dimanche 23 décembre 2018

Brutalisme et Corbu, clap de fin ?

Je vais sans doute arrêter d'abreuver ce blog. La chute vertigineuse de lecteurs depuis quelques mois indique un épuisement du désir d'apprendre.
Et le pillage des images devenant orphelines de leur source, sans retour possible, semble être l'une des seules raisons de la fréquentation de cet espace qui se voulait d'abord, un espace de réflexion certes léger et joyeux mais aussi révélateur.
Mais le temps passé à écrire, chercher, scanner, relire et enfin publier me demande bien trop d'énergie pour que ce travail ne soit considéré que comme une banque d'images gratuites.

Alors, je vais ralentir, peut-être arrêter de publier même si ma collection restera à la disponibilité des chercheurs et des amis. Le silence parfait de mes classeurs, ma joie à en regarder le contenu seront maintenant mon chemin personnel de cette analyse.
Vous viendrez à la maison, on prendra un thé, on jouira des images ensemble.

Peut-être aussi que ma question première, celle du Brutalisme (le vrai) et d'une architecture mal aimée des Trente Glorieuses est maintenant moins pertinente. Ai-je participé à ce retour de l'histoire sur ce moment de l'architecture ? J'ose un peu le penser, laissez-moi le croire.
Mais maintenant que sortent des livres, des travaux, des recherches, je sens que je m'éloigne, ayant fait le tour de mes analyses, ayant subi le pillage des images mais aussi des idées, des angles de regard. Cela devrait me réjouir si seulement il y avait de temps en temps un projet, un retour.

Et puis, j'ai trois tâches à terminer : l'analyse du Fonds de l'Agence Lestrade, l'analyse du Fonds Moës (photographe de cartes postales), le passage en commission du centre commercial de Monsieur Parent à Ris-Orangis, passage promis pour 2019. 

Et mon travail personnel aussi...

Vous m'écouterez dorénavant sur Radio On.
Non...Vous ne le ferez pas, vous ne le faites déjà pas.
Vous êtes tellement occupés.

Mes articles sont trop longs, il paraît.
Mes articles sont trop nombreux, il paraît.
La lassitude, d'abord du côté du lecteur, finit par toucher l'auteur.

Je reste vigilant à l'utilisation de mes images et à l'obligation de faire mention légale de ma collection.

Alors, je vous propose un article qui, en quelque sorte, autour d'un superbe livre, ferme un peu la boucle sur mes intérêts. D'abord Le Corbusier, puis le Brutalisme, puis la représentation de l'architecture. Ce livre c'est Le Corbusier et la question du Brutalisme, catalogue d'exposition dont le commissariat était assuré par Jacques Sbriglio.
Voilà un bel ouvrage ! Bien pensé, clair, qui, en quelque sorte remet les pendules à l'heure sur cette relation entre Corbu et l'invention d'un genre, d'un courant, d'une dénomination bien galvaudée aujourd'hui pour ne pas dire bafouée...
Je vous conseille vivement l'article de Roberto Gargiani et Anna Rosellini sur le béton de la Cité Radieuse, admirable suivi du chantier inventant l'épiderme d'une construction. Ou lisez aussi l'article de Cyrille Simonnet, nous donnant la sensation d'être collé contre la matière et ses raisons d'être. J'ai aimé découvrir aussi la personnalité de Nivola ou bien entendu comprendre dans un autre article comment la ruine pouvait être une forme dont se saisir. En plus, vous y trouverez aussi le texte de Reyner Banham dont la relecture devrait être maintenant obligatoire avant d'avoir le droit de prononcer le terme de Brutalisme.
N'est pas Monsieur Chadwick ?
On ajoute une iconographie superbe et souvent inédite, une belle mise en page claire et limpide et on regrette de ne pas être venus à Marseille voir cette exposition.

