mardi 27 octobre 2020

Ils y sont (et pas moi)

 Je cherche, je fouille, je me demande ce qui pourrait moi-même m'étonner. Je tombe alors sur cette carte postale d'une avenue bordée généreusement d'arbres et dont le ciel prend une grande place. Des immeubles blanc à l'écriture moderne ont sans doute justifié mon impulsion d'achat et puis... j'ai oublié cette carte dans l'une des boîtes. Avais-je aimé l'enseigne du Casino en bas à droite ? Avais-je retenu la grande rigueur de cette voie de communication, rigide, dure, si prompte à nous faire croire que la leçon de la Chartes d'Athènes aurait ici réussi à trouver son terrain : l'hygiénisme par le prospect, l'air circule tout comme les automobiles au pied des barres et des immeubles. Que dois-je faire vraiment de ce type d'espace urbain ? Quel leçon en tirer ? En ai-je encore la force ? 



Rien ne m'a permis de mettre un nom sur un urbaniste ou un architecte pour cet ensemble urbain dont la carte postale de l'éditeur Baure nous dit qu'il s'agit du Cours Fauriel à Saint-Étienne. Mais soudain, à ce nom de ville mon cœur se serre et se réjouit en même temps. Je sais que certains corps à moi très chers y sont sûrement et cela me suffit à regarder fixement l'image comme si cette intensité me permettrait d'un coup de m'y retrouver avec eux.

Élina et Thomas y sont. Et pas moi. 

Élina Stoflique y trouve-t-elle la ville médiévale ou les signes d'un Pouillon oublié ? Thomas Rayon y trouve-t-il l'occasion d'éprouver dans un Burberry à 10 balles son sex appeal ? Se donnent-ils rendez-vous dans une boîte à photocopies au gérant sympa qui les laisse éditer des fanzines déglingués ? Ont-ils pu s'offrir des noix de cajou au centre commercial ? Je ne sais pas. Je sais juste que de ne plus les voir m'est difficile. Alors je pars dans cette carte postale, je cours sur le Cours Fauriel et je m'essouffle vite. Je voudrais comme Mary Poppin's tomber dans l'image à la craie dessinée sur le trottoir. 

Finalement, ce minuscule voyage n'est-il pas la fonction première d'une carte postale ?

Y être. Avec eux.

La carte postale fut expédiée en 1973 avec un superbe tampon stylisant la Maison de la Culture et des Loisirs de Saint-Étienne. La Marianne du timbre est ainsi caressée par la courbe de ce dessin. C'est délicat.

Je m'accroche à cela, à la délicatesse d'une culture qui caresse Marianne. 

La bise à vous deux.



samedi 24 octobre 2020

Pont de maçon, télévision de maçon, Pritzker Price de m...

Dans une collection comme la mienne, il est parfois difficile de se décider de ce que l'on doit écrire car les sujets eux-mêmes semblent trop complexes pour un article si court sur un blog. Et les jugements définitifs sur une construction occultent parfois une œuvre plus forte, plus riche, voire bavarde, d'un architecte n'ayant justement pas voulu choisir.

Nous remercierons donc l'entreprise Bouygues d'avoir été en cette matinée, celle qui me fit faire cette découverte. J'étais en train de me dire que je possédais deux expressions bien différentes de cette entreprise dans ma collection de cartes postales quand surgit le nom de l'architecte Kevin Roche.

J'avoue que je n'avais pour ma part jamais entendu ce nom d'architecte. Pourtant dans un classeur Boring Postcard (ce qui en dit déjà long de mon intérêt pour l'architecture concernée) était bien rangée cette carte:



Je n'en aime rien. Rien. Ni la blancheur immaculée, ni les formes éculées de la fausse serre géante, ni les pauvres plantes vertes soulignant les épais escaliers. Lourd, trop gras, d'un esprit de centre commercial au mauvais goût spectaculaire, le verso de cette carte, ajoutant le nom de Bouygues suffisait à me dégoûter de cette architecture grandiloquente.

