mardi 30 juin 2020

Les erreurs de Le Corbusier et surtout celles de Jacques Riboud



Je n'ai pas pu résister.
Le titre était bien trop marrant.
J'ai donc acheté ce fascicule chez un bouquiniste.
Rentré à la maison, j'ai bien entendu lu le texte en me refusant de savoir qui était ce Monsieur Jacques Riboud pour ne pas partir sur un a priori.
J'ai eu raison.

Pour information, ce texte est daté de février 1968, ce qui est important comme moment historique puisque nous sommes encore dans les Trente Glorieuses et que le premier bilan de la Reconstruction et de ses solutions est tiré. Les Grands Ensembles sont construits et les premières Villes Nouvelles apporteront bientôt d'autres réponses.
Alors que reproche donc Monsieur Jacques Riboud à Le Corbusier ?
Il lui reproche surtout sa vision de l'urbanisme.
On a droit, déjà, à l'accusation de Corbu comme père fondateur des Grands Ensembles et de leurs errements. On connait ça par cœur, même à cette époque. Les arguments sont toujours les mêmes, l'échelle inhumaine, la répétition, la mauvaise gestion et répartition des zones urbaines, l'effacement et le dégoût de la rue.
Rien de nouveau. Et surtout rien de vrai au fond non plus. Mais je reconnais que sur certains points, Jacques Riboud n'a pas tort comme, par exemple, sur la question des liaisons, des transports et des flux. L'automobile (sa place) est parfois mal comprise par Corbu. C'est vrai. Mais l'urbanisme, en quelque sorte doit savoir à la fois agir dans la prospective mais aussi dans le temps présent. C'est bien ce qui le rend difficile et parfois, malgré les bonnes intentions (toujours...) voué à l'échec du réel.
Une fois que l'on a un peu tordu du nez en lisant cette analyse bien vite menée et surtout un rien partiale de Monsieur Riboud, il nous donne la chance en fin de son texte de lire des avis différents des siens. Marcel Lods y est impeccable de remise au point.
Et puis, surtout, on va voir comment Monsieur Riboud a, lui, construit et de qui il s'est entouré et là...

Car Monsieur Riboud a le courage de ses opinions et de ses investissements. Il construit et il dessine des villes. On peut donc juger de son anti-Corbusianisme...
Sans doute aussi que son attaque ad hominem de Corbu est un puissant moyen d'obtenir un écho à ses désirs. Une belle publicité.
Mais il ne faudrait pas tomber dans une attaque de front opposant deux écoles, deux modes de points de vue ou de réflexion car, sans doute, ce qui piège autant Monsieur Riboud que Corbu c'est leur désir de faire le bonheur des gens et donc d'en dessiner la forme. L'urbanisme est un problème de pauvres. Je veux dire que les riches lorsque le lieu ne leur convient pas, ils peuvent toujours exercer leur droit de partir. Rester dans un lieu indigent est toujours un problème de pauvre (je devrais ajouter : mais géré par les riches). Alors c'est toujours aux pauvres que s'adressent ces rêves de bonheur enfin dessinés dans l'épaisseur des murs, le dessin des rues. La place, l'espace et comment en obtenir pour un investissement minimum est bien une question de pauvreté. Dans la même journée, je vous propose le matin de visiter la Villa Cavrois et l'après-midi le Familistère de Guise. Vous comprendrez. Qu'importe la forme de la rue si vous pouvez construire à l'intérieur d'une immense parcelle. Qu'importe le voisinage si vous pouvez construire loin de l'autre. L'urbanisme des riches c'est l'espace infini de leur choix de vie. L'urbanisme des pauvres c'est toujours gérer le contact avec l'autre (pauvre aussi souvent).
Bon, c'est un peu simpliste, je sais et je vous vois vous marrer derrière vos écrans. Mais lorsqu'on revient au travail de Monsieur Riboud ou à celui de Corbu c'est bien cette question du contact et de l'altérité qui est au début de toute réflexion urbanistique. Ce que comprend Corbu c'est l'infini dégradé entre le privé et le public.
Cet article est déjà trop long et vous avez décroché ? Vous avez certainement raison.
Au revoir.
Mais je continue.
Si on suit la piste et que, en bon chercheur, on lit la fiche Wikipédia de Jacques Riboud, (oui, oui), on apprend beaucoup de choses. D'abord son inscription historique, en fait, son texte m'étonne car il semble beaucoup plus vieux que ce qu'il affiche, 1968. Ensuite, on comprend que Monsieur Riboud, accompagné de Monsieur Prédiéri son architecte ont beaucoup bâti notamment à Maurepas ou Villepreux et qu'il est donc aisé de voir la révolution urbaine anti-corbuséenne de ce duo. Euh... Comment dire... C'est à échelle humaine... En effet...
Et l'image de la femme et de la vie domestique de Monsieur Riboud laisse pantois.

Alors quoi conclure ? Qu'il faut aller dans les villes de Messieurs Riboud et Prédiéri pour juger de comment on y vit. Il faut certainement même y vivre. Conclure aussi que le bonheur n'est pas toujours facile à dessiner. Que les bonnes intentions des uns et des autres ne sont pas forcément l'occasion d'une justesse, que juger vite et avec le désir de faire sa place n'est pas non plus une solution. Et rappeler sans cesse qu'il suffit de visiter une Cité Radieuse pour avoir un avis sur le logement collectif, il suffit aussi de rappeler que, malheureusement, en France Le Corbusier n'a jamais, jamais eu l'occasion de construire une ville entière à la différence de Messieurs Riboud et Prédiéri.
Je viendrai donc en visite à Maurepas ou à Villepreux, l'œil ouvert aux bouleversements souhaités par ces messieurs. Je viendrai voir là cette révolution de la France tranquille. À l'heure du bilan, à l'heure de la ré-évaluation des qualités des Grands Ensembles, de leur diversité, de la culture qui a su y naître aussi, (une autre altérité...) l'Histoire de l'Urbanisme saura sans doute juger et équilibrer l'une et l'autre de ces opinions. Finalement, il n'y a aucune raison de se priver des joies d'une Bastide et de l'opposer au vernaculaire d'un village normand...

Merci d'avoir tenu jusque là.

