vendredi 21 octobre 2016

Aillaud All-Over



On pourrait rapidement n'y voir que des blocs dressés.
Pourtant, à ceux-ci, répond presque bloc à bloc, un enfant dans la ronde.
On a souvent raillé l'héritage de Émile Aillaud, sa poésie subtile, ses espaces déterminés laissant, croyait-il, à l'enfant l'autorité d'y construire sa ville.
Mais il avait raison. Il faut être bien élevé. L'architecte n'y peut rien, même si ses espaces l'autorisent.
Un arbre dur au premier plan, un peu de sable au pied d'un banc de béton, des petites tours qui se regardent et dont le voisinage doit naître des percées répandues. Se faire un signe, d'une intimité vers une autre. Rien de trop grand, rien de trop égal. Croire aussi en la couleur. Avoir Venise au bout de la pensée c'est délicat, toujours, comme modèle.
Il y avait bien plus d'autorité que de poésie chez Émile Aillaud. Et c'est tant mieux. Vivre, cela demande de la rigueur et surtout demande, mot oublié, ce que l'on appelait de l'urbanité.
Monsieur Bensoussan qui écrit cette carte postale depuis la cité du Wiesberg pour un jeu devait le savoir. Il donne la réponse qui sonne tellement comme l'époque : Olivier et Carole. Où a-t-il trouvé sa carte postale ? Comment a-t-il regardé ce lieu qu'il habitait ? Et surtout, vraiment, comment y habitait-il ? Car tout tient là, bien plus que dans l'architecture, dans la manière dont on habite.
Je le répète, l'urbanité.
Et ce nom de famille pourrait bien être à lui seul un indice et surtout une histoire.
La Poste Française a tamponné sa carte postale. Elle l'a fait avec un dessin de Forbach montrant une porte ancienne de la ville, une porte pour une ville fortifiée.
La Cité du Wiesberg n'était pas fortifiée, elle. Elle était ouverte.
Ouverte.
On ne saura rien du cadrage. Rien d'autre que ce que l'on a sous les yeux. Il faut s'en satisfaire et ne rien regretter. Remercions le photographe des éditions de l'Europe d'avoir construit.
Construire les images, construire les lieux, ça reste un beau verbe, un bel acte, difficile et sans doute plein de remords. Les bords des images sont souvent trop durs, le All-Over ne va pas à tout, surtout pas à l'architecture.



 



mardi 18 octobre 2016

ANRU dégage !



On appelle ça une barre, certains parlent de muraille.
J'aime immédiatement sa puissance et sa radicalité.
Rien ne me fera changer d'avis même pas les difficultés que vous me décrirez ou la nostalgie joyeuse à laquelle vous êtes attachés.
Je l'aime comme présence sourde, inévitable, incommensurable.
Parce que l'architecture ici raconte son programme, raconte la politique qui l'engendre, raconte les errements mais aussi les certitudes, raconte enfin le sens unique du construire.
Ça pousse comme un gemme pousse sur la roche sous la haute pression, ça pousse comme une cristallographie, ça pousse au loin l'horizon.
J'aime l'égalité exprimée dans sa grille. Horizontale, verticale, horizontale, verticale et aux points d'intersections soit le nœud des forces, soit le trou des percées.
J'aime l'idée de hauteur, la vue depuis.
La vue depuis.
Toujours oubliée celle-là, la vue depuis.
J'aime la géométrie, j'aime le bruit du tire-ligne sur le calque comme un sport de glisse le long du té et du réglet. Ziiiip.
J'aime me perdre dans les étages, me tromper d'entrée, savoir que mon appartement est le même que 2000 autres. J'aime savoir partout où sont les toilettes, la cuisine. J'aime lire facilement l'évacuation des eaux sales, suivre des yeux, depuis l'extérieur la mécanique intérieure des câbles électriques. J'aime pouvoir compter les plaques de béton, les voir tomber du ciel suspendues à des grues.
La grue chemine et lâche à son pied sur la perspective infinie de son chemin la muraille, la barre.
J'aime cette photographie retouchée, retravaillée, découpée pour plus de netteté. J'aime le tendre des couleurs apposées au pochoir, comment fidèlement on a mis du rouge sur les toiles des stores.
J'aime cette ponctuation : point, ligne, plan.
J'aime la politesse de son expédition, de son adresse.
On appelle ça une barre, certains parlent de muraille.
J'appelle ça un lieu, une idée, une machine, une urbanité.
J'appelle ça de l'architecture.
Et j'aime aussi cette résistance :
https://paris-luttes.info/gennevilliers-contre-la

Gennevilliers, ImmeubleS, Rue Victor Hugo, éditions Pi, expédiée en 1967 sans nom de photographe ni d'architecte.
On notera alors même qu'il n'y a qu'un seul immeuble que l'éditeur y ajoute un S ce qui dit sûrement quelque chose.






