samedi 27 août 2016

Layré-Cassou tend la toile à Bombannes



Sous des pins un peu frêles, un immense groupe de toiles tendues, d'architectures textiles, s'étirent tranquillement. On reconnaît là beaucoup des recherches sur ce genre proposées par Frei Otto ou encore Emmerich, on se rappelle aussi Aérolande. On remarque aussi que les toiles tendues ne semblent pas toucher le sol et permettent à la vue de passer dessous. Cela nous laisse aussi l'occasion de repérer (mais de mal voir) de très beaux volumes polychromes construits sur des bases de triangles assemblés offrant, en quelque sorte une cristallographie à la floraison des toiles, des chapiteaux.
Mais je ne vous ai pas dit où nous étions !
Si on en croit les éditions Combier, nous sommes devant le Centre Culturel de la Base départementale de sports et loisirs à Carcans-Maubuisson-Bombannes. L'éditeur nous fait même la joie de nommer l'architecte qui serait Monsieur Layré-Cassou.
Pas de doute qu'il s'agit là d'une des plus ambitieuses constructions de ce type en France, pourtant il est très difficile de trouver des informations sur cet architecture et donc, sur son possible auteur Monsieur Layré-Cassou. On trouve une piste sur le très complet site PSS mais pas pour ce bâtiment, il semble qu'il ait collaboré avec Edmond Lay pour la célèbre et bien connue sur ce blog, Caisse d'Épargne de Mériadeck à Bordeaux mais aussi pour L'IRTS de la même ville dont l'Architecture d'Aujourd'hui nous propose des images mais n'attribue pas à Layré-Cassou...
Qui croire ? Et surtout comment un architecte aussi proche de l'écriture d'Edmond Lay a-t-il pu répondre à un programme de centre culturel de la sorte ? Ici pas de western chic, pas de béton, de gros graviers de rivière, pas de Frank Llyod Wright en goguette, non, une belle et décisive légèreté, une forme gracile mais tendue, une suspension appelant au surgissement soudain d'un campement, d'un cirque, d'un moment éphémère.
Alors...
On pourrait aussi se souvenir que l'architecture des Pins de Cordouan n'est pas si loin...
Regardons une autre carte postale de ce même centre culturel de Bombannes :



Même si c'est d'un peu loin que le photographe des éditions de l'Europe photographie ce centre culturel, il nous permet d'en voir immédiatement l'échelle. Et quelle échelle ! Regardez comment le sommet de la toile du chapiteau principal concurrence en hauteur les pins ! On aimera aussi que l'image nous mette en opposition les toiles tendues par les câbles et celles des petits voiliers, tendues, elles, par le vent. C'est beau ce rapprochement.
L'éditeur ne nomme pas l'architecte.
Et si nous prenions de l'altitude ?



Michel Le Collen, le photographe de cette carte postale aux éditions Yvon nous permet de bien replacer et situer le centre culturel et, là également, de deviner son gigantisme ! On devine aussi que certains câbles tendus partent non pas pour rejoindre le sol mais semblent monter dans les arbres...
Une fois encore, la carte postale a enregistré ce moment de l'architecture contemporaine et une fois encore elle nous offre l'occasion d'évoquer non seulement une construction en particulier ou un architecte méconnu mais aussi de se rappeler par l'image de cette présence qui, si j'en crois les vues satellite, a aujourd'hui totalement disparu...
Dommage.
Il semble en tout cas, que la structure gonflée d'une chambre à air soit aussi une excellente architecture éphémère pour le corps...








vendredi 26 août 2016

Claude Parent entre Patrimoine et Citoyenneté

Bientôt les Journées Européennes du Patrimoine, bientôt leur communication générale autour de la préservation de nos belles architectures vont reprendre une importance médiatique. Vieilles pierres, visites de lieux fermés au public, joie des journalistes de l'ORTF à montrer les studios météo (et oui...), tout cela fera la joie de quelques manchettes éditoriales. Et puis... Plus rien...
Alors, nous (amoureux et défenseurs, activistes et passionnés) devrons reprendre nos bâtons de pèlerin pour défendre ce qui souvent est invisible, mal connu, voire franchement haï par le public ou les autorités politiques et patrimoniales. Voyez le scandale de Fontainebleau, de Grand Quevilly.
Voyez celui de Toulon ou encore, depuis quelques jours, celui de ce magasin de Nancy !
Regardons un exemple de ces petites (grandes) choses qui ponctuent notre paysage français et notre histoire architecturale et qui, faute d'une véritable éducation à l'histoire de l'architecture et grâce à une politique culturelle indigente finissent souvent par disparaître :



Je vous entends derrière votre écran vous demander ce qui peut bien m'intéresser ici et qui serait digne d'une attention particulière. Vous voyez au loin une petite barre de logements, un rien gentille, bien dessinée, enfin disons, bien marquée par son époque. Pourtant, vous savez comme j'aime ce genre, comme je défends ici aussi le Hard French et sa mauvaise réputation. Alors ?
Alors, il suffit de bien connaître l'œuvre de Monsieur Claude Parent pour saisir soudainement l'importance de cette modeste carte postale des éditions CAP expédiée en 1964. Elle nous montre la Cité de la Chataîgneraie dessiné par G. Bertrand son architecte mais qui est prolongée par une station-service dessinée elle... Rien moins que par l'un de nos architectes préférés : Claude Parent !



