière cette accusation ? Qui voulez-vous protéger de ses responsabilités ou des vôtres ?
Après tout, attaquer Le Corbusier est un droit. Après tout, vouloir remettre en question son héritage est bien normal mais faire ainsi un raccourci honteux sur sa pseudo-responsabilité, raccourci élevé en petit j'accuse est un manque total de culture historique de l'architecture des Trente Glorieuses.
Car sans relativisme de cet héritage, sans même prendre en compte la diversité de celui-ci allant de la préfabrication lourde du système Camus à Jean Renaudie c'est tout un pan de l'histoire du logement social, de sa grande richesse d'approches, de formes, d'idées que vous feignez d'ignorer et dont il aurait fallu parler et s'emparer. Cette méthode de pensée qui met dans un seul paquet une variété infinie (chance de la France) de réponses n'est pas aimer ces lieux, n'est pas les respecter et surtout n'est pas les comprendre. C'est aussi dire à ceux qui y vivent qu'ils n'ont lié aucune relation avec cet héritage, qu'ils sont forcément dans une relation d'échec imposé par l'histoire dont vous vous croyez l'historien et le juge.
Et qu'il y a un grand méchant. C'est pratique un grand méchant.

C'est parler aux habitants comme à des enfants.

Comme s'ils ne savaient pas, eux, analyser et dire les vrais coupables de leur situation dégradée.
Et si les défauts que vous attribuez à Le Corbusier étaient bien plus les défauts des gestions de vos amis politiques, Monsieur Borloo, qui n'ont eux pas réalisé à temps complètement les programmes architecturaux, qui ont géré ces "erreurs", qui ont fabriqué ces bannissements sociaux, comme si votre famille politique ( très étendue...), Monsieur Borloo, n'était pas d'abord la coupable ? Comme si ceux qui organisent le ghetto social (ce ghetto qui vous fait peur) ce n'était pas d'abord les politiques sociales, économiques et financières qui fabriquent les enfermements, les isolements, les relations entre les fonctions, toutes choses démontées et combattues par Le Corbusier, toutes choses abandonnées par les politiques de la droite et du centre droit, celle de la charité bien ordonnée de vos "cousins" politiques Monsieur Borloo ?

Le bruit et l'odeur, Monsieur Borloo, le bruit et l'odeur.
Jamais Le Corbusier n'aurait prononcé cette phrase.

Il y a plus d'humanisme dans la hauteur d'une marche ou l'appui d'un coude sur la balustrade de la Cité Radieuse de Le Corbusier qu'il n'y en aura jamais dans le camp politique que vous avez défendu et que vous défendez encore et pour lequel, gratuitement, vous collaborez encore et encore et encore. Cette gratuité de vos services que vous élevez en qualité morale est la dernière preuve de votre condescendance.
La même gratuité que Stéphane Bern ?

Monsieur Borloo, laissez les morts tranquilles, quant bien même ils seraient architectes, laissez leur héritage inonder ceux qui ont la chance de vivre dans leur architecture et, emparez-vous vraiment de leurs rêves, oui, Monsieur Borloo emparez-vous des rêves de Le Corbusier qui sont les nôtres et dont notre honneur est qu'ils soient vos cauchemars.

* introduction du rapport remis par Monsieur Borloo sur l'avenir des banlieues :



Autant de contre-vérités ramassées en une phrase c'est un exploit d'inculture de l'histoire du logement social !


Tout en haut, une carte postale Artaud qui vous montre Monsieur Borloo le sens des mots "logement social" par le Corbusier. Nous sommes à Rezé et c'est Michel Le Collen, photographe-pilote qui fait ce cliché, depuis l'aéroport de Bordeaux-Mérignac.
Regardez comme cela n'a rien à voir avec ce que vous racontez, avec vos accusations. Allez demander aux habitants comment ils vivent là. Allez-y.
Je vous donne l'occasion de voir en couleur la même "erreur" architecturale et urbaine...