mercredi 12 octobre 2016

Skidmore, Owings and Merrill and Lestrade



28 septembre 1959
Le brouhaha des rues de New York laissa place au silence total dès que l'immense et lourde porte de l'agence de Skidmore, Owings et Merrill se fut refermée sur le groupe. Il y avait déjà, dans la douceur de cette fermeture, dans le glissement serein sur les gonds de cette porte visiblement lourde, quelque chose de la puissance américaine capable de jouer avec des forces sans aucun effort apparent. Cela fit rire certains membres du groupe mais Jean-Michel Lestrade ne put s'empêcher de regarder en détail le fonctionnement des huisseries et la manière dont cette porte était installée dans sa façade. Mais déjà, la petite troupe entamait la visite au pas de charge, sous les ordres du tambourinement des talons aiguilles d'une jeune secrétaire qui servait de guide. Et ce fut l'un des plus beaux moments de la vie de Jean-Michel. Tout, absolument tout lui plaisait : du dallage brillant à la vivacité des secrétaires de direction allant d'un bureau à un autre, de l'efficacité visible et palpable à l'énergie joyeuse d'un personnel certain de ses qualités et de son rôle, tout séduisit immédiatement l'ingénieur français qui pensa soudain au petit bordel poétique mais d'un autre siècle de son bureau en France. Ici, le moindre dessinateur, la plus petite arpette étaient en costume comme s'ils allaient se rendre l'après-midi même à un rendez-vous avec la Présidence. Ici, la moindre chiure de gomme avait appris qu'elle devait d'elle-même se rendre dans la poubelle. Ici, la danse des rouleaux des calques et des bleus était réglée au millimètre par un Maître de Ballet invisible. Mais ce qui surpris encore plus Jean-Michel Lestrade c'est que cette organisation sans faille, cette discipline des personnels et des objets eux-mêmes se faisait dans une politesse, une joie de vivre et des sourires permanents. On s'arrêtait volontiers pour répondre à ces frenchies, on leur souriait, on avait plaisir à montrer son travail, à suspendre sa tâche pour tout expliquer de son rôle, chacun donnant l'impression que sans lui, cette agence ne pourrait pas tourner, chacun fier de son métier, de la charmante secrétaire traduisant dans un français parfait, au grouillot traçant des lignes ou même à l'agent d'entretien des toilettes vous servant du Yes Sir comme si vous étiez le plus important client de l'agence. Jean-Michel était comme saoul, comme pris par un vertige joyeux, comme assommé par la soudaine distance qu'il pouvait exister entre ce mode de fonctionnement et celui des agences en France. Il aima sans détour cette puissance, il aima cette organisation, il aima même l'idée de n'être finalement qu'un rouage d'une machine créative aussi parfaite. Les chiffres d'affaires, les surfaces, les hauteurs, tout était proprement vertigineux et c'est la joie qui permettait à Jean-Michel de tenir debout, de ne pas faire un malaise ou même, a contrario, de se retenir trop visiblement de jubiler. Il avait envie de courir dans les couloirs, de tout voir, de tout toucher, d'ouvrir toutes les portes. Les dessins majestueux des futures réalisations qui semblaient faits à la machine, la lumière qui baignait ces bureaux finirent de le shooter. Et, soudain, sous une vitrine, il vit la maquette d'un projet en cours de réalisation, le siège d'une compagnie d'assurances. La maquette d'une grande beauté simple savait à la fois montrer le plan masse mais aussi les détails sans tomber dans le ridicule compassé d'une miniature pour train électrique. La jeune guide prit alors une longue baguette fine pour montrer et expliquer en détail ce projet en cours de livraison à Bloomfield. Cette longue baguette qui tapotait parfois le verre de la vitrine était bien une distance professionnelle face à un objet d'étude. On ne touchait pas avec les mains. On ne faisait pas de buée sur les vitres en s'approchant de trop près. On regardait depuis cette distance l'objet comme s'il s'agissait d'un coffre à bijoux chez Tiffany. Puis, soudain, la baguette parfaitement disciplinée par la jeune femme fit un grand cercle dans les airs et vint cogner un dessin technique sur l'un des murs opposés pour signaler ici le travail des joints, là l'épaisseur du métal ou encore comment les éléments du mur-rideau venaient toucher la structure. La petite troupe ne put retenir un soupir d'admiration autant adressé au génie du travail d'ingénierie qu'à la parfaite chorégraphie de la jeune femme. On alluma frénétiquement une Lucky Strike glissée dans le magnifique étui de cuir et de métal brossé marqué du blason de l'Agence que chacun avait reçu à l'entrée en cadeau de bienvenu. Un immense cendrier de cristal taillé devant peser une tonne recevrait de manière hygiénique les cendres. Un silence se fit. Jean-Michel but son premier Coca-Cola offert sur un plateau avec une minuscule serviette comme s'il s'agissait d'une flûte de Champagne. Skidmore, Owings and Merrill serait pour Jean-Michel Lestrade le modèle à jamais rêvé pour son agence.............................
.............................................................................




