samedi 27 janvier 2018

Hansjörg mit Cécile

Vous me faites souvent la joie de m'envoyer, de me donner, de me trouver des cartes postales. Parfois, je mets du temps à les publier, non pas que j'oublie votre générosité mais j'essaie de tenir aussi le rythme latent à mon blog et à mes propres obsessions. On dira que je compose. (Presque...)
Hier, je ne sais pas bien pourquoi, j'ai eu envie de vous montrer deux cartes postales envoyées par des amis artistes ou en pause.
Commençons par une carte postale envoyée par Cécile Desvignes :


Nous sommes de retour à Sidi-bel-Abbes en Algérie devant l'immense halle du marché. L'éditeur de cette carte postale est RE AR et le photographe est nommé : Didouche Mourad.
Cette halle est un chef-d'œuvre incontestable, une beauté brute et délicate venant ici jouer avec le reste de la ville et s'affrontant amicalement avec la petite tour carré et au fond, sur l'horizon, le silo à grain.
La pâleur bleu ciel partout répandue sur ce cliché est assez étonnante. On s'amusera, si on aime les automobiles, du parking largement rempli de Peugeot commerciales 203 et 403 toutes grises ! Pour lire et revoir cette belle halle et tout apprendre de l'architecture de Monsieur Mauri, je vous conseille un petit retour ici :
http://archipostalecarte.blogspot.fr/2013/03/si-belles-halles-sidi-bel-abbes.html
L'autre envoi est un peu particulier, je vous le donne à voir :


Sur ce blog, nous aimons depuis longtemps le très beau travail de Hansjörg Schneider que nous avions, Claude Lothier et moi-même, invité pour l'exposition Persistante Perspective, au sein de notre école des Beaux-Arts du Mans.
Hansjörg Schneider fait partie de mes jalousies d'artistes car il sait faire de sa passion pour l'architecture et l'espace un beau et important travail. Je vous conseille plus que vivement d'aller voir son travail. Il aime les cartes postales et j'avais eu la chance, chez lui à Berlin, de voir sa collection dont j'eus immédiatement envie de m'emparer... Il faut dire que sa localisation, Berlin, lui permet de trouver des cartes postales d'une tout autre géographie, touchant aux anciens pays de l'Est, à la Russie soviétique aussi... Je vous laisse rêver.
Hansjörg Schneider coupe, découpe, gratte, dessine les cartes postales pour nous donner à voir en quelque sorte ce que nous n'en n'avions pas vu. Il en révèle les failles, les ouvertures et les espaces.
Ici ayant éreinté le fond du paysage, il replace l'architecture dans un no man's land qu'on dirait de neige. Nous sommes devant le... Attention... Ça va être long... Familienferienhein Michaelshof grâce à Volker Wurster. Bien entendu le nettoyage du paysage isole les constructions qui semblent s'opposer davantage. Surtout les logements et l'église. Je n'ai pas trouvé le nom de l'architecte. Je vais m'empresser de trouver une image de ce lieu sans intervention de Hansjörg.
Il faudrait que les écoles d'art en France, que mes amis enseignants en écoles d'architectures ( suivez mon regard...) que mes amis critiques d'architecture se penchent sur son travail trop peu diffusé en France.
Je remercie mes deux correspondants pour ces deux beaux cadeaux qui iront rejoindre leur camarades.
Merci Hansjörg !
Danke Cécile !