D'ailleurs, les éditions CAP nomment bien ce dernier à l'arrière de la carte postale. Il s'agit d'une station-essence Shell avec la belle coquille suspendue.
Qui à la Celle Saint-Cloud, qui, pendant ces Journées Européennes du Patrimoine à venir, fera un signe à cet objet important ? Qui à la Celle Saint-Cloud, qui, après ces Journées Européennes du Patrimoine se décidera pour mettre en valeur cet héritage et ce cadeau ? Qui à la mairie de la Celle Saint-Cloud, qui prendra son téléphone, son stylo pour tenter un classement, signaler aux autorités compétentes cet héritage ? Qui ?
Car la vraie question du Patrimoine n'est pas tant d'éclairer ce Patrimoine une fois par an, d'en définir ainsi rapidement à coup de communications ce qu'il faudrait mettre en valeur ou distinguer que de tenir tendue en permanence, tout le long des jours une préservation, une surveillance qui doit passer par le travail remarquable de nos institutions mais aussi par une vigilance citoyenne et politique. Le Patrimoine à force d'être en France hypertrophié pourrait par un retour de bâton se sacraliser. Cette politique patrimoniale institutionnelle pourrait par une image de communication projetée aux publics  se croire inattaquable, bien tenue, voire même (et on entend déjà ce discours) gênante. Car, malheureusement aussi sans doute pour lui, notre Patrimoine est encore l'affaire d'institutions et non d'une éducation de fond permettant une reconnaissance immédiate de cette histoire. La population française, malgré un soutien important des réseaux d'associations, de citoyens mobilisés, croit trop souvent que seule l'administration a en charge ce Patrimoine et qu'elle est la seule en charge de sa qualification. On voit alors disparaître sans aucune interrogation des dizaines de petites choses, de détails qui vont de l'édicule à la porte en fer forgé remplacée par une en plastique, de la vérandalisation* du bâti à la destruction sans remords d'une église en fusées céramiques pour forcer le passage en force d'une démagogie de la politique de logement social, n'est-ce pas Monsieur Massion ?
On entend même au bout du téléphone du personnel administratif vous dire avec aplomb et ironie "que, quand même, Monsieur, vous comprenez bien, ON ne peut pas tout protéger..."
Oui. On...
On c'est nous. Nous, citoyens qui devons devant la faiblesse de cette éducation aux Arts et à l'Architecture Moderne, faiblesse dans les rangs même parfois des institutions, nous qui devons faire mouvement, agitations, défenses, et alerte. Nous, citoyens qui devons lutter au mieux pour que le Patrimoine ne soit pas la politique des exceptions géniales et historiques mais un tissu dense de réalisations marquantes et parfois modestes.
Cette station-service de la Celle Saint-Cloud en fait partie. Son programme, la manière dont elle joue de son collage, la force plastique de son dessin, la place qu'elle prend dans les travaux de Claude Parent, tout cela devrait suffire pour que, pendant ces Journées du Patrimoine et pendant tout le reste de l'année, elle soit regardée, aimée, défendue et protégée. C'est le devoir de la Ville de la Celle Saint-Cloud, des institutions régionales et municipales, des propriétaires mais aussi de nous tous, citoyens.
Voici une autre raison de regarder :



Cette fois d'un peu plus près, photographiée depuis un escalier, le photographe des éditions Yvon nous donne à voir la Cité de la Chataigneraie et vise également cette station-service de Claude Parent et l'ensemble de la Cité. Le fait-il par hasard ? Sait-il que, là, sur sa photographie tentant de partager ce lieu par voie postale, il cadre une œuvre importante prise simplement mais justement dans sa dimension historique : celle de son usage et de sa modestie ?

 



Dans le catalogue de l'exposition** consacrée à Claude Parent, on trouve deux clichés de cette station-service dont l'un nous permet de deviner l'enseigne de Goulet-Turpin et de rappeler que c'est bien Claude Parent qui dessina aussi ce petit centre commercial avec G. Bertrand.



On notera que le FRAC Centre peut vous permettre sur son site de voir les plans de cet ensemble :
http://www.frac-centre.fr/_en/art-and-architecture-collection/parent-claude/centre-commercial-chataigneraie-celle-saint-cloud-317.html?authID=143&ensembleID=130 

Il va de soi que je me dois de profiter de cet article pour remercier Camille Juza et Julien Donada de m'avoir permis de défendre un autre bâtiment important de Claude Parent, le Centre Commercial de Ris-Orangis lors de l'émission le Génie des Lieux sur France Culture, émission entièrement dédiée à cette architecture. Vous pouvez écouter et enregistrer cette émission ici :
http://www.franceculture.fr/emissions/le-genie-des-lieux/le-centre-commercial-de-ris-orangis-le-supermarche-bunker-de 

Aimer l'architecture, c'est d'abord pouvoir l'arpenter. Défendre c'est donc maintenir cette liberté. Protéger et classer c'est offrir aux générations à venir la chance d'en faire de même. Ayons toujours cette énergie, d'abord égoïstement pour nous-mêmes puis, pour pouvoir un jour, prendre la voiture, le train, le vélo et emmener les amis partager ce réel.
Alors, il ne fait aucun doute que le choix pour ces Journées Européennes du Patrimoine de la thématique Patrimoine et Citoyenneté sera suivi des faits et que tous, particuliers, activistes, agents patrimoniaux, élu(e)s de tous bord, Architectes des Bâtiments de France, Ministre et de la Culture et donc Citoyens Français, nous défendrons l'architecture du Vingtième Siècle !
Le combat pour Ris-Orangis continue, soyez citoyen, signez !
http://www.petitionpublique.fr/PeticaoVer.aspx?pi=P2012N29781

Signez aussi de toute urgence cette pétition pour la sauvegarde de ce magasin de Nancy !
https://www.change.org/p/ville-de-nancy-monsieur-le-maire-de-nancy-sauvez-le-b%C3%A2timent-de-l-ex-fleuriste-christophe