Nous sommes à l'intérieur du "Challenger" (ne riez pas...) à Saint-Quentin-en-Yvelines, siège social du groupe Bouygues. Ce siège social est bien l'œuvre de Kevin Roche, architecte prolixe et relâché, qui, comme pour s'excuser de retourner sa veste stylistique, chanta toute sa vie qu'il ne fallait pas s'enfermer dans un genre. Le post-modernisme au service d'une architecture de merde. Car ce gros bébé que Bofill aurait pu dessiner mieux (c'est peu dire) est une grosse merde. Tout y sent le désir de communication, la boursouflure de l'image de soi du commanditaire, sorte de Versailles raté en béton, ce siège social est un machin immonde dont le commanditaire pourrait être Ceaucescu, Staline, le Prince Charles ou Mickael Jackson. Tout est une sorte de condensé du mauvais goût, celui justement de trop vouloir en dire, de trop vouloir en faire. On connaît ce phénomène quand l'architecte écoute trop les désirs de son commanditaire qui ne rêve pas d'architecture mais veut forcer le respect des références en jetant dans la construction toutes les images de ses rêveries. N'est pas Louis II de Bavière qui veut, ni Walt Disney d'ailleurs. Ne me reste que l'espoir que Kevin Roche ait dessiné ce monstre avec, si ce n'est de l'humour (se moquant de ce gout) avec cynisme et opportunité en prenant le chèque et en reprenant vite son avion en riant à gorge déployée de sa forfaiture. Oui, il y a certainement de l'humour dans ce "Challenger".

On notera que cette carte postale provient directement de la communication d'entreprise du Groupe Bouygues mais qu'elle oublie de nommer l'architecte. Sursaut de fierté de ce dernier ?

Mais on pourrait aussi remercier Bouygues pour un autre objet qui fut au centre d'un scandale prouvant que être grand patron de la télévision ou grand patron de la construction n'autorise pas forcément à une ouverture d'esprit et à l'humour sur soi.

Voyez ce bel objet éditorial :



J'ai toujours aimé cette carte postale, cette fois rangée dans le classeur génie civil. Je dis bien que j'aime cette carte postale ce qui ne veut pas dire que j'en aime l'objet représenté, en l'occurence, le pont de l'Ile de Ré dont on sait maintenant à quoi il a servi : une catastrophe culturelle. Mais l'éditeur Marcou ici fait un beau travail de cadrage, donnant presque l'illusion que les courbes de ce pont puissent être esthétiques. J'aime aussi que mon œil touche le béton et la coulure qui court, figée, me ravit. L'image est bien construite, certainement d'ailleurs comme le pont. Monsieur Marcou aime donc les courbes, Rappelez-vous.

Au dos de cette carte postale, Monsieur Marcou nous indique bien que c'est Bouygues qui, entre 1987 et 1988 construisit ce pont de 2926 mètres. 2926 mètres de béton bien coulé, ça en fait des brouettes. Mais ceux de ma génération se souviennent donc aussi que c'est bien ce pont et l'émission qui lui était consacrée qui créa le scandale du renvoi du journaliste Michel Polac, victime collatérale d'un dessin de Wiaz dont je vous donne ici l'image.



Alors, il n'y a rien à conclure de tout cela, de tous ces bonds de mon esprit. Il n'y a que la preuve que nous construisons entre les images les liens propres à notre culture, à notre histoire. Et l'absurde architecture de ce "Challenger", sa laideur hurlante auront eu le mérite de m'avoir fait découvrir un architecte à l'œuvre opportuniste, parfois solide, parfois baroque devenu une star. Et l'histoire passera, comme passent les vacanciers sur le pont de l'Ile de Ré, trop lourdement, trop peu respectueusement, tueurs aussi de paradis.

Et je n'oublie pas que mon forfait de téléphone, je l'ai pris chez Bouygues, mais je ne peux décemment pas vous dire ici pourquoi. Il y a certaines architectures qui sont puissantes à vos désirs. Aucune éthique, je vous dis.

Dans mes archives je trouve quelques réalisations de Kevin Roche avant qu'il ne bascule du côté obscur. C'est l'Architecture d'Aujourd'hui qui régale et nous montre deux superbes projets américains de Kevin Roche. Sensualité, affirmation des volumes, clarté de la structure, tout y est superbe et bien loin de Francis. J'en suis certain maintenant, en voyant ce que l'architecte a produit, il s'est foutu de la gueule du maçon.