Pour voir le travail de Cécile Desvignes :
http://ceciledesvignes.blogspot.fr/

Pour voir le travail de Hansjörg Schneider :
http://hansjoerg-schneider.de/
http://archipostalecarte.blogspot.fr/2015/09/kronos.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2009/09/hansjorg-schneider-un-ami-un-artiste.html

mercredi 24 janvier 2018

Toit et joie pour de vrai



Oui j'aime cette architecture.
Je ne fais pas semblant ou je ne joue pas à l'excentrique. Non. Vraiment, j'aime cette architecture.
Car elle est bien photographiée. C'est curieux comme conclusion.
J'entends par là que Rolf ( parfois Ralf) Walter, photographe des éditions Abeilles-Cartes et que nous aimons tant sur ce blog, ce cher Rolf, nous donne l'occasion de voir des polychromies de façade et des polychromies plus subtiles.
D'abord celle de façade : nous sommes à Dugny devant la résidence Danielle Casanova, rue Georges Guynemer. La carte fut expédiée en 1988 mais je la crois plus ancienne. On voit bien une construction qui affirme par son choix coloré de raconter les plaques de béton les unes sur les autres, comme si l'œil devait immédiatement depuis l'extérieur saisir les emplacements et les intérieurs. On note un désir de teintes chaudes, du jaune au brun foncé, teintes qui ont comme rôle certainement de briser la monotonie supposée de ces blocs. La couleur devrait donc, contre la blancheur véridique de la Modernité, un peu attendrir l'idée de vivre dans un immeuble dont, ainsi peinturluré, le locataire pourrait plus facilement y trouver son "chez soi". C'est aussi un jeu plastique, gratuit, joyeux. Et finalement c'est vrai que les horizontales ainsi marquées soulagent le poids du bâti et de la répétition de ses façades. Creux, pleins, redents, balcons, tout cela a besoin d'être contrarié dans leur égalité pour amuser l'œil. Et, il faut le dire, ça marche bien. Sans doute que la photographie permet cette jubilation car tout y est propre, net, parfait. L'aplat du ciel semble lui-même déterminé par l'image, souhaité par le constructeur.
Puis, donc, l'autre polychromie : le photographe de ce genre photographique qu'est la carte postale se doit à l'honnêteté de son métier. Non pas qu'il n'en ait pas conscience, non pas que le pauvre soit pris dans les errements d'une photographie indigente et populaire, non, simplement il a un travail à faire. Il vient là, il doit montrer ce qu'il vient voir. L'école est simple. Il doit pour faire beau que la lumière soit un peu ignorée et ne soit pas l'héroïne de l'image, il doit être planté droit devant pour que le bâtiment soit lisible dans ses fonctions, en quelque sorte, reconnu. Enfin, il placera un premier plan, animé ou non selon la durée de vie validée par l'éditeur de cette carte postale. Si la construction est solide, elle sera peu animée de manière à ce que la permanence temporelle de son édition, sa contemporanéité soit pérenne et que l'image ne soit pas trop personnalisée. Ici, ce n'est pas qu'il n'y ait personne, ce vide n'est pas un jugement maladroit sur l'architecture (non Madame l'historienne du logement social) mais c'est que ce vide est comme un écran, que chacun doit animer en s'y projetant, libre de croire y être ou de laisser croire à celui qui reçoit qu'il peut s'y promener. Une, oui... une politesse de l'accueil.
C'est un document, pas une propagande, Madame.
Et le photographe cadre en posant les deux arbres dans son image, il laisse la perspective révéler les balcons à gauche pour que l'habitant de ce coin y retrouve sa place, il redresse les verticales parce que c'est plus solide et non pour mentir. Le bâtiment est sérieux, tenu, dans une géométrie simple et belle. Le photographe lui rend hommage. Depuis ce point de vue, il dira la verdure du parc, les bancs possibles comme rendez-vous, les oiseaux l'hiver venant depuis les branches sur les balcons pour picorer les miettes. Depuis ce document, on lit les rideaux.
La Résidence Danielle Casanova existe toujours. Elle est toute blanche maintenant. Sans doute que le bailleur, Toit et Joie, a dû trouver que c'était bien compliqué de reprendre les couleurs, que personne n'y ferait attention. C'est dommage ce lessivage, cette netteté pseudo-hygiénique et surtout un peu fainéante. Un ravalement qui aura supprimé l'une des belles qualités de cette modeste architecture. On a déjà vu cela ailleurs, ce manque d'intérêt pour la polychromie. Le blanc perçu comme signe d'une attention virginale. Souvent ça vient avec le Digicode et la clôture du parc.





samedi 20 janvier 2018

Le Corbusier au salon

On aura tout vu.
Tout.
Il faut donc être encore et toujours à l'affût et ne pas croire que nous tenons une bonne fois pour toutes l'inventaire des cartes postales sur l'architecture de Le Corbusier mais espérer encore qu'une nouvelle image viendra raconter un morceau, un moment de son histoire.


