mardi 29 décembre 2020

Blanchecotte à la neige

 Souvent je me demande ce qui fait qu'au simple regard d'une architecture sur une carte postale, on sent que l'on aime immédiatement la construction, qu'on lui trouve de suite un intérêt. Pourquoi donc comme par magie, j'ai le sentiment qu'il se passe quelque chose.

Quand j'ai vu cette carte postale de la maison familiale de vacances "Joie de Vivre" à Habère-Poche, j'en ai aimé des signes architecturaux mais aussi certainement d'autres signes. D'abord comment la construction barre l'image en une seule et même ligne puissante et jaune, presque dorée dans une neige surabondante et bleue. Il y a là dans le désir du bâtiment de prendre toute l'image quelque chose qui, oui, me rendit sensible à cette construction. Ensuite, bien entendu la répétition du motif architectural, le fait que le bâtiment répète lui-même ses casiers percés dans leurs murs de refend d'un immense cercle produisant sur la façade un très bel effet cinétique. Puis les ouvertures et leurs huisseries donnent le ton d'une modernité affirmée. Cela me suffisait pour aimer ce bâtiment au toit mono-pente parfaitement bien dessiné.

Au dos, (remercions l'éditeur Combier), figurent non seulement le nom de l'Architecte mais aussi son adresse : Claude Blanchecotte, 14 rue du Cherche-Midi Paris. Voilà qui est bien rare autant de précisions. Qui les demanda ? L'architecte ?

On note aussi qu'est précisé que le bâtiment accueille des handicapés physiques et que donc l'architecture tout entière est conçue pour bien les recevoir et faciliter l'usage de la construction. Est-ce là aussi l'une des raisons de l'excellence de son dessin ?

Claude Blanchecotte est facilement repérable sur l'Internet. Il a travaillé en Tunisie pour le Port de la Goulette, il a travaillé pour une église à Boulogne-sur-Mer et aussi pour ses fameux Buildings. Voilà donc un architecte bien typique de cette génération, marqué par la modernité, habile et bon dessinateur, prenant le programme pour l'orienter tranquillement vers sa fonction et lui donner la chance d'une certaine élégance discrète et bien menée. Tout ce que j'aime en quelque sorte montrer sur ce blog. Il nous faudra poursuivre nos recherches pour le faire remonter à la surface quand la neige de l'Histoire aura un peu fondu.


Je n'ai pas résisté à aller voir au 14 de la rue Cherche-Midi pour m'imaginer l'architecte Blanchecotte passer sous le porche de son immeuble avec les plans de son centre de vacances sous le bras...




mercredi 16 décembre 2020

On appellera ça le cinématographe

 En 2013, (oups ! ça fait longtemps!) je vous donnais à voir une carte postale de la piscine Tournesol de Poix en Picardie. Enfin... je vous donnais la petite case consacrée à cette piscine dans une carte postale en vues multiples. On sait maintenant que souvent les photos visibles sur ces cartes en vues multiples existent elles-mêmes en carte. Mais voilà que l'œil habitué de votre serviteur s'amuse une fois encore de pouvoir suivre un déroulement d'images. Je vous montre ?



Cette carte postale des éditions Mage nous montre donc la piscine Tournesol de Poix. Oh, rien que de très banal finalement, une piscine Tournesol ouverte, des baigneurs et baigneuses qui prennent le soleil sur la pelouse, tout cela nous l'avons déjà vu tant et tant de fois sur ce blog. Mais...

Rappelez-vous donc ce morceau :



Ah ! Je vois que vous avez compris ! Je vous ai bien éduqués à mes petites manies ! Vous avez, vous aussi, vu que la jeune adolescente au premier plan a bougé. Le photographe a donc réalisé une série de clichés, il est donc resté assez longtemps pour faire au moins ces deux prises de vues. Mais pourquoi donc ne pas utiliser la même prise de vue pour la carte postale en vues multiples et celle en vue simple ? Pourquoi donc nous offrir les joies de cet ultracourt métrage ? Si on en croit les mouvements des autres baigneurs, le moment de la prise de vue a duré assez longtemps car les changements entre les deux sont nombreux. Pourtant, on notera que le photographe n'a absolument pas bougé, trop heureux semble-t-il de son poste d'observation et de son cadrage. Que conclure de tout cela ? Pas grand chose, je crois, à part le plaisir de se sentir peut-être plus impliqué dans ce moment, comme si la succession des photographies et le mouvement qu'elle génère offraient l'occasion de croire un peu plus à la vie réelle de ces images : on appellera ça le cinématographe.