Pour mieux comprendre et mieux analyser, je vous conseille le très passionnant article de Philippe Dehan ici. Moins épidermique que ma sentimentale et corbuséenne opinion, il laisse plus de place à une analyse plus modérée et mieux éclairée :
https://www.cairn.info/revue-histoire-urbaine-2017-1-page-95.htm

Les erreurs de Le Corbusier et leurs conséquences, Jacques Riboud
éditions Mazarine, Février 1968.
4 francs (aujourd'hui un peu plus...)
Si vous le demandez poliment, je vous ferai un PDF du texte.




Voici donc une carte postale en multi-vues de Villepreux qui vous donnera immédiatement une sensation de son incroyable architecture... Si l'ennui devait trouver un chemin, il passerait sans doute par là. Une tranquillité bienveillante faite de petites constructions presque absentes, de passages bien conçus permettant de garer sa voiture, de faire ses courses à pied à l'abri de la pluie. On note une attention particulière au passage entre espace privé et espace public avec une certaine végétalisation de ses passages. Cela aurait plu à Oscar Newman et son Defensible Space...
Seule audace, une tour avec pendule qui doit certainement faire rêver au campanile d'un village perdu en Italie. Il faut une verticale pour signifier un endroit, montrer tout de même quelques capacités pour un architecte à faire tenir plusieurs étages. On note que la tour semble depuis ce point de vue comme coiffée d'un pavillon Phénix. C'est audacieux ce collage, presque aussi cynique que Édouard François. On s'amuse aussi que l'éditeur et son photographe réussissent à placer dans chacun des plans une animation familiale, ici deux dames et une poussette, là, une grand-mère et ses petits enfants. La tranquillité, je vous le dis. Merci les éditions Estel.
Si on peut finalement aimer Ricardo Bofill car il permet d'habiter quelque part, on pourrait dire de Jacques Riboud qu'il nous offre la sensation d'habiter partout ou nulle part. Et ici, le dessin des façades ne laisse aucun doute sur le nulle part.






vendredi 26 juin 2020

Apparemment témoins, appartement-témoin

Les deux cartes postales qui suivent vont littéralement faire exploser beaucoup de choses que j'ai écrites sur ce blog. Depuis que je collectionne et regarde des cartes postales du Mouvement Moderne et du Hard French, j'ai plusieurs fois évoqué le fait que, à l'exception des Cités Radieuses, quasiment aucune carte postale ne montre vraiment la vie domestique ou les aménagements des appartements de ces immeubles et constructions du logement collectif.

L'exception donc étant ici sur ce blog*, je vous le rappelle, un appartement à Hansaviertel à Berlin et donc aussi les vues d'appartements-témoins ou vraiment habités des Cité Radieuses. On passera sur les cartes publicitaires de promoteurs qui sont tout de même intéressantes mais rares.

Mais voilà, comme je le dis souvent en conférence, tout ce que l'on peut tirer comme conclusion d'une collection ne tient qu'à ce que cette collection contient. Il suffit que surgisse la pépite inattendue pour que tout soit remis en cause. Allez... je vous laisse regarder :





Saurez-vous reconnaître où nous sommes ? Il s'agit de l'une des plus importantes opérations de logements en France qui est même visitée un peu par obligation par tous les corbuséens du Monde mais nous ne sommes pas chez Corbu. Alors ?
Nous sommes à Firminy, dans le célèbre groupe Firminy-Vert dont l'éditeur Baure de ces cartes postales nous donne le nom des architectes : A. Sive, Marcel Roux, Delfante et Kling.
Incroyable non ? L'éditeur étant prolixe, on sait également qu'il s'agit bien d'un appartement-témoin et que donc, ce que nous voyons est une parfaite mise en scène de l'habitation et de la manière dont les architectes pouvaient rêver de l'installation dans leurs plans. Mais comment ne pas être subjugué par le surgissement de telles images ? Et quoi en déduire de la réception de cette architecture ayant fabriqué des images de sa Modernité mais aussi des visites de ses espaces ? Qui fallait-il donc séduire et convaincre ? Comment furent fabriquées ces visions de la vie idéale ?
Pour la commande, on imagine facilement que si appartement-témoin il y avait, il n'était pas bête alors de proposer de telles représentations aux visiteurs, heureux de pouvoir montrer leur futur logis ou simplement curieux de montrer la vie moderne. L'époque était bien à ce genre de regard et de communication, nous en avons assez fait la preuve sur ce blog. D'autres questions sont soulevées. Par exemple le choix du mobilier et l'agencement général de l'appartement. On note qu'il s'agit d'un appartement pour un couple et deux enfants et que le mobilier y est particulièrement moderne et typique du style de l'époque. Ce mobilier a comme qualité surtout d'être assez léger, peu encombrant et offrant une circulation de la vue dans les espaces. On note aussi que les espaces domestiques sont clairement définis : cuisine séparée mais visible depuis le salon, salon donc, espace salle à manger et une chambre avec deux lits accolés qui laissent préjuger d'une chambre assez petite pour deux enfants. On note une banquette-lit en cosy comme on disait alors. Cela était très à la mode. Difficile de savoir si cet espace était alors considéré comme un vrai couchage ou un lit d'appoint. Des étagères basses et asymétriques semblent courir le long des murs de la chambre des enfants au salon. Difficile d'en déterminer l'éditeur ou le créateur tout comme pour les fauteuils en rotin et métal. Je laisse les spécialistes se déchirer sur des attributions possibles pour affirmer ici que l'image produite est celle d'un ensemble de mobilier n'offrant que peu d'histoire familiale mais semblant sortir tout droit d'une revue de déco contemporaine du cliché. Mais au fait... quand ont été réalisés ces clichés ? Un petit, tout petit indice traîne sur la table du salon, un numéro de la revue Elle qui est daté de décembre 1961. On est donc certain que la photographie et la mise en scène furent réalisées après cette date. Les deux enfants font merveille dans leur chambre, l'un devant la fenêtre très lumineuse, l'autre au sol, donnent bien cette impression d'un espace qui leur est totalement dédié et qui est sain. Lumière franche et jeu au sol le prouvent. Il n'y a pas de père, la femme prend toute seule le rôle de l'autorité parentale et bien entendu, elle pose dans sa cuisine aménagée forcément pour elle... On connait ça déjà.
Le plumeau n'est pas loin et le vide-ordure est signe de la modernité encore à ce moment-là. On note que, depuis la fenêtre de cette cuisine, on nous laisse voir les autres immeubles.
Mais nous avons aussi une autre information sur ces cartes postales c'est le nom du photographe : Ito Josué. On trouve rapidement sur l'internet quelques traces de ce photographe local bien reconnu dans sa ville de Saint Étienne et qui semble appartenir à une mouvance photographique sociale et humaniste. Difficile de savoir s'il avait avec la Modernité de cette architecture un rapport d'intérêt professionnel ou d'intérêt personnel. Je penche pour les deux. On sent bien une attention particulière à bien photographier et laisser les espaces parler (la position de la femme dans l'embrasure de la porte le prouve) mais aussi on sent une qualité professionnelle à faire un cliché bien tempéré dans ces contrastes sans que, par exemple, les fenêtres et ouvertures ne soient brûlées par le contre-jour inévitable. C'est du beau travail descriptif. Bien entendu, on se demandera où Ito Josué a trouvé la femme et les enfants pour jouer le rôle de la famille parfaite. Sont-ils des parents du photographe ? Des habitants de la Cité de Firminy-Vert ? A-t-on offert au petit garçon l'énorme lapin en peluche qu'il tient dans ses bras pour le remercier de son travail ?
Mais si ici on parle d'architecture, on peut aussi se demander si ces cartes postales servent bien comme documents de celle-ci. On pourrait donner à des étudiants comme travail amusant de réaliser les plans, ouvertures et circulations de cet appartement en observant seulement ce qui se passe sur ces images. Pourra-t-on alors émettre un jugement juste sur les qualités ou défauts de cette vision du logement ? Si on observe bien, on devine que l'appartement est traversant. On voit l'enfant assis au fond de la perspective devant la fenêtre de sa chambre. Mais alors où dorment les parents ? Et que contient ce bloc avec une porte au bout du salon ? La salle de bain ? Par où entre la famille ? Quelle est la première vision de cet appartement ? Je n'ai pas réussi à trouver les plans.