Il n'y a pas si longtemps que cela, je ne pensais pas que je trouverais une carte postale de l'intérieur de la Fondation Suisse, surtout une carte postale éditée à une date aussi proche de sa construction.
Grâce à L. Fréon éditeur à Neuilly-sur-Seine, nous pouvons donc voir comment était meublé le salon de la Fondation Suisse de le Corbusier en 1938 car la carte fut expédiée cette année là. Il n'est pas impossible que la prise de vue soit plus ancienne.
Que voit-on ?
D'abord que la grande baie est brûlée par la lumière d'un temps de pose photographique un peu long et devient presque un aplat blanc ne laissant rien percevoir du dehors. Ensuite un lampadaire tulipe au beau milieu de la pièce vient couper la photographie par sa verticale et permet aussi de lire la hauteur toute relative du plafond. Qui a dessiné ce lampadaire au pied massif ? L'espace central de ce salon est laissé libre et toutes les pièces de mobilier sont rejetées en périphérie, les tapis sous les tables de jeu donnant les limites des zones de convivialité, comme des îles posées sur une mer plate. On remarque de suite les fauteuils Thonet en bois courbé en grand nombre ainsi qu'un type de sièges dont je n'arrive pas à retrouver l'origine. Dossier pivotant sur un axe, accoudoirs en sangle, pieds massifs, tout cela nous fait penser à Perriand mais je ne trouve aucun modèle vraiment convaincant. On remarquera aussi à gauche comment les rangements et les étagères courent le long du mur laissant apparaître les ouvrages où, tout près de la grande baie, des cadres et des objets sont logés dans une niche à hauteur de l'œil d'une personne assise.
Enfin, à droite, visible seulement par le dessus de son plateau en marbre, on voit la table entrer dans l'image. On notera aussi l'absence totale d'étudiant(e)s sur cette photographie comme si en animer l'espace n'aurait pas permis d'en lire les qualités. Sur la gauche une pancarte couverte d'écritures reste difficile à lire. Pouvait-on y lire le règlement intérieur et les usages collectifs du lieu, les noms des résidents ou des responsables des lieux ? L'agrandissement nous révèle qu'il s'agit de la liste des principaux donateurs. L'impression générale est celle d'un vide éclaboussé de lumière où l'espace est contemplatif et dont le totem de la lumière serait le lampadaire ! Tout cela semble un rien artificiel, arrangé, rangé même. Le peu de netteté de ce type d'impression ne permettra pas de pénétrer davantage dans les détails, de traverser les usages possibles et les anecdotes des petits riens du quotidien. Ici la vision du confort est celle d'un espace libéré, vidé dont seuls les tapis semblent vouloir faire signe d'une convivialité chaleureuse. On remarque que les fauteuils Thonet sont toujours autour des petites tables de jeux, réunis par trois. Aucun des fauteuils confortables n'est tourné vers l'extérieur, vers la baie pourtant généreusement ouverte sur le monde.
On imagine pourtant bien l'étudiant logé ici dans la modernité affirmée, heureux de communiquer à la famille par cette photographie le lieu de sa villégiature parisienne. Une tranquillité simple, rigoureuse, presque diététique dont la seule orgie est de lumière. La distraction aux études étant non plus dans le décor, dans le rappel folklorique d'un pays laissé derrière soi mais dans la convivialité transparente et utile du partage d'un espace bien proportionné.
J'attends le moment où tombera dans mes mains une carte postale d'une des chambres.

