vendredi 30 août 2019

L'Abbé Pierre et sa boule à zéro

Rien, rien ne m'amuse autant que la description de la coiffure de l'Abbé Pierre par Roland Barthes dans Mythologies. Rien.
Mettre à ce point tous les signes sur la table, démonter avec facétie les accessoires de la représentation reste une jubilation.
Mais l'Abbé Pierre est aussi un déclencheur architectural car il a émis un désir nécessaire : le logement digne pour tous.
Tous les lecteurs de ce blog connaissent la Maison dessinée par Jean Prouvé pour l'Abbé. Elle était tellement chouette cette maison que, bien entendu, elle tomba dans le vide de l'utopie.

Alors, comme pour la coiffure de l'Abbé Pierre, au lieu de devenir une réponse, cette maison expérimentale est devenue une icône, une sorte de must, presque un martyr de la Modernité.
Dans les milliers de cartes postales que j'ai regardées dans ma vie, il m'arrive encore de faire des découvertes, d'apprendre. C'est d'ailleurs ce que j'aime le plus : apprendre.
C'est pour cela que je fais ce blog, pour partager avec vous ce plaisir que certains prennent pour un supermarché des images, sans même passer à la caisse.
Alors, je suis à peu près certain de trouver un jour une carte postale de la Maison de Jean Prouvé pour l'Abbé Pierre mais en attendant je vous propose cette découverte :

















Cette boule bleue nous est proposée par son éditeur anonyme comme : Chantier européen "Abbé Pierre" du Foyer N.D des Sans-Abri 3 rue Dumoulin, Lyon. Construction d'une Maison Coupole sur coffrage pneumatique. 
C'est à la fois une information complète mais qui laisse sur sa faim !
On comprend qu'il s'agit sans aucun doute d'une expérimentation afin de vérifier ou même d'adouber un mode de construction pour fournir rapidement et de manière économique des logements aux sans-abri.
Sur l'internet, je trouve un document PDF nous montrant une photographie d'une des maisons ballons de Brignais et un article mais les questions suivantes restent sans réponse :  de quelle année date cette expérience ? Qui en avait la responsabilité technique ? Y avait-il un suivi par un architecte ? Quel lien avec les expériences de Dakar ou de Madagascar ? On apprend par contre que ces maisons ballons furent détruites en 1974. Quel dommage...


Mais avant ce regret, la carte nous permet de voir le chantier en cours. On devine bien la coupole et les deux ouvertures. Cette coupole toute lisse est-elle le coffrage ou bien est-ce déjà la coulée ? On devine que les ouvriers-maçons posent des briques ou des parpaings contre cette coupole ce qui pourrait laisser croire qu'ils viennent en fait en appui sur ce coffrage et qu'il n'y a pas eu de coulage de béton un peu comme on l'effectue pour les fusées céramiques.
On gonfle une structure textile qui reste sous pression et qui servira d'appui au montage d'une structure ou du coulage d'un béton. Ne reste qu'à simplement démouler en dégonflant ce coffrage et à le récupérer, il laisse derrière lui sa forme et la solidité de la structure. Et on recommence autant de fois que l'on veut, le coffrage étant tout à fait réutilisable. 

Reste un autre mystère, celui de l'édition de cette carte postale. Comment est-elle distribuée ? Pour en faire quoi ? Une souscription ? On note que d'un point de vue éditorial cette carte n'a ni éditeur, ni photographe et qu'elle est fortement tramée indiquant un mode d'édition très économique.
Elle devait être distribuée au Foyer Notre-Dame des Sans-Abri.
Si, donc, à Lyon ou à Brignais, quelqu'un connaît mieux cette histoire et cette expérience, peut-être nous fera-t-il la joie de nous raconter la belle histoire de ces Maisons Ballons de Brignais.

