vendredi 28 février 2020

Flaine, une excuse et un coupable

Parfois, on enrage.
On enrage contre le photographe de carte postale de n'avoir pas compris qu'il aurait pu faire le parfait cliché pour ce blog en se déplaçant un peu, en cadrant autrement. On dirait qu'il fait exprès de venir à proximité mais ne voit pas, ne comprend pas qu'il passe à côté de la parfaite carte postale.
Regardons :


Vous me demanderez de quoi je me plains en regardant cette carte postale. Le photographe resté anonyme cadre à la fois la neige, la montagne, le bâtiment de ce forum de Flaine et en plus il l'anime par les jeux des enfants et des beaux drapeaux qui ouvrent le premier plan. Alors ? Alors quoi ?
Mais voyons, vous ne voyez pas ?
Là, à gauche, dans l'ombre sombre des sapins ?


Vous ne voyez pas que la chapelle de Flaine, dessinée par Marcel Breuer est à peine visible ? Nous aurions tellement aimé la voir en plein cadre, regardée vraiment. Mais ne jetons pas la pierre à ce photographe. Il fait son métier et il nous permet finalement de regarder un espace désiré par Breuer, celui du Forum et cette chapelle, un peu oubliée est en fait à sa place, non pas comme la star de Flaine mais comme un élément parmi d'autres, comme le ciel, la neige, et ce vide qui circule entre le construit.
Enfin, je me rassure en pensant cela et si un jour, je tombe sur une carte postale ayant, cadrée seule, cette chapelle, il se pourrait bien que j'oublie celle-ci. Il est toujours difficile de rendre compte de l'architecture car elle n'est pas faite que d'objets saisis dans leur unicité. Elle est aussi faite des espaces entre ces objets. Et on pourrait bien croire que là, dans ce simple carton imprimé, le photographe des éditions Iris nous en dit bien plus sur la gestion spatiale de Flaine et donc sur le travail de Marcel Breuer que s'il avait isolé l'une de ses constructions.
Comme nous la voyons mal cette chapelle, il nous est difficile d'en chanter sa beauté, ses formes. On devine à peine ses trois volumes dont le campanile central qui semble avoir écrasé les deux autres volumes.
D'ailleurs on pourrait facilement ranger cette architecture dans la classe des monolithes offrant une esthétique qui se refuse à se dévoiler et faire comprendre son plan, ne donnant à voir que des faces sombres, percées comme au hasard dont la rudesse, les angles, la couleur voudraient agir comme un bloc fendu un peu raide : l'onirisme brutaliste de la masse. Reste cette étrange impression de poids lourd posé au centre ayant appuyé trop fort sur les deux autres volumes.  Je ne ne sais pas trop quoi penser de cet expressionnisme un peu trop revendiqué. Mais je ne peux juger. Et savez-vous pourquoi ? Parce que le photographe des éditions Iris n'a pas voulu mieux cadrer. Il faut bien, que voulez-vous, que je me trouve à la fois une excuse et un coupable.
Pour mieux voir cette Chapelle de Marcel Breuer et même en lire ses plans, je vous conseille ce site très complet :
https://patrimoine.auvergnerhonealpes.fr/dossier/chapelle-oecumenique-de-flaine/2a9bca50-d680-4332-a631-7254f5def43a 
Pour une belle lisibilité des formes, je vous conseille la page du Centre Pompidou consacrée à la maquette de cette chapelle :
https://www.centrepompidou.fr/cpv/resource/crXLqb/rAbMeyK 
Pour revoir Flaine sur ce blog :
https://archipostalecarte.blogspot.com/search?q=flaine 
Pour revoir Marcel Breuer sur ce site :
https://archipostalecarte.blogspot.com/search/label/Marcel%20Breuer
Pour revoir ailleurs les très beaux jeux ici perdus dans la neige :
https://archipostalecarte.blogspot.com/2013/12/a-trappes-volumes.html

Vous savez comme j'aime Fillod et nous avons déjà eu la chance d'en voir à Flaine une belle implantation. Je vous donne donc cette nouvelle carte postales signée Cluses-Photo qui reprend le point de vue. La carte est intéressante car l'éditeur informe au dos son image de la sorte : Hébergement ouvriers de FLAINE. 
Il ne fait aucun doute que cette carte postale s'adresse surtout à eux, les ouvriers, heureux d'ainsi pouvoir montrer leur condition de logement pendant ce chantier.
On aime les camions qui circulent mais aussi les premiers plans où la nature semble chamboulée, racines, branches, cailloux sont à la renverse.
Nous aurions aimé trouver au verso une correspondance pour nous raconter les conditions de travail sur ce chantier...
Pour revoir Fillod sur ce blog :
https://archipostalecarte.blogspot.com/search?q=fillod 



mardi 25 février 2020

Granit, c'est du lourd.