Pour voir ou revoir les autres publications sur la Fondation Suisse, allez ici :
http://archipostalecarte.blogspot.fr/search?q=fondation+suisse
http://archipostcard.blogspot.fr/2010/09/cite-universitaire.html







jeudi 11 janvier 2018

Foutre le feu à Beaubourg



Il est toujours amusant et instructif de lire et revoir la réception d'un bâtiment au moment même où il apparaissait.
Car, même si mon âge me permet d'avoir vécu le surgissement du Centre Pompidou, ma maturité d'alors ne me permettait pas d'en mesurer toutes les oppositions et tous les enjeux politiques. Ainsi, lorsque je lus le livre Le Phénomène Beaubourg aux éditions Syros par Marie Leroy (en fait, il s'agit d'un ouvrage collectif) je fus à la fois perturbé, amusé, convaincu aussi parfois par son contenu qui pourtant n'est vraiment pas consensuel comme l'est notre époque aujourd'hui avec son recul de quarante ans (!).
Le texte évidemment de gauche s'oppose évidemment à la droite dirigeante. Il s'agit surtout d'une certaine autre idée de la diffusion de la Culture et donc bien entendu de sa définition. Ce texte s'oppose aussi au spectacle de l'adhésion forcenée à cet objet étrange et nouveau mais qui serait déjà pris dans le piège de la communication politique d'un groupe voulant faire descendre la Culture par le haut et vers un point centralisateur au lieu d'en diffuser, infuser et éparpiller cette Culture depuis le bas, comme si la Culture, celle avec ce C majuscule, devait bien entendu être essentiellement un instrument d'émancipation populaire et non une distraction bourgeoise que l'on offre au peuple en un seul lieu, de manière spectaculaire (jeu de l'architecture même), sorte, en fait de paternalisme culturel utilisant la transparence et sa modernité comme preuve de sa générosité. Un peu comme ce con de Clémenceau allant voir les poilus se faire crever. Une sorte d'amour encanaillé des braves, les braves étant ici les artistes, trublions du Monde, tenus, bien tenus dans ce que Marie Leroy appelle la "boîte".
On lit aussi l'influence nauséabonde de Guy Debord et le terme de "société du spectacle" est utilisé sans dire d'où il vient. Tant pis pour sa gueule à Debord et tant mieux pour nous.
Alors si j'en comprends parfaitement le sens et même adhère à certaines formules et opinions de ce texte, je sais aussi qu'il faut toujours reprendre l'histoire avec des pincettes longues et surtout ne pas bouder ce qui a été, au-delà de mes certitudes politiques d'aujourd'hui, une chance. J'ai aimé Beaubourg, je l'aime encore même si, je le dis souvent, il a en grande partie disparu aujourd'hui de son projet initial. Finalement, ce qui est touchant et grave, c'est qu'une partie de cette dénonciation est encore valable aujourd'hui. En même temps en quelque sorte.
Je vais donc vous donner quelques extraits qui, je l'espère feront peut-être bouger un peu vos lignes. Il serait bien d'entendre à nouveau Madame Marie Leroy sur ce qu'est devenu ce Centre Pompidou. Je n'ai trouvé aucune information sur cette auteure. On reviendra plus tard aussi sur l'effarante affaire Maeght évoquée dans ce livre mais dans un autre article.

Pour vous remercier de cette lecture, vous trouverez tout en bas une carte postale qui a donné le titre à cet article. Soyez courageux...:-)
Pour lire plus confortablement les textes, cliquez dessus.

Le phénomène Beaubourg, combat culturel 3
Marie Leroy
éditions Syros, janvier 1977
un euro chez un bouquiniste.