Cette fois nous sommes à Briey-en-Forêt grâce, cette fois, c'est la maison d'édition La Cigogne qui nomme bien Le Corbusier.
Je ne vous fais pas l'affront de vous mettre la Cité Radieuse de Marseille.
Je vous conseille de voir l'analyse des cités radieuses de Le Corbusier par Reiser, il connaissait, lui, le sens du mot politique.



samedi 28 avril 2018

Piscines Tournesol en veux-tu en voilà


Depuis Ecommoy, Christine écrit à T.F.1 pour participer à Tournez Manège.
A-t-elle réussi à trouver son mari ? Rêvait-elle qu'il ressemble au beau maître-nageur de la piscine Tournesol ?
En tout cas, elle aura trouvé cette carte postale Jipé de la Maison Georget au Mans pour faire sa demande. Elle y aura vu le signe d'une modernité, d'une joie de vivre, du désir. Expédiée en 1987, il ne fait pourtant aucun doute que le cliché est bien plus ancien.
Le photographe aura attendu, voire organisé le plongeon de l'adolescent au premier plan permettant d'animer la piscine. Au fond, les plus jeunes sont regroupés dans le bassin des petits nageurs. Le soleil vient les voir. Perfection d'un moment. Sur la carte postale, imprudemment ou très confiante, Christine a noté son numéro de téléphone. Dois-je tenter de l'appeler ?



Dans l'air un petit vrombissement.
Au dessus de Charvieu un photographe a pris son envol. Il travaille pour les éditions Combier et il survole la piscine Tournesol et le C.E.S pour en faire des clichés puis des cartes postales. La piscine Tournesol est si belle dans son rouge rare comme posée en attente de son ouverture, racontant la jeunesse française saine de corps et d'esprit, allant à l'école et à la natation. Contre l'étalement des petites habitations cela devait agir, toute cette modernité, comme le signe d'un époque voyant droit devant. Sans remords. Combier ne nomme ni son photographe aérien ni l'architecte. On notera là aussi que la carte postale fut expédiée bien après son édition, en 1993 !


Ginette aime bien ses amis restés à Paris. Depuis la Bretagne, depuis Baud, elle envoie la piscine Tournesol toute blanche. C'est plus original qu'un calvaire breton ou que des menhirs épuisés. Ginette aime l'esprit de son époque, elle aime le moderne et comme ça, les parisiens ils verront que la Bretagne aussi c'est moderne.


Par trois fois, le photographe de chez Combier aura essuyé l'objectif de son appareil photographique en râlant contre la buée chargée de chlore qui se pose ainsi sur son matériel. Il aura monté sur une chaise haute d'un maître-nageur pour faire ce cliché de la piscine de Cours. Il fallait attendre que le bassin soit correctement occupé, que rien de trop agité ne vienne perturber ce moment parfait. Il a d'ailleurs choisi de se mettre lui-même en maillot de bain pour passer inaperçu. Il aura aimé comment les bonnets de bain viennent ponctuer de leur couleurs vives la surface égale de bleu turquoise du bassin. Il en a un peu marre de se taper toutes les piscines Tournesol de la région mais l'éditeur Combier est intransigeant, il les lui faut toutes...

Est-ce pour cela que le photographe de Combier se retrouve ainsi à Briey, dehors cette fois, prenant au mot les consignes : premier plan fleuri, deuxième plan pour le sujet et enfin un ciel bleu. Bien pratique le rouge des rosiers et le bleu de la cité administrative, cela revigore le blanc de la piscine Tournesol dont, pour une fois, Monsieur Schœller son architecte est bien crédité. Mon œil ne peut s'empêcher de trouver la très belle et rare maintenant Renault 15 jaune garée entre les deux constructions. La jeune secrétaire, après sa journée de travail, aimait bien aller à la piscine juste à côté. En voyant les roses, elle se rappelait aussi qu'elle devait aller au marché pour s'offrir un petit bouquet de fleurs de saison.

Que reste-il d'autant d'occasions de nager ? Que deviennent ces piscines ? Combien auront la chance de rester vivantes et belles ?
Je vous laisse avec un petit jeu, saurez-vous remettre à leur place ces captures d'écran ?





dimanche 22 avril 2018

I shake it off

On peut aller à la piscine pour tout un tas de bonnes raisons allant d'un désir de remise en forme, de compétition, de jeux aquatiques divers. On peut y aller pour des raisons moins avouables où l'examen des structures porteuses de l'édifice fait concurrence à l'examen bien détaillé d'autres structures élégantes.
Je le dis tout net : j'aime tous les plaisirs de la natation à la piscine.
Depuis le clip de Bronski Beat en 1984 où Jimmy Somerville fréquente la piscine pour d'autres raisons que la natation, j'ai compris un peu mieux qui j'étais. Je regardais avec envie à la fois le nageur filmé comme un Hockney populaire et le visage du chanteur s'autorisant cette joie simple. Oui, je n'étais pas seul.
Alors, chaque fois qu'une image de piscine me tombe sous les yeux, je pense à ces plaisirs particuliers, cette joie simple permise là et je replonge (oui...) dans ce souvenir émancipateur.
Alors, regardez :