Pour revoir les Maisons Ballons de Dakar ou de Madagascar allez ici :
http://archipostalecarte.blogspot.com/2015/02/wallace-neff-est-gonfle.html
http://archipostalecarte.blogspot.com/2013/06/dair-et-de-beton-wallace-neff-dakar.html
http://archipostalecarte.blogspot.com/2013/07/le-sucre-en-morceau.html


lundi 26 août 2019

Vertigo World Trade Center

Nous avions soulevé un mystère joyeux avec cette incroyable carte postale du World Trade Center de New York montrant les parties les plus charnues d'un ouvrier travaillant à son sommet.
Cette image d'un humour rabelaisien new-yorkais ne pouvait convenir à l'hommage possible aux victimes des attentats du World Trade Center ou à sa sensationnelle architecture que nous devions à Minoru Yamasaki.





Ainsi, lorsque j'ai trouvé ces cartes postales, j'ai compris qu'il était maintenant possible de relier les deux moments. En effet, ces nouvelles cartes postales révèlent en partie la fameuse séquence de prises de vue faite par Peter B. Kaplan lors de la pose de l'antenne sur l'une des deux tours. On comprend mieux cette action et comment le surgissement de la paire de fesses de l'un des ouvriers était en fait, l'aboutissement d'une drôle et époustouflante aventure !
Vertige !
Quelles images tout de même ! Quelle chance cela a dû être de monter ainsi là-haut ! Mais comment Peter B. Kaplan s'y est-il retrouvé ? Comment fut-il invité ? Par quelle magie ?
J'avoue que je n'aurais pas pu le suivre...
Il est difficile de nier depuis ces photographies l'extraordinaire beauté implacable de ces deux tours, de leur puissance, de leur autorité sublime confinant à la poésie parfaite. On n'a pas réussi depuis à produire de plus beaux monolithes dans l'histoire de l'architecture. Même Libeskind...
Aujourd'hui les grandes tours ressemblent à des obus suppositoires, des machins baroques, des flacons de parfum. On est très très loin de la simplicité tonitruante de ce qui fut la plus belle paire d'immeubles de tous les temps.

Malevitch pour de vrai.

Le dos de ces cartes postales est bien différent de celle montrant l'ouvrier cul à l'air... puisque ces cartes postales furent éditées pour venir en aide aux enfants victimes des attentats du 11 septembre. Je ne pense pas que cette première carte postale et cette photographie aient ainsi été rééditées...
Difficile de montrer son cul pour obtenir des dons pour des enfants.
On remarque tout de même l'incroyable qualité photographique de Peter B. Kaplan, on note aussi que certains clichés sont datés de 1973 et d'autres de 1979.
Donc le photographe est venu plusieurs fois, il a suivi le chantier ce qui peut en partie expliquer une certaine familiarité avec les ouvriers. Malheureusement ni le site du photographe, ni celui de son éditeur de cartes postales ne nous permettent de mieux comprendre cette séance. On reste sur sa faim. Dommage. On ne sait pas très bien non plus comment ces cartes postales généreuses furent distribuées, ni même quand, et encore moins si elles le sont encore.
C'est tout de même intéressant dans l'histoire de la carte postale cet usage d'une séquence photographique ancienne qui, par les événements, vient éclairer à rebours une prise de vue très spécifique qui soudain prend une place particulière dans le déroulement à la fois de l'événement de la pose de l'antenne et dans l'événement de la disparition de cette même architecture. Comme si se souvenir et être solidaire permettait bien évidemment de regarder l'objet disparu autrement.

La destruction de ses deux tours jumelles ne fut pas un événement patrimonial pour l'Histoire de L'Architecture. Non. Ce fut simplement une tragédie ignoble. Et pleurnicher sur la beauté perdue sera toujours indécent. Et s'il est possible (et nécessaire) de se réjouir des images encore joyeuses de sa construction et des facéties de ses constructeurs et ouvriers, il sera maintenant impossible de faire comme si nous pouvions occulter les tombeaux à venir.
Faire de la beauté empreinte de sa nostalgie sur ce drame sera toujours obscène.

