lundi 29 février 2016

Une dernière lettre

 


Monsieur Parent,
J'avais acheté cette carte postale pour vous l'envoyer à votre anniversaire. Comme un imbécile, j'ai oublié de le faire, alors, parce qu'il n'est jamais trop tard, je vous la dédie.
Cette carte postale me parle de vous. D'abord par son sujet qui est la grotte de Lourdes, celle par laquelle vous avez en partie commencé votre carrière, première grotte de votre œuvre, la grotte réelle, fendue et largement ouverte sur le monde, architecture des gens à genoux, architecture du miracle. Vous l'avez respectée, aimée cette première grotte, je me rappelle comment vous m'aviez dit dans un rire que vous aviez toujours été suivi par Bernadette, mystérieusement, comme ça, comme si c'était une cliente de l'agence.
Vous avez fait peu de choses dans cette première grotte, on dit, modestement, que vous l'aviez réaménagée. En fait, vous nous l'avez offerte au regard, vous l'avez redonnée à la prière, vous en avez donc redéfini le programme architectural en quelque sorte. Quelle drôlerie ! En vidant les lieux, les donner à voir, permettre enfin que le rocher, sa surface, sa courbe, puisse à nouveau par l'œil et par la main, être touchés. Une table, un autel d'une grande simplicité viennent dire sa fonction. Un devant, un dedans, une circulation. L'une de vos plus belles réalisations avant l'autre grotte, celle de Nevers.
Ici, cette carte postale a plusieurs effets parce que, simplement, ce n'est pas celle de Lourdes... C'est une maquette d'une copie future de celle de Lourdes mais, comme vous pouvez le voir, elle reprend votre travail ! Étonnement et compréhension parfaite et populaire de votre travail. Ici, les habitants de Neunkirch-les-Sarreguemines ne savent sans doute pas qu'ils rêvent par cette maquette à l'une de vos interventions. Et puis, c'est modeste. C'est presque joyeux cette maquette, c'est touchant de gentillesse au modèle, à la religion chrétienne et à l'amour. C'est vouloir une image dans le réel d'un lieu loin, c'est une transposition d'une architecture cryptique. Tout cela, c'est vous.
Car, si nous nous sommes rencontrés, si j'ai eu ce plaisir qui était d'abord un immense honneur et une incroyable surprise, c'est parce que vous aviez aimé comment je disais que le bunker de l'église de Nevers était d'abord une image de bunker, comme un déplacement, un glissement. Car les coques de béton font semblant d'être défensives alors qu'elles sont fines et séparées par un vide, vide qui est la vraie grotte de Nevers.
La voici :





Là aussi, on est surpris. On est surpris parce que ce que l'on voit d'abord c'est bien une architecture défensive, massive que l'œil avant le corps reconnaît comme un bunker. On est autant surpris par son surgissement que par la réalité de son existence, que vous ayez pu avec Monsieur Virilio convaincre de la nécessité de sa construction. On est aussi saisi par l'existence même d'une carte postale et que, sa photographie permette aussi, force de l'image, de croire au bunker. Une image populaire pour une architecture expulsant une image. Mais on sait aussi la surprise de cette église, on sait ce que Sainte-Bernadette-du-Banlay cache de lumière et aussi d'expérience du corps devenu actif sur les deux pentes, brisant les perceptions, ruinant les habitudes. On sait aussi que vous veniez vous y asseoir pour entendre et voir comment les habitants vivaient votre architecture. Vous la viviez au milieu de ceux qui en ont l'usage. Vous leur étiez à eux disponible. Aviez-vous envoyé des cartes postales de votre église à vos amis ?
Celle-ci est toujours debout. Classée comme on dit.
D'autres constructions n'ont pas eu cette chance comme la maison des jeunes et de la Culture de Troyes ou comme le très beau centre Thomson-Houston dessiné avec Monsieur Virilio et abandonné par les institutions aux démolisseurs. D'autres attendent des réhabilitations à la hauteur de votre héritage comme la Fondation Avicenne qu'il ne faudra pas abîmer, avec laquelle il faudra être extrêmement délicat. Nous serons vigilants.
Nous avons partagé un combat, celui de Sens, puis un autre, toujours en cours, celui de Ris-Orangis. Nous avons réussi avec une énergie folle à sauver Sens. Sens... ce nom de ville à lui seul maintenant suffit à résumer cette architecture. Je ne dis plus centre commercial de Sens mais simplement Sens. Valeur d'usage du nom d'une ville pour dire l'importance d'une architecture. Nous sommes arrivés à le protéger contre tous ceux qui ne savent pas voir, contre tous ceux qui ne savent pas qu'ils ont un corps. Sens...
Mais je suis déçu. Je n'ai pas dans ma collection de cartes postales, l'ensemble de votre œuvre. C'est ainsi. Tous les bâtiments n'ont pas droit à cet honneur populaire. Alors je me les invente, je me les édite pour nous battre.
Je finirai sur ce verbe car c'est bien toujours d'une bataille dont il a été question dans votre travail. Une bataille contre les préjugés, contre nous-mêmes, contre une architecture parfois oublieuse de l'usager, parfois trop soutenue par l'histoire sans savoir y renoncer. Vous n'aviez peur de rien dans ce domaine.
Sans doute que comme votre ami  Yves Klein vous aimiez les sauts dans le vide.
Bien à vous Monsieur Parent.
Et merci.
David Liaudet