Ford Foundation, K. Roche, J. Dinkeloo, photo de Erza Stoller :



Knights of Columbus Headquarters Building, New Heaven, sans doute l'un des chefs-d'œuvre de Kevin Roche et John Dinkeloo :





mardi 6 octobre 2020

Faites-vous balader au Mans

Je reçois, je diffuse :

Parfois, il faut le dire, on a honte.

Alors que j'apprends* que le CAUE de la Sarthe ferait au Mans une promenade autour des constructions du Vingtième siècle, les travaux sur l'hôtel des téléphones du Mans sont terminés. Le projet que David avait dénoncé est donc maintenant construit. Oh nous ne pensions pas une seule seconde qu'une telle épouvante aurait pu sous notre seule énergie être stoppée. Non, nous ne sommes pas à ce point certains de nous ni de la portée de nos actions. Mais bon, tout de même, de voir ce ratage dans le réel, le voir comme disent les enfants pour de vrai laisse toujours dubitatif sur notre monde. Comment autant de laideur peut ainsi être inventée ?

Aucune audace, aucun respect, une sorte de machin hausmannien de merde comme prévu. Je vous laisse juge. On imagine les discussions du bureau d'études, de comment d'abord il aura fallu trouver un emballage communicationnel rassurant pour vendre aux investisseurs le programme puis ensuite inventer une forme faussement tranquille pour que le socle historique disparaisse, éteint par ce bubon sur le toit. On admire comment les ouvertures furent réduites. Réduire des ouvertures c'est toujours mauvais signe... 

Comment on en arrive là au Mans ? Comment ce quartier Courboulay a-t-il pu voir son auvent de Prouvé disparaître, sa barre Le Couteur totalement défigurée et son mobilier de Prouvé et Perriand sauvé de justesse par des particuliers, son Hôtel des Téléphones maintenant massacré...? Qui n'a pas fait le travail de respect nécessaire ? Qui n'a pas protégé et éduqué ? À qui incombe cette "mission" de regard sur le Patrimoine Architectural Moderne au Mans  ? Qui a donc laissé le bâtiment administratif tomber ainsi que son superbe auvent de béton ? Ouf... L'architecture des bunkers nazis, elle, est sauvée. On s'en réjouit. Au Mans, n'est pas Patrimoine qui veut.

Laisseront-ils, au Mans, les immeubles de Vago ou celui de Ginsberg être bientôt défigurés ? Savent-ils qu'un pont Hennebique traverse la Sarthe ? Et Saint-Liboire, magnifique pépite d'art Sacré va-t-elle à son tour tomber ? 

En ces journées Nationales de l'Architecture au Mans, on est heureux qu'une "promenade" permette ainsi de rendre hommage à l'inaction, à la défiguration, à la destruction. Il y aura des regrets. Des "vous voyez on peut réhabiliter le bâti moderne ! Vous voyez on peut le mettre au goût et aux normes du jour !" . Et aussi des déclarations d'impuissance et des regrets. Ce sentiment d'avoir bien fait... Inscrivez-vous donc rapidement, allez voir les dégâts. En un mot :

Faites-vous balader... ce samedi 17 octobre.

Walid Riplet

carte postale éditions La Cigogne expédiée en 1962




pour lire ou relire d'autres articles sur les catastrophes du Mans :

https://archipostalecarte.blogspot.com/2020/03/sylvain-bonniol-etre-aller-voir-j-1.html

http://archipostcard.blogspot.com/2010/09/marin-kasimir-paradoxalement.html 
https://archipostalecarte.blogspot.com/2017/03/charlotte-perriand-au-mans.html 
https://archipostalecarte.blogspot.com/2016/02/obliques-autour-de-claude-parent.html
https://archipostalecarte.blogspot.com/2018/07/le-mans-est-open-lhorreur-architecturale.html
https://archipostalecarte.blogspot.com/2019/04/un-anneau-pour-les-reunir-tous.html
https://archipostalecarte.blogspot.com/2016/09/le-mans-modeste.html
https://archipostalecarte.blogspot.com/2019/01/un-pont-hennebique-au-mans.html
https://archipostalecarte.blogspot.com/2019/04/jean-ginsberg-le-mans-monaco.html
https://archipostalecarte.blogspot.com/2019/11/on-va-pas-semmerder-avec-ca.html
etc.......

Un blog, un autre, important :

http://lesvuesdumansquimanquent.blogspot.com/ 

* merci Antoine pour l'info.