Et voici :


Il serait aisé de critiquer et commenter cette carte postale en la comparant au texte ci-dessus et d'y voir la représentation d'une politique culturelle faite d'images, dont le peuple, pauvre de lui, oserait se régaler.
Quoi ? Du cirque au pied du monument à la culture consensuelle pompidolienne ? Quoi ? Une fausse image de cette liberté offerte à l'expression, ici représentée par les Arts du Cirque si propices à nous faire croire à la Liberté et à la gratuité. Ici le cracheur de feu, celui là même qui fait sortir de sa bouche l'instant d'une flamme, la chaleur d'une critique donne cette illusion d'un spectacle permanent, ouvert, publique que le garçonnet suçant sa glace juste devant lui mais gardant sa distance accentuera comme processus d'une prise de pouvoir de la culture par la jeunesse. Oui...
Mais non...
La carte postale est signée d'Albert Monier, grand photographe de cartes postales, du Paris éternel, celui des cloches au bord de la Seine et des marronniers ombrageux des squares mais aussi de la Tour Montparnasse bientôt massacrée. On s'étonne aujourd'hui d'une piazza si animée alors qu'aujourd'hui elle est atone, vide, seulement remplie par la file d'attente des visiteurs se faisant fouiller leur sac. La foule doit maintenant passer par un goulet d'étranglement, nécessité de notre monde, rien à dire.
Albert Monier cadre donc bien ce nouveau désir, cette croyance en un Centre Pompidou ouvert, joyeux, populaire mêlant la fête du cirque et le nomadisme d'un chapiteau au sérieux du Patrimoine retenu dans la machine. Il a bien raison. Cela a existé. J'aime la maigreur de ce cracheur de feu, j'aime son torse nu face à l'architecture et à sa flamme, j'aime que je puisse rêver par l'écrasement du point de vue, qu'il désire foutre le feu à Beaubourg. Non pas que je désire cet incendie, loin de là, mais je ne peux éviter de tirer de cette image vers une fiction. Je suis de l'âge de ce garçon qui le regarde, qui suce sa glace...
Glace...Feu...



Vous aurez compris que je suis déchiré entre les deux. Il y a celui qui avale et celui qui recrache. Celui qui suce et celui qui souffle. Aujourd'hui, je ne saurais plus choisir.

On notera qu'il s'agit d'une édition Image In, que la photographie est signée d'Albert Monier mais que l'éditeur l'attribue à Grimberg pour l'Agence Image Bank...Voilà qui est curieux...La signature d'Albert Monier serait-elle finalement de même nature que celle de R. Mutt sur la Fontaine de Duchamp ? Une fiction ? Un rêve ? Un ready-made ? Un commerce ?

lundi 8 janvier 2018

Belles massivités de Province

Soudain, tout devient clair et se rassemble.
Deux cartes postales se rejoignent dans une même impression architecturale, celle d'une massivité du bâti, blocs assumés, comme un désir de bastide.
Je vous les mets côte-côte pour que vous puissiez tout comme moi sentir cette jointure :



Pourtant les deux objets sont différents, dans des lieux éloignés. Pourquoi donc mes images mentales, dans le foutoir organisé de ma collection, se croient-elles obligées de faire réunion ?
Commençons :


L'Hôtel de Ville de Cormeilles-en-Parisis offre bien tout le vocabulaire de l'architecture défensive ne laissant espérer aucune invitation à la pénétration. On y voit comment le vocabulaire du mur mis à nu, épais, sans décor doit donner une image forte, presque imprenable à ce moment démocratique. C'est sérieux quoi. Pas de doute, ici, il se passe quelque chose. On notera comment les ouvertures sont soit tout en hauteur et extrêmement fines comme des meurtrières, soit en retrait dans le volume comme pour se protéger. Pourtant le bâtiment ne manque ni d'ouvertures en façade principale ni de transparence. L'architecte ajoute même le détail d'un petit arc qui viendrait en soutien pour maintenir le poids trop lourd des murailles. Ce détail me rappelle, toutes proportions gardées, le petit arc inutile sur les Hautes Formes de Portzamparc à Paris. Enfin...