Pour conclure, il est donc clair que ces cartes postales permettent de relativiser un peu l'exceptionnalité du cas Cité Radieuse comme témoin par la carte postale du logement collectif en France. On peut aussi se dire que la proximité de l'une des Cités Radieuses a peut-être soutenu l'idée aussi de faire pareil comme pour son encombrante et célèbre voisine. Ces cartes permettent aussi de mettre à jour la pratique de l'appartement-témoin comme méthode de réception et d'acceptation de cette modernité comme si elle n'allait pas de soi ou que même, en quelque sorte, elle méritait une visite particulière. Il fallait se rendre compte pour de vrai de ses qualités.
Je me souviens vers 1976 de nos visites familiales des appartements-témoins du Vaudreuil Ville Nouvelle ou des pavillons Phénix entièrement aménagés et de notre projection d'enfants dans des lieux alors meublés. "Et là, ce sera votre chambre les garçons." À la fois terrifiante vérité à venir, surprise de cet espace qu'il faudra apprivoiser, rêverie d'un espace vu depuis un cordon empêchant de franchir la porte et de saisir les jouets installés là pour le décor...
C'est nous alors qui étions les témoins de notre vie. Combien, ici, à Firminy-Vert, dans l'un des plus remarquables et représentatifs grands ensembles de France combien ont fait cette expérience et combien ont, plus tard, vécu alors vraiment leur vie dans un espace ainsi idéalisé ?
Remercions la carte postale de cette occasion d'une belle visite.

* pour voir d'autres appartements-témoins :
Chez Dubuisson :
https://archipostalecarte.blogspot.com/2019/02/je-bandol-dubuisson.html
Gradins-Jardins :
https://archipostalecarte.blogspot.com/2016/03/les-couples-libres-aiment-les.html
Hansaviertel par Vago :
https://archipostalecarte.blogspot.com/2013/12/vago-witzemann-et-bauausstellung-berlin.html
Cités Radieuses :
https://archipostalecarte.blogspot.com/2016/07/habiter-et-ecrire-la-cite-radieuse.html
http://archipostalecarte.blogspot.fr/2014/04/le-carnet-et-le-corbusier.html
http://archipostalecarte.blogspot.fr/2013/08/le-corbusier-en-miniature.html
http://archipostalecarte.blogspot.fr/2014/10/meubles-immeuble-le-corbusier.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2010/02/le-corbusier-habitable.html
http://archipostalecarte.blogspot.fr/2014/04/le-carnet-et-le-corbusier.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2010/04/une-folie-marseillaise.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2012/01/la-photographie-accuse-tort.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2012/02/corbusier-mets-la-table.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2011/03/pieces-deau.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2010/09/le-corbusier-dans-ses-meubles.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2011/09/le-corbusier-2-dedans-2-dehors.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2011/08/un-reflet-tres-moderne.html







































mardi 23 juin 2020

Un cliché électronique, un poème argentique : Le Corbusier, Lestrade.

Je reçois, je diffuse :