Dans ma collection, il arrive tout de même que des cartes postales anciennes viennent prendre place à côté des cartes dites modernes.
La fouille des boîtes à chaussures laisse parfois surgir une carte inattendue que le prix modeste vous incite à emporter. Ce fut bien le cas ici, avec cette série assez exceptionnelle expliquant l'exploitation du granit. Même si nous aurions préféré une entreprise du béton armé, nous n'allons pas vous laisser sans la chance de voir ces incroyables documents qui racontent par l'image l'exploitation d'une carrière de granit à Saint-Étienne-en-Coglès (Ile-et-Vilaine) par l'entreprise Compagnie Granitière Georges Régnault dont le siège social était, lui, à Paris.
Bien entendu, le granit n'a pas qu'une utilisation architecturale et l'on devine même sur ces cartes postales une utilisation plus dirigée vers le funéraire et les monuments qui y sont associés. Mais une fois encore, la carte postale démontre ses capacité à faire document pour l'histoire. Ici, les photographies nous permettent bien de voir le travail des ouvriers, d'en deviner les pénibilités, de suivre toute la chaîne de production, de voir les incroyables machines qui pour un lithographe ne  laissent pas de marbre ! Que j'aurais aimé avoir ainsi des graineuses et polisseuses mécanisées pour dresser mes pierres !
On ne sait rien de l'éditeur ni de ce qui a conduit la Compagnie Granitière a faire ce reportage, à part, bien sûr, pour en promouvoir les produits. Mais comment ces cartes étaient distribuées et à qui ? Les ouvriers ont-ils eu l'opportunité d'en envoyer ? De montrer à la maison le soir, leur trombine à la famille ? L'entreprise n'avait-elle pas peur que ce genre d'images servent à raconter la dureté du métier et des conditions de travail ?
On voit bien, en tout cas, que les ouvriers et contremaîtres se savent photographiés et qu'ils fixent d'ailleurs souvent le photographe. Je regarde les vêtements, les sabots, les casquettes et les gros pantalons lourds comme j'en porte en ce moment même. Je plonge dans le froid de ce hangar ouvert, je sens l'humidité sous mes pieds et j'imagine une bande sonore faite de bruits de machines, de discussions d'ouvriers, de blocs chutant.
Ces tailleurs de pierre allaient-ils parfois en ville passer la main sur une pierre taillée et installée à sa place en ce rappelant qu'ils l'avaient façonnée ? J'en suis certain.
Et quelle était la part du granit qui partait pour une utilisation en architecture ?
J'ai toujours rêvé un jour d'aller à Solnhofen voir les carrières de pierres lithographiques, de revenir à la source de mes pierres. Je m'étonne toujours que la Terre laisse ainsi les reliquats de sa puissance tellurique être aussi facilement retirés de son sol et partir partout pour construire ailleurs une autre géométrie, un autre ordre : des pierres pour dessiner, du granit pour le sol des halls de banques, des marbres pour Michel-Ange. Dispersion de la cristallographie du Monde.
Bonne visite.
N'embêtez pas les ouvriers, soyez prudents.
































































































































































samedi 22 février 2020

Lettre ouverte à Monsieur Thery, CIC de Laxou-Nancy

C'est avec beaucoup d'espoir que je me fais le relais de cette lettre ouverte. Il est grand temps qu'enfin, la valeur patrimoniale de ce bâtiment soit reconnue, soutenue et sauvée. Il est grand temps aussi de s'interroger sur l'utilité de ce Label Architecture Remarquable. 