C'est très beau. Oui, j'aime beaucoup cela, cette citation d'un vocabulaire moyenâgeux, militaire, défensif pour un Hôtel de Ville. On notera la qualité du dessin et comment avec des matériaux contemporains, l'architecte s'empare donc de nos images mentales pour faire signe et offrir un vrai moment architectural. Malgré mes demandes auprès des Archives de la Ville de Cormeilles-en-Parisis, je n'ai pu obtenir le nom du ou des architectes de cette beauté de Province. On notera que l'éditeur est Lyna et que le photographe de cartes postales Monsieur J.E. Pinet est l'auteur de ce cliché. Monsieur Pinet... j'attends de vos nouvelles !
La seconde :


Cette fois nous sommes à Brive-la-Gaillarde devant le Crédit Agricole Mutuel, place de la Halle dite place Jean-Marie Dauzier. La carte postale est une édition (R.A) In'édite dont la photographie est de Jean-Daniel Surdres. La carte postale fut expédiée en 1989.
La grande qualité de cette image tient dans la tonalité minérale de l'ensemble et de la netteté incroyable du lieu comme vidé de toutes interférences. Remarquons, par exemple, le très beau traitement du sol de cette place ! Superbe ! On devine aussi une attention au bâti ancien, comme si le ou les architectes et les aménageurs de cette place avaient travaillé de concert pour que les pierres, les matériaux, les oppositions soient clairement inscrites dans le tissu historique. Serions-nous dans un secteur sauvegardé et protégé qui aurait obligé à ce regard particulier ? Comme quoi le respect du bâtiment ancien n'empêche pas une certaine audace formelle et même une franchise du collage !






































J'aime beaucoup le premier volume de ce Crédit Agricole Mutuel, très massif, très lourd. On aime aussi le jeu des masses de couleurs, noir sur les couvertures et béton clair et pierre blanches pour les socles. Ce contraste est répandu sur tous les objets alentour ce qui laisse d'ailleurs toute l'occasion à ce Crédit Agricole d'exprimer sa force. On dirait qu'il se protège du reste de la ville. Le vocabulaire, tout comme pour l'Hôtel de Ville de Cormeilles-en-Parisis est celui de la défense, de la bastide, de l'épaisseur affirmée. Là aussi, il est question d'un écho à l'histoire mais sans mauvais effet de décor ou d'imitation. Ici l'architecture cite sans plagier, c'est élégant, franc et réussi.
Je ne pourrai remercier le ou les architectes de ce beau bâtiment, la carte postale et mes recherches restent muettes. Dommage ! Si vous avez l'info...
Comme quoi, dans les années 80, sans trop jouer sur la corde d'un post-modernisme ou d'une affligeante rhétorique historique, il fut possible en Province d'inventer une architecture contemporaine bien affirmée, ne cédant rien au plagiat provincial et folklorique.
La carte postale en est encore, à cette période, le témoin heureux.

mardi 2 janvier 2018

Territoire perdu de la Conservation du Patrimoine ?

Comme tous les ans, je tente un bilan pour l'année passée.
D'abord, chères lectrices, chers lecteurs, je me dois de vous remercier pour votre fidélité à ce blog, pour les encouragements, les dons, les commentaires toujours bienvenus. Merci pour les invitations pour les conférences, les articles illustrés de mes cartes postales.

Je vous souhaite pour 2018 une année bien riche en découvertes architecturales, en visites, en promenades que ce soit dans le réel, dans les livres, dans les archives ou mieux, dans les souvenirs de ceux qui ont participé et qui participent encore à l'histoire de l'architecture moderne et contemporaine.
L'année 2017 est une année bien triste pour le Patrimoine moderne et contemporain, les attaques ont continué, des dossiers importants ne sont toujours pas traité.