* le terme de vérandalisation est un néologisme inventé avec intelligence par Charlotte de Charette pour évoquer les détériorations des façades modernistes de Royan.
** Claude Parent, l'œuvre construite, l'œuvre graphique, éditions HYX, article de Christelle Lecœur , photographies de Gilles Ehrmann/Fonds Claude Parent

jeudi 25 août 2016

Ce n'est pas réciproque



 - Et celle-ci ?
 - Oh, oui ! Pas mal ! Il est dessus ?
Denis m'aidait avec Jean-Jean a trier les photographies du Fonds Lestrade. Nous avions décidé avec Alvar que, l'air de rien, cela serait bien que ces deux-là nous aident pour la préparation de l'exposition. Alvar y voyant l'occasion pour son fils et son ami d'en apprendre davantage sur l'architecture, comme une sorte de leçon d'histoire en vrai, et moi, voyant dans la complicité avec Denis et Jean-Jean une manière amusante de plonger avec plus de courage dans tous ces documents qui pourraient par leur masse être un rien écrasants. Alvar, par curiosité avait mesuré environ neuf mètres cubes de papiers diverses à passer au tamis de nos recherches...
Nous regardions ce cliché très drôle de dix hommes dont huit cadrés par le châssis d'une fenêtre, chaque carreau ayant sa tête.
 - Je ne sais pas, David, si Jean-Michel est dessus, il me faudrait une loupe ou scanner l'image, me dit Denis.
 - Fais voir ! Je devrais tout de même pouvoir reconnaître mon arrière-grand-père, affirma Jean-Jean avec certitude.
Pendant qu'ils regardaient tous les deux avec attention, je cherchais mon compte-fil de graveur dans mon sac et je le proposais à Jean-Jean qui ne savait pas comment s'en servir.



 - Non ! Pas comme ça ! Pose la photo sur la table et pose directement le compte-fil dessus puis colle ton œil contre la loupe ! Colle ton œil ! N'aies pas peur ! lui conseillais-je.
 - Ah oui ! Je vois ! Génial ! Je suis pas certain mais je dirais que c'est celui à gauche en bas.
 - Celui avec les deux mains sur l'épaule ? demandais-je.
 - Oui, regarde ! Je crois aussi, m'affirma Denis.
Je n'étais pour ma part pas très certain. La ressemblance était assez peu marquée même si dans le sourire on pouvait trouver une familiarité. Jean-Michel Lestrade n'ayant pas de frère, il était difficile aussi de penser à une ressemblance familiale.
 - Franchement David, si, je pense que c'est lui. Les cheveux sont plus longs et il est jeune mais oui, je pense que c'est Jean-Michel. Vous avez vu, il y a un type qui fait des oreilles de lapin !
 - Ouais, Denis a raison, David ! Je pense que c'est lui, appuya Jean-Jean.



 