Des infos ici :  
https://infodujour.fr/culture/architecture/29949-immeuble-cic-de-laxou-une-lettre-ouverte-a-nicolas-thery?fbclid=IwAR3NiUu8KOtj57G_iHNSNE-omzeriVg_1lLtl-_xFuyYOHO4J80G0CT0768

ou ici :
https://infodujour.fr/culture/26549-nancy-rififi-autour-dun-batiment-labellise-suite

ou ici :  
https://archipostalecarte.blogspot.com/2017/02/jean-prouve-en-banque.html



Lettre ouverte à Monsieur Nicolas THERY, président du Crédit Mutuel
Objet : Démolition du bâtiment du CIC à Nancy-Laxou

Monsieur,
C’est au président du Crédit Mutuel et à l’homme de culture que s’adresse cette lettre ouverte.
Vous qui défendez la culture, grâce au soutien que vous apportez aux manifestations littéraires comme Le Livre sur la place à Nancy, et par vos œuvres de mécénat, Vous qui êtes à l’initiative de l’opération Lire la ville initiant les écoliers à comprendre la ville, son architecture, ses aménagements et ses paysages, Vous qui questionnez la métamorphose des villes d’aujourd’hui, la mutation du commerce et les nouvelles mobilités, la diminution de l’empreinte carbone et le respect des critères écologiques, au point de soutenir financièrement Les Journées de l’Architecture organisées par la Maison européenne de l’architecture, Vous qui participez à la promotion des nouvelles pratiques s’attachant à faire évoluer l’existant plutôt que de démolir et reconstruire, envisageant le recyclage, la réaffectation et le réemploi des bâtiments, Vous qui soutenez activement les actions du réseau national des Maisons de l’architecture en tant que partenaire privilégié, Vous qui vous présentez comme protecteur de l’architecture,

Ne pensez-vous pas être en contradiction avec l’image que vous affichez en ordonnant la disparition du bâtiment CIC à Nancy-Laxou, édifice emblématique de la Métropole du Grand-Nancy et significatif de l’architecture contemporaine en Lorraine ?


En 1972, pendant que le Crédit mutuel décidait de protéger le patrimoine des Alsatiques en créant la
Bibliothèque alsatique à Strasbourg, se construisait à Nancy-Laxou le remarquable siège de la Société
Nancéienne de Crédit Industriel (SNCI) devenu Société Nancéienne Varin-Bernier (SNVB) puis CIC-Crédit Mutuel.
Ce bâtiment, audacieux par sa forme pyramidale et par sa structure alvéolaire évolutive, et novateur
par ses panneaux de façades mis au point avec Jean Prouvé, est un signal fort d’entrée
d’agglomération. Il est aussi un témoignage significatif de l’histoire régionale de la banque SNVB et porte une dimension mémorielle forte du lien qui unissait autrefois la banque et l’industrie du fer.

Pour ces raisons, le Ministère de la Culture lui a décerné le label Architecture Contemporaine
Remarquable en 2016
, après qu’il eut été déclaré dans un bon état structurel et sanitaire par les services de l’État et par vos services.

Or, ce bâtiment est actuellement en GRAND PERIL car, suite à de prétendus désordres structurels
présentés par votre administration, un permis de démolir tacite vient de lui être accordé par la mairie de Laxou.
Malgré la stupéfaction produite par cette annonce, et en dépit des demandes écrites faites à vos
services techniques tant par l’architecte concepteur Jean-Luc André que par l'association AMAL
(Archives Modernes de l'Architecture Lorraine) pour avoir l’autorisation de consulter les diagnostics
techniques, ceux-là n’ont reçu aucune réponse – laissant planer de sérieux doutes sur la dangerosité
supposée du bâtiment évoquée par le Crédit Mutuel.

Que ce bâtiment ne corresponde plus à vos exigences de développement et d’usage d’aujourd’hui, c’est compréhensible. Cela justifie-t-il sa démolition ? Lorsque l’on sait, d’une part, qu’il y a la possibilité de réaliser le nouveau bâtiment de bureaux programmé par le Crédit Mutuel sur le même terrain, au-dessus des parkings, dans le respect des règles d'urbanisme, voire sur des friches disponibles à proximité immédiate, sans toucher au bâtiment existant CIC ; lorsque l’on sait, d’autre part, la possibilité de réhabiliter le bâtiment existant, de le diviser en plateaux à louer ou à vendre (des demandes ont été exprimées), on est en droit de se demander pourquoi ces solutions, offrant un coût économique et écologique moindre qu’une démolition-reconstruction, n’ont pas été retenues par vos services ?