Cela aussi indique certainement que j'ai une vie suffisamment remplie pour que je passe du temps à voir ces détails. Est-ce que cette manie dit quelque chose de mon attitude face aux images ? Est-ce que cela souligne ce désir de m'y baigner ? Me baigner dans les images, dans les piscines Tournesol, bien entendu.

Pour voir ou revoir toutes (ou presque) les piscines Tournesol de ma collection :

https://archipostalecarte.blogspot.com/search/label/piscines%20Tournesol


mardi 8 décembre 2020

C'est si radieux que le paysage est un rectangle blanc

 On ne pourra pas dire que nous manquons sur ce site de moyens de comprendre comment pouvaient bien être aménagés les appartements de la Cité Radieuse de Marseille ou ceux de ses consœurs. Et je sais aussi, si j'en crois la fréquentation des articles, que vous aimez bien, vous aussi, faire la visite avec moi. Alors pourquoi devrais-je vous priver de ce plaisir ?

Pour être tranquille une bonne fois pour toute, toutes les cartes postales de cet article furent éditées par la Société Éditions de France Ryner. Aucune ne nomme le photographe ni ne précise s'il s'agit d'appartements-témoins ou d'appartements réellement habités. Nous verrons rapidement que cela est varié et qu'il semble bien que le photographe a su passer de l'un à l'autre. Toutes les autres questions posées dans les précédents articles* restent soulevées. On notera par contre que plus on trouve de cartes postales de ces appartements plus on comprend bien qu'il s'agit de faire des séances photographiques. On reste encore étonnés de la profusion de cartes postales différentes pour rendre compte de tout les aspects des intérieurs de cette architecture. Pas de doute, devant une telle profusion, l'objet était déjà bien une icône, demandant des images, images ayant eu un véritable succès éditorial. On s'amuse du choix possible pour les visiteurs d'acheter et d'envoyer au choix la salle à manger, le couloir intérieur ou la chambre des enfants. Ne manque finalement qu'une carte postale de la salle de bain qui reste étrangement manquante à cet inventaire. Ne désespérons ni Billancourt, ni Marseille et accrochons-nous au rêve qu'un jour nous trouverons cette carte postale. Allez. On commence ?



D'abord on notera que le cadrage en verticale est évidemment bien là pour raconter comment la mezzanine travaille l'espace avec la salle de séjour. Il aurait été aisé au photographe de l'ignorer, il fait donc acte de pédagogie et de didactisme pour comprendre cette particularité de la pièce. D'ailleurs le tirage très contrasté offre bien un choc de forme faisant du volume blanc un poids au-dessus de la salle de séjour que seule la petite ouverture permet un peu d'alléger. La hauteur sous plafond est donc ici bien indiquée et cela était sans doute jugé suffisamment spectaculaire pour que le photographe l'enregistre, peut-être aussi dirigé par l'architecte ayant réclamé cette possibilité d'image. Les plus fidèles se rappelleront ce buffet, ce bougeoir car, oui nous avons déjà vu cet appartement. Malgré le noir et blanc on note bien la polychromie sous l'escalier. On note aussi que séjour ici veut aussi dire chambre avec un grand lit... Les fauteuils et le couvre-lit sont fait du même tissu très marqué dans son style. Le petit lampadaire aux trois couleurs primaires ferait bien l'affaire aujourd'hui des antiquaires des années cinquante. Ici bien entendu, le logement est réellement habité car trop de minuscules détails ou de contrariétés à la modernité prouvent un usage privé bien particulier.