dimanche 28 février 2016

Madame Azoulay ? Êtes-vous avec nous ?

Bon dimanche à tous,
bon dimanche militant, ne lâchons rien même si les remaniements ministériels peuvent nous laisser un peu d'espoir, il faut se maintenir éveillé car les changements peuvent dans un grande redistribution des cartes avoir des effets positifs comme négatifs... Soyons vigilants...
Donc, je vous donne à lire le communiqué de presse concernant le combat pour la CPAM de Vigneux-sur-Seine qui sera désormais un test pour Madame Azoulay, test nous permettant de voir comment notre nouvelle Ministre de la Culture prendra position sur le Patrimoine architectural moderne et contemporain. Madame Azoulay... Faites quelque chose...

 Le 25/02/2016
     COMMUNIQUE DE PRESSE

LA BATAILLE JURIDIQUE POUR EVITER LA DESTRUCTION DU BATIMENT DE LA CPAM DE VIGNEUX SUR SEINE CONSTRUIT PAR L’ARCHITECTE PAUL CHEMETOV SE POURSUIT.


Le 17 février 2016 l’Agence France Presse diffusait une information relative au jugement du 14 janvier 2016 du Tribunal de Grande Instance de PARIS refusant d’interdire la démolition du bâtiment de la CPAM de VIGNEUX SUR SEINE construit dans les années 1970 par Paul CHEMETOV.
 
Il convient de préciser que Paul CHEMETOV a fait appel de ce jugement qui n’est donc pas définitif.

De ce fait, la société France Pierre 2 a interdiction de procéder à la démolition de l’immeuble de la CPAM jusqu’à ce que la Cour d’appel de PARIS statue sur l’appel de Paul CHEMETOV, et ce en application d’une ordonnance de référé rendue le 8 septembre 2015 dans cette affaire.

Ainsi, la bataille juridique menée par Paul CHEMETOV se poursuit.


Par ailleurs, il peut être fait état des derniers éléments factuels suivants :

- Le 5 février 2016, un représentant du Ministère de la Culture et de la Direction régionale des actions culturelles se rendaient à Vigneux-sur-Seine pour visiter le bâtiment et rencontrer le délégué à la rénovation urbaine de la ville. Le Ministère de la Culture a fait une demande expresse pour qu’un représentant de la mairie rencontre Paul CHEMETOV pour trouver une issue amiable à cette situation.