Je regardais à nouveau les adolescents ou jeunes adultes posant sur cette photographie. Je me posais la question de leur âge, de qui prenait cette photographie. Ce détail des deux mains posées sur les épaules de Lestrade par le jeune derrière lui me fascinait. Les mains étaient plus que posées, elles serraient les épaules, maintenaient le contact, l'affirmaient avec force, l'un des pouces, celui de la main gauche était même glissé dans le cou, caché dans le col de la chemise. Ce contact me troublait beaucoup, je ne savais pas si je devais l'évoquer avec Denis et Jean-Jean ou faire semblant de n'avoir rien vu. Je pensais alors qu'Alvar n'avait jamais évoqué cette possibilité-là, que rien n'avait permis dans nos conversations de comprendre quelque chose d'une relation entre son grand-père et d'autres hommes. Devais-je voir dans ce pouce glissé là autre chose qu'une marque d'amitié franche et virile ?
 - Dis-donc il est vachement... Euh... proche de l'arrière-grand-père le mec debout derrière lui, lâcha d'un coup Denis.
 - Ah , Ouais... Bon... Faudrait pas trop vite en tirer des conclusions, rétorqua Jean-Jean, qui, pourtant demanda en même temps à revoir mieux le cliché.
Je me taisais, je laissais venir, je ne me sentais soudainement plus à ma place.
 - T'as vu David ? T'en penses quoi ? me demanda Denis en me repassant la photo, comme s'il attendait de moi un diagnostic, comme si mon expertise sur une gestuelle équivoque était invoquée.
Dans le silence, je replaçais mon œil contre mon compte-fil. Ainsi, quittant en quelque sorte l'espace même de l'agence je tentais d'entrer en relation avec ce moment, cet autre lieu et les enjeux de son cadrage. Je plongeais littéralement dans cet espace-temps cherchant dans une ombre, le coin relevé d'une bouche, le point de tricot d'un pull-over, le pli d'un pantalon, l'indice d'une complicité entre les protagonistes. Je voyais l'organisation de la scène, comment chacun avait dû chercher sa place, le fait que ce geste ne pouvait être improvisé entre n'importe lesquels des figurants, qu'il y avait choix, décision admise par le groupe.
 - Oui mais... ce n'est pas réciproque, fut ma réponse. Oui, il y a de la tendresse, oui, il y a suffisamment de confiance pour faire ce geste en public puis désirer qu'il soit enregistré dans une image collective, affirmais-je.
Je relevais alors la tête et j'eus la surprise de voir Jean-Jean, la main sur l'épaule de Denis assis à côté de moi. Nous nous sommes regardés tous les trois avec une incrédulité partagée qui tendait entre nous une toile serrée, puis :
 - Purée... Faudra en discuter avec Papa et Papy....
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Jean-Michel attendait Jacques au café Robert, Il avait posé son porte-feuille sur la table et en avait sorti une petite photographie toute pliée aux coins. Il avait fait sur la petite table ronde cerclée de zinc, toute la place nécessaire et avait même de sa main et de son mouchoir nettoyé sa surface avant de poser, entre sa bière et son porte-feuille, bien à plat, ladite photographie. Penché, les deux mains sous la table, serrées entre ses jambes, comme pour ne pas risquer un geste malheureux, il regardait avec intensité cette photographie. Le bruit du café laissa place tout doucement à celui d'une petite ville, à un chien aboyant et trop joueur, à des voix amusées de jeunes hommes certains de faire une bonne blague.
1943.
Le groupe aidait alors à la Reconstruction et suivait en pointillé les cours d'ingénieurs mettant en pratique directement leur apprentissage auprès des sinistrés, des constructeurs et des architectes. Ils avaient travaillé une petite semaine sur ce prototype de châssis de fenêtre en bois et acier, extrêmement fin et léger et peu gourmand en matériau, prévoyant ainsi une pénurie possible à la Reconstruction. Jean-Michel essayait de se rappeler qui avait eu cette idée de composition de l'image et qui, surtout avait alors un appareil photo pour la prendre. Il se rappela alors de Bernard qui avait bien prêté son appareil mais qui n'avait pas pris la photo. La prise de vue fut effectuée par Monsieur Demachy le fermier qui prêtait les bâtiments pour la construction du châssis. Il avait indiqué la distance, comment tous devaient sourire. Jean-Michel se souvint du petit désordre dû au choix des emplacements, comment chacun avait choisi sa place.
Jean-Pierre.
Il se rappelait alors toujours comment Jean-Pierre était venu derrière lui, comment il avait absolument voulu être avec lui et comment, surtout, Jean-Michel s'était laissé faire. Il avait fallu du temps à Jean-Pierre pour dire à Jean-Michel qu'il l'aimait. Il avait fallu du temps à Jean-Michel pour comprendre et admettre que, même si ce n'était pas réciproque, il pouvait tout de même comprendre ce sentiment. Ils restèrent toujours bons amis et Jean-Michel laissait même parfois des signes ambigus planer entre eux. Il y avait chez Jean-Pierre une délicatesse, un retrait, une timidité mais aussi étrangement, une liberté que les autres jeunes de ce groupe n'avaient pas.
Jean-Michel avait attendu le retour de Jean-Pierre tous les jours qui suivirent la Libération. Il avait appris son arrestation et sa déportation quelques semaines après ce cliché.
 - Comment ça va mon vieux ! Demanda Jacques qui venait d'entrer dans le café et de rejoindre Jean-Michel à sa table.
 - Tu vois ! Regarde...
Jean-Michel poussa la photographie sur la table sous les yeux de Jacques et demanda :
 - Tu te souviens Jacques ?
 - Et comment ! Debout à gauche c'est le père Troyat, à droite c'est Albert ou Alphonse...
 - Alphonse....
 - Oui, le fils de Monsieur Demachy, alors... En haut, là à gauche dans la fenêtre, y a dans l'ordre, Bernard Broche puis ton bon copain Jean-Pierre Richard, ce mariole de José, Antoine Labour dit Titi, en bas depuis la droite, bah... euh....
 - Marcel Falleau, précisa Jean-Michel.
 - Ah oui ! Falleau ! J'sais pas où il est lui maintenant !
 - À Nice.
 - Puis on a donc avec les oreilles faites par José, c'est moi, puis toi et le plus jeune Daniel Lariche.
 - Tu sais qu'il est mort Lariche ?
 - Non ! Merde... Comment ?
 - Ardennes, FFI. Au début 44.
 - Et... Tu... Enfin... t'as jamais eu de nouvelles de Jean-Pierre ?
 - Non, enfin, je veux dire que nous n'en aurons pas. Il a été déporté.
 - Oui ça je savais mais y avait pas un petit espoir que...
 - Non, aucun...
 - ......
 - Alors, au fait, qu'est-ce que tu me veux mon vieux Jacques ? Toujours dans les bons coups ?
 - Bah, justement, j'ai du travail pour toi. Ils cherchent du monde pour la Reconstruction de Royan et j'ai parlé de toi. Je sais que c'est pas ton secteur, mais y a un super boulot à faire, y paraît qu'au M.R.U ils voudraient confier la ville à des jeunes gars comme nous. Faudrait aller voir. En tout cas pour Mulhouse, c'est bon, t'auras les plans bientôt, d'ailleurs je croyais que l'école t'avais déjà contacté ? Tiens, regarde, L'Architecture d'Aujourd'hui fait un numéro spécial sur le Brésil, c'est vachement bath !
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Papier bleu plié, copie carbone tamponnée, Royan, 1 septembre 1954.
Cher Jacques,
Ne crois en rien ce que tu verras sur la carte postale ci-jointe. Je ne crois pas que le front de mer de Royan ressemblera à ça. En tout cas, je l'espère. C'est tellement sans idée ces volumes...
Hier, Marmouget m'a affirmé qu'il travaillait pour cet emplacement sur une machine plus audacieuse, un centre de congrès ou un palais des expositions, je ne sais plus. J'espère que je serai sur le coup, des bruits courent que Prouvé serait aussi dans l'histoire. Ils ont monté son pavillon 8X12, il y a peu, juste à côté, c'est d'un moche ! C'est peut-être facile à monter et rapide mais bon, pour faire ça...
Enfin, tu me connais, j'aime mieux mon béton et puis, avec ça, nous, on peut rien faire. Il paraît que Prouvé veut tester la solidité de ses pavillons, moi je crois surtout que le gars, il veut avoir des commandes. La situation ici est tendue, la Reconstruction prend un peu de retard, certains sinistrés en ont marre.
Bon. Sinon ? Comment vont Madeleine et tes enfants ? On m'a dit que tu étais père pour la troisième fois ! Encore une fille ! Bah, mon vieux ! Dis-donc, tu participes bien au redressement de la France !
Et tes chantiers de Brest ? Parait que tu vas monter aussi ton agence ? Faudrait pas me faire de la concurrence déloyale l'ami ! Allez ! Raconte-moi tes chantiers. Y aurait des conférences sur l'aluminium et les murs-rideaux en décembre, tu veux venir ? Tu dormirais à la maison ? Ça ferait plaisir à Jocelyne. Dis-moi que je lui en parle.
Salutations amicales l'ami Jacques.
ton Jean-Michel.