Voici donc un autre point de vue sur la salle de séjour. Difficile de croire que le photographe s'est simplement retourné depuis la vue précédente. Je pense bien qu'il s'agit là d'une autre salle de séjour d'un autre appartement. L'encombrement mobilier est à son comble, mobilier qui laisse finalement peu de place à la révolution des espaces intermédiaires et notamment l'entre-deux, celui qui ne sait pas s'il est dedans ou dehors. On note que le lourd mobilier du dedans (fauteuil et banquette) laisse place à deux chaises de camping sur la terrasse. Ce signe est bien amusant, indiquant bien que les habitants utilisent le mobilier comme signe de compréhension de l'idée de plein air de la terrasse, alors même que le lourd fauteuil capitonné n'est qu'à quelques centimètres du dehors. Il faut jouer à être dehors. Sans doute que les Modernes auront préféré le mobilier de camping pour sa légèreté, sa franchise du dessin, sa capacité aussi, après pliage, à disparaître. On aime le goût bourgeois de cet aménagement dont le tapis et le piano sont bien les deux indicateurs d'un style de vie ne voulant renoncer à rien d'une certaine tradition, d'une certaine image de ce que confort veut dire. On pourrait bien voir même dans le choix de cet appartement un désir de montrer que les appartements si modernes de la Cité Radieuse n'obligent à rien dans le choix de leurs aménagements comme si cette Modernité pouvait facilement se plier aux désirs des habitants. Mais dans cette photographie ce qui me touche c'est bien l'immense rectangle blanc fabriqué par la lumière et qui éteint en quelque sorte le paysage. Comme si la vue offerte par la Modernité était un monochrome parfait, comme si, dans ce vaisseau de béton, nous naviguions au milieu d'un vide métaphysique.



Le vide le voici parfaitement orchestré dans cette vue de la cuisine et de la salle de séjour car, oui, il y a bien sur cette image deux fonctions rassemblées, la cuisine étant poussée au fond et réduite pour sa description à l'ensemble mobilier dessiné par Charlotte Perriand. Vous avouerez qu'une telle carte postale est tout de même étonnante dans la projection qui pouvait y être effectuée par les correspondants. Le vide invite à désirer le remplir, chacun comme il veut, chacun, dans son imagination, y posant ses meubles et sa vie. Mais que faire du triangle caché derrière l'escalier de Jean Prouvé ? Vous aussi, avez-vous ce sentiment étrange que, depuis ce point de vue, le plafond est bien bas ? Et n'êtes-vous pas comme moi peu rassurés par le trou noir en haut de l'escalier qui ressemble ici à une échelle de meunier menant vers un grenier mystérieux... Bien entendu, il ne s'agit pas là non plus du même appartement que les précédents ou, alors, avant son aménagement. Une ampoule pendouille mollement dans la cuisine attendant les futurs locataires. Entendez-vous les pas du photographe qui résonnent dans l'espace ? Ce genre d'image devait entraîner aussi des discussions, des débats sur la manière d'y vivre. Malheureusement c'est bien ce qui nous manque aujourd'hui, cette parole. Il aurait fallu que la photographie, dans le génie de son invention, trouve aussi le moyen d'enregistrer les commentaires qu'elle produisait. Une image qui parle, qui témoigne, une image bavarde.



Et revoici l'espace du sol pris sous le spectacle des piliers donnant à l'ensemble les sentiments d'un Karnac ou d'un temple aztèque. Faut-il donc beaucoup de goût des ruines antiques pour être certain que l'émotion spatiale naîtra de cette franchise. L'éditeur de la carte postale se croit obligé de nous donner quelques chiffres sans doute pour que ceux-ci ajoutent à l'interrogation de l'image la puissance de la technique. On sait donc que les piliers sont 34, qu'ils sont creux mais qu'ils reposent sur 15 mètres de béton pour soutenir l'édifice. Ah cette joie d'affirmer en même temps le creux, le vide des piliers et la masse du béton souterrain, joie d'un contraste devant révéler le génie constructif. Car bien construire d'un point de vue technique est toujours un atout pour défendre un bâtiment auprès des dubitatifs. Et c'est beau, diront-ils. Et ils auront raison, beau comme un barrage, beau comme un pont autoroutier, beau comme le dessous d'un buffet de bois massif.



Fallait bien revoir la Cité Radieuse. Que pourrais-je bien dire qui n'ait pas déjà été dit ? Ah si... La seule perturbation de la grille est celle effectuée par du linge qui sèche sur les terrasses. Il y a des moments où, devant l'Histoire, devant le génie, devant l'évidence de la Beauté, on ne sait plus quoi dire.

Je me demande combien encore de cartes postales furent éditées, combien de surprise à laquelle je dois m'attendre pour un jour être certain d'avoir dans mes classeurs l'ensemble des cartes postales éditées sur les aménagements des Cités Radieuses.