Alors quoi penser de ça :












Cet album est imprimé le 11 septembre 2013 (oui) soit juste deux ans après les attentats. L'éditeur nous le signale comme si inscrire dans la réalité du temps la publication permettrait une forme de légitimité du pseudo monument éditorial.

























Cet album nous raconte une histoire simple de disparition dans les attentats du 11 septembre. Le dessin, le choix des couleurs, tout cela adouci d'une tonalité pastel pourrait passer pour une simplification symboliste, une sorte de pudeur dévolue au réel. Mais bien au contraire, cela accentue la gêne, comme si éteindre en quelque sorte la brutalité de l'événement dans des couleurs et des simplifications formelles devait en autoriser un regard, allez soyons gentil, obscène.
Faire tendre pour un tel événement c'est dégueulasse.
L'opportunisme sentimental, celui qui s'excuse d'y toucher en mettant tout de même sur le marché sa candeur affectée est ce qu'il y a de pire pour "rendre" hommage.
Et puis le rire grave et profond d'un Topor nous vient sur les lèvres lorsque les oiseaux blancs (cendres et papiers mêlés) s'envolent dans le ciel... Franchement... L'analogie de l'envol poétique ici...
Rien sur les cendres des corps pulvérisés qui n'existent plus, rien sur la peur, rien que le sentiment.























Je ne sais pas à qui s'adresse ce livre finalement assez rare dans la production éditoriale. Faire un livre sur le terrorisme pour les enfants si ce n'est pas interdit demande tout de même de ne pas avoir peur et de ranger sa pudeur attendrie. Les enfants ont besoin de réel clairement exprimé, pas d'ellipse affectée et impressionniste.
On notera que l'album ne présente aucune représentation humaine, que l'architecture est réduite à des plans de couleurs superposées, que la simplification formelle complète (certainement due au travail sur la palette graphique) devait passer là aussi pour une forme de pudeur symbolisée et allégée du pathos du drame. Je crois qu'il y a des événements, des faits, des drames qui ne méritent (oui c'est le bon verbe) qui ne méritent pas de représentations.
Les images du réel et surtout la réalité doivent suffire à notre peine, notre douleur et surtout notre combat.
Cet album n'est donc ni utile, ni beau, ni même (et c'est le pire) engagé. Il est plein d'espérance bleuette, de sentimentalisme, de symbolique outrée, en un mot de niaiserie.
L'enfer pavé de bonnes intentions, l'enfer le pire, celui construit sur l'orgueil du créateur qui se croit, lui, avoir le droit à une parole distanciée.
Être satisfait le matin d'avoir bien rendu les flammes sur le dessin des tours...
Cet album est dans ma bibliothèque. Je le garde jalousement.
Il est une preuve que rien ne les arrête pour briller.
Il paraît que l'auteur a aussi fait un album sur le Tsunami. Un spécialiste des drames humains de masse donc.
Alors, si je devais choisir une seule image pour rendre hommage aux victimes du World Trade Center et expliquer son drame à un enfant, je choisirais celle de Peter B. Kaplan où son ami ouvrier lui montre son cul. Parce qu'elle ferait rire l'enfant à qui je la montrerais, parce qu'elle serait le moyen idéal d'évoquer alors avec lui la disparition de cet espace magnifique et des gens vivants et qu'elle répond parfaitement aux terroristes :
un cul dans leur face,
le sourire sur les nôtres.

Les oiseaux blancs de Manhattan
Xavier Armange
éditions rêves bleus
15 euros








samedi 24 août 2019

Prisunic, le beau pour tous

Le supermarché et le centre commercial sont bel et bien représentés en cartes postales. Et d'ailleurs, pourquoi ne le seraient-ils pas ?
Modernes, affirmant un nouveau rôle dans l'espace urbain, signes parfaits d'un progrès que l'époque voulait défendre et vivre, ces supermarchés avaient tous les atouts du pittoresque pour finir sur des cartons 10 x 15cm.
Nous en avons d'ailleurs déjà vu ici et certains dessinés par Monsieur Claude Parent sont chers à notre cœur.
Voici un nouveau arrivé dans ma collection :


