samedi 13 novembre 2021

Car c'est notre projet

Nous allons retourner à Venissieux. Il faut toujours, comme le criminel et le photographe, retourner sur le lieu de son crime. 
Deux nouvelles cartes postales viennent remplir en quelque sorte les trous de notre analyse sur un urbanisme du Hard French. En effet, avec deux cartes postales supplémentaires on peut un peu mieux saisir de quoi était (est encore ?) fait un urbanisme assez typique de ce genre.
Deux cartes postales qui nous montrent bien comment le photographe de Combier a tenté de prendre en compte toutes les qualités de ce genre de constructions.
Il a, ce photographe, en quelque sorte, deux attitudes possibles : 

- soit il décide de raconter la zone tout entière en faisant jouer d'écho en écho les tours les unes contre les autres, tentant d'embrasser l'ensemble (le Grand Ensemble) comme pour en montrer les espaces intermédiaires, les fuites du regard, la gestion des vides faits de la création de parking, de pelouses rases et d'arbrisseaux, prouvant que la montée dans les verticales assèche la densité au sol, le rend au ciel, rêve moderniste trainant encore de la cité-jardin, la rue ayant disparu au profit d'un vide. Ce vide aujourd'hui considéré comme un manque, comme aussi un espace à redensifier pour en corriger l'ennui qu'on croit devoir lui attribuer. Ce premier point de vue renvoie aussi les immeubles, les tours à leur identique image, posées les unes après les autres, égalitaires, identiques, à l'infini, produisant comme le dira le commun de l'analyse de ce genre d'espace l'ennui donc et l'incapacité à s'y identifier. On voit aujourd'hui que cette impression est bien tempérée, voire même acceptée, ces espaces ayant plein d'occasions d'une reconnaissance de lieu dans la culture populaire : un territoire, une comté, presque un pays. On est autorisé à y entrer ou pas.
Le photographe de l'époque de ces prises de vue pour des cartes postales n'est pas encore assujetti à ces frontières invisibles, errant comme il veut au milieu de l'espace, tentant d'en rendre compte au mieux, laissant le regard le traverser sous un ciel étalé outrageusement, ou l'espace ne semble nous dire qu'une seule chose : je me répète de loin en loin. D'ailleurs, rien dans cette carte postale, à part l'usage du parking, n'est visible comme prise en compte de ces vides. Personne sur les pelouses, personne pour en faire des lieux de jeux, de culture, de sport, de commerce (licite ou illicite). Personne ne semble s'approprier cet espace, cet air pur, cet horizon, cette liberté voulus par les urbanistes et architectes. Je n'en tire, croyez-moi, aucune conclusion négative.





-soit il privilégie un immeuble, une tour en l'isolant, en lui donnant la chance d'être peut-être reconnue comme étant celle-là, celle précisément où l'on habite, de faire de cette tour en quelque sorte non plus un espace mais un lieu. Il la mettra alors au milieu de son cadre, la choisira, sans qu'il nous soit possible aujourd'hui de savoir pourquoi c'est celle-ci, la redressera dans ses verticales, lui fera toucher les bords haut et bas de la carte postale, lui donnant une force, une majesté assez radicale. De chaque côté, le vide de l'espace reprend pourtant ses droits et au loin, cette tour choisie se voit relativisée par la présence de ses sœurs identiques. On pourra alors mieux en lire la magnifique grille moderniste, la qualité incroyable de cette architecture que nous devons à Beaudoin et Grimal, architectes si on en croit l'éditeur Combier. 

Comment tirer (et qui ?) une conclusion sur ces deux regards d'un même lieu ? Qui croire et qui pour s'y reconnaître comme habitant mais aussi comme architecte ? Dans laquelle de ces deux cartes postales Grimal et Beaudoin ont pu dire " oui c'est que nous avions décidé", "oui c'est notre projet". Et qui aujourd'hui pour désirer les contrarier depuis des images à la fois idylliques et sans concession au réel, ayant juste eu l'opportunité d'enregistrer ce moment, à la fois dans l'objectivité d'une tâche à accomplir, photographier un lieu, et dans le désir sans doute, oui de nous en montrer aussi sa beauté ?
Qu'importe ce que l'image trahit ou révèle, qu'importe que nous puissions aujourd'hui nous interroger sur cette représentation en sachant comment l'histoire, bonne ou mauvaise, est passée sur ces espaces. Il nous reste ça, la beauté parfaite d'un moment, écrit, traduit, (dites ce que vous voulez) mais présent, et j'ose révélé par la qualité d'un métier : photographe anonyme de cartes postales.