En attendant, pour ceux qui voudraient voir, revoir, lire, relire les autres articles consacrés aux appartements des Cité Radieuses :

http://archipostalecarte.blogspot.fr/2014/04/le-carnet-et-le-corbusier.html http://archipostalecarte.blogspot.fr/2013/08/le-corbusier-en-miniature.html http://archipostalecarte.blogspot.fr/2014/10/meubles-immeuble-le-corbusier.html http://archipostcard.blogspot.fr/2010/02/le-corbusier-habitable.html http://archipostalecarte.blogspot.fr/2014/04/le-carnet-et-le-corbusier.html http://archipostcard.blogspot.fr/2010/04/une-folie-marseillaise.html http://archipostcard.blogspot.fr/2012/01/la-photographie-accuse-tort.html http://archipostcard.blogspot.fr/2012/02/corbusier-mets-la-table.html http://archipostcard.blogspot.fr/2011/03/pieces-deau.html http://archipostcard.blogspot.fr/2010/09/le-corbusier-dans-ses-meubles.html http://archipostcard.blogspot.fr/2011/09/le-corbusier-2-dedans-2-dehors.html http://archipostcard.blogspot.fr/2011/08/un-reflet-tres-moderne.htmlhttp://archipostcard.blogspot.fr/2010/04/une-folie-marseillaise.html http://archipostcard.blogspot.fr/2012/01/la-photographie-accuse-tort.html http://archipostcard.blogspot.fr/2012/02/corbusier-mets-la-table.html http://archipostcard.blogspot.fr/2011/03/pieces-deau.html http://archipostcard.blogspot.fr/2010/09/le-corbusier-dans-ses-meubles.html http://archipostcard.blogspot.fr/2011/09/le-corbusier-2-dedans-2-dehors.html http://archipostcard.blogspot.fr/2011/08/un-reflet-tres-moderne.html




mardi 1 décembre 2020

Les fers au cœur


Juillet 58

Monsieur Lestrade,

comme vous le voyez j'ai suivi vos conseils et je suis parti à Alger. Le centre de formation m'avait d'abord offert un poste de soutien technique à l'enseignement des structures et puis ils ont préféré me donner le cours de pratique du béton. Pas la peine de vous dire que je m'y sens mieux. Ici, il y a des types formidables et qui comprennent presque de manière intuitive les coffrages et les solutions rapides et efficaces. Vous aimeriez voir les planches voler d'un niveau à l'autre. Je garde bien votre leçon, celle de bien rentrer les fers au cœur des poteaux. Pas trop, pas trop... comme vous me le disiez toujours ! J'espère que votre famille va bien. Le petit salé aux lentilles de Madame me manque. La carte ci-jointe vous montrera ce qu'on fait ici. Ne soyez pas trop dur, c'est le travail des élèves qui ne feront jamais aussi bien et aussi net que vous. Je tente de rester digne de votre enseignement.

votre dévoué Alain Baroukian. Mes salutations à Madame.

Ps : je me marie le mois prochain, dites bien à Madame qu'elle avait raison, elle comprendra.

El-Affroun, Centre de Formation professionnelle des Ouvriers du Bâtiment, une construction de formation, carte postale éditions Photo-Africaines, Alger accompagnée d'une lettre manuscrite.

Alain Baroukian passa quelques mois à l'Agence Lestrade en 1957 ou il reçut une formation sur les structures béton et leurs calculs. Son nom figure sur quelques notes. Nous ne savons pas ce qu'il est devenu ni quelle formation initiale il avait reçue avant de rejoindre l'Agence Lestrade. On sait que Jean-Michel Lestrade avait eu avec ce centre de formation des échanges de courriers pour un éventuel poste d'enseignant qu'il refusa sans doute à cause des circonstances familiales et de la création de l'Agence. Le post-scriptum de cette lettre reste mystérieux sur la relation entre Jocelyne Lestrade et Alain Baroukian. Un conseil matrimonial ? Certainement...

Walid Riplet, Jean-Jean Lestrade.

samedi 28 novembre 2020

un choc entre le pouce et l'index

 Chandigarh résonne pour moi comme Brasilia. Inaccessibles toutes deux car ma capacité d'aventure s'arrête bien à la mollesse de mon fauteuil et au carré de ciel par dessus les pavillons de mon lotissement. Aucun regret car aucun courage. Aucune tristesse non plus. Enfin.

Alors quand le bonheur me fait croiser un morceau de carton qui lui a fait le voyage vers moi, m'apportant en même temps l'image et la certitude de l'existence des icônes, je me réjouis simplement. Après tout, que ferais-je des souvenirs d'y être allé ? Accrochés sur le mur comme des trophées de chasse ? 

Mais comment être certain de l'importance d'une architecture en ne l'ayant jamais vue ni parcourue ? Je crois les autres. Je crois les voyageurs, je crois les témoins, j'agrée à la réputation de mes idoles. Est-ce la peine d'aller à Jérusalem pour faire une place à Dieu ?