...............................................................................................
...................................................

 - Gothique, oui ! C'est ça. Tu vois, je crois que rien ne vaut dans l'histoire de l'architecture ces moments où la technique sert l'architecture, où il est difficile de dire ce qui soutient l'autre. Je crois que certaines inventions techniques ont fait plus pour l'architecture que certaines idées générales de l'architecture.
 - Mais Grand-Père, c'est un peu euh... ancien non le gothique ! Tu ne crois pas à notre époque ?
 - Comment tu peux penser ça Alvar ? Bien sûr que si ! Tu vois et je vais sûrement te surprendre mais je trouve que, ah... Euh... Comment ils s'appellent... les italiens là.... qui ont fait Le truc Pompidou ?
 - Tu veux dire Rogers et Piano pour Beaubourg ?
 - Oui ! Voilà ! C'est ça et bien, Bon Dieu, quelle belle machine ! Non ?
 - Euh si...
 - .... tu as vu le dessin des poutres et des raccords ? Et quelle idée cette structure ! Formidable ! Voilà ce que j'aime eh bien, pense ce que tu veux, mais pour moi c'est bien plus proche du gothique, de cet esprit-là que de la soi disante Pop Culture ! Ces deux types ont offert à Paris un chef-d'œuvre ! Ça m'étonne pas que Prouvé soit dans le coup. C'est son genre ces machines. Heureusement qu'on n'a pas eu l'un de ces délires pseudo-utopistes à la con.
 - Tu parles de quoi par exemple ? demanda Alvar toujours curieux des colères de son grand-père Jean-Michel.
 - T'as pas vu toutes ces monstruosités au moment du concours ? Chacun faisant son petit caca sculptural et égocentrique ! Non franchement... Ouf !
 - Ba moi, j'aime bien ces délires, ça parle de l'époque, celui de Parent par exemple était vachement culotté et...
 - Parent ? Claude Parent ? C'était quoi déjà son projet ?
 - Une pyramide creuse couverte de végétal avec une grue au sommet, Papy.
 - Ah oui ! Formidable ! Si ! Comme un dessin de Lequeux ou de Boullée ! Ça au moins c'était de l'humour ! Il est marrant ce Parent avec sa théorie. La... Tu sais, la théorie des pentes...?
 - ... Fonction Oblique, La Fonction Oblique, Papy.
 - Oui ! Quelle drôlerie ! Mais ça marche ! J'ai vu son bunker, là, tu sais à Nevers. Ils y sont pas allés de main morte ! Les salauds ! Quelle machine ! Voilà de l'audace, bien envoyée ! Quelle gueule ça a !
 - Pourtant ça ne te ressemble pas d'un point de vue technique, précisa Alvar.
 - Non, sans doute reprit Jean-Michel mais les bonhommes, ils ont su faire passer ça. Et si finalement, vois-tu, d'un point de vue du béton, de sa construction même c'est une merveille cette épaisseur faite de vide, cette image forte faite de peu de matériau. Formidable !
 - Tu as travaillé pour eux ?
 - Pour Parent ? Non. Non. Je l'ai rencontré assez souvent mais jamais de vraies relations de travail.
 - Qui tu admirais le plus à cette époque ? Pour qui tu aurais aimé travailler ?
 - Oh... Personne... Pas en France... Non... J'aurais aimé tailler les crayons pour Weiskopf chez Skidmore, Owings et Merrill. Ça m'aurait suffi comme ambition. Tailler des crayons chez eux ! Ça c'était et c'est toujours des génies. Une tranquillité puissante. La seule vraie force nécessaire en architecture. Et la vache, ils avaient de sacrés beaux morceaux de secrétaires... Fallait voir ça arpenter les bureaux mon Alvar ! Les américaines... Alvar... Oh... Les américaines et leurs talons aiguilles......................................................

........................................................................