 - Ça oui, faut la mettre de côté ! C'est super ce qu'il dit sur Prouvé et Royan. On devrait même la copier dans le catalogue. Non ?
 - Si tu le dis, oui, certainement rétorqua Denis, peu enthousiaste.
 - Bon, je crois que vous en avez marre non ? Je sens comme, comment dire... un manque évident d'énergie à poursuivre...
 - C'est sûr ! me répondit Jean-Jean mais on est là, dans ce bureau depuis ce matin et brasser tout ça c'est un rien épuisant. On a l'impression de ne pas avancer. Il reste encore tout ça et ...
 - Allez ! J'ai compris, les gars, on plie !
 - Tiens, regarde David... Encore une image de l'immeuble annulaire... j'ai l'impression de le connaître par cœur maintenant, regarde, non mais regarde David, la pile rien que pour ce bâtiment !
Denis en finissant sa phrase posa sur la pile cette dernière carte postale.
- Moi, je pourrais passer la nuit à poursuivre, affirmais-je mais je crois bien que ce n'est pas réciproque. Allez ! Tout le monde dehors ! Pizza ? Pizza pour tout le monde !



Par ordre d'apparition :
 - photographie, Fonds Famille Lestrade.
 - carte postale, Royan, la plage de Foncillon, maquette, édition la Cigogne.
 - carte postale, Mulhouse, bâtiment annulaire, architecte Pierre-Jean Guth nommé, édition la Cigogne.
Merci de ne pas copier ou diffuser ces documents sans l'autorisation de la Famille Lestrade.

mercredi 24 août 2016

Pardonne... N'oublie pas !

Denis se leva.
Il regarda rapidement Jean-Jean roulé en boule dans les draps ce qui permit à Denis de comprendre pourquoi, lui, avait eu froid toute la nuit.
Pourtant, il ne se décida pas à s'habiller de suite, aimant comme toujours traîner nu dans son minuscule appartement.
Il dut enjamber Jean-Jean pour saisir son portable branché de l'autre côté du matelas sur la seule prise électrique disponible. Son poids écrasa le matelas ce qui fit doucement bouger Jean-Jean qui dut se remettre en place et se rouler encore plus dans les draps sans se réveiller.
Il était 7h38.
Il restait donc une demi-heure pour se préparer et être à l'heure à l'école. Denis installa les oreillettes et choisit sa musique. Ce matin : Hazey de Glass Animals. Il chercha une tasse soit propre soit pas trop sale traînant dans l'évier. Il trouva ce ridicule mug penché provenant de la tour de Pise, que Jean-Jean avait acheté en Italie lors d'un voyage avec l'école d'architecture, croyant rendre ainsi un hommage à la passion de Denis pour Claude Parent.



L'eau tiède coula dans le mug, la musique coulait dans les oreilles de Denis qui ne s'entendait pas chantonner l'air avec sa voix épouvantable. Il marquait aussi le rythme, tentant même de danser un peu, tout en mettant en route le café. Il chercha le paquet de café longtemps avant de se rappeler que hier, Jean-Jean lui avait encore une fois conseillé de le ranger dans le réfrigérateur pour, comme il aimait à l'affirmer, en préserver tout l'arôme.
L'arôme d'un café de chez Lidl cela fit rire Denis mais il avait obéi alors à son ami de peur de perdre trop de temps dans une conversation dont il n'avait pas envie. Il s'installa ainsi à la petite table Ikea, table qui, bien que pliante, restait en permanence grande ouverte ce qui prenait beaucoup de place. Tout en mangeant, Denis pouvait depuis sa chaise regarder son ami encore endormi. Il suivit des yeux sa colonne vertébrale qui formait une sorte de crête de dinosaure sur le dos entre les épaules avant de disparaître totalement au niveau des reins. Il regarda aussi la fameuse balafre de Jean-Jean et sa main gauche qui portait une chevalière faite d'un grenat rouge vif à laquelle Jean-Jean tenait beaucoup malgré l'usure de son double anneau d'or. Il regarda aussi l'heure. Il fallait se dépêcher. Il ne prit pas de douche. C'était comme ça. Il faisait des efforts pour Jean-Jean qui, après avoir tenté plusieurs fois de le convaincre, avait presque fini à son tour, par penser comme Denis que c'était du temps perdu. Denis se vaporisa un demi spray de déo sous ses bras et enfila sa tenue. Dans le nuage lourd retombant du déo, il chercha en vain, comme pour le mug, une paire de chaussettes propres et, tout heureux, finalement, en trouva une dans le sac à dos de Jean-Jean. C'était une belle victoire pour commencer cette journée. Il avait hâte de montrer son projet pour un aménagement des bords de Seine, aménagement qui consistait avec humour en la construction d'un bunker et d'un bétonnage total des berges n'offrant qu'une rigole pour glisser le corps d'un promeneur se retrouvant alors avec le regard affleurant au niveau du fleuve. Bien camouflé par une forme à l'apparence guerrière, Denis avait fait parfaitement dessiné son bunker pour que chaque courbe, chaque coque puisse être apte à la pratique du skate.