Dans ma collection, les cartes postales sur l'œuvre de Le Corbusier commencent à avoir bien cerné son architecture ce qui prouve la place qu'il occupe. Le désir d'image d'une chose dit toujours l'importance de cette chose. Ronchamp, Eveux, les Cités Radieuses sont photographiées sous tous les angles et quelques raretés trouvent même le chemin de mes classeurs récemment mieux ordonnés. Et voilà que je me disais que Chandigarh manquait bien à cet inventaire. J'en avais fait mon deuil ne connaissant pas le marché de la carte postale en Inde ni son usage, il était facile d'en conclure que peu de cartes avaient été éditées et que, surtout, le voyage vers ces contrées n'étant pas si fréquent, la chance de trouver des cartes postales de Chandigarh dans un carton à chaussures au petit matin en Normandie restait peu probable. Mais voilà la pépite :




Bien entendu la joie est parfaite. D'abord parce que c'est Chandigarh, que c'est Le Corbusier et Pierre Jeanneret, parce que la correspondante (je le sais car il y a des ronds pour faire les points sur les i) écrit bien une petite critique sur ce qu'elle voit et semble même avoir fait le voyage en connaisseuse de cet espace. C'est tout de même rare la critique d'une architecture sur une carte postale. D'ailleurs, sans l'intervention de notre expéditrice le nom même de Le Corbusier n'apparaîtrait pas sur la carte postale qui ne donne aucune information sur ce lieu ! Ni éditeur, ni photographe, ni architecte ni même de localisation... Seule la marque du papier photographique Agfa est visible ce qui pourrait nous faire croire à une carte-photo et non à une carte éditée. N'ayant, je le répète, aucune expérience du marché de la carte postale en Inde, il est possible que ce fut le cas pour cette carte, directement réalisée par l'expéditrice comme on peut tout aussi bien imaginer un mode pauvre d'édition sur place, proposant pour quelques roupies des tirages artisanaux aux visiteurs... Je ne sais pas... Ce qui est certain c'est que la carte a bien fait le voyage depuis Chandigarh et que son Palais de Justice, absolu chef-d'œuvre (c'est à pleurer de beauté) est bien là entre mes mains. Dois-je ici raconter l'histoire de Chandigarh ? Vous plaisantez ? Il doit y avoir des milliers d'articles sur cette construction, sur ce projet. Vous trouverez facilement. Pour ma part, entre le pouce et l'index, je tiens le palpitant chef-d'œuvre, comme un papillon venant d'éclore, comme un billet d'amour laissé sur la table de la cuisine, comme la lettre d'un être cher disparu. La preuve-même que Le Corbusier est avec moi, avec nous, réel, sérieux, roublard et génial. Génial le Corbusier. Point barre. Remarquez-vous que je fais l'effort d'envoyer sur mon blog cette carte postale le jour anniversaire de sa propre expédition ? 51 ans d'attente pour me, vous trouver. 


lundi 23 novembre 2020

Delleuze à la table de Egger

On pourrait bien voir cette manie comme la preuve d'une impatience. Qu'est-ce qui pousse donc les architectes et les éditeurs de cartes postales à vouloir avant même le début de la construction produire des cartes postales représentant les maquettes des édifices ? Si nous avons déjà ici beaucoup regardé de telles cartes pour les églises dont on sait le rôle pour rassembler des fonds pour leur construction, on peut tout de même se poser cette question pour une Faculté de Médecine et de Pharmacie à Marseille : 



Qui (et comment ?) achetait donc ce type de carte postale ? Quel public était visé pour la diffusion d'un tel document ? L'étudiant impatient de voir sa nouvelle faculté ? L'architecte impatient de montrer à ses confrères la beauté et l'ambition de son projet ? Les institutions locales heureuses de faire la promotion de leur investissement ? La Faculté de Médecine et de Pharmacie quand elle était encore en chantier (voir en projet) devait bien faire rêver quelqu'un. C'est sans doute ce quelqu'un que cette carte postale voulait séduire. Et comme toujours, on imagine la scène : la descente de la maquette sous le soleil vivifiant de Marseille, l'installation de la table portée par des assistants dans un jardin dont on ne sait rien de sa localisation (donc possiblement pas à Marseille...), le choix habile d'un angle de prise de vue pouvant faire croire rapidement que nous sommes en avion au-dessus de la construction (l'illusion sera parfaite) puis la remontée de la table après le cliché fait par Monsieur H. Delleuze qui semble connaître parfaitement son alphabet de photographe. En effet, la maitrise de la prise de vue est totale tout comme la précision de cette maquette dont les détails prouvent la maturité du projet à venir.