Donc 2017 :
-L'école d'architecture de Nanterre pourrit toujours. La honte totale.
-Les Tours-Nuages d'Émile Aillaud à Nanterre sont menacées gravement. Elles ne sont, finalement, que la partie visible et spectaculaire de ce qui attend le Patrimoine du logement social des Trente Glorieuses. Personne ne bougera pour toutes les autres transformations venues ou à venir, la requalification étant aujourd'hui la norme de la mise en ruine. Merci les écologistes à shampoing et gel-douche.
- La destruction sans vergogne d'une œuvre commune de Jean Prouvé et Paul Chemetov à Saint-Ouen-sur-Seine exactement pendant la semaine des Journées Européennes du Patrimoine sans que personne ne bouge...
- Les modifications notables et l'attaque de l'un des plus beaux ensembles d'architecture de logements avec la modification des terrasses de la Maladrerie de Renée Gailhoustet. Incompréhension totale de l'architecture et de ses qualités par les "gérants" de cet ensemble. Exemple limpide des errements de gestion et de la fainéantise de la pensée sur l'architecture.
- la requalification de la Tour Montparnasse, véritable ratage conceptuel mais véritable chef-d'œuvre de communications stratégiques qui constituera donc un monument à la servilité de la pensée commune.
- Enfin, parmi les "belles surprises", de la part de l'un de nos plus grands et radicaux architectes, le collage mou d'une tour par Rudy Ricciotti en contrepoint de la Maison du Peuple de Clichy ou, comment avec un grand nom, avec les complicités des institutions et des promoteurs, on fabrique une pseudo-attention et surtout du mètre carré bien senti. Là encore, non seulement personne ne bouge mais, au contraire, on se congratule devant autant d'audace...
Comique et tragique tour... de passe-passe.

Devant ce bilan, une chose me saute aux yeux : tout cela se passe en Ile-de-France. Est-ce un territoire perdu de la République et de la Conservation du Patrimoine ? Est-ce que le maillage politico-institutionnel de la fonction publique, le manque d'effectif, la trouille, un paysage trop riche pris de boulimie, est-ce tout cela qui donne à voir ce pathétique bilan pour cette région ? Je ne sais pas. Pourtant Monsieur Bernard Toulier fait un article* bien timide sur la possibilité de s'intéresser à ce Patrimoine, il y a peu, dans Libération. C'est déjà ça. Mais hier, on entend aussi Monsieur Collomb, Ministre de l'Intérieur devenir donc maintenant l'un de nos plus éminents spécialistes de l'urbanisme et affirmer avec force après le drame de Champigny :
"...Je crois que ce sont ces quartiers qu'il faut changer, j'étais à Champigny hier et lorsqu'on voit ces grandes barres on se dit qu'il y a un aspect totalement inhumain qui ne peut que générer de la violence donc ce sont des réformes de fond qu'il faut effectivement mener, une politique de la ville politique, une politique de l' Agence Nationale de la Rénovations Urbaine. Je crois que ces quartiers ne peuvent pas rester comme ça..."
Vous avez raison Monsieur Collomb, faut pas que ça reste comme ça ! Alors ?

On connait ce vieux discours qui confond contenu et contenant, habile se croit-il car il permet de déplacer les responsabilités. La Police de Monsieur Collomb va donc donner ses ordres à l'A.N.R.U. Je les plains... La Police va donc bientôt aussi enseigner dans les écoles d'architecture pour savoir comment bâtir, dessiner des cités plus sûres. Pas plus d'un étage, s'il vous plaît, pour que le frigo balancé depuis la fenêtre de la barre sur le car de Police ne tombe pas de trop haut ?
Inhumaines les barres ? Alors Monsieur Collomb exigez dès maintenant la destruction de la barre de Foncillon à Royan, celle de Dubuisson à Montparnasse par exemple... Les architectes sont forcément en tort, ils ont construit eux, des logements par milliers à une époque où dormir dehors était une honte. Faites donc avec votre gouvernement le même effort que cette génération au lieu d'attaquer sans fondement cet héritage qui n'a pas démérité et qui lui, a logé des pauvres et des sans-abris.