Monsieur le Président, ce projet imminent de démolition provoque l'indignation de nombreux architectes, historiens et universitaires, professionnels du bâtiment et résidents du Grand Nancy, tous soucieux de leur patrimoine. Ils ne peuvent admettre cette destruction.
Monsieur le Président, c’est à l’homme de raison et de cœur que s’adresse cette lettre.
Démolir le bâtiment labellisé du CIC c’est renoncer à une ambition du patrimoine,
c’est renoncer à un
moment de l’histoire de notre architecture régionale. C’est prendre aussi le risque d’une campagne de
presse nationale, et que ce cas d’école n’entache durablement l’image du Crédit Mutuel.

Aussi, nous vous demandons de bien vouloir réexaminer les solutions de votre redéploiement sur le site du CIC Laxou, tout en donnant une seconde vie à cet édifice remarquable.
Nous sommes tout à fait disposés à vous y aider.
Pourquoi passer à côté de cette alternative en accord avec vos convictions ?

Dans l’espoir d’être entendus et compris.
A.M.A.L.  DOCOMOMO FRANCE 
Denis Grandjean, Président des Archives Modernes de l’Architecture Lorraine  Richard Klein, Président de Docomomo France, Association pour la documentation et la conservation des édifices et sites du Mouvement Moderne. 
S.P.P.E.F.  CROA GRAND EST 
Julien Lacaze,  Jean-Marc Charlet, Président du Conseil Régional 
Président de Sites & Monuments (SPPEF)  de l’Ordre des Architectes du Grand Est 
Société pour la Protection des paysages 
et de l'Esthétique de la France 

U.N.S.F.A. -LS

Christian Zomeno, Président de l’Union Nationale des Syndicats Français d'Architectes -Lorraine Sud

Adresse mail de contact : contact@amalorraine.fr






samedi 15 février 2020

Mystère helvéte : Rainer Senn






































Voilà une carte postale bien étrange. Elle nous montre la maquette d'une chapelle audacieuse, toute d'angles et de triangles, maquette incroyablement installée dans un décor forestier qui semble projeté sur un écran. L'ensemble ne manque pas d'allure, surtout ce poteau qui, de biais, traverse la toiture pour rejoindre le sol. Sur plan carré, à la fois curieuse et bien dans le genre des extravagances modernes de Vatican 2, cette chapelle est située à Pontarlier. Il s'agit là encore d'une carte postale de souscription, c'est même indiqué comme tel sur le verso de la carte.
On trouve sur cet article de l'Est Républicain, des photographies bien utiles pour voir le beau travail de l'architecte qui a su avec une grande simplicité, réaliser pourtant des jeux d'ouvertures surprenants.
https://www.estrepublicain.fr/edition-pontarlier-haut-doubs/2019/12/04/pontarlier-la-chapelle-des-castors-va-etre-vendue 
La Chapelle fut donc bien construite et porte le nom de Chapelle des Castors car construite dans un quartier réalisé avec ce mode collectif des Castors. Cette chapelle fut désacralisée il y a peu. Et c'est bien émouvant, cette cérémonie :


Mais ce qui reste mystérieux c'est son architecte : Rainer Senn. Le moins que l'on puisse dire c'est qu'il n'y a pas grand chose sur cet architecte sur l'internet et qu'il sait se faire discret.
Pourtant une piste, là aussi vers une église, nous est donnée ici :
http://www.transpositions.co.uk/examining-ephemeral-ecclesiastical-architecture/ 
Le pragmatisme dont fait preuve alors Rainer Senn n'est pas sans nous rappeler l'expérience des Murondins de Le Corbusier. 
Il semble donc que l'architecte aimait à la fois les formes simples, le nudisme des matériaux et peut-être aussi une certaine architecture sociale ou, au moins, évoluant dans des milieux économiques peu fortunés, comme ici pour l'Abbé Pierre. Est-ce que cela dura toute sa carrière ?
J'aime, en tout cas, beaucoup cette carte postale et ce choix éditorial pour nous montrer ainsi une future chapelle. L'éclairage ardu et contrasté, ce jeu amusant du décor un rien flou et onirique qui s'oppose à la grande dureté géométrique de la maquette, tout cela forme bien un document sur l'architecture religieuse étrange et rarement aussi surprenant.
Qu'est devenue cette chapelle maintenant qu'elle est un simple local ?
Qui saura à la fois en respecter l'émouvante et touchante histoire, sa belle simplicité et son architecture signe d'une vraie solidarité populaire ?