Nous étions à la Zup de Vénissieux, aux Mingettes, par Combier éditeur. Pourrions-nous y être encore ou y être de la même façon ? Habiter là a du sens encore. C'est ce qu'il faut défendre, c'est que ça en a toujours eu.
Retournez-y :

 

mercredi 10 novembre 2021

Palais des Consuls pour les bourgeois

Une fois encore, hier, je n'ai pu m'empêcher d'aller regarder les travaux impressionnants du Palais des Consuls de Rouen. Comment dire ?
D'abord, et même si cela semble contradictoire, toujours aimer voir une construction ainsi ouverte, montrant ses organes et son squelette, avoir aussi l'impression que nous pourrions, non pas nous croire au moment de sa réhabilitation mais au moment de sa construction. Il y a toujours un moment du chantier où nous pourrions en effet nous penser dans une machine à remonter le temps, face au Palais des Consuls en train de naître. Mais... la rêverie tombe rapidement et c'est bien à une restructuration totale à laquelle nous assistons, médusés par la cure radicale qui semble en cours.
Soyons rassurés sur la préservation du bâtiment puisque la communication sur le chantier nous indique que ce chantier se fait en concertation avec les Bâtiments de France et que les ferronneries de Raymond Subes et les bas-reliefs de Maurice de Bus seront restaurés et conservés dans le nouveau projet comme si la préservation d'un sens architectural ne dépendait que des décors de cette architecture. Au moins, réjouissons-nous que les architectes des Bâtiment de France soient venus donner leur avis. C'est déjà ça.
On voit donc ce Palais des Consuls réduit à une immense carcasse béante, montrant sa structure et à l'arrière de celui-ci un trou immense est en formation. 
La communication du chantier est comme à son habitude pour ce genre de travaux : faussement chic, honteusement enrobée de typos majestueuses et d'images idylliques où, le moins que l'on puisse dire, c'est que l'audace et l'originalité manquent terriblement au profit de représentation de décors qui pourraient convenir à un centre de congrès de province (parfait on y est), un hôtel bon marché à Biarritz. C'est affligeant. Affligeant. On aime que le "design soit contemporain"...
Mais le mot Patrimoine est bien là, inscrit, comme une excuse, une profession de foi. Passons. Finalement c'est à l'image de la politique rouennaise en terme de Culture et de Patrimoine : du faux-semblant. 
Faux-semblant de chic, faux-semblant d'attention au Patrimoine, faux-semblant d'une politique culturelle réelle, faux-semblant de design. On a vu ce que cela donne à l'Aître St-Maclou devenu une foire. Pourrions-nous proposer de mettre une sculpture de Gisèle Halimi dans le hall de ce nouveau Palais des Consuls pour être complet et en adéquation avec la politique culturelle et patrimoniale de la ville de Rouen ?



Mon frère Christophe m'apporte alors un numéro de la revue de Rouen entièrement consacré à ce Palais des Consuls, à son histoire, sa construction, sa livraison. La revue propose même un plan en coupe ! Je vous en propose quelques extraits. Le ton est sérieux, heureux aussi du relèvement de Rouen après les désastres des bombardements, un ton un rien notable. Toute une époque.













Dans ma collection, une seule carte postale de ce Palais des Consuls de Rouen. Ce qui est fort étonnant au vu de la popularité et de l'importance de cette construction. Je m'étonne même de n'en avoir jamais vu de l'intérieur. Le bâtiment serait-il en quelque sorte trop sélectif d'un point de vue social pour que la reconnaissance d'image ait lieu ?
La carte postale est une édition Cap qui ne précise pas le nom des architectes mais replace le Palais des Consuls sur les bords de Seine de la Reconstruction de Rouen. Il apparaît presque anonyme ainsi, presque perdu.



Je vous donne enfin quelques photographies du chantier actuel. On y admirera la qualité structurelle du béton armé et sa simplicité relative.
Sur l'une des palissades du chantier, un inconnu a écrit un slogan. J'en aime à la fois sa démagogie lucide, sa clarté analytique et la tendresse de l'intervention. Rien à redire à cette vérité quatre étoiles. J'aurais pu ajouter petit à bourgeois ou... étriqué, ou pire... rouennais.








On admire le choix de la typo, faussement chic...comme une signature.