Nous sommes à Audincourt, ville que nous avons déjà chantée avant le Prisunic ! Cette marque résonne pour moi et dans notre famille d'une manière toute particulière puisque mon père avait dans sa jeunesse à Elbeuf, travaillé au Prisunic tout neuf de la Reconstruction d'Elbeuf avant d'être embauché chez Renault.
Alors, dès que nous voyons ce nom, chez nous, ça tape.
Prisunic !
D'abord quel beau nom bien choisi ! On dirait le nom d'un personnage d'un album d'Astérix.
Ici l'éditeur Combier resserre bien le cadre sur le magasin qui n'a rien d'architecturalement passionnant, tout au plus une sorte de droiture, de fermeté que la brique (?) sur la façade accentue. En fait, ce Prisunic offre surtout une grande lisibilité et une transparence avec un déploiement de vitrines sur toute sa façade. Venez ! Venez nous voir, entrez donc ! semble-t-il nous dire. On note les drapeaux flottant comme accrochés à d'immenses queues de billard qui devaient faire signal. On note aussi un garage à vélos bien développé !
Je n'ai pas réussi à retrouver ce Prisunic à Audincourt, il semble qu'il ait disparu ou qu'il soit tellement transformé qu'il soit méconnaissable. Tant Pis...
La carte postale Combier ne nous donnant pas le nom de l'architecte, il sombrera ainsi dans un oubli tranquille sauf pour les habitants d'Audincourt.
Dans ma collection, rangée dans le quatrième classeur Boring Postcard, je trouve sur une carte postale en multi-vues, un autre Prisunic, celui de la Courneuve. La carte postale est une édition PI qui a beaucoup travaillé et diffusé la banlieue parisienne.



Finalement, c'est une image de la Courneuve bien différente de celle que l'on attend, représentée ici comme une petite ville française typique avec son bar-tabac et ses immeubles. Ne dirait-on pas que le photographe a simplement tourné sur le carrefour en photographiant tous ses axes ? On y voit donc un Prisunic épousant le cercle du carrefour. Seul le nom du magasin fait ici architecture, il est bien moins intéressant que celui d'Audincourt.
Il est aisé de retrouver ce que tout cela est devenu et le moins que l'on puisse dire c'est que le sentiment de vide et d'espace donné par le recul du photographe est maintenant comblé par une densité urbaine bien... marquée.
Mon frère Christophe, ce fouineur parfait, m'apporte sa dernière trouvaille faite dans un minuscule dépôt-vente d'Elbeuf.
Ce livres est d'une très grande qualité éditoriale et permet de vivre la révolution du prêt-à-porter dans cette France de l'après-guerre. On y apprend aussi comment Prisunic était une sorte de projet global permettant à tous d'accéder au beau pour pas cher que ce soit pour l'habillement ou pour, bien entendu le design et le mobilier.
Le design Prisunic est bien reconnu maintenant et est devenu même une sorte de Graal pour chineur chic.
Sophie Chapdelaine de Montvalon nous permet donc de suivre le travail de Maïmé Arnodin et de Denise Fayolle, figures incontournables de cette révolution populaire.
On y trouve aussi pour nous, amateurs de micro et mobiles architectures une vieille connaissance !
La Bulle six Coques de Monsieur Maneval !







































Elle servait à promouvoir l'arrivée de Prisunic dans une ville et était une vitrine fort bien en accord avec le style et les idées de Mesdames Arnodin et Fayolle. Malheureusement, le livre ne s'attarde pas assez sur l'utilisation et le choix de la Bulle Six Coques par Prisunic. C'est dommage. Et surtout, qu'est-elle devenue cette Bulle six Coques ?
On note que la photographie nous donne à voir que son piètement de métal lui permettait d'atterrir partout ! Est-ce Monsieur Maneval lui-même qui avait dessiné ce piètement ? On remarque aussi que l'entrée dans la Bulle se faisait par l'une des grandes baies montée sur vérins et que l'escalier prenait appui sur la structure métallique de la Bulle. Bien conçu tout cela !