-  Le 9 février 2016, Fleur Pellerin alors ministre de la Culture et de la Communication écrivait à François de Mazières, député des Yvelines maire de Versailles, qui s’était ému du sort des «Briques Rouges» et de la CPAM de Vigneux-sur-Seine. ¹


« La mairie de Vigneux-sur-Seine a délivré le 18 juin 2015, au bénéfice de France-Pierre 2, un permis de démolir sur le bâtiment de la Caisse primaire d’assurance maladie de Paul Chemetov construit en 1972. Le site comporte également un ensemble de 273 logements HLM, dit des « Briques Rouges, édifié de 1964-1967 et labellisé « Patrimoine du XXe siècle » en 2008, mais qui n’est pas inclus dans le permis de démolir. Le bâtiment des « Briques Rouges » n’étant pas situé en espace protégé, les services déconcentrés du ministère de la Culture et de la Communication n’ont pas été informés ni consultés sur le permis de démolir. (…) Dès que mes services ont été alertés de la menace qui pesait sur l’œuvre de Paul Chemetov, la direction régionale des affaires culturelles d’Ile-de-France a engagé une réflexion avec le maire de Vigneux-sur-Seine pour orienter les projets urbains de la ville vers une meilleure prise en compte du bâtiment. Une réunion s’est tenue en mairie le 20 novembre 2015 avec le chef du service territorial de l’architecture de l’Essonne et le conservateur régional des monuments historiques pour défendre cette position. (…) Comme vous le savez je suis particulièrement sensible à la reconnaissance et à la préservation du patrimoine du XX et XXIe siècles et c’est pourquoi j’ai souhaité inclure, dans le projet de loi relatif a la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine un article concernant le «Label patrimoine XXe siècle», afin de lui donner une existence au niveau législatif. Cette mesure vise à assurer l’instauration d’un dialogue en amont, pour prendre en compte l’intérêt patrimonial et architectural des édifices labellisés.»  

Une menace plus large pèse sur l’ensemble des Briques Rouges, labellisé patrimoine du XXe siècle en 2008. Un protocole de préfiguration des projets de renouvellement urbain de la communauté d’agglomérations de Sénart Val de Seine  daté du  20 décembre 2015, projette la démolition partielle des Briques Rouge à savoir : la CPAM, le monument aux morts, le foyer des vieux, le centre commercial et un bâtiment d’habitation. 
Néanmoins, cet ensemble peut s’adapter aux besoins actuels tout en respectant l’architecture et la protection qui s’y rattache. 
Tel est l’enjeu de cette affaire.
 


C'est moi qui souligne en rouge cette partie de la déclaration de Fleur Pellerin que je vous conseille de mettre en parallèle avec... Son action...
Pour reprendre le cours normal de ce blog, pour évoquer le travail de Paul Chemetov, je vous propose de voir deux cartes postales de la bibliothèque-médiathèque d'Évreux dessinée par le Cabinet Chemetov et Huidobro. Les cartes postales  ne comportent aucune mention d'éditeur ni de photographe, il s'agit sans aucun doute de cartes postales éditées par l'Agence même. Cette affirmation est appuyée aussi par le fait que ces cartes postales me furent gentiment envoyées par Agnès Chemetov. Merci !
Pour revoir le dossier de la CPAM de Vigneux-sur-Seine, allez ici :

http://archipostalecarte.blogspot.fr/2016/02/on-va-rester-poli-encore-combien-de.html

http://archipostalecarte.blogspot.fr/2015/07/le-label-patrimoine-du-xxeme-siecle-est.html

































































Et pour rester dans la grande famille de L'A.U.A, je vous donne également deux photographies prises ce jeudi du palais des Congrès du Mans dessinée par Messieurs Perrotet et Fabre et qui, sous la verdure à son pied, ressemble de plus en plus à une étrange et superbe construction piranésienne :


 



samedi 27 février 2016

Forteresses sans défense

Amusons-nous !
J'ai rassemblé trois cartes postales de trois architectures aux programmes bien différents mais qui ont dans leur forme quelque chose de massif, solide, reprenant un vocabulaire un rien défensif et épais qui évoque un peu (beaucoup) des architectures gaillardes me rappelant (et c'est personnel) des constructions plus guerrières, des châteaux-forts un peu tendres.
D'abord un hôtel !