Vous la reconnaissez ?
C'est la piscine de Biel ou Bienne et son Palais des Congrès dessinés par Max Schlup. Quelle merveille ! On aime autant la courbure inversée de son toit, les portiques de béton qui le retiennent, et l'érection de sa tour totalement sculpturale, presque trop maniérée. Quel objet architectural ! L'éditeur Kiosk AG ne nomme ni l'architecte ni son photographe. J'aimerais bien trouver une vue de l'intérieur qui doit être extrêmement particulier et spectaculaire. On s'amuse aussi d'un programme associant un Palais des Congrès et une piscine ! On imagine les intervenants, entre deux conférences, venant plonger, tête la première, dans le bassin pour se délasser d'une journée trop stressante, pour resserrer aussi les liens, s'offrir une activité simple où les compromis d'entreprises, les recherches variées laissent le pas à d'autres modes d'approches. Oui. La fonction des pédiluves serait à revoir.
Mais voyez-vous il m'aura fallu du temps pour rapprocher cette piscine avec ce dessin de toit si particulier avec une autre piscine pourtant proche de chez moi :





Nous sommes à Rouen au dessus de l'ile Lacroix et nous retrouvons bien cette forme particulière. Ici en butée tout le poids du toit est reporté sur un ensemble de colonnes au dessin pour lequel l'influence de Brasilia ne fait aucun doute. Rappelons-nous qu'une courbe dans ce sens demande pour la même portée bien moins d'effort mécanique que dans l'autre sens et permet donc d'alléger les points d'appui. Le souci étant dans ce cas de bien gérer l'évacuation des eaux de pluie et de la fonte de neige, le toit devant supporter tel un panier le poids au risque d'une déformation. La carte postale La Cigogne ne nomme pas l'architecte de cette piscine rouennaise que j'ai si peu fréquentée dans ma vie. Les rouennais en aiment le bassin découvert même en hiver. Je me souviens d'un bain, ainsi, la tête au froid, le corps au chaud et la sortie du bassin toujours vivifiante. Il me faudra y retourner.
Mais à quoi bon nous embêter avec de l'architecture ? À quoi bon continuer de croire que vous lisez cet article pour votre passion pour l'histoire de l'architecture du sport ? Et si on faisait exactement ce que nous aimons faire ?
Je vous propose donc pour vous en souvenir ou pour le découvrir le clip de Bronski Beat, Smalltown Boy, je vous propose le très réjouissant clip réalisé par les élèves de la Navy sur Shake it Off
de Taylor Swift. Comment dire la joie qu'il procure ?
Mais surtout, je voudrais vous proposer de voir le très beau film Plongeons de Axel Danielson et Maximilien Van Aertryck qui m'a fait pleurer à la première vision. Il s'agit d'une idée simple, filmer l'hésitation à sauter pour la première fois d'un plongeoir de 10 mètres de haut.Véritable métaphore de la vie, du travail artistique, chacun trouvant son mode de courage, de refus, d'hésitation. Chacun devant prendre une décision en argumentant celle-ci. La grande simplicité de l'idée et du film donne à ce moment particulier une force incroyable. Incroyable. Sans doute l'un des plus beaux films que j'aie vus.
http://www.formatcourt.com/2016/07/plongeons-de-axel-danielson-et-maximilien-van-aertryck-en-ligne/
Je dédicace cet article à Thomas Rayon, Élina Stoflique et Miguel Mazeri, ils comprendront sans doute pourquoi.
http://www.formatcourt.com/2016/07/plongeons-de-axel-danielson-et-maximilien-van-aertryck-en-ligne/

mardi 17 avril 2018

Maneval is Hard, French and Douillet too.