Ce livre est vraiment superbe : qualité du papier, mise en page, choix des documents, style clair et joyeux...
Il sera vite un indispensable dans votre bibliothèque si vous aimez la France intelligente du Beau pour Tous !
Attention, il fut publié il y a dix ans déjà...
Ruez-vous chez votre bouquiniste !

Le beau pour tous
Maïmé Arnodin et Denise Fayolle
l'aventure de deux femmes de style : mode, graphisme, design.
Sophie Chapdelaine de Montvalon
édition l'iconoclaste
2019
68 euros ou 15 quand c'est Christophe qui régale ! Merci  Christophe ! 









jeudi 22 août 2019

Pierre Pinsard en exposition


































Les amis Franck Delorme et Dominique Amouroux m'invitent pour une exposition : 
Pierre Pinsard, architectures sacrées dans l'Ain
Nous aimons Pierre Pinsard sur ce blog et nous avons déjà eu la joie de parler plusieurs fois de son travail d'ailleurs fort riche pour l'Art Sacré. Bien entendu, une exposition mettant en lumière cet architecte et dirigée par ces deux amis ne peut qu'avoir sa place sur ce blog. C'est donc avec joie que je vous annonce celle-ci et que je vous conseille d'aller la visiter.
Peut-être aurais-je le courage de m'y rendre moi-même, Bourg-en-Bresse c'est un peu loin.
Mais Franck m'informe également de la publication d'un ouvrage consacré à cet architecte. Voilà qui est une belle autre manière d'apprendre et d'aimer. Nous en reparlerons donc.
Tous à Bourg-en-Bresse !

 Pierre Pinsard, architecture sacrée dans l'Ain
L'exposition aura lieu du 28 août au 19 septembre
du mardi au samedi de 14h30 à 19h30
H2M, Hôtel Marron de Meillonnas 5, rue de Teynière, Bourg-en-Bresse
Renseignements : 04 74 21 11 31

Vous pouvez retrouver Pierre Pinsard dans ces articles :
https://archipostalecarte.blogspot.com/2013/04/poncharra-pinsard.html
https://archipostalecarte.blogspot.com/2013/11/dieu-est-structure.html
http://archipostcard.blogspot.com/2009/08/pie-x-et-claude-parent.html

Et je vous redonne au complet le dernier article :

Crypte est un mot important pour le Comité de Vigilance Brutaliste.
D'abord parce qu'il raconte une typologie, celle d'un lieu clos, sombre, enterré ou souterrain, d'un accès souvent unique, et qui, par le déploiement de sa surface contredit parfois l'impression de son extérieur. La crypte est bien un espace à deux détentes qui offre deux lectures différentes.
Le choc provient souvent de cet écart entre l'extérieur laissant imaginer un espace intérieur dont l'apparition soudaine sous une lumière inattendue déstabilise le visiteur.
Paul Virilio défendit ardemment cette qualité avec les bunkers dont l'instabilité du sol basculé est accusée par l'émergence d'une lumière crue parvenant des meurtrières et des trouées des visées. En fait, c'est la parfaite définition d'une architecture dont la qualité principale serait bien la gestion d'une spatialité ouverte à une sensibilité très corporelle.
Il y a en France un très grand architecte de ce genre qu'est la crypte. Il s'appelle Pierre Pinsard.
Nous n'arrêterons pas de chanter Lourdes et l'immense basilique souterraine qui est un chef-d'œuvre de l'architecture du siècle passé. Il faut aller à Lourdes. Il faut aller voir et surtout vivre cet espace gigantesque caché sous le sol pour comprendre ce que l'architecture du béton a pu produire de plus fort et de plus saisissant et cela, que l'on soit croyant ou non. Ici on a foi d'abord dans le génie constructif.
Aujourd'hui nous allons voir un autre très beau bâtiment de Pierre Pinsard : la Grande Crypte de Ars.