J'avoue beaucoup aimer cet hôtel Carol à Rimini.
Comment ne pas être séduit par les volumes en béton brut posés sur la façade donnant un aspect de guérites observant le paysage ? La massivité de ces volumes jouant un double rôle de balcon pour l'étage supérieur et de dais pour l'étage inférieur est un geste gratuit, certes, mais rythmant cet immeuble qui, sans ce détail, serait bien simple. On notera aussi que le dernier étage reprend un ourlet épaissi couronnant tout le pourtour et donnant un poids à l'ensemble. On admire les très beaux dessins de ces garde-corps venant bien jouer avec la couleur de la façade. Pour le reste, difficile de dire quoi que ce soit, c'est la limite de l'image. On pourrait (un peu vite ?) y reconnaître le style de Bofill et du Taller de Arquitectura dans sa période Reus. Mais de loin sans doute... On s'amuse du cheminement de la gouttière faisant un angle au-dessus de la terrasse !





Ce qui est certain, c'est qu'il y a bien là un projet stylistique et donc aussi un architecte ayant su affirmer un vocabulaire précis à un commanditaire, ici la famille Gamberini. Mais qui est cet architecte audacieux ?
La carte postale fut expédiée par Marthe pour participer à Tournez Manège...
Ensuite un hôpital :




Une succession de volumes en décrochements répétés et en opposition offrent des ouvertures dans les angles et des murs aveugles. Les épaisseurs, les redents s'associent avec deux tours jumelles en béton brut juste séparées par une liaison fine évoquant des meurtrières ajoutant une massivité bien utile à l'ensemble. Une entrée comme un pont-levis posé sur des pilotis mais ne menant à aucune porte sur le dessus, laisse le visiteur entrer par le... dessous. On en profite pour remarquer que l'expéditeur a fait une croix sur sa fenêtre donnant en plein sur cette surface lisse de béton.



 

L'ensemble ne manque pas d'allure car les volumes accrochent la lumière et forment un ensemble comme construit par étapes successives évitant le bloc ennuyeux. On aime aussi la belle ouverture pratiquée au milieu qu'un escalier permet d'arpenter. Nous sommes à l'hôpital Caremeau de Nîmes. La carte postale est une édition La Nimoise Des Cartes qui ne nomme pas l'architecte.
À nouveau un hôtel :





Alors que le premier plan évoque une mer éternelle, la machine hôtelière se pose sans aucune compromission sur le flan de la falaise semblant même la construire. La dégringolade des chambres sur la pente, leur égalité de traitement semble dire qu'aucune résistance du paysage n'est possible. Comme un dédain affirmé de ce que le caillou en dessous pouvait bien raconter. Un arbuste semble pourtant à lui seul avoir retenu la cascade architecturale. Pourtant deux grosses tours un peu pataudes et laissées grises et totalement aveugles affirment soudainement une verticale dont il est aisé de comprendre le rôle : il s'agit de cages d'ascenseurs permettant de récupérer le niveau supérieur de la falaise qui doit accueillir les vacanciers. Ainsi isolées, les deux tours prennent des allures de vigies grâce à une ombre offrant le détail d'un crénelage digne d'un beau et ancien château-fort. Seuls les voûtains du premier niveau offrent l'occasion d'une légèreté. On aimera aussi le mur de pierre qui retient l'ensemble au sol. Tout le monde a vue sur mer, c'est l'essentiel. J'adore ça.
Nous sommes à l'hôtel Cartago au port de Sant Miquel à Ibiza. La carte postale est une édition Subira sans date ni nom d'architecte, malheureusement...

 

mardi 23 février 2016

Chappis ? Chapeau !