Denis avait beaucoup aimé emmener Jean-Jean voir à la pointe de l'Ile de la Cité le magnifique Mémorial des Martyrs de la Déportation de Georges-Henri Pingusson. Jean-Jean en fut bouleversé et ils décidèrent tous les deux que ce Mémorial entrerait dorénavant dans leur top 10 des plus belles architectures. Denis connaissait par cœur cette liste, il aimait à la répéter à Jean-Jean et même à lancer en l'air un numéro lorsque devant un projet ou une construction cela lui évoquait l'un de ses modèles. La liste était la suivante :
1 Jean Renaudie, Ivry
2 Jean Renaudie, Givors
3 Renée Gailhoustet, Ivry
4 Claude Parent, centre commercial de Sens ou Sainte-Bernadette-du-Banlay, cette imprécision fâchait Denis.
5 Zaha Hadid Gare des tramways de Hoenheim à Strasbourg.
6 Corviale que le couple avait pu voir seulement de nuit.
7 Guillaume Gillet, Notre-Dame de Royan dont Jean-Jean aimait à rappeler qu'il avait arpenté son toit.
8 Le Mémorial des Martyrs de la Déportation de Pingusson.
9 le Mur de l'Atlantique.
10 n'importe quoi de Rudy Ricciotti.
Ils aimaient rire ensemble du fait que le numéro 8 et le numéro 9 étaient un rien antagonistes.










Denis avait trouvé dans la bibliothèque de l'agence un petit livret sur ce Mémorial dessiné par Pingusson. Il avait remarqué le prénom Jean-Pierre presque effacé écrit à côté du nom du camp de Mathausen sans comprendre de qui il s'agissait. Denis avait trouvé très belles la mise en page et les photographies mais ne comprenait pas pourquoi le nom de Pingusson n'était pas inscrit comme architecte. Il avait imaginé alors une pudeur respectueuse de ce dernier, une modestie sensible. C'était ce mémorial qui avait inspiré Denis pour son projet d'étudiant.
Mais justement,  il fallait partir. Il fallait laisser Jean-Jean qui, lui, n'avait rien à faire aujourd'hui à l'école d'architecture, les étudiants de la première année ayant fini leurs examens depuis une semaine. Ils avaient fêter le passage de Jean-Jean en seconde année. Mais Denis avait promis de réveiller Jean-Jean avant de sortir, il devait se rendre chez son père pour discuter encore du fonds d'archives Lestrade et organiser son voyage vers la Hollande. David serait là, Mitica aussi. Depuis trois jours maintenant, Mitica marchait avec une seule canne.
Denis pinça le lobe gauche de Jean-Jean qui, tout en se réveillant, lui gueula dessus :
- Putain mais c'est quoi ? Mais tu pues le déo ! Purée Denis ! Là c'est pas possible ! La vache !
En tirant d'un coup les draps pour être certain que Jean-Jean se lèverait, Denis lui rétorqua :
- Ben quoi ? C'est Musc Artique ! Ça te plaît pas ?
- Musc quoi ? Non mais putain ! Denis ! Va te doucher ! Les profs vont prendre ça pour une agression en règle si tu passes ton oral comme ça...
- Bah, j'ai plus le temps...
- Si allez ! Dépiaute-toi ! On y va ensemble !

par ordre d'apparition :
- carte postale la crypte du Monument aux Déportés Français dans l'Île de la Cité à Paris, édition du premier jour First Day Cover, photographie (superbe) de Bouwens.
- carte postale Paris, Ile de la Cité, Crypte des Déportés, Pingusson architecte, éditions du premier jour par les Maximaphiles Français.

mardi 23 août 2016

S'asseoir par terre, l'architecte



Jean-Michel Lestrade était venu voir comme à son habitude la livraison du chantier. Il avait rendez-vous à la station-service de Lacq à 15 heures précises et il avait roulé une partie de la nuit. De Brauer, l'architecte de cette audacieuse station-service, avait fait le tour de sa réalisation et de son auvent dont les courbes et contre-courbes avaient été calculées par Lestrade. Certes l'édifice tenait bien plus de l'édicule que de l'architecture mais c'était bien le genre de constructions et de dessins que Jean-Michel aimait beaucoup faire.



 Il fallait à la fois tenir les lignes dessinées et rêvées par l'architecte tout en tentant dans ce réel, fait de matériaux et surtout de tensions, de faire tenir debout le voile de béton. Comme l'agence de Lestrade n'avait pas eu le chantier de L'UNESCO et sa spectaculaire entrée, Jean-Michel était content de démontrer ici ses capacités et il était allé à l'extrême de l'épaisseur possible et du porte-à-faux, il avait même débordé les avis de l'architecte qui avait bien demandé à l'ingénieur s'il était certain de son coup :
 - Vous comprenez Lestrade,  faudrait pas que le client se prenne le voile de béton sur la gueule en venant faire son plein.
 - Vous savez, de Brauer, ce qu'on dit : la disposition de la matière a plus d'importance que sa masse, aima à répondre Lestrade.
Et non, personne ne se prendrait le béton sur la gueule. Il avait d'ailleurs dû aussi, plusieurs fois par téléphone, reprendre les plans sous la voix du maître-d'œuvre qui appelait trois fois par jour pour être bien certain des chiffres et des dimensions qu'il avait sous les yeux.
Jean-Michel regardait surtout le magnifique travail des coffreurs, de ces mouleurs de béton dont il pensait que l'on oubliait bien trop souvent les qualités et le sens des formes et des forces. Il préférait toujours boire un verre avec eux à la fin des chantiers qu'avec les clients.
Jean-Michel avait bien vu que de Brauer faisait des photos de son œuvre, il avait bien vu comment ce dernier tournait autour. Mais il fut très surpris la semaine suivante de recevoir à l'agence dans une enveloppe de papier kraft une photographie de lui, ainsi assis sur le bord du trottoir. L'image fit le tour de la maisonnée et de l'agence et Jocelyne et Yasmina se permirent même de rire un rien de l'air désespéré de l'ingénieur assis au pied de l'une de ses constructions. La photo ne traîna pas, le soir même elle fut rangée dans le dossier correspondant avec le reste des documents et plusieurs fois, Jean-Michel osa affirmer avec aplomb à Jocelyne que non, il ne savait pas où cette photographie était rangée, que oui, cela faisait bien longtemps qu'il ne l'avait pas vue.