2 octobre 2016
Denis avait toujours une admiration pour l'endormissement immédiat de Jean-Jean dès qu'il était couché. Lui, devait se retourner, trouver le bon angle pour son oreiller, la hauteur idéale de sa couverture avant de pouvoir trouver le sommeil. Mais surtout, il devait passer par une sorte de corridor de pensées, de réminiscences, de souvenirs récents ou plus anciens avant de sombrer. Il essayait également de se voir partir dans le sommeil, d'en avoir la conscience ce qui, certainement, ne devait pas aider ce sommeil à le saisir. Ce soir, il pensait à ces conversations des adultes riant des enfants en leur disant qu'ils verraient bien quand ils seraient parents à leur tour. Cela avait toujours troublé Denis qui, très jeune, avait bien compris d'une manière à la fois diffuse et précise que cela ne serait pas son histoire, enfin pas de la manière dont elle était évoquée par ces paroles parentales. Il se retourna et regarda Jean-Jean endormi, et il se dit qu'il aimerait tant avoir un enfant avec lui. Un mélange de lui-même et de son ami. Il savait bien que cela était impossible, il savait bien qu'il faudrait si l'occasion de leur histoire le permettait, choisir qui serait le père. Puis Denis fut outré de lui-même, d'avoir soudain ce genre de pensées. Après tout, ils étaient jeunes, lui n'avait que vingt et un ans et Jean-Jean tout juste vingt. Comment pouvait-il déjà penser à une telle chose, sa paternité ? Mais il décida de prendre cette question au sérieux, de se faire un petit film, de rêver à cette famille qu'il voulait fabriquer. Il ria même sous les draps en imaginant Jean-Jean enceint comme dans le film de Jacques Demy. Mais une fois son rire écrasé contre le drap coloré, une douleur sourde arriva du fond de son esprit, quelque chose d'incontrôlable et il se mit à sangloter. Il essaya, comme pour son rire, de l'étouffer mais c'était trop tard, Jean-Jean se retourna et se réveilla.
 - Qu'est-ce que t'as ? Tu pleures ? demanda Jean-Jean un rien confus.
 - Non, non, au contraire je rigole, désolé de t'avoir réveillé affirma avec aplomb Denis.
 - Et je peux savoir ce qui te faire rire comme ça ?
 - Rien, rien, je ne sais pas moi-même, sans doute un rêve, rien, rendors-toi.
 - Putain... Fais chier Denis... dormais bien, et....
Jean-Jean n'eut pas le temps de finir sa phrase qu'il s'était rendormi.
Denis pensa à toute la mécanique, toutes les stratégies qu'il faudrait mettre en place pour fabriquer avec Jean-Jean un enfant qui aurait au moins la moitié du couple comme héritage génétique. Il repensa à un autre film qu'il avait vu où le couple gay faisait l'amour à une femme et laissait le hasard décider de quel sperme serait le plus fertile pour la mettre enceinte. Et comment choisir cette femme ? Il se voyait allant un matin faire un prélèvement, il voyait les rendez-vous, les explications délicates avec ses parents, les médecins, les images crues que cela ne manquerait pas d'évoquer dans les conversations, sa difficulté toute simple à prononcer en public le mot sperme.
Finalement, trop tourmenté, Denis se leva. Il reprit sur son bureau qui n'était bureau que parce qu'il avait attribué à cette planche ce mot, le petit dossier qu'il avait dû faire pour son devoir d'histoire de l'architecture. Il se gratta le front et coinça sa main droite sous son aisselle gauche comme il avait l'habitude de le faire. Sa main gauche feuilleta les notes et la bibliographie. Il trouva son devoir un peu trop sage et, ici ou là, il trouvait le chapitrage un peu serré. Il rouvrit même son ordinateur pour revoir sous Keynote sa conférence qu'il devait faire demain matin à l'école. Son titre s'ouvrit de suite : La beauté de la structure, esthétique de l'ingénieur et pragmatisme affairiste chez Skidmore, Owings et Merril entre 1955 et 1975. 
Il se rappela son choc pour la superbe Chapelle pour l'Air Force ou pour la Tour Sears. Il avait fait toute une sélection de documents photographiques dans le fonds d'archives Lestrade. Jean-Jean l'avait beaucoup aidé. Denis m'avait fait relire son texte que j'avais trouvé un peu trop sérieux, un peu trop impersonnel mais solide, bien étayé et surtout bien documenté. Claude avait eu la gentillesse de lui corriger les fautes d'orthographe mais n'avait pas vu, tout comme Jean-Jean, Denis ou moi-même qu'il manquait un L à Merrill. Son enseignant ne le verrait pas non plus, ce qui n'étonnera personne.
Denis baîlla devant son écran. Il alla pisser. Il revint dans le lit.
Il se coucha tout contre Jean-Jean qui grommela encore, sans cette fois, se réveiller.
Il fut surpris à son tour de se réveiller d'un coup à 7h30 sans, une fois de plus, avoir pu saisir sa chute dans le sommeil.