" On sait que la famille Lestrade se rendit à Bruxelles pour son exposition internationale de 1958 et que Jean-Michel Lestrade travailla avec Guillaume Gillet sur le Pavillon français. Dans les archives Lestrade, dans le nécessaire rangement de celles-ci, arrivent parfois de manière incohérente des documents ou traces de cette présence. On sait que Jean-Michel Lestrade gardait tout, tout ce qui lui semblait intéressant d'un point de vue technique ou structurel pour l'architecture : cartes postales, coupures de presse, revues, courriers à des confrères et archives personnelles du travail.
Voici un document trouvé par hasard hier, mal rangé, dans le fatras d'un carton humide. (nous en verrons d'autres).
Cette photographie grand format ne donne aucune autre information que son image. On note un bien piètre tirage, aux taches  nombreuses venant d'un fixage raté. La photographie dégage d'ailleurs, étrangement, encore cette odeur acide si particulière des tirages argentiques. On y voit bien entendu le Pavillon Philips, œuvre de Le Corbusier et de Xenakis, œuvre étrange dont il est aisé de trouver partout la genèse compliquée tout comme l'attribution d'ailleurs. On sait aussi l'incroyable travail d'ingénierie qui fut nécessaire à sa construction. Le cliché montre un premier plan encombré de rouleaux de grillages, d'ouvriers s'affairant autour de bétonnières. Pourtant, il semble bien que le Pavillon Philips soit achevé et que donc ces travaux ne le concernent pas. La personne qui a donc fait ce cliché avait donc l'autorisation d'arpenter l'Exposition avant même la fin des travaux. Un journaliste ? Un architecte ? Un ingénieur ? Et comment et par qui cette photographie est arrivée dans les archives de Jean-Michel Lestrade ? L'a-t-il rapportée directement de Bruxelles lors d'une de ses visites ? Est-il lui-même l'auteur de cette photographie et de son tirage amateur ? Cela est peu probable. Ce tirage a donc surtout une valeur de repère pour le travail de l'ingénieur. Il prouve son intérêt pour les objets complexes à traduire, pour aussi l'œuvre de Le Corbusier bien entendu. Même si l'ingénieur était plus souvent axé sur le travail du béton armé, il ne fait aucun doute que sa collaboration à quelques mètres de là, sur le Pavillon de Gillet, démontre aussi son intérêt pour le métal et sur le calcul des surfaces gauches. Ici, le Pavillon Philips est la preuve pour lui que l'onirisme formel et l'inventivité des formes nécessitent bien l'appui de la raison, celle qui construit les rêves. Les mathématiques sont alors bien celles qui permettent au réel de monter dans le ciel."
Walid Riplet, Jean-Jean Lestrade.

Merci messieurs, je me permets d'ajouter :
pour revoir Lestrade à Bruxelles 
https://archipostalecarte.blogspot.com/2015/02/royan-les-bruxelles.html 
pour revoir les archives et l'histoire de Jean-Michel Lestrade 
https://archipostalecarte.blogspot.com/search?q=lestrade
pour revoir le Pavillon Philips à Bruxelles 58 
http://archipostcard.blogspot.com/2010/11/le-corbusier-dark-vador-et-xenakis.html 
pour revoir Xénakis
https://archipostcard.blogspot.com/search?q=xenakis
pour revoir Bruxelles moderne
https://archipostcard.blogspot.com/search?q=bruxelles 
pour revoir Guillaume Gillet à Bruxelles
http://archipostalecarte.blogspot.com/2013/03/larchitecte-est-sur-le-toit.html

samedi 20 juin 2020

Aalto est belge parfois



Non, cette fois je ne vous parlerai pas de l'architecture de ce que vous êtes en train de regarder. Cette carte postale aura pour certains amateurs d'architecture du sens et de l'intérêt mais il ne fait aucun doute que ceux qui se perdent ici ou ceux qui y viennent régulièrement y arrivent pour un tout autre type de constructions que celui de cette salle de réunion de Caritas Melle.
Colonnades, stuc, corniches ne sont pas des éléments qui nous passionnent ici même si l'espace y est lumineux, même si la générosité des ouvertures ne nous déplaît pas. On pourrait d'ailleurs penser que c'est bien grâce à cet espace que ce qui nous tape à l'œil puisse ainsi apparaitre aussi clairement : le mobilier.
En effet comment ne pas être immédiatement titillé par ces fauteuils et ces dessertes tout en bois plié et courbé qui contrastent par leur modernité avec le décor ambiant. On peut de suite dire que la clarté de leur dessin et la transparence de leur construction permettent aussi de ne pas boucher l'espace et permettent à l'œil de traverser celui-ci.
Au fait, nous sommes en Belgique et la carte postale Nels par Thill est d'une très grande qualité éditoriale.
Comme vous avez lu le titre de cet article, il me sera difficile de travailler sur un suspens quelconque. Oui, ce mobilier (fauteuils et tables) est bien de Alvar Aalto.
Comment est-il arrivé là et aussi, y est-il encore, perdu dans la cave, mobilier empilé, en attente d'un chasseur de design ? Qui sait... Qui ira voir ?
Pour ma part, même si j'aime beaucoup ce mobilier et sa fausse apparente simplicité, j'ai toujours un peu de mal avec les assises dont les pieds finissent en patins de ski sur le sol. Je crois que trop de fauteuils de relaxation fabriqués par des grandes chaînes de mobilier ont repris ce modèle et que cette solution est devenue un peu trop marquée d'un désir de faire nordique...
Bien entendu Aalto n'y est pour rien et il faut ici admirer l'économie extrême de son dessin et l'intelligence du matériau dont les plis feront la solidité et la structure. Je m'étonne de comment aussi, la feuille de bois formant dans la même continuité le dossier et l'assise se poursuit si bas venant taper sur les mollets. Si on comprend le petit retour sur le dossier permettant de saisir le fauteuil, on peut se demander pourquoi donc descendre si bas cette feuille de bois vers le sol. On identifie le modèle comme étant le N°31.
Les petites tables ou dessertes sont magnifiques de rigueur et de simplicité. Rien à dire devant autant d'intelligence.
Reste le mystère de ce choix si audacieux et moderne pour un lieu qui lui ne respire pas l'avant-garde... Est-ce justement le désir de contraster qui poussa les propriétaires de cet espace à faire ce choix ? Est-ce que c'était aussi une manière de rajeunir le lieu ou simplement, devant l'évidence du confort, est-ce un choix pragmatique pour le repos en collectivité ? Je crois que d'abord ce mobilier agit ici surtout par sa transparence, sa légèreté et permet de ne pas encombrer l'œil et de trop fermer cet espace. Le mobilier agit donc comme par respect à l'espace et à la lumière.
Respect donc ! Monsieur Aalto !

pour voir ou revoir Aalto sur ce blog :
http://archipostalecarte.blogspot.com/search/label/Alvar%20Aalto








lundi 15 juin 2020

Hansjörg Schneider, transformation d'une carte postale

Il y a peu d'artistes que je considère capables de pouvoir faire un travail sérieux sur l'architecture moderne et encore moins, sachant s'emparer des cartes postales de celle-ci pour inventer un travail personnel et surtout signifiant de cet héritage.
Hansjörg Schneider en fait partie et je vous ai déjà montré son travail à plusieurs reprises.
Osant quelque chose qui pour moi est même difficile à penser, il triture, découpe, perce, recompose des cartes postales de sa collection pour fabriquer des images étranges qui s'appuient sur les structures des architectures et surtout des images de celles-ci. Cela est culotté car cela démontre à la fois sa grande lucidité et clairvoyance sur cet héritage et sa projection d'un l'imaginaire littéralement... déconstructiviste...