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J'avais accompagné Alvar rue Regnault. Nous étions en pleine préparation de l'exposition sur Jean-Michel Lestrade et nous devions prendre des clichés et aussi trouver des contacts. De toute façon, nous devions demander l'autorisation pour publier des clichés des bureaux de la SERETE dans le futur catalogue. Je racontais à Alvar sur le trottoir comment j'avais déjà vu la construction en 2009, comment j'aimais à cette époque me promener à Paris et voir, mon guide à la main, les architectures sortir des images pour entrer dans le réel. Alvar soutenait que je devais être souvent déçu, que les années passant, il devait être difficile de retrouver parfaitement conservées ces constructions. Oui. Il avait raison. Je lui rétorquais alors que cette déception fut aussi une énergie noire pour défendre ce Patrimoine et que c'est bien grâce à cette énergie que nous nous étions rencontrés à Royan. Je lui affirmais aussi que le réel bien que très fort et en quelque sorte indéniable, n'avait rien à retrancher aux images et que, dans l'épaisseur des ombres, des perspectives, mon œil glissait autant que mes pas dans cette rue.









Je fus donc heureux de revoir les bureaux de la SERETE, de revoir comment les verres reflétaient la caserne des pompiers Massena de Willerval. J'avais pris mes deux guides, celui de Dominique Amouroux et celui d'Hervé Martin, ayant installé celui d'Éric Lapierre sur mon iPhone tout neuf. J'observais Alvar, comment il prenait du recul, comment il faisait le tour, comment, sans aucune difficulté il entra dans les bureaux, demanda conseil, obtint rapidement un rendez-vous. Nous n'étions pas certain que Jean-Michel Lestrade ait bien participé à l'élaboration de cet immeuble. Si c'était le cas, il s'agissait de la dernière décennie de l'agence sous sa direction directe. Certes Jean-Michel avait bien travaillé avec Jacques de Brauer pour la station-service de Lacq, et il fut facile de trouver dans les cartons, les documents concernés mais, il y avait vraiment peu de choses sur ces bureaux, trois tubes, deux plans pliés dans un état lamentable et c'était tout. Pourtant, dans ce carton, une photographie nous toucha tout particulièrement, celle de Jean-Michel Lestrade assis par terre devant la station de Lacq. Il fut décidé avec le graphiste du catalogue que nous pourrions en faire la couverture du livre.
 - J'espère que Jean et Denis font leur travail de leur côté, me dit Alvar en sortant des bureaux.
 - Je n'en doute pas une seconde. Hier, il m'a encore téléphoné pour des infos sur de Brauer.
 - J'aimerais bien que le grand-père ait travaillé sur ce bâtiment, il est superbe !
 - Oui ! Absolument superbe. Tu as raison. Tu te rends compte que nous n'avions que 4 ou 5 ans à sa construction ! Tiens, regarde Alvar, le guide d'Hervé Martin nous conseille une autre construction de Jacques de Brauer, au 86 de la même rue dans le quartier. On va voir ?
 - Oui, oui ! J'ai rendez-vous pour la visite de la SERETE la semaine prochaine, ils vont me sortir le peu d'archives qu'ils ont. Croisons les doigts !


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 - C'est pour quand déjà leur expo ? demanda Denis à Jean-Jean.
 - Bah, ils savent pas vraiment encore, ils auraient un créneau vers le début 2017 mais rien n'est certain, tu sais c'est un gros projet, avec catalogue et tout, donc faut des financements et puis aussi trouver des personnalités qui le soutiennent.
 - Tu crois qu'ils vont y arriver ? Moi, j'ai des doutes, en tout cas, ça nous fait faire de la route ! s'exclama Denis
 - Oui, ça pour le kilométrage on est servi. D'ailleurs on arrive quand à Lacq ? T'as une idée ?
 - Dans, allez... Je tiens le pari... Allez... Euh... 12 minutes.
 - Ok ! Pari tenu ! Tu sais, au moins, ce projet d'expo aura déjà servi à beaucoup de choses. Tu vois, j'ai pu faire un exposé dessus, j'ai pu découvrir un peu mieux ma famille et cette histoire et puis... on a une excuse valable pour se barrer tous les deux !
 - Ah ! Tu vois ça comme ça mon coco, bah dis-donc ! Faudra qu'on explique au retour ta perception de l'héritage familial et comment tu as profité du voyage !
 - Dis-donc Denis, tu crois pas que t'as loupé un truc là, juste maintenant ?
 - .... euh... Non... quoi...
 - Au lieu de me menacer et de te foutre de ma gueule, tu ferais mieux de regarder la route et de ne pas oublier de t'arrêter, on vient de passer la station-service !
 - Oh ? vrai ? Purée, merde, faut faire demi-tour !
La Twingo freina, se rangea sur le bas-côté, laissa passer les autos suiveuses et Denis entreprit sa manœuvre.
Ils se garèrent juste sous l'auvent de béton.  Denis alla pisser à l'arrière d'une bagnole.
La mission photographique de Jean-Jean pouvait commencer. Il n'oublia pas de faire deux photos avec son téléphone pour me les envoyer. Il voulait des consignes plus précises sur la prise de vue, le cadrage. Fallait-il par exemple laisser la Twingo dessous pour montrer l'échelle ? Je lui répondis par SMS :
 - Installe Denis dessous, bras levé comme un Modulor ! Il sera parfait.
Je reçus en retour de la part de Jean-Jean un smiley et une photo de Denis assis sur le trottoir, prenant la pose exacte de Jean-Michel Lestrade.