S'il y a encore des lecteurs de ce blog pour douter de la parfaite corrélation entre architecture, photographie et carte postale, je pense que cette dernière leur donnera la raison même de couper court à leur doute et enfin, simplement, de reconnaître qu'il y a parfois des triangles amoureux qui fonctionnent :




Où ?
Chambéry, Place du Stade.
Quoi ?
Un ensemble d'immeubles dont une tour de 15 étages.
Par qui ?
Pour l'architecture, Laurent Chappis, pour la photographie J. Cellard.
J'avoue que je suis totalement amoureux de cette carte postale. D'abord parce que la qualité photographique est remarquable ainsi que son édition. Le champ des tonalités allant du blanc pur au noir profond, la netteté et la profondeur de champ, le choix judicieux du moment ensoleillé sur la façade plein sud, le vide serein d'agitation urbaine et enfin la perspective solide qui fait vriller en pointes ardues l'orthogonalité, tout cela concourt à faire une œuvre non seulement dans le domaine de l'architecture mais aussi de la photographie et surtout de l'édition. Donner ainsi avec cet ensemble de qualité une attention à un objet éditorial aussi modeste dit bien la relation qu'il pouvait y avoir alors au métier mais aussi à l'attention offerte à ceux qui, pour quelques centimes, devront se retrouver dans une image. Jamais, rarement du moins, la carte postale n'a su avec une telle hauteur rendre hommage à la ville. La grande verticalité de l'image, sa puissance de surgissement devant les montagnes au loin, la solidité affichée de son dessin et donc de son plan, tout cela saute à la figure comme une opportunité de dire qu'il y a eu un moment de grâce en France permettant à tout un chacun de se retrouver dans la modernité. Regardez comment la lumière donne tous ses tons sur les loggias en façades, comment cela s'éclaire et se fonce vers le sol. Regardez comme la précision de l'optique et de la perspective nous offre chaque mouvement des lignes fuyantes du moindre ourlet d'un rebord de fenêtre, tout cela accentué par le redressement des verticales dû à la chambre
photographique. Regardez comme l'absence même de couleur nous persuade de la validité de cette architecture de l'un des architectes malheureusement les moins connus et pourtant l'un des plus prolixes, Laurent Chappis qui réalisa quelques très grandes choses, en montagne notamment. Nous aurons à en reparler.
Je le répète mais l'histoire de la photographie devrait un peu moins mépriser ce genre et surtout en nettoyer le cliché du cliché. Car s'il y a aujourd'hui un commun du jugement hâtif de la carte postale comme acte photographique, il serait temps de dire combien nous devons aussi à cet art d'avoir su nous montrer et surtout très amplement diffuser à la fois notre monde mais aussi une qualité photographique impartiale, juste et digne qui ne fait que mettre au service d'un objet architectural l'ensemble de ses qualités sans jugement de valeurs mais dans le souci méritant d'en donner l'occasion du partage. Ce que l'on pourrait appeler un dépassement du genre documentaire. Alors, si je chante l'image, je peux aussi ici chanter l'intelligence de l'architecture de cette tour de Monsieur Chappis. Plan parfaitement orienté, offrant à tous les logements soit un balcon soit une loggia, allègement et surlignage de la hauteur par des fenêtres posées dans l'angle, balcons tournant autour des angles, colonnes à la base soutenant un auvent allégeant la base et la liaison au sol et formant comme un socle, bandeau d'ouvertures des loggias centrées creusant la façade, tout cela provient d'une pensée, d'un plan bien senti que la revue Architecture d'Aujourd'hui salua en... 1954 !


 

 



 




lundi 22 février 2016

Construire sur et avec la fragilité

 

Jean-Michel passait machinalement son pouce gauche sur les croix faites au stylo-bille par Jacqueline, une amie vivant à Garches dans les nouveaux immeubles Grande-Rue dessinés par l'architecte Ginsberg. Jean-Michel en regardant la carte postale coloriée rapidement et un peu légèrement, reconnaissait tout de même son travail et admirait le beau dessin de cette façade épaissie comme repoussée vers l'intérieur du bâtiment. Percées, avancées, trouées donnaient un rythme joyeux et cinétique à cet ensemble d'immeubles dont Ginsberg maîtrisait aisément la modernité. Dans le retrait, des ouvertures immenses et généreuses laissaient entrer la lumière, la façade devenant en fait, ainsi, une sorte de filtre entre l'intérieur et l'extérieur, une politesse du passage.




