vendredi 27 mai 2022

On dirait le Sud bien gouaché

Mais voilà qui résonne d'une drôle de manière ! Il y a encore peu de temps, je vous aurai dit que non, je ne connaissais pas ce type de cartes postales montrant par des dessins gouachés les futures constructions. Mais voilà que deux cartes postales arrivent en même temps dans ma collection grâce à un vendeur ayant bien rangé dans sa boite un lot architecture.



Ce qui m'amuse c'est bien que cette période ait pu, dans une forme très joyeuse, représenter les projets immobiliers de la sorte. On y retrouve bien le style des années cinquante, très graphique, très coloré, un rien exagéré notamment dans les lignes générales un peu allongées. Le tout pris dans des aplats de couleurs cernés de noir, presque la ligne claire de la bande dessinée.
C'est tellement étonnant comme carte postale que la correspondante l'affirme elle-même dans son message : "Drôle de carte n'est pas ? C'est un hôtel que j'ai trouvé en carte postale au provençal." le provençal doit être un café ou un marchand de journaux.
Alors qu'est-ce que cette carte ? 
La carte nous donne toutes les informations : nous sommes à Villefranche-sur-Mer, devant l'Hôtel Versailles qui possède 50 chambres avec bain, terrasse et vue sur mer, un restaurant, un parking...On sait que l'Hôtel Versailles est dirigé (sans rire) par Mr Duchâteau (ça ne s'invente pas...) et que messieurs P. Bernasconi, L. Pietrich, R. Lassablière en sont les architectes D.P.L.G. Ouf ! En voilà des informations.
Évidemment je me pose la question de savoir si cet Hôtel existe toujours. Bien entendu ! Il semble ne pas avoir trop bougé, il porte même encore son nom. Vous trouverez facilement. Peut-on y acheter des cartes postales ? Et le Provençal ? Il pourrait s'agir d'un autre hôtel.
On note une architecture peu extravagante mais ayant compris les lignes simples de la modernité. On note aussi que les architectes ont su composer avec le terrain et les deux niveaux d'entrée possible. Pilotis, piscine en haricot, toit-terrasse, grille orthogonale, blancheur et immense palmier, voilà l'architecture moderne au soleil !
Encore le soleil :



La végétation est quasiment brésilienne sur cette carte postale qui dit presque tout sur son image et en l'occurence, qui nous donne d'emblée le nom de l'architecte puisque c'est bien lui qui signe ce dessin d'architecture : André Minangoy himself !
Les aficionados de grosses machines architecturales connaissent bien ce nom dont nous avons souvent parlé ici. Ah....Marina, baie des Anges...
Ici, pour cette carte postale, il s'agit bien entendu de faire la promotion de l'énorme Alexandra Palace et de montrer, bien plus que son architecture, son implantation dans le paysage. On le dirait isolé ce Alexandra Palace sur la corniche, en bas la ville de Cannes. C'est de saison.
Au verso, cette carte sans éditeur ni correspondance, nous informe que nous pouvons prendre des renseignements directement sur place ou à l'agence. Cette fois donc, il ne s'agit pas d'un hôtel mais bien d'un immeuble de "grand standing" dont l'architecture, ma foi, laisse assez pantois. Peut-on aimer aujourd'hui ce genre de monstre blanc aux balcons obligatoires ? Je vais finir par le penser. Il s'agit pourtant de véritables clapiers de luxe dont la seule différence avec une barre de Hard French va être justement la localisation, le balcon, la taille et le prix du mètre-carré servant à réserver le dit Palace à certaines personnes. Du simple point de vue architectural, c'est une pure lâcheté, sans aucune pensée, aucune attention, aucun geste, aucune réflexion. Un beau et pur abattage de surface pour riches.
On dira que je suis jaloux.
Pour le reste, la carte postale reste assez surprenante face à une telle clientèle comme mode de communication et de circulation de l'information immobilière. On imagine le client potentiel, après une visite d'un appartement-témoin se voyant offrir ce genre de carte postale pour l'envoyer et demander l'avis à l'épouse restée à Paris, l'envoyer au cousin de Nevers pour lui montrer sa réussite sociale. 
On peut donc s'attendre à trouver d'autres immeubles et réalisations architecturales ainsi représentées, sans doute d'ailleurs dans le Sud de la France. On verra si cela se réalise. 
En attendant, plongez avec moi dans ce Sud gouaché et rêvé.

Pour voir ou revoir Marina, baie des anges :


mardi 24 mai 2022

Les Grands Ensembles en cartes postales : une analyse

Je suis très heureux de vous annoncer la publication de mon nouvel article dans les cahiers de la maison de banlieue et de l'architecture intitulé les cartes postales des grands ensembles, un pittoresque de la modernité. J'y fais une analyse un peu didactique du rapport entre représentation des grands ensembles et un médium populaire : la carte postale.
Vous voyez un peu de quoi je parle puisque j'en parle depuis 2007...
On notera que ce numéro des cahiers contient aussi un excellent article de Catherine Roth, l'invention de la sarcelle, un mythe du grand ensemble, qui fait le point sur cette notion. Il y a beaucoup d'autres choses passionnantes à lire dans ce numéro.
Je vous conseille donc si l'architecture moderne et contemporaine vous intéresse, si la représentation de la Banlieue vous passionne et si la construction d'un patrimoine vous titille de vous procurer ce numéro !
Merci à l'équipe éditoriale pour cette nouvelle preuve de leur confiance, la dernière fois nous avions évoqué ensemble, l'œuvre de Claude Parent :

Pour fêter ça je vous donne trois nouvelles cartes postales de ma collection inédites ici. Il faut enfoncer le clou. Vous lirez mon article en regardant ces nouveautés !