Alors, je reçois de mon ami allemand un petit catalogue tout en allemand me signalant son exposition qui a lieu en ce moment-même. Je ne pourrai malheureusement pas vous dire si je suis d'accord ou pas avec ce texte, mon allemand étant trop mauvais pour cela. Mais je connais suffisamment l'ami Hansjörg pour savoir que nous sommes d'accord et surtout, il me suffit de regarder les quelques images de ce catalogue pour immédiatement comprendre ce qu'il tente et réussit mais aussi pour en jalouser l'audace, la collection et la beauté de ses réalisations.
Qui, après nous au Mans, osera un jour faire une belle exposition du travail de Hansjörg Schneider en France ?
Dans le silence de nos incompréhensions de nos langues mutuelles, se placent ses images. Et entre son sourire et sa satisfaction et mes admirations bruyantes, quelque chose nous lie qui dépasse la nécessité de traduire : une amitié sans aucun doute.
Merci Hansjörg pour cet envoi précieux.

Alors si vous allez en Allemagne :
Hansjörg Schneider
Transformation eine PostKarte
Museum Eckernförde
23 Février 2020-26 juillet 2020

ici : https://www.museum-eckernfoerde.de/aktuell/events/hansjoerg-schneider-transformation-einer-postkarte/

Pour voir ou revoir le très beau travail de Hansjörg Schneider :
https://archipostcard.blogspot.com/2009/09/hansjorg-schneider-un-ami-un-artiste.html 
https://archipostcard.blogspot.com/2010/06/hansjorg-schneider.html
https://archipostalecarte.blogspot.com/2018/01/hansjorg-mit-cecile.html
https://archipostalecarte.blogspot.com/2015/09/kronos.html
https://archipostcard.blogspot.com/2009/09/taxi-driver-de-luxe-hansjorg-schneider.html
https://archipostcard.blogspot.com/2010/08/hansjorg-schneider-nous-envoie.html 
https://archipostcard.blogspot.com/2009/11/revolving-flatiron-building.html 










samedi 13 juin 2020

Dans mes rêves les plus fous...

... je n'aurais pas pensé trouver une telle image, une telle déclaration d'amour à l'architecture.
L'émotion spatiale est totale et elle est composée, je veux dire qu'elle ne doit rien à un hasard de la situation mais elle doit tout aux talents conjugués d'un architecte, d'un photographe, d'un éditeur et surtout, d'un désir de diffuser ainsi le monde qui se construit et dans lequel il faut bien se reconnaître.






































Cette carte postale est un monument comme auraient dit les Venturi. C'est une ode.
Voilà donc ce qu'il était possible de faire avec cet art de la carte postale, voilà donc la responsabilité d'une grande maison d'édition, Yvon, qui a su conjuguer à la fois la pertinence d'un photographe envoyé là et la belle impression photographique faite grâce au Procédé 301 de la célèbre maison Draeger.
Nous sommes à Massy devant l'une des tours de l'opération Massy-Opéra de messieurs Pierre Sonrel, Jean Dutilleul et Berdj Mikaelian les architectes. La carte postale ne nomme pas ces messieurs, pas plus qu'elle ne nomme le photographe. S'il se reconnaît, on l'écoute. La carte, par contre, titre le grand ensemble et il est amusant de voir là le singulier en lieu et place de l'habituel les grands ensembles devenu une intonation souvent négative.
La verticale de la tour monte tellement qu'elle est coupée en son sommet, certainement pour en dire l'ambition. Incapable de faire entrer toute la tour dans ce cadre, le photographe est bas, il cale les toits fragiles du centre commercial pour apporter des diagonales qui suivent celles de la tour. On note que la perspective écrase un peu la longueur du bâtiment qui apparaît bel et bien comme une tour alors qu'il s'agit bien plus d'une barre un peu tassée sans doute par le redressement des verticales. De ce fait c'est le pignon qui définit à lui seul les qualités incroyables du dessin de cette façade malheureusement en partie aujourd'hui défigurée par des transformations énergétiques.
On s'amusera que le photographe a tout fait rentrer dans son image : un peu de verdure et de nature au premier plan (il aura fallu jongler avec la hauteur), un peu de contradiction spatiale et surtout une pancarte de commerce qui fabrique un cartouche dans lesquels les mots parfumerie et esthétique apportent une touche de classe, de préciosité, de féminité parfaitement bien... sentie...
Et d'un coup la tour de Massy devient chic, ce que son dessin confirme.
Quelle incroyable carte postale et quelle belle architecture. Qui, en voyant ça, pourrait ne pas vouloir y reconnaître les qualités de cet ensemble ?

Pour les vrais amateurs d'histoire de l'architecture, pour ceux qui veulent apprendre en plus de voir, allez là, tout y est bien raconté :
https://inventaire.iledefrance.fr/dossinventaire/publication/massy-opera.pdf 

Pour retrouver Pierre Sonrel et Jean Dutilleul :
https://archipostcard.blogspot.com/2011/09/reuil-malmaison-chapelle.html
https://archipostcard.blogspot.com/2010/02/pierre-sonrel-classique.html
https://archipostalecarte.blogspot.com/2018/07/les-maisons-de-la-culture-en-france.html

mercredi 10 juin 2020

U.R.S.S à Alençon ?