Jean-Michel chercha un dossier pour y ranger cette carte postale. Il aimait ainsi depuis toujours conserver l'ensemble des documents en liaison directe avec son travail. Tout y passait : articles de presse, cartes postales, correspondances en tous genres, factures et photographies qu'il prenait directement sur le chantier même s'il savait qu'il n'avait pas vraiment un œil remarquable de photographe, d'où sa collection de cartes postales. Il trouva rapidement un dossier déjà établi sur la région parisienne et il y glissa sans même l'ouvrir la carte postale. Il pensa à autre chose oubliant immédiatement ce chantier de Garches et son architecte. Il oublia même de répondre à Jacqueline ce que ne manqua pas de lui reprocher Jocelyne quelques jours plus tard.
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- Oui c'est possible, ça va être un peu fin mais c'est possible.
- Il faut que cela soit fin comme un voile, comme un tissu.
- Certainement, j'entends bien mais faut aussi que cela tienne !
- Alors, vous prenez le chantier ?
- Oui oui, je vais vous calculer ça, laissez-moi disons...15 jours pour commencer et on se revoit, je vous appelle pour vous dire où j'en suis.
- Ok, d'accord, pas plus tôt ?
- Non, j'ai trop de choses en route, et là c'est sérieux vaut mieux pas faire d'erreur. Je pense qu'il faudra peut-être reprendre les études des appuis qui me semblent un peu légers et...
- ... Ah, vous croyez ?
- Je ne crois pas, j'en suis certain. Mais rien qui ne changera le dessin architectural, juste une remise en tension ici et ici sur l'appui central, vous voyez ?
- Oui oui, je comprends, l'idée étant bien de maintenir une ouverture maximum sur tout le périmètre et...
- Oui, oui, ça, il n'y a aucun souci, cela sera ouvert mais une telle finesse devrait peut-être ne pas être en béton mais en métal.
- .... euh... oui... On y a pensé aussi...
- Oui, je crois que cela serait mieux, je fais si vous voulez le calcul pour les deux cas avec estimation du coût mais pour moi c'est quasiment certain.
- Bon, bien, je repasse vous voir alors Monsieur Lestrade.
- Oui. Merci. Appelez-moi.
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 Alvar regardait le relais de Cocody à Abidjan. Il regardait surtout le bâtiment circulaire et son toit si fin ressemblant à une fleur. Il en aimait cette forme et s'interrogeait sur le devenir de la construction.
- Tu vas y aller ? demanda Jean-Jean à son père Alvar.
- Je ne crois pas non !
- Tu devrais pour l'inventaire que tu veux faire.
- Oui, je sais mais là... C'est un peu loin, tu sais, même ton arrière-grand-père n'y est pas allé ! Il envoyait les plans et les calculs aux architectes et c'est tout.
- Mais je croyais qu'il faisait des inspections ?
- Oui, bien sûr, mais pas pour des chantiers si lointains, enfin je crois pas, ce qui est certain c'est qu'il n'est jamais allé à Abidjan. Il est allé au Maghreb au début de sa carrière et tu en connais les conséquences familiales, mais pas en Afrique de l'Ouest.
- Il n'a donc jamais vu la construction ? C'est triste.
- Oui, un peu, d'où sans doute, son goût pour les archives et les images.
- Quand tu es allé au Maroc avec ton oncle, il n'est pas venu ?
- Ah non ! Ni lui ni ton grand-père ! J'ai dû faire le voyage avec Tonton Gilles. D'ailleurs cela fut assez pénible pour eux deux.
- Tu as retrouvé ton vrai grand-père tout de même.
- Oui donc ton arrière-grand père. Mais nous n'avions rien en commun. Il était gentil, heureux de me rencontrer mais je crois qu'il était surtout dans l'attente de revoir son fils et non son petit-fils.
- C'est con tout ça.
- Non non, certainement pas ! Ne dis jamais ça ! C'est des histoires d'hommes, des tentatives de bien faire, des générosités. Tu fais partie de cette histoire. Il n'y a rien à juger. Crois-moi. Mais sois présent à ton histoire. Sois actif, prends-la en charge, guide ce poids vers la terre.
- J'essaie mais cela fabrique des images dont je ne suis pas certain.
Alvar ouvrit alors son portefeuille et tendit à Jean-Jean une photographie. On y voyait un monsieur en costume un peu trop grand pour lui avec une cravate un peu démodée. Sur sa tête un chapeau feutre avec un large bandeau noir. Il souriait à l'appareil photo mais quelque chose d'inquiet et de forcé se faisait voir. Mais surtout, surtout, il était d'une ressemblance frappante avec Jean-Jean comme si on l'avait déguisé ainsi.
- C'est mon grand-père, le père de Papy Momo et donc ton arrière-grand-père, Jean-Jean.
- .... Ah ?
- .... ni.... Papy Momo ni ton arrière-grand-père n'ont vu cette photographie. Jamais. Yasmina oui. Ton arrière grand-mère. Elle en avait une copie. Elle alla même le revoir vers 1982-83.
- Il... Je... On se ressemble...
- Oui ! Je sais ! Tu ressembles aussi beaucoup à ton grand-père Momo. Ce nez et vos yeux. Tout pareil.
- Il est encore vivant ?
- Non... il est décédé bien avant ta naissance. Peu de temps après que Yasmina l'ait revu. Mais il y a des demi-frères et sœurs là-bas. Toute une famille.
- Famille... je ne crois pas que cela soit la mienne... enfin...
- Non, c'est vrai, c'est à toi de décider. De construire ou pas quelque chose sur cette fragilité.