Le Corbusier et la question du brutalisme
sous la direction de Jacques Sbriglio
éditions Parenthèses
isbn-978-2-86364-284-9
38 euros. Achetez votre exemplaire chez un libraire indépendant.

Donc voici maintenant des cartes postales !
D'abord la matière vivante :


Il aura fallu à Sciarli attendre une lumière franche venant du côté pour faire monter les ombres et donc les matières du béton de Le Corbusier. Cette superbe photographie, franche et frontale, nous permet presque de compter le nombre des bétons différents sur ce toit. Vous les voyez les planches ?




Comment aussi, devant la superbe disposition des formes jouant entre elles ne pas être sensible à la construction d'un ordre parfait, comme des fragmentations de constructions jetées là, laissant seulement leurs structures visibles. Sciarli laisse le lieu vide occupé par la lumière. Elle remplit bien le cadre. Elle y suffit, elle habite là aussi.
Sur cette autre carte postale, on retrouve la Cité Radieuse de Briey cette fois :



La carte postale Combier est datée de 1961. Cette vue aérienne colorisée nous permet de lire la mer des arbres au pied de la Cité Radieuse qui semble émerger littéralement de la verdure. On note que le travail au sol n'est pas terminé. On note aussi avec quelle délicatesse l'éditeur est venu avec de minuscules pochoirs encrer de couleurs vives la façade sur ce cliché en noir et blanc.


Entrons :


Nous sommes toujours à Briey grâce à l'éditeur Mage qui nous dit que nous voyons la chambre des enfants, qui nous donne bien Le Corbusier comme architecte mais chose rare, une fois encore, nous donne le nom du décorateur de cette chambre : Antoine Benoît. 
Je n'ai toujours rien trouvé sur ce décorateur venu à Briey meubler la Modernité. Je ne sais rien de ses relations avec Corbu, de comment il a obtenu cette charge, cette chance. Si vous avez des témoignages...
On note l'extrême dépouillement du lieu, la sobriété monacale des lits. Rien ne fait penser à l'enfance, sauf peut-être les rayures de couleurs réduites ici au noir et blanc sur les lits. Les lampes de chevets font penser à Serge Mouille et une carte de visite est posée bien en évidence sur la table avec les plantes vertes. L'agrandissement ne permet pas de lire vraiment son texte mais je suis persuadé que c'est celle d'Antoine Benoît.
On ne peut croire à un vrai lieu habité ou alors les enfants qui vivent là sont incroyablement sages... On note que le photographe, J. Derenne, se place sur l'arête de la porte coulissante comme pour nous en montrer mieux ses avantages, sa réalité. C'est raide mais tellement beau cet ordre parfait.
Ordre parfait.


Voilà.
C'est fini ?


samedi 22 décembre 2018

Roman de la Grande Arche

Vous aurez compris que depuis peu, je vous parle de livres. C'est l'approche des fêtes de Noël qui me donne l'envie de partager avec vous des idées cadeaux à vous faire ou à offrir.
Je continue aujourd'hui mais, cette fois, je m'en veux un peu car j'aurais bien pu faire cet article sur ce livre, il y a longtemps. D'ailleurs cela va être un peu difficile de vous en parler après ce délai si long entre ma lecture et l'écriture de cet article.
Pourtant ce livre mérite très largement que vous en fassiez la lecture car il est d'une espèce rare puisqu'il s'agit si on en croit l'auteure et son éditeur, non pas d'un livre document mais bien d'un roman.
Le livre s'appelle La Grande Arche et il est écrit par Laurence Cossé.
Il est bien écrit roman sur la couverture de Gallimard...