D'ailleurs, il faut souligner la grande beauté de cette faculté, si typiquement marquée par son époque. Les volumes s'emboîtent les uns dans les autres, on note que les fonctions de chacune des parties permettent une lecture rapide de ces fonctions par leur forme, l'éclatement ainsi des parties fera le tout s'alignant et laissant une façade qui s'étire et repousse vers l'arrière la forme en peigne et l'amphithéâtre. Il s'agit bien d'une des pièces majeures du grand René Egger dont on sait l'importance dans la région. 

Mais comment René Egger et H. Delleuze ont travaillé ensemble ? Je veux dire, est-ce que cette demande pour faire une carte postale de cette maquette fut bien discutée entre l'éditeur-photographe et l'architecte ? Quelles étaient alors les conditions de cet accord ? Car le nom de René Egger ne figure pas au dos de la carte postale alors que celui du photographe y est bien indiqué. Cette impatience à donner au monde une carte postale et donc une image de la future architecture de la Faculté était-elle partagée par l'architecte ? Difficile de le savoir même si ce blog depuis plus de dix ans maintenant montre bien qu'à part quelques exceptions les architectes dans cette période restent peu préoccupés par l'édition de cartes postales, certains ignorant même que leurs bâtiments furent édités ou que leur nom n'apparaît pas ou mal orthographié au verso. Mais ici, avec une maquette posée à l'extérieur il est difficile de croire que le photographe ait pu emprunter celle-ci sans l'accord de l'agence.

On notera que H. Delleuze ne s'arrêta pas à l'édition de la maquette puisqu'il publia aussi cette carte postale :



Nous sommes ici dans le Grand Hall des Étudiants de la même Faculté de Médecine et de Pharmacie de Marseille. N'est-ce pas superbe ? Comme moi, entendez-vous les talons résonner dans ce hall ? Mais cette carte, en tous points éditoriaux, identique à ceux de la maquette pourrait bien nous dire quelque chose, c'est que la maquette ne fut pas photographiée en attendant la réalisation de la faculté mais bien une fois celle-ci construite. Sans doute que photographier ainsi une maquette permettait simplement d'avoir à peu de frais une vue aérienne de l'ensemble. On sait que parfois dans de telle construction sont déposées des maquettes permettant de lire l'ensemble, d'aider à comprendre les lieux. Je ne sais pas pourquoi mais je pense qu'il pourrait bien s'agir de cela. Ainsi Monsieur Delleuze pouvait avoir eu l'accord général de faire ces cartes postales, il trouva dans cette maquette la vue générale dont il avait besoin et même, on peut penser que ses cartes postales furent diffusées ici-même, dans le hall de la Faculté offrant aux étudiants l'occasion de diffuser leur lieu d'apprentissage tout comme les foyers des bases militaires proposaient des cartes postales de leurs bâtiments.

Mais... un détail, un punctum me trouble dans cette carte postale du Hall. À quoi servent donc les boîtes au pied des colonnes ? Tout est impeccable dans cet espace alors pourquoi laisser traîner au sol ces petites boîtes ? Des fuites ? Non... Des cendriers... possible...




 Raoul le Palmier est venu en villégiature à Marseille :

https://archipostalecarte.blogspot.com/2013/07/raoul-le-palmier.html

Pour conclure, on voit donc qu'une carte postale isolée peut faire divaguer le collectionneur vers des conclusions hâtives sur l'édition des cartes postales et sur la diffusion de l'architecture. Souvent les réponses les plus simples sont les plus justes. Les choses sont là et les éditeurs en profitent. Mais aussi, il est toujours heureux de voir que ces photographes et éditeurs ont bien fait là œuvre de documentation et d'histoire de cette réception de l'architecture moderne et contemporaine.