Par ordre d'apparition :
- Garches, les nouveaux immeubles Grande-Rue, édition Abeille-Cartes, sans date ni nom de photographe ou d'architecte.
- Abidjan, vue aérienne des Relais de COCODY, édité par la Librairie de France, photographies de J.C. Nourault. Pas de date ni de nom d'architecte. L'architecte est Henri Chomette.

samedi 20 février 2016

Suprématisme ou Bauhaus socialistes

Il y a des icônes que nous aimons retrouver et qui sont toujours plaisantes à voir. Il y a donc des cartes postales qui nous permettent d'inventer avec elles des relations permettant de pallier l'absence d'une vraie rencontre dans le réel.




D'abord, il faut toujours remercier ceux qui vous ont permis de les rencontrer, de les découvrir. Ne pas faire semblant d'être un inventeur mais dire combien nous devons à ceux qui nous ont donné à voir pour la première fois cette icône. Ici c'est Frédéric Chaubin que je dois remercier car c'est bien dans son livre CCCP cosmic communist constructions photographed que j'ai vu pour la première fois ce ministère géorgien des autoroutes. Ensuite, il faut remercier les auteurs de la construction, ceux qui ont dessiné cette merveille, ceux qui l'ont pensée. Ici nous devons remercier les architectes G. Tchakhava, Z. Djalaganiya, T. Tkhilava, V. Klinberg. Puis nous devons remercier les auteurs de cette image, de cette carte postale qui nous permettent de voir et revoir notre icône, ici d'une très belle manière. Malheureusement en écriture cyrillique, je ne peux pas bien le faire. On notera que la carte postale est datée de 1979. On notera aussi une impression un peu pauvre, un peu limite, dont le calage de la quadrichromie est un rien vite fait, tremblant, mouvant mais cela, voyez-vous, je l'aime bien, cela dit beaucoup des circonstances et de l'idée de perfection d'un monde. Et, la Lada posée dans l'angle ajoute aussi à cette ambiance.
Alors on a déjà chanté ce bâtiment comme un condensé dans le réel des expressions d'un constructivisme et d'un suprématisme qui auraient enfin pu atteindre à la réalité la plus radicale. On a déjà raconté comment les superpositions des barres, les unes sur les autres, dans une simplicité digne d'un jeu de construction, forment là l'extrémité d'une pensée architecturale ayant eu la chance dans son pragmatisme de trouver une politique se reconnaissant dans ce signe architectural évoquant le rôle de cette construction.