Je ne m'attarderai pas sur cette particularité, j'oserai cette coquetterie, car je n'ai pas bien saisi ce qui, dans le travail remarquable de narration de la construction de la Grande Arche fait ici roman. Certes, j'aurais bien du mal à différencier ce qui est de l'ordre du vrai, de l'ordre de l'invention, pouvant facilement par l'écriture claire et limpide croire à tout ce que j'y lis. Je crois surtout que c'est pour Laurence Cossé une manière de mettre à distance ce qui serait son opinion sur cette aventure, presque cette mythologie de la construction de la Grande Arche. Pour le reste, le livre, son contenu, l'histoire qu'il porte, est absolument passionnant, parfaitement étayé, incroyablement juste et même un peu attendri vis-à-vis de Spreckelsen dont la destinée était de construire un chef-d'œuvre plus grand que lui.
Ce qu'arrive à nous faire vivre Laurence Cossé c'est la personnalité étrange de l'architecte, débordé par son œuvre, par l'importance politique et symbolique qu'elle représente mais aussi, personnalité déboussolée par la culture du construit en France, comme si, finalement, le choix présidentiel (une geste royale) ne pouvait rencontrer une culture de l'Europe du Nord dont Spreckelsen fait partie, moins sensible aux affres des enjeux d'images, des modes de responsabilités du chantier et à la réalité matérielle d'un bâtiment qui, par sa forme simple mais son échelle immense rencontrera immédiatement des problèmes de traduction dans le réel que seul le génial Paul Andreu saura saisir, réussir et même sauver après le retrait de Spreckelsen.


De ce point de vue, l'ouvrage de Laurence Cossé rend l'aventure palpitante, nous donnant parfaitement tous les enjeux et jeux de pouvoir, toute l'époque aussi. Et, ayant fermé l'ouvrage, vous vient l'envie immédiate d'y aller voir. Ça tombe bien, le toit terrasse est ré-ouvert et on peut visiter des expositions au dernier étage de l'Arche. Allez-y, c'est somptueux.
J'aime la Grande Arche, j'aime aussi les nuages de Deslaugiers, j'aime que Mohamed Lestrade ait participé à sa construction, j'aime son symbole, son Miterrandisme flamboyant et autoritaire. J'aime le petit décalage de son axe, poésie remarquable dont François Loyer attribue à tort la réalité de sa nécessité.
Je vous conseille donc de lire le livre de Laurence Cossé puis de vous rendre à la Grande Arche dans la foulée. Vous mesurerez alors comment une idée simple, presque enfantine (un cube percé) devient un monument, une partie de l'histoire de France, une déception assumée, un rêve réalisé.
N'oublions pas aussi l'autre livre important sur la Grande Arche, celui de François Chaslin (nous reviendrons sur ce livre), tout aussi passionnant et documenté, il reste une référence sur l'invention de cette construction. Il vous faudra les deux ouvrages pour bien mesurer aussi le temps qui a passé entre l'écriture de Monsieur Chaslin et celle de Laurence Cossé. Temps qui fait parfois l'acceptation, qui construit le Patrimoine.
Je vous sers quelques cartes postales, il en existe des dizaines sur ou avec La Grande Arche photographiée. Nous y reviendrons plus longuement, d'autres fois. J'ai choisi une petite série très belle. Les cartes postales sont toutes des photographies de Paul Maurer pour les éditions Mille. Le photographe semble avoir aimé une lumière bleue un peu froide pourtant réchauffée par le disque solaire. Ce petit reportage nous baigne dans une atmosphère glacée, irréelle comme celle d'un film de science-fiction post Blade Runner. C'est vraiment une belle série, peut-être un peu trop chic pour être ce que nous attendons d'une carte postale plus convenue. Mais c'est tant mieux. On note qu'au dos pourtant sans correspondance, l'acheteur (euse) a écrit : "visite avec mimi, le 8-11-90". Il y a donc maintenant 28 ans...
Je vous donne aussi quelques photographies de votre serviteur. Nous avions aimé trouver sur la surface du béton, partout des signes et des dessins laissés par ceux qui ont travaillé là, beauté sensible d'un béton brut autorisant la notation directe. Il aurait fallu le courage d'en faire l'inventaire.