Il y a des noms qui semblent attachés à quelques rares icônes sans que l'on prenne le temps de se demander s'il n'y aurait pas eu d'autres constructions : Schœller et ses piscines, Maneval et ses bulles six coques.
Pour Roger Vissuzaine, son palais des sports de St-Nazaire prend toute la place au sens propre comme au sens figuré.
Et cela est bien normal.
Il suffit de taper son nom sur un moteur de recherches pour qu'apparaisse la fameuse soucoupe volante de béton brut.
Mais voilà, il arrive que cette impression soit un peu modérée grâce à des cartes postales dont le moins que l'on puisse dire c'est qu'elles soient précises dans la nomination des architectes. Regardons :


Je sais que cela pourrait vous paraître ennuyeux comme architecture et je ne vous en voudrais pas. Non, rien de bien spectaculaire ici que la belle écriture habituelle de l'architecture des services administratifs des Trente Glorieuses. Rien non plus d'indigent. Un fonctionnalisme économique, simple, sans autre prétention que de rendre le service pour lequel il est construit. Si on veut, on dira que la façade est bien rythmée (quoi dire d'autre...) que les volumes se répondent (gentiment alors), que le petit hall d'entrée vient contraster avec les parallélépipèdes des bâtiments. Soit on est attendri par cette rationalité fruste, soit on passe son tour.
Il suffit alors de regarder le verso de cette carte postale Cap pour savoir qui a dessiné cela : Roger Vissuzaine donc, Louis Longuet, Félix Besnard-Bernadac et encore Louis Lucas. Pas moins de quatre architectes nommés pour cette caisse primaire de sécurité sociale d'Alençon. On note aussi que celle-ci est appelée Groupe U.R.S.S   A-F est cela est bien mystérieux... Que vient faire l'U.R.S.S ici ? Hommage à un pays allié ? Mais non ! Il s'agit bien de l'URSSAF ! Il aura suffit d'un vide mal placé par l'éditeur entre deux lettres pour s'amuser un peu !
Alors cette caisse primaire dans sa grande simplicité heureuse doit-elle remodeler notre vision de Vissuzaine comme un architecte brutaliste et audacieux ? Doit-on s'étonner que la carrière d'un architecte passe à la fois par cette tranquillité d'une architecture très sage puis par l'audace d'un signe monumental presque trop bavard et étrange ?
Le premier est-il l'origine de l'autre ? Sans doute que plus simplement, les architectes se doivent à leur programme et qu'il n'est pas toujours nécessaire pour faire une architecture intelligente et pratique de vouloir dire trop son existence. Le bus passe à côté en douceur. L'usager du lieu, visiteur ou travailleur, devra pouvoir se concentrer sur les raisons de sa venue et non participer à un spectacle organisé par un architecte.
Parfois le pragmatisme est la seule voix possible pour faire du beau. Une sorte de discrétion habile et attentive. C'est aussi cela l'architecture.
Et comme toujours, c'est la carte postale, enregistrant là le surgissement d'une politique sociale qui permet à la fois d'évoquer cette architecture et les raisons pour lesquelles on s'y reconnaît, on y correspond.
Ce bâtiment est toujours debout mais remanié. Rien à dire de cela. Vraiment rien.

pour revoir Vissuzaine sur ce blog :
http://archipostcard.blogspot.com/2009/05/le-coffrage-est-un-art.html
http://archipostcard.blogspot.com/2009/03/soucoupes-volantes.html
https://archipostalecarte.blogspot.com/2013/10/vaisseaux-tres-spatiaux.html

lundi 8 juin 2020

Ça vibre tout pareil


On hésite.
Je suis persuadé que si je ne vous dis pas où se trouve ce bâtiment, il vous sera difficile de le localiser. Bien entendu, les plus malins verront dans la façade en claustra ou dans le détail de la corniche qui souligne la ligne du toit plat quelque chose d'exotique, de curieux, d'un peu étrange.
Car si toute la volumétrie de l'ensemble respire les tics de la Modernité, les détails contredisent un peu cette sensation globale.
Où sommes-nous ?
Brazzaville, Congo, devant la Société Générale dessinée par Henri Chomette dont nous avons déjà vu le travail africain.
La carte postale est une édition Hoa-Qui pour les Papeteries de l'A.E.F. Cette carte en photo véritable ne nomme ni le photographe ni l'architecte.
On reste aujourd'hui surpris de deux choses sans doute : la grande présence du mouvement moderne en ces lieux (quoique cela aujourd'hui soit un peu moins oublié) et la nécessité de faire une carte postale d'une banque... Qui pour se reconnaître aujourd'hui dans une telle édition ? Qui pour réclamer une telle représentation ?
On sait sur ce blog que le mouvement moderne fut très représenté en cartes postales en France et même en Europe. On pourrait peut-être trop vite voir dans sa représentation dans les anciennes colonies ou sur d'autres continents une forme de domination, de preuve d'une présence que l'on jugerait maintenant déplacée.
Cette internationalisation du mouvement moderne serait la preuve alors, sur ces territoires, d'une domination culturelle. Les bonnes réponses architecturales sont-elles contingentées par celle-ci ?
Peut-on dire, à l'inverse, que l'exotisme-même est l'occasion d'une plus grande attention aux contextes spécifiques qui poussent à une rationalités des réponses ? Trop de soleil, de moiteur, trop de pluies soudaines, trop de tout, tout cela exige des réponses architecturales appuyées sur ces réalités et sur ces attentions qui furent celles d'une rationalité moderne. Et aussi le désir de marquer cette modernité, de l'affirmer comme un élan, de dire qu'ici tout peut commencer.
On parlait de territoires d'expériences, de liberté. Liberté de qui, de quoi ?
Henri Chomette aurait-il pu construire ceci en France, en Europe ? Sans aucun doute que oui, sans aucun doute que non. Je veux dire que pareillement, il aurait regardé le programme, qu'il aurait étudié l'environnement, qu'il aurait sur ses conclusions donné des réponses justes, c'est-à-dire prises dans cette pensée rationnelle. Un problème, une réponse.
Et parfois l'esthétique aime se frotter à des réponses directes. Du soleil ? Fabriquons des ombres. De la chaleur ? Créons des aérations, etc... C'est ce que semble dire cette architecture. Mais il n'y a pas que cela. Henri Chomette connaît son vocabulaire moderne et son héritage, il en use : rythmicité, redans, pilotis, éclatement des volumes affirmant leur fonctions, contraste des ombres, monumentalité des blocs.