Par ordre d'apparition :
- photographie, Fonds Familial Lestrade.
- photographies, Fonds architectures de cartes postales, 2009.
- Guide de l'architecture moderne à Paris, Hervé Martin, éditions alternatives, 1986
- Lacq, Poste d'essence moderne, carte postale éditions REX, sans photographe ou architecte nommés, expédiée en 1962.
Je profite de cet article pour remercier la Famille Lestrade pour le prêt généreux des documents et ma liberté à raconter son histoire. Un grand merci tout particulier à Denis qui se reconnaîtra...
Promis, Alvar, je te ramène ton guide cette semaine !
Merci de ne pas copier ces documents sans mon autorisation ou celui de la Famille Lestrade.



samedi 20 août 2016

Tournesol au pluriel et prototypes au singulier

Continuons notre inventaire des piscines Tournesol représentées en cartes postales.
http://archipostalecarte.blogspot.fr/search/label/piscines%20Tournesol 
http://archipostcard.blogspot.fr/search/label/piscine%20tournesol
Nous remarquerons d'emblée une forme d'inégalité de cette représentation, tant il est difficile d'en trouver certaines et aisé de retrouver sous plusieurs angles les autres.
Commençons :



Celle-ci l'avez-vous reconnue ? Difficile depuis ce point de vue de terminer le lieu exact ! Il faut dire que la permanence de l'architecture et le cadre très clos de la prise de vue ne permettent pas de lire une particularité permettant cette identification. Pourtant, nous l'avons déjà vue, nous sommes à Chatelaillon. L'éditeur Combier ne date pas son cliché, ne nomme pas son photographe qui est bien vu par les enfants qui le regardent en train de faire son travail. Ces adolescents ont-ils eu la chance de se retrouver ainsi, quelques semaines plus tard, sur les tourniquets des marchands de journaux ? Sans doute !





Ici, le photographe reste à distance, cale l'architecture dans son entier, ici divisée en deux par l'ouverture et permet de bien saisir la mécanique de l'ensemble. La piscine est pleine, c'est un succès !
Entrons sous la coupole de plastique :



Pas totalement ouverte, cette piscine Tournesol est moins fréquentée au moment de la prise de vue. On devine un cours de natation. Le photographe nous permet cette fois encore d'admirer la belle résille de la charpente de métal et le moteur central qui permet son ouverture. Cette fois, cette piscine, vous ne l'avez pas vue sur ce blog, il s'agit de la piscine Tournesol de Landivisiau. La carte des éditions d'Art Jos fut expédiée en 1989, bien longtemps sans doute après le montage de la piscine et sans doute aussi de la prise de vue.
On pourrait ainsi, finalement se lasser de cette régularité de prises de vue et même de l'architecture. L'édition en plusieurs exemplaires userait-elle l'objet ? Mais non Monsieur Benjamin ! Elle le décuple ! Comment occulter le plaisir que nous avons à nous reconnaître dans un objet et, dans la rigueur de sa reproduction, ne pas s'amuser de ses infimes changements ?
Regardons tout de même un autre type qui, lui, n'a pas eu la chance comme la piscine Tournesol d'être édité avec autant de succès.



Nous sommes à Bayeux et la vue aérienne de cette carte postale Artaud nous permet de viser une piscine très étrange. Il s'agit de l'une des concurrentes directes de la Tournesol, d'un prototype construit qui reprend d'ailleurs parfaitement le cahier des charges du concours. Car, comme l'autre, elle propose un toit ouvrable, une partie en dur. Ce camembert nautique donne assez facilement la compréhension de son fonctionnement.



Mais on devine aussi un dessin plus lourd, plus classique, bien moins étrange que la Tournesol. La clôture du cercle formant une rotonde ne manque pas de nous évoquer des bâtiments du Génie Civil bien plus que des soucoupes volantes ! Les architectes de cette piscine de Bayeux sont les Vergnaud qui auraient reçu, si on en croit le livre les années Zup, le sixième prix du concours pour cette piscine.
Mais la piscine Tournesol avait bien des atouts débordant de loin la question des joies de la nage. Facile à monter, légère, peu chère si on enlève ses bassins, elle proposait une surface libre et une hauteur suffisante pour rêver à d'autres activités conjuguant plein air et abri !
Voici ce que je trouve dans la revue Architecture Intérieure CREE une double page sur un avenir possible de la piscine Tournesol qui n'a pas vu le jour, un projet de cercle de loisirs. L'écriture est bien identique même si la coupole est complétée de trois volumes dont le profil n'est pas sans rappeler d'autres architectures comme l'Algeco ou des wagons. On remarque aussi que le dessin des percées sur la coupole a perdu sa référence à des écrans de télévision pour une fente longitudinale. Le dessin est très beau (de Bernard Schœller ?) et reste dans la représentation d'une architecture comme atterrie, posée là, presque prête à repartir. Une base spatial posée en rase campagne ! Magnifique !

Merci aux lecteurs et visiteurs d'avoir l'extrême obligeance de me demander l'autorisation de partager  ces cartes postales et documents, autorisation que je donne facilement. Je n'ai pas vocation à remplir des pages Facebook et d'autres sites à bon compte (de captures d'images). Vive le partage et... sa politesse et vive la nomination des sources, des documents, des auteurs, des photographes et des droits inhérents aux collectionneurs. Ok ? Bien à vous...

 - les années ZUP, architecture de la croissance, édition Picard, Patrick Facon, 2002.
 - Architecture Intérieure, CREE, revue, 1978.