Oui.
En voyant cette carte postale, je sais bien que ceux qui nous suivent ont dû pousser des cris de joie quasi hystériques devant la qualité à la fois de la carte postale et du lieu. Le noir et blanc produit par l'éditeur Combier sert à merveille le travail de l'architecte et nous donne à voir un espace continu strié dans son plafond de poutres solides dont le béton banché reçoit la lumière venant de la gauche. Comment ne pas aimer cet espace solide, dur, en défense, presque baroque dans son économie ? Comment ne pas y voir la citation immédiate de la vie de pauvreté partagée, de rusticité même du Saint Curé d'Ars ? Il s'agit bien là de dire que le lieu parle de celui qui est invoqué. L'alignement des bancs, bancs d'une extrême simplicité, ajoute aussi à ce retrait de toute fantaisie. La lumière est la seule à avoir droit de cité, offrant l'occasion de lire la structure, le matériau, l'espace qui fondent en quelque sorte l'architecture.
Regardons encore :
Nous nous sommes rapprochés de l'autel :



Les bancs ont disparu et l'éditeur nous précise que "la crypte est en voie d'achèvement". Nous ne savons rien de ce degré d'achèvement depuis ce point de vue car tout semble bien à sa place ici. Regardez la matière du mur au fond qui laisse presque lire la coulée du béton. Regardez comment les petites meurtrières du fond de l'autel laissent passer la lumière. Regardez le très puissant dessin de l'autel, construit pour les millénaires à venir. Regardez le rectangle de lumière décentré découpant le plafond d'un blanc pur. Regardez la chaire à gauche faite d'un simple cube. Regardez à nouveau les détails superbes du béton banché sur les poutres. Ne voyez-vous pas dans cette volonté quelques restes d'absolument romans, primitifs, et essentiels ?
Une mise en scène parfaite de la pauvreté et de la retenue qu'il ne faut pas confondre avec une indifférence ou une économie. C'est une abstinence heureuse et conceptuelle.
Rapprochons-nous encore :



La couleur pourrait presque être en trop, presque dure.
Pourtant la tonalité grise tirant sur un bleu naît bien d'une photographie faite au flash qui fait monter des ombres trop dessinées et écrase la matière du béton. On remarquera l'apparition d'une croix fine posée depuis peu et remplaçant celle suspendue dans le vide des cartes postales précédentes. Mais comment ne pas remercier les éditions Combier de la fabrication d'une telle image rendant hommage à la rigueur abstraite de Pinsard ? Comment ne pas croire que nous ne pourrions pas être ici dans la Chapelle du béton armée, celle d'une nouvelle religion nucléaire, celle d'une idéologie de la grotte tellurique, celle qui raconte que le vivant des corps doit s'opposer à la minéralité coulée du béton ?
Il s'agit bien d'une sculpture. Il s'agit bien d'un lieu disant le déroulement d'une cérémonie dont la plasticité absolue, parfaite, claire à son origine de pauvreté est tenue par la plasticité intelligente d'un architecte. C'est d'une beauté éclairante. On osera enfin le lyrisme.
Et dehors ?



La voilà la Crypte. La voici, posée dans le champ donnant l'impression d'un balcon, d'une terrasse portant l'ancienne église et le village. Elle est un socle puissant, modeste, éteint comme un ouvrage militaire n'ayant comme esthétique que son utilité.
Mais Pierre Pinsard fait ce travail en conscience. Il le fait avec cette qualité de retrait dont seule la nécessité constructive devra faire voir le bâtiment. Il ne construit pas un machin orgueilleux, il construit une absence, une discrétion solide qui ne dit rien d'autre que sa nécessité d'espace et de recueillement.
Quelle merveille !
Ma main glisse sur la peau rugueuse de l'édifice. J'imagine comment Pierre Pinsard à chaque moment de son dessin et de sa pensée a dû tout mettre en œuvre pour tenter de ne pas concurrencer l'histoire sans croire à la disparition. Affirmer une forme silencieuse c'est savoir composer avec le bruit des autres. C'est poser une tonalité basse et continue.
Une ascèse.