Par ordre d'apparition :
 - Photographie de Erza Stoller, l'Architecture d'Aujourd'hui, 1959, Fonds d'archives Lestrade.
 - deux cartes postales des éditions K, sans date ni nom d'architecte. On notera que Erza Stoller a réalisé le cliché de la deuxième carte postale ainsi que l'ensemble des photographies de l'article paru dans l'Architecture d'Aujourd'hui, ce qui est une coïncidence un peu étonnante.
On notera que l'éditeur de cartes postales souligne que cette architecture de Skidmore, Owings et Merrill a obtenu de nombreux "Honors" dont le " Ten Buildings in Amirica's Future".
 - Photographies de Erza Stoller, l'Architecture d'Aujourd'hui, 1959, Fonds d'archives Lestrade.
Merci de ne pas copier et publier sans autorisation de la Famille Lestrade.

mardi 11 octobre 2016

La Belgique métallique



Vous avouerez que c'est rare que je commence un article par le verso de la carte postale.
Vous avouerez aussi qu'il est rare que, sur ce verso, soit inscrite une si triste sentence :
"Le bâtiment est détruit entièrement depuis 8 jours."
Mais, après tout, des bâtiments détruits, il y en a tous les jours. Oui, sans doute, mais d'aussi beaux que celui-ci, avouez que c'est dur à constater :



J'entends les Wahou depuis chez moi et votre dépression à cette nouvelle fait des ondes jusqu'à mon bureau.
Oui, ce magnifique immeuble, ce chef-d'œuvre d'ingénierie et de métal a bel et bien disparu. D'abord rendons hommage à ceux qui nous permettent de le découvrir. Il s'agit d'une carte postale aux éditions CROMO sans nom de photographe ni d'architecte qui nous montre, ah oui, je ne vous l'ai pas dit, qui vous montre l'immeuble Delta Hainaut à Mons en Belgique. On regrettera de ne pas avoir le nom du photographe qui fait là un travail absolument remarquable nous plaçant l'angle du Delta Hainaut dans l'œil ! Restant à hauteur d'homme, on admire aussi comment il maintient la verticale sans doute redressée par l'appareil photographique et comment il cadre la construction entre deux bords frangés de feuillage. Mais cela nous permet une lisibilité parfaite des qualités de ce Delta Hainaut, sa somptueuse (oui!) façade de métal, sa tour centrale, visible dans l'ombre et les pilotis de métal qui viennent récupérer les charges. À la fois prisme flottant et boîte légère, ne doit-on pas aussi remercier le ou les architectes qui ont réalisé ce magnifique exemple de bâtiment à vocation de services administratifs ? Oui.





Et là, franchement, on a de la chance... En effet, il se trouve que ce Delta Hainaut fut publié en 1965 dans notre revue fétiche l'Architecture d'Aujourd'hui !
Remercions messieurs Renold Lavend'homme, Jacques Monniez, Raymond Tilte, Gérard Bronchart, Marcel van Wetter !
Et quel article !
On peut mieux saisir son plan triangulaire et surtout la répartition des charges mais aussi voir de belles photographies dont une de l'angle, totalement abstraite. Remercions René van der Berghe pour ses très belles photographies.

















Alors... Pourquoi et comment un tel chef-d'œuvre belge a-t-il disparu ?
Il a brûlé...
Les images sont terribles et permettent de voir que ne subsistera de cet incendie uniquement que la tour intérieure en béton.
http://www.panoramio.com/photo/12584829
Pour lire la vidéo, cliquez sur l'image :



Comme l'événement tragique a eu lieu précisément le 7 août 1990, on peut donc dire que l'indication sur la carte postale date, elle, du 15 août 1990. A-t-elle été achetée à dessein pour maintenir le souvenir et le lier à une actualité brûlante ? On notera tout de même que l'édition de cette carte postale est très largement antérieure à l'événement.
Remercions donc les éditeurs de cartes postales qui maintiennent dans leurs images les belles créations architecturales. Remercions mon frère Christophe qui m'apporta hier matin cette carte postale dans un petit paquet d'autres cartes achetées sur le vide-grenier d'Elbeuf. Le mystère sur la venue de cette carte postale jusqu'à Elbeuf reste entier.

dimanche 9 octobre 2016

Pow ! Pow ! Pow ! Pologne !

Dans un pays du bloc communiste, on a donc bien construit des églises catholiques, ne l'oublions pas. La Pologne, pays où les femmes doivent encore se battre aujourd'hui pour maintenir le droit à l'avortement, ce pays a sur son territoire quelques joliesses brutalistes et soviétiques dont nous nous régalons chaque fois que c'est possible.
Vous en voyez là un exemple :