Il y a des architectes dont l'œuvre est souvent résumée par l'histoire à une seule création. C'est le cas de Bernard Schoeller et de sa piscine Tournesol ou, maintenant de Jean-Benjamin Maneval et de sa fameuse Bulle six coques.
Pourtant l'un comme l'autre ont eu une carrière avant et après cette création que souvent on oublie tant cette dernière, devenue fétiche, occulte le reste.
Il suffit parfois de retourner une carte postale pour saisir cette question et soudain élargir le champ de vision et donc d'analyse sur un parcours professionnel.
D'abord, tombons amoureux d'une image :


Voilà.
Parfait.
Exactement la raison d'être de ce blog. Ciel bleu, personne ou presque (regardez bien) des tours somptueuses posées là, et un soleil au zénith qui ne fait que de l'ombre sous les automobiles. Une sorte de paradis étrange, une veduta digne de Piranèse. (merci Monsieur Chaslin)
Concentrons-nous sur les deux tours. Le jeu plastique de la façade se résume à une alternance de lignes blanches et noires étirant les tours vers le haut. On remarque qu'aucune des fenêtres n'est ouverte comme si les bâtiments étaient vides ou occupés par des membres d'une secte refusant le monde. Est-ce un moment précis de la construction, juste avant la livraison aux habitants ? Admirons la propreté presque effrayante des rues et des trottoirs, implacable hygiénisme urbain qui donne à cette carte postale Combier toute sa force expressive.
Mais au fait... Où sommes-nous ?
Nous sommes à Epinay-sous-Senart devant ce que l'éditeur appelle les nouvelles résidences. L'éditeur Combier nous offre même le nom des architectes, Messieurs Maneval et Douillet mais il oublie son photographe... Dommage... On connaît bien ce duo sur ce blog. Il nous faudra retourner à Châtellerault ou à Mourenx. Mais, bien évidemment, le surgissement d'un tel modèle dont l'analyse architecturale depuis cette image ne peut que se résumer à ses façades, son implantation et son prospect, ne laisse rien voir de la qualité des logements et du comment on habite là. Rien. On s'étonne d'autant plus que, au moins pour Jean-Benjamin Maneval, une forme aussi crue, aussi marquée par son époque ait pu quelques années après laisser place à une forme aussi débridée que la Bulle six coques. N'oublions tout de même pas que le duo Maneval et Douillet ont aussi réalisé Mourenx qui est bien plus proche de ce type de production et d'une très grande qualité urbaine et architecturale.
Mais quoi ? Ici, rien de de cette fantaisie débridée d'une architecture mobile (à part la grue qui a monté les immeubles), ici rien de la légèreté du plastique moulée, rien d'une dispersion spatiale, d'un éclatement en grappe. Tout tient dans la perfection formelle d'un Hard French assumé, raide, solide, droit. Peut-être faudrait-il revoir l'histoire de la carrière de Jean-Benjamin Maneval à l'aune de cet héritage de tours et de barres et ralentir un peu la frénésie sur la Bulle six coques ?
Nous pouvons aussi interroger l'éditeur de la carte postale qui n'est pas, toujours, très fiable sur les attributions.
Mais voyez-vous, j'aime beaucoup cela. J'aime ce paysage, sa chaleur accablante tombant du haut, j'aime le mystère passager des fenêtres closes et le silence des deux tours. J'aime le vide, la clarté de l'air, l'espace totalement libre sans fausse verdure d'un cabinet de paysagistes. J'aime que mon œil passe entre les tours, parcoure jusqu'au fond de la perspective l'image d'une netteté parfaite. Laissez-moi cette chance. Je suis, d'un coup, certain que cette Peugeot grise est celle du photographe. Vite ! Arrêtez-moi ! Je commence à fictionner..................

Et prenez des nouvelles du chantier de restauration de la Bulle six coques ici :
https://renamimoa.jimdo.com/chantiers/ 





 













Aujourd'hui :




lundi 16 avril 2018

Andrault et Parat ne mégotent pas

Je crois que nous reconnaissons tous, au premier coup d'œil, ce qu'est une carte postale. Il est donc impossible qu'en voyant cet objet nous n'y pensions pas :

 Les arbres ont grandi :


Pourtant, malgré son ciel bleu, la franchise de son cadre, il ne s'agit pas d'une carte postale mais d'un cendrier publicitaire qui semble avoir été réalisé avec un cliché d'un éditeur de cartes postales. Je n'ai, pour l'instant, jamais croisé cette carte postale.
Ce qui est réjouissant c'est bien de voir comment l'architecture contemporaine a pu être diffusée sur des objets publicitaires dont le rôle est moins de diffuser la modernité de l'architecture que la réalité de la puissance commerciale des commanditaires, heureux de pouvoir faire des cadeaux à leurs clients.
Le cendrier étant encore à l'époque le signe d'une convivialité tabagique digne des grandes réunions de travail desdits banquiers. Le client repartant avec son cendrier dans la poche après la signature de son crédit l'engageant pour 25 ans devait être heureux d'autant de délicatesse.
Merci Claude Lothier pour ce cadeau.
Mais voilà, le Crédit Agricole du Loiret situé à Saint Jean-de-Bray n'est pas n'importe quoi. Il est l'œuvre de Messieurs Andrault et Parat que nous aimons beaucoup sur ce blog. On trouve facilement dans l'ouvrage* sur les deux architectes un article et quelques images. On notera que le style de l'agence est si typé que la pagination s'amuse à associer le projet de Saint Jean-de-Bray et d'Auxerre sans que l'œil ne puisse s'en étonner.









