Peut-on à la fois faire plus pauvre ou plus pur ? Peut-on réduire davantage l'architecture ? Regardez comme on perçoit au travers des fenêtres, les poutres en diagonale supportant le porte-à-faux ! Sans chichi, sans regret, sans camouflage. Merveilleux !



Voilà une autre carte postale qui a comme point commun une certaine politique.
Nous sommes à Ostrava devant une succession de petites barres toutes identiques. Ostrava est maintenant en Tchéquie. La carte postale d'une facture assez pauvre est une édition Orbis mais sa qualité photographique est réelle. Il y a dans ces petites barres de logements quelque chose hérité du Bauhaus dans l'arrondi des balcons, leur liaison avec la cage de verre et la radicalité d'un dessin pur sans ornement autre que la grille des ouvertures très généreuses d'ailleurs. On peut comparer ce dessin avec celui de la barre de logements à gauche bien plus pauvre en termes de dessin. On notera là aussi, comme chez nous, la présence des enfants venant voir le photographe et restant à une distance respectueuse. Si on va sur Google Earth on retrouve ces petites barres, toujours debout, toujours occupées. Qui aujourd'hui en envoie des cartes postales ? Y en a-t-il encore de disponibles ? qu'est devenue cette fierté d'image ?
Bien évidemment je n'ai pas le nom du ou des architectes ayant réalisé ces immeubles appelés par la carte postale : Ostrava-Stalingrad, Dvouletkové domy...









mardi 16 février 2016

Herbé, Alger, élevé

Prise comme au coin de la rue, en noir et blanc mais profondément coloriée, surtout pour son ciel devenu un aplat bleu, la carte postale Jomone d'Alger nous laisse voir la superbe Cathédrale (ou Basilique) d'Alger, œuvre majeure de Paul Herbé, Jean Le Couteur et de l'ingénieur Sarger.



Œuvre majeure pourquoi ? Sans doute parce que peu de constructions semblent tenir ainsi la promesse d'une technicité poussée à son comble, celle des voiles en béton et d'un élan vers le ciel lui donnant symboliquement sa place et un lyrisme puissant. De plus la Basilique d'Alger revendique fièrement cet héritage et même en fait son centre, en laissant apparent en grande partie son béton brut de décoffrage comme savent le faire les constructions dont l'ingénierie n'est pas une coquetterie mais un sens absolu à leur fonction : ici un art sacré ambitieux, joyeux et élancé.




On notera que la carte postale ne nomme pas les architectes mais nomme Alger El-Djezair. On notera également que le correspondant ne fait aucun commentaire sur son choix pour cette architecture si particulière.
Vous me direz que la carte postale ne donne pas grand-chose à voir hormis l'immense cône qui s'élève dans le ciel. Alors, pour m'excuser, je vais vous faire plaisir avec des extraits d'un très bel ouvrage consacré à Paul Herbé et qui ne porte que ce nom comme titre car entièrement consacré aux réalisations de ce dernier. L'ouvrage fut publié en 1965 par l'atelier Herbé-Le Couteur et par l'atelier Pierre Faucheux qui est aussi crédité avec Denis Sloan pour la mise en page. De la belle ouvrage donc !
Et vous verrez que l'iconographie va vous laisser pantois devant les images de cette basilique d'Alger en construction ! Attention les mirettes, ça décoffre grave et brutal !
On regrettera qu'aucune des superbes images ne soit créditée... C'est d'ailleurs une superbe photographie d'un coffrage de la basilique qui orne la couverture.
Je profite de parler de Paul Herbé pour dire aussi que la somptueuse barre Le Couteur au Mans, au bord de la Sarthe est maintenant promise à une funeste réhabilitation qui laisse peu d'espoir sur le respect de ses qualités graphiques et architecturales. Venez vite la voir avant le sacrifice de ce bel édifice qui va perdre l'essentiel de ce qui le fonde. Vive les économies d'énergie et les réhabilitations ! Adieu Patrimoine Moderne...