mardi 11 février 2020

Je ne Rosny rien

Dans une collection, il y a toujours des pièces qui semblent à elles seules justifier l'objet de ladite collection. Je crois que cette carte postale de l'Hôtel de Ville de Rosny-sous-Bois en est le parfait exemple :





































La carte postale Combier nous livre ici un bâtiment d'une incroyable élégance que la photographie sert magnifiquement par un redressement parfait des verticales et une composition simple et affirmée.
Ainsi ce bel exemple de l'Art de Monsieur Jean de Mailly son architecte est parfaitement compréhensible, rendu à la grâce de sa façade, à la simplicité apparente de son carrossage que le mur-rideau rend à la fois épuré et totémique.
Comment ne pas aimer ce genre de bâtiment offrant le condensé d'un esthétique des Trente Glorieuses que Jacques Tati aurait pu utiliser comme décor dans Playtime ? Il aurait aussi utilisé les lampadaires...
Brillance de l'aluminium, raidisseurs qui strient la façade, régularité des ouvertures, jeu des stores et bien entendu coins arrondis pour adoucir la forme. On note que cette carte postale ne permet pas de lire les volumétries au pied de cette tour, tour qui ne fait pas à elle seule le programme de cet Hôtel de Ville. Il faut se rendre sur Google Earth pour mieux saisir l'éparpillement au sol des volumes et leur implantation.
Petit détail amusant pour chanter la modernité de cet Hôtel de Ville, Renée, l'expéditrice de cette carte postale ajoute au stylo-bille une précision sur la construction :



Parfois, la modernité et son étonnement ne réclament pas plus... Le mot aluminium agissant comme un déclencheur de cette modernité.
Il faut aussi se rappeler que Renée avait sur le tourniquet de cartes postales à Rosny-sous-Bois, le choix entre plusieurs cartes postales :
https://archipostcard.blogspot.com/2012/06/de-mailly-sous-bois.html
Ainsi représentée, isolant sa tour, ce bâtiment offre certainement bien plus une image particulièrement moderne que Renée aura préférée. On la comprend et on remercie les éditions Combier de nous l'avoir éditée.
La carte postale nous donne comme date 1966 mais ne donne pas le nom du photographe. On nous signale qu'il s'agit d'une carte de la collection Merle, Maison de la Presse. Une exclusivité donc de ce point de vente.
Il semble que le CAUE île-de-France ait édité un ouvrage sur Jean de Mailly et Rosny-sous-Bois, remercions-le :
https://www.caue-idf.fr/content/1-les-journees-europeennes-du-patrimoine


 Dès que je vois un araucaria, mon cœur se réjouit.



samedi 8 février 2020

Tu chauffes, tu chauffes, Dubrulle.

Comme il devait être content le photographe des éditions Raymon d'avoir pu ainsi cadrer la Place Denis Diderot au travers des très pittoresques jets d'eau.
Car même s'ils sont un rien maigrelets et ont bien du mal à nous faire croire aux grandes eaux de Versailles, il n'empêche qu'ils voudraient bien donner à ce quartier d'Argenteuil quelque chose d'un grand ordre, d'une beauté du jardin à la française.
Une composition urbaine comme on dit.