Dans la revue l'Architecture d'Aujourd'hui (merci Walid Riplet, merci Jean-Jean Lestrade) nous retrouvons cette si belle Faculté de René Egger. Et chose remarquable pour la diffusion des images et des photographies de l'Architecture, nous avons ici la preuve que la célèbre revue fait bien usage, une fois encore, de cartes postales pour illustrer ses articles ! 

https://archipostcard.blogspot.com/2008/05/monsieur-persitz-collection-9.html

On y retrouve à l'identique celle du Hall sans recadrage et celle de la maquette recadrée. On note que les prises de vue de la maquette montrent une séance photo ayant vu la maquette, tour à tour, posée sur la table ou simplement, directement posée dans l'herbe ! Voilà qui en dit long sur l'usage des clichés populaires et de comment la revue pouvait construire son iconographie en s'appuyant sur ce genre photographique. On note aussi que L'Architecture d'Aujourd'hui nomme bien Delleuze comme photographe et que donc, il y a eu un accord éditorial entre le photographe et ladite revue. Mais comment la revue a-t-elle eu connaissance de ces cartes postales de Delleuze ? Qui les envoya à Paris ? Certainement d'ailleurs que Delleuze a fourni les négatifs de ses clichés et non des éditions en cartes postales quoique nous avons bien déjà eu la preuve d'un cadrage directement fait par la revue sur des cartes. Pourrait-on même pousser la réflexion et affirmer que, peut-être, est-ce l'occasion de faire des photographies pour la revue qui poussa Delleuze à en tirer des cartes postales ? En tout cas, cartes postales et revues prouvent bien l'importance de ce travail de René Egger pour cette Faculté de Pharmacie de Marseille. Et l'image photographique nous permet bien encore d'en jouir dans sa beauté et sa complétude.



















samedi 21 novembre 2020

Ah ! Nom de Dieu ! Les belles femmes ! Euh... Les belles formes !

 


Allez, je sais bien que tout comme moi, vous n'allez pas à la piscine pour bâtir vos corps. Non, non, non. La piscine c'est bien l'occasion aussi de reluquer l'architecture... Car devant de belles constructions, puissantes, massives, aux appuis bien déterminés personne ne résiste. Et c'est bien normal. Et les architectes le savent et nous servent donc des constructions intelligentes, belles, parfaitement bien conçues, répondant à cet appel de la fonction : un corps libre dans de l'eau chaude.

Corbu aimait ça aussi et il est certain que Monsieur Chemetov (que nous admirons ici) et Monsieur Deroche (tout pareil) ont du être ravis de voir que le photographe de chez Combier avait su saisir ainsi la beauté de leur piscine de Corbeil-Essonnes. Certes, depuis son point de vue, on est un peu loin pour admirer le bâtiment et on comprend vite que le photographe avait envie de cadrer autre chose, d'autres architectures. Mais Nom de Dieu quelle belle piscine ! Que j'aimerais à mon tour prendre la petite échelle et me glisser dans le bassin bleu. Je ne peux m'empêcher de penser à la joie de ces deux jeunes femmes de se voir ainsi immortalisées dans des poses de Pin-Up et d'apporter à cette architecture toute la grâce et la féminité de leur jeunesse. Bien entendu, j'imagine aussi que ces deux naïades ont certainement empêché les correspondants de bien se concentrer sur l'essentiel de cette carte postale : l'architecture de messieurs Deroche et Chemetov. On note que le photographe est bien vu par les nageurs et qu'il ne fait aucun doute qu'il cadre en pleine complicité avec les deux jeunes femmes. On se rappelle l'expérience d'un autre photographe dans une piscine ici :

https://archipostcard.blogspot.com/2011/07/le-piege-de-lombre.html

Comme je voudrais aussi vous voir vous concentrer à nouveau sur l'architecture (car c'est bien là l'objectif de ce blog) je vous donne cette autre carte postale de la piscine de Corbeil-Essonnes toujours par Messieurs Chemetov et Deroche :



Alors ? C'est beau non ? Et sans Pin-up ! Comment ne pas aimer le grand panneau décoratif venant contraster avec le béton brut des volumes d'accès et de la cheminée ? On y reconnaît bien le langage architectural de nos deux compères. Depuis cette carte postale Combier colorisée, les panneaux justement sont très étranges, très organiques. Ce "Mur Lumière " est de François Chapuis. Notre Guide vénéré d'Architecture nous donne beaucoup d'indication sur cette belle réussite : 





On notera que pour la photographie de leur guide, ni Dominique Amouroux, Ni Messieurs Crettol et Monnet les auteurs n'ont cru bon de placer ainsi au premier plan les demoiselles plus haut visibles. Sans aucun doute que le sérieux de leur travail, leur jeunesse, le respect dû aux architectes ne leur permettaient pas de se laisser aller à de telles précisions des usages du bâtiment. Dominique Amouroux nous dira bien s'il avait enfilé son maillot de bain pour visiter toutes les piscines présentées dans le guide ! Comme quoi, finalement, les amateurs d'architectures contemporaines et les photographes de cartes postales n'ont pas tout à fait la même logique d'approche de l'architecture. 