Le vocabulaire formel reste celui que nous aimons : massivité et clarté des volumes, opposition des matériaux de structure et de remplissage, jeux très subtil du rez-de-chaussée particulièrement travaillé comme un paysage à arpenter avant de pouvoir entrer dans la construction. On y retrouve B. et Y. Alleaume, paysagistes et sculpteurs en passe de devenir de véritables icônes de cette période. La brique terrienne vient en effet, dans des volumes en vagues, parfois aux jointures brutes, redonner une présence primitive mais délicate, comme soulevée du sol, à cette architecture.
Mais le cendrier a besoin d'une table.
Aux Emmaüs, je tombe sur celle-ci :





Mon sang ne fait qu'un tour. L'usage populaire des cartes postales comme plateau de table m'amuse beaucoup. On note comment la ou le créateur de ce morceau de bravoure a réussi à garder sous ses yeux les souvenirs des voyages effectués ou racontés.
La table aux souvenirs est émouvante, touchante. Trop peu d'architectures modernes ou contemporaine pour que je m'encombre de sa présence. La photographie sur place me suffit. Aujourd'hui on aimante les cartes postales sur les portes des frigos. Je rêve à l'œil glissant de détail en détail, de souvenir en souvenir, de pensées perdues en retour au réel pendant les repas amusés par les images. Il ne manque qu'un cendrier dans lequel le mégot rougeoyant viendra s'écraser, brûlant un peu, beaucoup le plastique faisant sur la belle architecture de Andrault et Parat des traces boursouflées.

*Andrault Parat, Architectures
Cercle d'art
ouvrage collectif, 1991
les photographies de l'article sont de A. Martin.

samedi 14 avril 2018

Paul Bossard, exemplaire

Dans la production immense du logement social en France pendant les Trente Glorieuses, se détachent quelques icônes indispensables : Jean Renaudie, Renée Gailhoustet sont très loin devant, Aillaud bien entendu, Camus et son système remplissant le monde, mais l'une des plus belles réussites françaises, un peu oubliée est celle de l'architecte Paul Bossard pour la Cité des Bleuets à Créteil.
Nous avons déjà évoqué cet ensemble ici mais comment résister devant une nouvelle carte postale, ce qui en fait deux au moins pour ce lieu, le signe tout de même d'une certaine importance.
La voici :

La carte est une édition Scintex, maison d'édition peu fréquente qui malheureusement ne nomme ni l'architecte Paul Bossard ni le photographe...
Par contre, le cliché nous permet de bien lire toutes les qualités constructives et esthétiques de ces logements. Ici, la liaison sur le sol, avec le traitement en socle incliné et aveugle, là sur le pignon, les plaques de béton emboîtées ou encore le remarquable traitement des bandeaux que Paul Bossard a particulièrement soignés en un granulat épais de cailloux additionnés. On note la remarquable gestion des ouvertures verticales sur toute la façade perçant littéralement celle-ci sur sa longueur et contrariant les effets de massivité et de brutalisme de cet épiderme, l'un des plus étranges, des plus beaux de cette période. L'effet sculptural ne camoufle rien et l'intelligence semble avoir gagné aussi les aménagements intérieurs.







































Paul Bossard fait ici preuve d'une grande originalité, d'un sens poétique même, donnant à ces barres une force indéniable, un caractère. Claude Parent aimait beaucoup cet ensemble, sans doute y retrouvant dans leur franchise ce qui lui restait d'amour pour Le Corbusier. Une peau épaisse, granuleuse, rocailleuse comme remontée des profondeurs.
Ionel Schein ne s'y trompe pas non plus, nommant dans son Guide de l'Architecture Contemporaine la Cité des Bleuets de Paul Bossard.
On aimera aussi que la Google Car soit passée si près des barres de Paul Brossard que l'on peut presque en toucher leur peau de cailloux.