Dans le très beau et utile Architecture Nouvelle en Afrique de Kultermann, on trouve un autre cliché de cette Société Générale. Et on la découvre mieux dans ses articulations et aussi dans le travail de son toit occupé par une construction invisible sur la carte postale, ce qui, d'ailleurs m'étonne beaucoup. Le Studio Charlejan est crédité pour cette prise de vue. On voit que les ombres travaillent de la même manière, que ça vibre tout pareil. Cette image produit un bâtiment moins ramassé sur lui-même, plus facile à lire.
Et j'en aime immédiatement la présence, la grande beauté classique de l'ensemble, l'incroyable qualité des façades. Alors, très vite l'idée me vient que j'aimerais poursuivre mon admiration pour Henri Chomette, ici ou ailleurs.
Tradition académique française...
L'architecture d'Henri Chomette n'en reste pas moins française...
L'architecture rigide du néo-classicisme français...
Voilà trois manières de parler de Henri Chomette par Kultermann dans son article. Il a raison. C'est aussi ce que j'aime.

Pour revoir Henri Chomette :
https://archipostalecarte.blogspot.com/2016/02/construire-sur-et-avec-la-fragilite.html
Pour revoir Kultermann :
https://archipostcard.blogspot.com/search?q=kultermann

dimanche 7 juin 2020

Les gens du Nord ont dans le cœur le nom de l'architecte et du photographe

Il y a des séductions immédiates, des appels solides, d'irrésistibles attirances.
La Maison des Gens de Mer de Dunkerque en fait partie :


Beaucoup d'indices font de cette Maison des gens de Mer une petite pépite comme on les aime ici. D'abord je l'avoue la couleur. Oui, pour une fois, sans doute, la couleur fut le premier signe. Ce vert un peu glauque se demandant s'il doit être kaki m'a plu immédiatement, donnant à la construction un côté sévère, j'oserai germanique, enfin je veux dire incroyablement sérieux. Cette couleur me fit penser à un petit bâtiment à l'entrée du Mans qu'il faudra que je vous montre un jour. Puis, deuxième signe, la présence en petites touches d'un béton cannelé qui souligne le soubassement et les ouvertures ainsi que la cage d'escalier lisible au fond. Ensuite, c'est le dessin qui me plut beaucoup. Un bloc sur un autre. Celui du dessus, depuis ce point de vue, se présente comme plus fermé, clos, n'offrant que deux ouvertures faisant de ce pignon un bloc. Puis, dessous, est glissé un niveau, lui tout ouvert, tout vitré qui est posé un peu en retrait, dégageant un perron, une entrée sur le devant. L'ombre du bloc du dessus l'assombrit, alors que les larges baies tentent d'en refléter la ville. Je ne sais pas pourquoi mais c'est le genre de construction dont on imagine immédiatement le dessin de l'architecte. On imagine comment graphiquement celui-ci avait dû appuyer sur le contraste entre ces deux blocs.
On aime le dais de béton au-dessus de l'entrée sur le côté, on aime l'immense rambarde de béton qui surligne le perron. Bien entendu, on remarque que le photographe des éditions Yvon n'a pas totalement osé la frontalité face à ce pignon peut-être un peu trop radical et peu informatif du reste de l'architecture. Le photographe a préféré laisser la chance à la perspective de nous donner un peu d'informations sur le bâtiment en laissant apparaître l'autre façade et les fenêtres qui en percent sa longueur. Pourtant, on sent bien qu'il a hésité, disons que la radicalité de ce pignon ne lui a pas laissé beaucoup de chance de ne pas être remarqué...
Cette carte postale nous permet donc de voir comment un photographe presque naturellement suit les ordres de la radicalité d'une architecture.
Mais le photographe et l'architecte resteront tous deux ensemble dans l'anonymat. Bien entendu, à Dunkerque, avec un tel dessin aussi radical, on pourrait rêver que Jean-Pierre Secq en soit l'architecte. (voir la triste histoire de la B.C.M.O)
Mais je ne trouve rien pour me conforter dans cet avis. On note qu'une fois encore, dans cette ville, pour évoquer le travail des marins et des gens de mer, c'est par une construction solide, presque brute que les architectes se sont crus obligés de passer comme si la dureté du métier devait être représentée par un bâtiment affichant si ce n'est une virilité au moins une solidité à toutes épreuves.
Mais... Mais...
Dans mon petit cerveau, quelque chose traîne, d'indéfinissable, de flou...
Une vague lumière que je tente d'approcher...
Puis, soudain, je sais !
Oui, j'ai déjà vu ce bâtiment et même je l'ai déjà vu dans sa frontalité pure. Bien entendu, il me suffira de coller dans le moteur de recherches de mon âme les mots frontalité, photographie et Nord de la France pour qu'un nom surgisse : Frédéric Lefever ! Bien sûr !
Me voilà sur son site à passer une par une les images du photographe jusqu'à la...174ème photo où apparaît bien notre Maison des Gens de Mer de Dunkerque ! Quel plaisir de pouvoir comparer ainsi les deux intentions photographiques ! On voit que Frédéric n'a pas pu se retenir et a suivi la radicalité frontale du pignon, tout comme moi, il en a vu la force. Il est donc clair que ce n'est pas seulement notre œil qui décide de cette position face à face mais bien le dessin de la façade (vous noterez l'allitération subtile...) qui pousse à cette frontalité.


On note que le ciel est blanchi dans l'image de Frédéric, ce qui doit être, pour Dunkerque, un naturalisme assez évident qui contraste avec le ciel bleu de notre carte postale. On note aussi que la jardinière sur le perron est remplie d'herbes. On peut presque s'amuser à placer Frédéric dans notre carte postale, il n'y a que quelques centimètres de côté entre lui et le photographe de cartes postales mais cette petite distance fait bien toute la différence d'intention entre les deux photographes. L'un se sert du bâtiment pour, à son tour, en tirer une construction puissante, l'autre veut nous la montrer en ne perdant rien de la valeur brutale de son dessin. Les deux, finalement, font document et aussi beauté car ils laissent tous les deux à la construction l'occasion de s'exprimer.
Il pourrait être amusant lors d'une table ronde de mettre les deux cadreurs l'un à côté de l'autre, chacun leur tour expliquant alors leur point de vue. Sans doute que l'objectif des images sera la raison de ces quelques centimètres de différence entre les deux. L'un produisant une image de reconnaissance et de correspondance, l'autre voyant dans l'architecture l'occasion d'exprimer son monde intérieur et sa culture sous-jacente de l'image et de la photographie contemporaine. Je ne veux pas choisir entre les deux, je veux accorder à chacun d'eux la place qu'ils méritent. Tous deux nous permettent finalement d'être là, avec eux, devant une architecture, certes modeste mais aussi intéressante, représentative d'un moment de l'histoire de l'architecture. Tous deux auront par l'enregistrement de cette architecture fait acte d'un regard, regard respectueux, nécessaire et parfaitement utile à mon monde, à notre monde.
Merci à tous les deux.