Bien évidemment, l'œil y reconnaît immédiatement quelque chose de Ronchamp dans des plis et des courbes s'embrassant à l'envi, formant des trouées, jouant d'une masse dont il est difficile de sentir le plan. Depuis ce point de vue, on pourrait rapidement croire (oui), croire la bâtisse fermée sur elle-même, impénétrable comme un bloc. Ce qui adoucit cette sensation (peut-être à regret d'ailleurs) c'est le choix des matériaux, notamment du bois, qui réchauffe un peu par la tradition les formes totalement modernes de cette église.
On aime prononcer bâtisse presque bastide devant un tel monument. Si on regarde bien, on devine des incisions qui naissent des pans des murs se pliant comme des papiers.
La carte postale est très informative comme souvent d'ailleurs les cartes des pays du bloc de l'Est qui offrent aux touristes l'occasion d'apprendre plein de choses. Ici les éditions Krajowa Agencja Wydawnicza nous donnent donc le nom de l'architecte de cette église à Cracovie (Krakow) Monsieur Wojciech Pitrzyck, le nom du photographe S. Jablonska et la date : 1977 !
Je ne trouve rien dans mes archives sur cet architecte...
Et cette date m'étonne beaucoup !
Mon étonnement d'abord pour la forme même qui m'aurait semblé plus ancienne et pour la période qui laisse penser que l'église catholique pouvait donc dans cette période construire de pareilles églises aussi formellement puissantes, affirmées et ambitieuses et sans doute, onéreuses...
Il me faudra mieux regarder les relations tumultueuses (ou non) entre le pouvoir et l'église dans cette Pologne de la fin des années 70.
Mais mon œil glisse aussi sur le ça de cette photographie représenté par cette jeune femme au premier plan, dos tourné vers nous, pantalon rouge éclatant, qui regarde l'église et nous propose de suivre son regard.



J'avoue avoir du mal à croire à une présence de hasard mais croire plus volontiers à une présence désirée, un peu comme John Hinde plaçant au premier plan, toujours une personne avec un pull rouge sur ses éditions de cartes postales.
Vous trouverez facilement sur l'Internet toutes les informations nécessaires sur cette construction.
Je me permets de vous conseiller celui-ci :
http://szlakmodernizmu.pl/szlak/baza-obiektow/arka-pana
et celui-ci :
http://www.france24.com/fr/20161006-avortement-pologne-parlement-rejet-droit-ivg-conservateurs 



 



samedi 8 octobre 2016

Brasilia avec un Z



Jean-Michel Lestrade avait quitté le groupe, enfin, il avait surtout laissé l'écart se creuser entre lui et eux, un peu comme une vague abandonne sur la plage le petit morceau de branche. Il se retrouvait donc là, sous le ciel immense de Brasilia, l'œil ouvert sur les formes affirmées de Niemeyer.
Jean-Michel regardait l'échafaudage qui se glissait sous la coupole inversée du Congrès et donnait l'impression que c'était celui-ci qui arrondissait le bord comme la main d'un potier serre la terre sur une assiette. Jean-Michel se vit alors sans aucune peur ni même sans aucune question se diriger vers cet échafaudage. Puis simplement, il passa le pied puis la jambe puis le corps tout entier dans la structure. Il devint une petite araignée dans une toile de tubes métalliques. Arrivant enfin à la petite échelle posée au sommet, il se décida à poser le pied sur la construction. Sa solitude se brisa d'un coup car il trouva au milieu de l'immense cercle deux ouvriers, spatules en main, en train de boucher quelques aspérités. Les deux ouvriers ne furent pas surpris, ne bougèrent que la tête pour accueillir l'intrus. Finalement, cette indifférence troubla Jean-Michel Lestrade qui s'attendait à être repoussé. Sans doute que son costume, son attitude avaient pu le faire passer pour quelque autorité ayant droit à cette promenade. Jean-Michel marcha sur le bord de l'immense disque et comme le bras du tourne-disque, il finit, en une spirale délicate, par terminer sa course au centre, à genoux avec les maçons, regardant ce qu'ils étaient en train de faire. On ne se parla pas ou peu, on se sourit, on se redressa, on regarda le ciel et les nuages posés sur une couche de l'atmosphère plus dure qui aplatissait leur base. Le vent était terrible et le bruit toujours lointain comme si les sons de cette ville finissaient eux-aussi toujours par se perdre, ne sachant plus à qui s'adresser. Jean-Michel vit alors au loin un petit troupeau joyeux et désordonné. C'était bien son groupe qui soulevait un petit nuage de poussière rouge. Soudain, Jean-Michel comprit la distance qu'il y avait eux et lui. Il comprit cette différence. Il pensa alors à sa solitude, toujours amie, toujours nécessaire, toujours joyeuse, toujours source d'énergie pour retrouver les autres. Il pouvait alors mieux les écouter à son retour.
 - Eh bien Jean-Michel ! Vous nous aviez perdu ? demanda l'un des deux guides qui accompagnait la petite troupe d'architectes français à Brasilia.
  - Non, non, je crois bien que c'est vous qui avez perdu quelque chose, répondit Jean-Michel avant, dans un enthousiasme délirant, de raconter à ses amis son aventure vécue sur le plat d'une des plus belles formes du Monde.




....................................................................................
.................................................................................................................................................