Regardez comment il se place au ras de l'eau du bassin. Veut-il aussi à la fois tenir le bruit de l'eau, le café et les immeubles tentant sans doute, tout comme les rêves des urbanistes, à la place du village, à quelque chose d'éternel ?
Les jets d'eau ainsi cadrés jouent le rôle de filtre, de trame posée devant la ville, devant l'architecture, lui donnant une légèreté. C'est beau le bleu du ciel qui tombe dans le bassin et ainsi la ville est prise  entre ces deux bleus.
Je ne peux m'empêcher d'entendre le gazouillis des jets d'eau. Comment s'appelle donc cette fonction d'un sens, la vue, qui conduit à penser à un autre, l'ouïe ?
Mais les plus fidèles d'entre vous, ceux aussi qui ont une mémoire d'éléphant, se rappelleront avoir peut-être déjà vu ce coin du Monde ici ou ici ou ici...
https://archipostcard.blogspot.com/2009/02/blow-up.html
https://archipostcard.blogspot.com/search?q=argenteuil
Avez-vous ces souvenirs ?
Moi, oui.
C'est la tour cylindrique qui me fit immédiatement penser que j'étais déjà venu ici dans ce quartier d'Argenteuil.
Dans un numéro spécial sur l'habitat collectif de Architecture d'Aujourd'hui, on trouve deux doubles pages sur ce quartier que l'on doit à Roland Dubrulle. Ce qui saute alors au yeux c'est comment l'ensemble est photographié par J.P. Cousin.
D'abord il s'agit de voir la ville de loin, de l'installer dans l'horizon, presque imperceptible dans son paysage. Viennent ensuite trois photographies en noir et blanc qui composent sèchement les perspectives, durcissant la volumétrie. En face, trois très étranges photographies (dont je n'arrive pas à saisir le sens) opposent la ville de Dubrulle à des friches ou la terre battue et les pneus se font concurrence. Difficile de dire si le photographe veut montrer contre quoi lutte le quartier ou au contraire, dénonce la proximité avec ces terrains vagues. On devine au loin encore quelques caravanes et même un cheval dans un champ ! Les enfants d'Argenteuil devaient avoir là de sacrés terrains d'aventures, de jeux et peut-être aussi d'interrogation. Genoux écorchés, bagarre pour un Carambar, première cigarette...
Ce qui frappe dans la page suivante ce sont ces photographies de la dalle complètement vide. Monsieur Cousin a-t-il eu des consignes pour mettre en avant ces espaces ou bien est-il passé un dimanche matin de bonne heure pour être tranquille ? Quoi qu'il en soit, là encore, l'impression de minéralité, de vide, mais aussi d'espace prend le dessus sur un lieu convivial ou chaleureux. Mais n'allons pas trop vite y voir une accusation facile sur ce type de construction et ses usages. Pour ma part, j'aime particulièrement cette sensation de solitude et de géométrie pour soi seul. Oui, je sais.
En face, quatre autres photographies à nouveau en noir et blanc nous montrent plus précisément la dalle. La qualité photographique est là, le noir et blanc est superbe. Le photographe prend bien soin de nous montrer les circulations, les articulations et sa composition urbaine. Il est tentant de penser que là, Roland Dubrulle ou l'équipe rédactionnelle de la revue ont expressément demandé au photographe de cadrer ce genre de détails. La belle surprise de ces dernières photographies c'est le surgissement de la vie. De petites silhouettes féminines et enfantines s'y promènent et jouent et puis, soudain, rieurs et effrontés, des enfants viennent sourire en premier plan dans le cadre du photographe. Monsieur Cousin a-t-il trouvé important ce surgissement ? A-t-il cédé aux demandes incessantes des enfants ?
Immédiatement, je me demande ce qu'ils sont devenus ces enfants d'Argenteuil. Ont-ils vu cette photographie ?
Reste donc un ensemble de photographies qui, publié dans un tel journal, ne peut pas être jugé à l'aune d'une neutralité. Mais je crains bien que le sens de leur époque, voulant mettre en avant le travail de Roland Dubrulle et servir l'importance de ce moment urbain donne aujourd'hui une sensation tout autre, voire contraire.
C'est étonnant. On pourrait presque utiliser aujourd'hui ces photographies pour dénoncer la froideur des grands ensembles, la solitude de ces espaces vides alors même que c'est bien pour en montrer leur fonction qu'ils furent ainsi figés.
Pour ma part, aimant la minéralité, les dalles au petit matin d'un dimanche de février, les perspectives sèches, le béton bien rangé, je me régale des clichés de Monsieur Cousin et du travail de Roland Dubrulle. Nicolas Moulin pourrait aussi beaucoup les aimer.
Peut-on tirer des conclusions sur les différences d'approches d'un photographe de cartes postales et d'un photographe d'architecture ? Peut-on affirmer que l'objet éditorial influence l'analyse de l'image ?
Qui pourra vraiment dire la part de ce qui est décidé en amont de la prise de vue, de ce qui est nécessaire et de quelle utilité documentaire aujourd'hui nous avons besoin pour comprendre la conquête de ces espaces urbains par les habitants ?
Difficile...
J'espère donc vivement pouvoir un jour les retrouver, les croiser à nouveau dans une carte postale ou une revue ces beaux travaux de l'architecte et de ses photographes.