Sur place :












































































































































































































































































 

mardi 18 décembre 2018

François Loyer, Claude Parent, un vivace contentieux ?

Dans une galaxie lointaine et dans une autre vie, j'ai suivi les cours de François Loyer à l'École du Louvre. Ils étaient passionnants ses cours sur la construction du Paris Hausmannien et, à cette époque, je ne savais pas encore que je serais plus tard un défenseur d'une tout autre architecture, d'une tout autre idée de la ville.
Alors, avec surprise et joie, j'avais beaucoup aimé retrouver François Loyer tout jeune dans ce film de Éric Rohmer, tout jeune certes mais quelque peu déstabilisé par Monsieur Parent, un rien en colère contre l'affirmation du jeune historien. Monsieur Loyer est-il d'ailleurs déjà, à ce moment, un historien de l'architecture et comment était-il arrivé là, devant ce duo bien construit et intransigeant (à raison) ?
Je vous conseille de bien regarder ce film, d'une précision incroyable, d'une force aussi et dont l'intelligence des réponses de Messieurs Virilio et Parent provient aussi de leur complicité et de leur superbe complémentarité. On note aussi une charge sur Corbu mais aussi une défense de Mr Parent absolument parfaite.














Alors, j'aurais pu croire que le jeune François Loyer, après ce tournage et cet assaut soit simplement retourné à ses recherches sans rancune...
Mais...
Oui, il faut un mais.
Au début de l'automne, je tombe totalement par hasard sur le numéro 186 de la revue l'Œil, daté de 1970 dans lequel François Loyer écrit un article sur les centres commerciaux et supermarchés de Claude Parent. L'article est somptueusement enrichi de photographies de Marc Lavrilliers mais le texte, comment dire... comporte des charges à peine dissimulées que Monsieur Parent a dû prendre avec humour, j'espère. Il devait être à la fois heureux d'avoir droit à un article aussi long mais il devait aussi lui être bien difficile de supporter les piques du critique ! Je m'amuse alors à croire à un vieux contentieux perdurant depuis ce film entre Monsieur Parent et Monsieur Loyer, trouvant là, dans cet article, l'occasion d'une mise au point salutaire ! On note que dans le même numéro, François Loyer prend la défense du vieux Dijon, sans doute plus dans ses cordes.
Je vous donne donc cet article. Je désire appuyer sur les très belles photographies de Marc Lavrillier qui illustrent cet article. Que sont devenues ces archives ? Où êtes-vous Monsieur Lavrillier ?

Je ne cesserai de remercier Éric Rohmer de nous avoir donné l'occasion d'entendre Messieurs Parent et Virilio bien définir leur position, bien loin de l'entendu habituel, des raccourcis Vintage, des approximations devenues légions sur leur travail. Monsieur Virilio, par exemple, laisse derrière lui les bunkers.
Circulez, messieurs, mesdames, il n'y a plus rien à y voir... Comme dit Loud dans sa chanson : la nostalgie aux perdants.

"J'allais vous dire, pour nous, le béton c'est la liberté."
Claude Parent.



Je vous donne pour commencer une carte postale inédite du centre commercial de Ris-Orangis dont je vous rappelle le combat. On devine dans le film, la cité de l'Aunette à Ris-Orangis, le film de Éric Rohmer fut donc tourné en partie à Ris-Orangis. C'est émouvant, émouvant, émouvant d'en voir les fers à béton, les ouvriers, l'architecte perché, la beauté de la coulée. La carte postale des éditions Combier n'évoque pas le centre commercial même s'il apparaît bien à droite de la photographie mais nous parle du Domaine de l'Aunette et cite même son architecte, que nous connaissons bien, Monsieur Claude Balick.
La carte est datée de 1969, autrement dit, le centre commercial est tout neuf ! On notera la belle qualité de l'ensemble dessiné par Mr Balick qui a su accueillir avec euh... tact le centre commercial en parfait contraste.