 - Tout un mois ! Non, ce n'est pas raisonnable Jocelyne et tu le sais bien. Je ne crois pas que je puisse faire ça et laisser l'agence alors même que je termine les chantiers de Royan et que...
Jocelyne coupa net Jean-Michel.
 - Justement ! Tu auras fini ! Regarde bien les dates ! Tu auras fini à Royan. Et Nikos t'a dit qu'il n'aurait les plans du chantier de Marly que deux semaines après c'est même toi qui m'avais dit que nous pourrions envisager de profiter de cette quinzaine pour partir un peu. Tu repousses ce chantier à venir avec Nikos qui est déjà au courant et tu peux partir c'est facile écoute !
 - Et je te laisse seule avec les garçons ? Pendant un mois !
 - Mais je ne suis pas seule, je suis avec Yasmina. Je lui ai parlé hier et nous sommes d'accord, c'est important pour toi d'y aller. C'est un beau voyage et tu le mérites. Tu n'as presque pas arrêté depuis la création de l'agence. Non, non, tu vas y aller et s'il le faut, j'irai moi-même chercher les billets. Ça te fera du bien d'être tout seul et de nous oublier un peu et surtout de ne plus être sur le feu des coups de fil.
 - Je sais pas... Enfin, bon oui, le programme est alléchant, surtout le Congrès à Brasilia mais c'est cher aussi, 600.000 francs tout de même et on doit changer la voiture et...
 - Tu viens d'être payé pour tes chantiers, la maison tourne, la voiture attendra la rentée. La Traction fera bien un mois de plus ! Et j'ai fait mon petit héritage. Tu vois, tout est calculé, j'ai tout calculé avec Yasmina, j'ai appelé Nikos. Même les garçons sont au courant que tu vas partir un mois.
Jean-Michel reprit le programme dans ses mains. Dans sa tête, il lisait la liste des architectes indiqués : Marcel Breuer, Pietro Belluschi qu'il ne connaissait pas ou encore la superbe et énorme agence Skidmore, Owings et Merrill dont la force le faisait rêver. Mais surtout, Jean-Michel regardait la petite ligne qui affirmait que ce voyage au U.S.A pouvait être combiné avec le Congrès de Brazilia, Brasilia écrit avec un Z. Il entendit alors la voix de Jocelyne.
 - Oui Mademoiselle, je voudrais BAL 59-41, oui 41. Merci.
Jocelyne tendit le combiné à Jean-Michel qui entendit une voix lui dire :
 - Riss et Compagnie, Bonjour Monsieur, que puis-je faire pour vous ?

Par odre d'apparition :
 - carte postale de la chambre et des édifices du Congrès, Brasilia, éditions Colombo non datée, Sans nom de photographe ni même d'Oscar Niemeyer, l'architecte.
 - prospectus, Fonds Lestrade, merci ne ne pas dupliquer sans autorisation de la famille Lestrade.


lundi 3 octobre 2016

Sarcelles pull rose, pull jaune, pull noir

Tout a été dit et écrit sur Sarcelles. De ses espoirs à ses défaites, de sa construction à sa déconstruction. Sarcelles est devenue un symptôme alors qu'elle fut un espoir, au moins, une réponse. Je n'ai pas les épaules théoriques ni encore moins l'expérience d'y avoir vécu pour discuter la légitimité de ce revirement.
Il suffit, c'est vrai, de voir d'autres villes nouvelles sorties de rien quelques années plus tard pour comprendre le difficile compromis qu'avait tenté Sarcelles. Grand nombre et coût réduit.
Aujourd'hui, je vous montre dans ce très grand ensemble un bâtiment superbe un peu oublié qui pourtant à lui seul pourrait montrer aux plus récalcitrants que les architectes de Sarcelles comme Monsieur Labourdette n'étaient pas des imposteurs.
Il s'agit du  Hall ou Palais des Expositions :



Sur cette carte postale Guy pour André Leconte on peut facilement juger de la grande beauté abstraite de ce Palais des Expositions de Sarcelles. Posé sur un socle léger qui le soulève de seulement quelques centimètres et qu'une volée de marches permet de rejoindre, le voici, affichant une modernité froide, boîte de verre presque totalement ouverte que le grand toit plat vient couvrir en débordant largement de sa façade. On pourrait en tirant la corde, y voir un hommage à une architecture allemande digne de Mies van der Rohe tant le bâtiment expose sa structure, ses espaces, sa transparence. Bien évidemment s'ajoute à sa réalité le contraste saisissant avec le paysage des barres grises et régulières en arrière plan dont j'aime tant la rigueur et l'absolue détermination.
Sur cette carte postale, passent des enfants comme nous avons maintenant l'habitude de le constater sur les cartes postales des Grands Ensembles. Ici, trois petites filles se promènent sans que l'on puisse juger de la raison de leur présence ni de leur solitude. Elles profitent du bassin. On remarquera que les coloristes de cartes postales ont choisi des couleurs sans doute à rebours de la prise de vue car la photographie est bien en noir et blanc. Rose, jaune, noir. La blouse, elle, est toujours grise. On placera un point rouge sur la robe de l'adolescente montant les marches à l'arrière plan, superbe idée du contre-point coloré. Bassin et ciel se répondent. Au milieu la ville.
Il va de soi que cette présence enfantine sert l'image de la ville mais j'arrête tout de suite ceux qui voudraient y voir une image politique ou d'autorité tentant de troubler (et adoucir) l'image du vivre à Sarcelles. Il arrive aussi que les enfants passent devant les cadres des appareils photographiques. Regardons une autre carte postale de ce Palais des Expositions :