Pour le cas que nous suivons ici depuis cinq ans maintenant (bientôt six...), le centre commercial de Ris-Orangis de Monsieur Claude Parent, nous pouvons dire que sa gestion est un cas d'école (que, donc, j'enseigne à mes étudiants). Alors même que dans un article du Parisien** Madame Agnès Chauvin nous redit l'importance de l'architecture du Vingtième siècle, alors même qu'elle nous rappelle qu'un citoyen peut faire une demande de classement, il aura fallu que je menace d'une plainte auprès du tribunal administratif pour avoir une réponse officielle... qui est identique aux explications téléphoniques. Il faut que tous les propriétaires soient au courant de cette demande (sic). On apprend d'une certaine manière que le délai de réponse accordé à un propriétaire est de cinq ans donc... Vue la campagne médiatique sur cette demande, difficile de croire que les propriétaires ne soient pas au courant de ce dossier, surtout que, pendant ce temps-là, pendant ce délai offert aux propriétaires, ils déposent des demandes de permis de construire qui sont acceptées par la Mairie de Ris-Orangis, elle, bien informée de cette demande de classement... On appelle cela comment ? Oui, c'est ça.

Pour mon anniversaire, Walid Riplet m'a fait un beau cadeau. Il a dessiné et fait imprimer cette nouvelle carte postale militante pour soutenir cette demande de classement. M'ayant vu un peu désespéré, il a pensé qu'il devait prendre à sa manière le relais. Merci Walid.
La carte postale la voici, c'est sans doute la plus belle carte de vœux pour 2018. Demandez-la, elle est gratuite, elle vous sera envoyée avec plaisir.






































Comme Walid, il faut que vous preniez tous, partout, le relais. Que ce combat pour le Patrimoine moderne et contemporain soit le vôtre. Écrivez, pétitionnez, manifestez, discutez avec vos élèves, vos étudiants, partagez les articles, vos indignations. Déposez des demandes de classement dans vos D.R.A.C, vous en avez le droit ! Faite-le ! Inscrivez-vous dans des associations de défense !

Pour finir sur une note positive, voici un autre bilan :
- Grâce à l'énergie sans faille de Nicolas Hérisson (un énorme merci) et de l'association Piacé-le-Radieux, nous avons pu terminer la restauration de la Bulle six coques et même en sauver une autre. Le chantier pour cette nouvelle va bientôt démarrer.
- Grâce à l'énergie sans faille de    Clément Cividino, nous avons pu sauver, avant la poubelle, le mobilier de Charlotte Perriand et Jean Prouvé de la barre Le Couteur du Mans en cours de... requalification...
- La chance m' a permis de trouver et sauver le Fonds photographique d'un photographe des éditions Yvon, Michel Moës, ce Fonds est en cours d'inventaire.
- Nous continuons avec la famille Lestrade d'éplucher, ranger et mettre en valeur le Fonds de l'Agence Lestrade. Merci Jean-Jean, Walid, Alvar et Denis que je n'oublie pas.
Conférence visible ici.
- Et, plus personnel, j'ai pu enfin faire rentrer dans ma bibliothèque un livre que je cherchais depuis plus de dix ans : le Brutalisme en Architecture de Reyner Banham aux éditions Dunod ! Une brique finale (?), superbe venant se caler entre Bunker Archéologie de Paul Virilio, la Fonction Oblique de Claude Parent et la correspondance de Le Corbusier.
Voilà.
Merci encore à tous, merci de partager cette passion. Belle et heureuse année 2018.
David Liaudet

*
http://www.liberation.fr/france/2017/12/28/sauvegarder-le-patrimoine-de-banlieue-une-question-politique_1619400

**
http://www.leparisien.fr/paris-75/huit-nouveaux-monuments-sous-haute-protection-de-l-etat-19-04-2016-5728751.php