 


lundi 5 octobre 2020

Royan à Royan, c'est normal, finalement

 Comme je vous ai tous vus à ma conférence sur Royan et sa modernité vue par les cartes postales, je ne vous ferai pas un article sur ce que j'y ai raconté. Et puis, au pire, je sais, au vu des nombreux retours de vos lectures que vous avez déjà tous lu Royan, l'image absolue et que, donc, vous en avez saisi l'essentiel. Mais savez-vous que pendant ces trois belles journées, j'ai laissé là-bas, dans les bras de Charlotte de Charette et de Madame David, les deux gros classeurs de mes cartes postales sur Royan pour les verser à la Ville et à ses archives. Voilà bien une histoire qui s'achève. Oh, ne soyez pas inquiets, je continuerai à enrichir cette collection avec de nouvelles arrivantes ou à poser un regard sur cette représentation.

Mais le plus important finalement, dans ces journées à Royan, ce n'est pas de s'alléger si facilement au fond de plus de 900 cartes postales. Le plus important c'est que j'ai fait ce dernier séjour en compagnie d'une jeunesse ouverte à mes histoires et à l'architecture de la ville. Cette jeunesse c'est Louis Lepère et Gabrielle Desile qui la portaient de leur présence, tous deux n'ayant jamais séjourné à Royan, il me fallait faire avec eux le grand tour ! Sans doute que leur présence m'a permis de me focaliser sur l'avenir et m'a permis aussi de moins me replier sur la possible difficulté d'offrir ainsi une partie de moi-même. Un contrepoint sentimental en quelque sorte...

Nouvelle casquette sur la tête pour oublier une pluie battante, nous avons donc arpenté la plus belle ville du Monde. Nous n'avons pas oublié les bunkers, de prendre un bain courageux à leur pied et d'aller voir le chantier magnifique du Palais des Congrès ! Comme c'est beau de le découvrir ainsi, allant vers sa résurrection grâce à l'équipe de Monsieur Ferret. Ça va être superbe de revenir là. Merci pour ça. Merci.

Royan renaît doucement. On sent bien que les chantiers sont en cours, que la ville se tourne vers un renouveau. Pourtant il reste d'énormes points noirs. Le premier, bien entendu, c'est le Front de Mer. Il est grand temps que courageusement il soit décidé de raser, d'éradiquer, de supprimer, de broyer, de grignoter les immondes extensions des boutiques sur le devant de ce Front de Mer. On passera sur ce qui y est vendu, on passera sur la qualité des restaurants pour se concentrer sur l'improbable couloir indigne qu'oblige ce genre de commerces. Il faudra être radical. On notera qu'une tour d'ascenseurs vient même d'être créée à l'arrière du Front de Mer... Quand la digue cède... Il faudra être alors aussi radical pour les Galeries Botton, elles aussi totalement noyées derrière des extensions inqualifiables et qui dénaturent totalement l'inspiration brésilienne dont la Ville se réclame. Rasons tout cela. Revenons au Patrimoine, laissons-lui la chance d'exister réellement.

Notons que les arrières du Boulevard Aristide Briand, que leurs façades sont dans un état aussi épouvantable, que les résidences nouvelles au style faussement 50 montant en hauteur écrasent par exemple certains points de vue sur le marché, que celui-ci présente un état inquiétant de ses peintures et nous aurons fait presque le tour des problèmes. Bref, entre la pression immobilière de mauvais goût mais à haut rendement financier, entre des propriétaires de logements de vacances ou de maisons secondaires se refusant à un entretien normal des façades, Royan fait ce qu'elle peut pour maintenir sa tête hors de l'eau et évoluer sans renier ce qui la fonde : la modernité. En ce sens, le service Culture de la Ville fait acte de pédagogie avec beaucoup de courage et d'invention. Merci.

C'est certain, les reconstructions du Portique et du Casino donneront un élan à ce retour en Grâce d'une ville martyre et exemplaire.

Gabrielle, Louis et moi-même remercions vivement l'ensemble du personnel du Service Culture de la Ville de Royan et la mairie de Royan pour cette invitation.

Quelques images de ce séjour à Royan, qui reste, en toute objectivité et malgré ces soucis, la plus Belle Ville du Monde.













Au fond, la très belle résidence Les Fauvettes, espérons que...