Cette fois c'est l'éditeur Mage qui régale. On notera la différence de procédé d'imprimerie, cette carte est plus récente et se vante de ses couleurs naturelles ! On voit aussi comment finalement ce Palais des Expositions tout de verre devient comme une pierre noire brillante. La transparence disparaît au profit d'une ombre, d'un monolithe dur qui, dans ce glaçage me fait vraiment de plus en plus penser à Mies. La photographie ne dit rien vraiment de l'usage. Personne n'entre ou ne sort, personne ne se promène sous l'auvent débordant, aucun signe ne permet de dire ce qui se passe à l'intérieur. Aucune correspondance ne permet d'ajouter à l'image son usage. Le photographe choisit son point de vue, une fois encore, avec des présences d'enfants. Les filles portent des blouses bleues cette fois. Aucun adulte. Mais que ce Palais est beau !
"Quand je devais définir un projet, que j'en mesurais les conséquences et l'ampleur de ma responsabilité, je me sentais aussi puissant qu'un prince."
Voilà qui, rapidement, pourrait faire passer Jacques-Henri Labourdette pour un mégalomane. Pourtant, il suffit de parcourir son livre pour se rendre compte que Sarcelles fut pour lui un véritable lieu et non une simple opération. Il faut aussi lire son témoignage sur Françoise Choay qu'il accompagne dans les rues de Sarcelles pour comprendre le malentendu sans doute un peu bavard que cette ville est devenue.
Aimons Sarcelles. Non par obligation mais parce que l'histoire doit passer, qu'elle passe, et que tout, tout finit par se construire même l'écheveau délicat des erreurs et des réussites.

Une vie, une œuvre, Jacques-Henri Labourdette architecte.
Jacque-Henri Labourdette
édition Gilletta.Nice Matin 2002.

samedi 1 octobre 2016

Venturo House entre mer et forêt

 

Sur une carte postale multi-vues finalement d'une grande banalité, faisant le jeu du tourisme maritime, de la pratique de la voile et des bateaux, apparaît tout de même une énorme surprise.
Comme quoi, il ne faut négliger aucune piste !



D'abord le document : la carte postale est une édition Belles Éditions de Bretagne et le photographe est nommé, Monsieur Y. R. Caoudal. La carte fut expédiée en 1979 mais est sans doute plus ancienne. Elle nous informe que le bâtiment qui nous intéresse tout particulièrement serait le Grand Centre de Yachting de Port-la-Forêt. Aucune mention, cela va de soi de l'architecte de cette construction qui n'est pas sans évoquer les expériences de Chanéac. Mais il s'agit d'une maison Venturo (Venturo House) dessinée par un architecte que nous connaissons ici pour une autre production : Matti Suuronen, l'architecte des soucoupes Futuro..
Car, oui, ce que nous aimons voir sur cette carte postale c'est bien cette construction faite de coques en plastique et qui est directement sortie d'un imaginaire rétro-futur. Le modèle est grand, posé directement sur le sol et on devine un hublot ouvert sur le toit. Ne vous précipitez pas à Port-la-Forêt pour le shooter, l'acheter, il a bel et bien disparu. Je n'ai pas trouvé d'informations sur sa venue ici, ni sur le modèle exact ni encore moins sur sa disparition.
Pour cela, il est aisé de trouver sur l'Internet de nombreux sites qui évoquent cette architecture. Je vous conseille la visite de celui-ci qui permet de voir aussi la mécanique de la maison. La page Wikipédia est bien faite aussi. Mais... on reste circonspect (oui) sur l'arrivée en France sur les côtes bretonnes d'une telle maison. Comment le Yachtclub de Port-la-Forêt a-t-il fait ce choix ? Quel représentant en cravate et costume sera venu faire l'éloge de ce type de bâtiment ? Quel marin breton, échoué sur les côtes de Finlande, aura découvert et souhaité l'un de ces modèles pour son port d'attache ?
Pour lire ou relire les articles sur la Futuro :
http://archipostcard.blogspot.fr/search?q=futuro