pour revoir le travail de Jean-Pierre Secq :
https://archipostalecarte.blogspot.com/search?q=Secq
Et pour revoir l'incroyable inventaire de notre ami Frédéric Lefever, je vous conseille de passer quelques moments sur son site. Attention... c'est addictif...
http://www.frederic-lefever.com/index.php?pos=175&limite=174

ou revoir ce dernier sur ce blog :
https://archipostalecarte.blogspot.com/search?q=Lefever


mercredi 3 juin 2020

Oran la radieuse cité

Sans doute qu'hier, ma discussion avec Bastien sur la guerre d'Algérie et mon père a revivifié mon désir de parcourir le bel héritage moderniste de ce pays.
Alors, je me dis que je pourrais bien vous montrer ça :


Alors, sur le cul hein ?
Dans la catégorie des beaux immeubles modernes et des belles photographies frontales qui les montrent, nous pourrions avoir là une sorte d'icône. Mais à l'inverse des vraies et belles icônes religieuses orthodoxes, celle-ci n'est pas anonyme. Le photographe s'appelle Alexandre Sirecky, du moins c'est le nom de la maison d'édition.
Mais l'architecture elle ?
Rien...
Pourtant cet immeuble de Lattre de Tassigny est tout de même bien intéressant. Il est posé sur une pente légère qui le perturbe à peine et oblige l'architecte à le dessiner comme trois tours accolées entre elles, chacune à son niveau. L'ensemble se courbe doucement, tranquillement et j'aime, aux jointures, comment les fenêtres en longueurs discutent entre elles sur les joints du collage. La radicalité superbe vient bien de l'étirement de la barre par les trois immenses verticales qui montrent vers le ciel proposant un nid d'abeille, un filtre, un immense aérateur dont il est difficile de juger de son rôle depuis ce cliché. Cages d'escaliers ? Balcons ajourés d'un moucharabieh ? Oui, il s'agit bien de balcons ou de séchoirs, on devine au travers de la grille du linge accroché. Le bas de l'immeuble ne propose rien d'extravagant et son traitement donne l'impression de s'implanter durement, nettement. À peine le dessin d'une corniche en dessine les entrées et c'est tout.
Que j'aime ça. Que j'aime cette dureté tragique, puissante. Je ne dirai pas autoritaire pour ne pas faire plaisir aux redresseurs de tort de l'histoire coloniale. Ce n'est pas le sujet ici.
Toujours grâce à Monsieur Alexandre Sirecky, voici une autre belle carte d'Oran.


Sur le front de mer se pose un paquebot Art Déco, bien épais, bien solide, jouant des volumes de sa façade. Oh rien d'extraordinaire, non. Mais la beauté simple d'un bloc taillé et solide, à peine effleurée par des balcons et quelques décrochements. Le noir et blanc du photographe et le soleil puissant le sculptent pourtant bien, lui donnent sa fierté. On notera que la fermeture quasi systématique des volets devant les fenêtres ajoute aussi au graphisme réussi de l'ensemble. Vous rappelez-vous l'avoir déjà vu ici ?
http://archipostalecarte.blogspot.com/2014/03/oran-blanche-et-bleue-pastel.html 
Cette carte fut expédiée en 1957.
Nous ne trouverons pas non plus l'architecte. Walid ? Toi qui est sur place, peux-tu aller voir ? Y aura-t-il un ou une amie algérienne pour nous trouver l'info ? Peut-être qu'il existe un bel inventaire des constructions Art Déco d'Oran la Radieuse ?

lundi 1 juin 2020

César, Clémence, Pierre, Jacqueline, Claude, Georges, Odette, Saint-Denis


Modestie.
C'est le mot qui me vient immédiatement en regardant cette carte postale de Saint-Denis et des immeubles de la Cité du Colonel Fabien.
Rien dans ce document n'est extravagant, surprenant, étonnant. Rien. La carte elle-même, mal colorisée, mal imprimée, écornée ne raconte aucune ambition. Il faut aimer l'architecture pour la regarder et tenter d'y percevoir quelque chose qui mérite l'attention. Le dessin des ouvertures (balcons et fenêtres), la lisibilité des plaques de béton aux joints apparents, une certaine habileté des volumes et, bien entendu, l'espace entre les immeubles qui fait penser à une cité-jardin.
Le photographe place l'inévitable branche d'arbre pour introduire un premier plan, il cadre aussi la percée entre les immeubles dont on devine que la hauteur est limitée par raison. Une femme marche vers cette blancheur au loin. Il me faudra l'aide de mon compte-fil pour entrer mieux dans l'image, surprendre là le linge qui sèche, une jardinière de fleurs et même, oui, une cage à oiseaux sur le balcon du rez-de-chaussée. J'y trouve aussi quelques graffiti d'enfants dessinés à la craie. Je ne vous ferai pas une leçon d'histoire d'architecture, vous trouverez ici toutes les informations sur ce groupe dessiné par Lurçat. Je ne fais pas de la paraphrase des collègues.
Lurçat on sait qui c'est, on sait ses qualités.
Au verso, Odette raconte ses déambulations dans sa famille et elle établit une véritable carte géographique des amitiés et familiarités en nommant tout le monde. Tous ces prénoms sont comme des points dans un espace qu'Odette relie avec cette carte postale.
Modestie.
Parfois, cela me suffit l'amour des gens à s'écrire.
Ajoutons Raymon à cette liste de prénoms, l'éditeur de cette carte postale. Nous n'en saurons pas plus, nous ne saurons pas le prénom du photographe. Raymon éditeur écrivez-moi.