Vous trouverez à droite de votre écran tous les articles consacrés à Paul Chemetov ou à l'A.U.A. 

On note que sur Ebay, vous pouvez vous offrir un Mur Lumière de François Chapuis pour 130 000 euros. Qu'attendez-vous ?





mercredi 18 novembre 2020

En tout point exceptionnelle



Oui ce que vous voyez là est bien une Villa de particulier, photographiée et éditée en carte postale. On sait que ce genre d'objets architecturaux, par définition très privé est rare dans la production de cartes postales de la seconde moitié du XXème siècle alors même que de nombreuses maisons ou villas étaient diffusées en cartes postales au début du siècle. Donc, pouvoir voir ainsi un objet aussi resserré sur un public restreint est bien rare. Il ne fait donc aucun doute qu'il s'agit d'une édition particulière commandée par l'architecte lui-même ou par le propriétaire afin de communiquer sur cette construction et non d'une carte postale disponible dans le tout-venant d'un tourniquet dans une maison de la presse. Ici, c'est en plus, à la fois le propriétaire et l'architecte qui régalent puisqu'il s'agit de la même personne : Claude Charles Mazet !



Pour ajouter à la rareté, voilà que l'architecte signe au dos de sa carte postale et que c'est lui le correspondant ! On touche au Saint Graal du genre ! On note bien que cette carte postale sert à l'architecte à envoyer ses vœux pour 1955 au Président du Conseil Régional de l'Ordre, ordre que l'on imagine être celui des architectes. Comme le photographe est nommé, Monsieur Léon Bosc, on peut le féliciter d'avoir pris son cliché depuis la propriété voisine, certainement pour offrir une bonne lisibilité des enchaînements des volumes de la Villa Saron. On note que ce Léon Bosc semble avoir été un amateur de Jazz. Est-ce que Mazet en était un aussi ?

Claude Charles Mazet est certainement l'un des plus intéressants architectes de sa génération pour ce qui est de la préfabrication en béton. On trouve ici un excellent travail d'analyse et d'inventaires de son œuvre que je vous conseille vivement de lire, n'ayant pas l'intention ici, (la maison ne fait pas de plagiat du travail des autres) d'en faire un résumé. Merci Florence Marciano pour ce beau travail.

Il est donc heureux de voir ce bel architecte gagner en épaisseur historique et on espère que la sauvegarde d'une partie de son œuvre prendra la place d'un Label souvent inutile.

Dans ma collection, alors pas encore identifiés, je retrouve avec bonheur ces beaux morceaux : 




Nous sommes à Peille dans les Alpes Maritimes devant la Nouvelle École dont on reconnaît bien l'écriture de l'architecte qui n'est malheureusement pas nommé par l'éditeur A.D.I.A. La carte postale est datée de 1957. J'avais aimé sur cette carte postale les beaux piliers du préau et l'ampleur solide de l'ensemble. Je ne savais rien de son architecte et je suis heureux de lui donner enfin une identité. On note qu'une classe semble installée sous ce préau de l'école pour une classe en plein air, amusant détail ! Aujourd'hui... N'allez pas à Peille pour voir...

Voici un autre point de vue :

Cette très chic carte postale de l'éditeur Gilletta de Nice nous propose de voir l'école de Peille en version grand luxe : cadre blanc, bords dentelés, titre sur le recto. Bien entendu ce qui nous séduit c'est que cette école soit bien, par l'éditeur lui-même, nommée Prototype sans en dire plus ! En tout cas, cela prouve que les utilisateurs savaient bien que cette école était un cas à part de la production des architectures scolaires de l'époque. Pourtant... Claude Charles Mazet n'est pas nommé. En tout cas, cela permet de voir l'implantation difficile sur le terrain en pente. Le socle pour la poser là est impressionnant.

Dans les archives Lestrade, Walid Riplet et Jean-Jean Lestrade me trouvent quelques numéros de l'Architecture d'Aujourd'hui dans lesquels figurent donc l'œuvre de Mazet, preuve de sa grande présence dans la critique architecturale de son époque. Il est même par deux fois nommé dans le même numéro de 1955 ! Régalons-nous.

On y retrouve, incroyable... ladite Villa !








Et ce très bel immeuble :