Cette première carte postale est une édition Leconte qui nous montre la Cité Notre-Dame de Blanc-Mesnil. La carte n'est pas datée et ne fut pas expédiée, elle omet de donner le nom des architectes. Nous ne ferons pas mieux. On remarque que le photographe est monté dans l'une des barres pour prendre un peu de hauteur et que cela nous permette de bien comprendre comment les espaces vides et construits dialoguaient ensemble. On note que les jeux des enfants sont un peu jetés au hasard dans cet espace et que le bac à sable est bien utilisé. Il faut dépasser la première impression laissant croire à un lieu vide et bien regarder pour y voir un lieu vivant. 



Cette carte postale pourrait être un archétype du genre. Le Hard French dans toute sa splendeur : une rigueur efficace. Nous sommes à Épinay-sur-Seine au dessus de la Cité d'Orgemont, rue de Marseille. Le correspondant au dos s'amuse à ajouter 33 pour préciser et nous indique : "où il y a une marque ce sont nos 2 fenêtres ; tu vois ?"
Voilà bien donc l'un des rôles des cartes postales, la possibilité dans une grille moderne de se situer, de se placer et de projeter chez le destinataire un commun du lieu. On notera la beauté du grand ordre de cette Cité. La carte postale est une édition Yvon. L'architecte en serait Daniel Michelin.



Pour finir, je vous propose cette étonnante carte postale Marco des Cités Niémen et Caravelles au Blanc-Mesnil. Ce qui nous étonne c'est bien le premier plan végétal. On pourrait le croire fabriquer sous les impulsions récentes d'un écologisme joyeux de la friche... Pourtant, ici, il s'agit sans doute d'un état intermédiaire du chantier d'aménagement des Cités, le photographe prenant ce premier plan pour végétaliser l'image et camoufler un parking un peu indigent pour lui. Le gris partout de cette photographie donne à ce morceau d'urbanisme une tonalité peu joyeuse et trompeuse. Il faut pour voir la Banlieue en couleur aller revoir Doisneau.

Trois cartes postales, trois niveaux de photographie : le sol, l'étage, l'avion. Trois cités qui se ressemblent, certes, depuis ces images en noir et blanc et qui, pourtant, pour les attentifs des grilles et du dessin proposent bien des variations qualitatives. La grille du Blanc-Mesnil est superbe dans son dessin. Il en va ainsi d'un certain ordre de la représentation, laissant croire à un ennui d'une fausse typologie. Il faut donc bien regarder, ne pas juger depuis notre histoire et nos clichés, savoir ajouter aux images ce qui n'y est pas et vivre ces images, non pas comme des partis-pris à rebours mais bien comme une urbanité des lieux.
Lisez-donc mon article.

Cahiers N° 29 de la maison de Banlieue et de l'architecture, Essonne et Grand Paris
Direction : Béatrix Goeneutte, Léa Vincelot-Segovia
Suivi éditorial : Marie-Claire Roux, Alain de Pommereau, Esther Montanès.
Merci ! jamais 2 sans 3...
15 euros.








mercredi 18 mai 2022

Des bulles de béton pour les Sans-Abri

 Il est toujours étonnant qu'après un plein de 15 000 cartes postales, alors qu'il m'arrive de les acheter par paquets de cent sur les foires à tout, de m'entendre faire whaou ! quand je tombe sur une telle rareté. Mais ce qui fait mon étonnement tient à la fois de l'objet représenté, du fait qu'il le soit par une carte postale et que cet objet finisse par m'arriver dans les mains.
Whaou ! donc :



Ceux qui me lisent depuis au minimum 2019 auront peut-être une petite piqûre de rappel en voyant cette étonnante carte postale. Ils y retrouveront les échos d'une carte postale publiée ici :
Nous sommes bien à Brignais devant la Cité Ballon construite par le chantier européen "Abbé Pierre" du foyer Notre-Dame des Sans-Abri à Lyon. 
On notera que sur la première que je vous ai montrée, la construction est nommée Maison Coupole et que, ici, on parle de Cité Ballon. Cela, bien entendu, résonne avec la Cité-Ballon de Dakar ou de Nossi-Bé et avec l'architecte-concepteur de ce type de construction Wallace Neff dont nous avons aussi souvent parlé. D'ailleurs il est bien indiqué que ces Maisons ballon étaient bien construites sur coffrage pneumatique. Tout concorde donc pour l'attribution du modèle même si aucune des deux cartes postales n'indique le nom de l'architecte. N'ayant trouvé aucune information sérieuse sur cette expérience de Brignais, il est difficile de savoir par où cette expérience a commencé : Dakar ou Brignais. Difficile aussi d'affirmer que, peut-être, les rapports de l'Abbé Pierre avec des missions africaines ont pu lui permettre d'entrer en contact avec ce type de réalisation pour loger les sans-abri. Mais cela reste une piste.
Mais alors que la première carte postale laissait entendre qu'il n'y aurait pu y avoir qu'une seule de ces maisons Coupole ou Ballon, cette carte nous montre bien un ensemble comme à Dakar. On notera que les ouvertures sont bien mieux dessinées ici à Brignais et que le béton lui-même à l'air de meilleure facture. Ai-je tort aussi de penser à un étage ?
Que cela devait dénoter dans le paysage de Brignais et dans cette France !
Je vais essayer d'avoir de plus amples informations sur cette expérience : date de construction, de démolition, choix du modèle et du terrain, destination, vie quotidienne. Il doit bien y avoir quelqu'un qui en aurait des souvenirs ! Cela n'a pas dû laisser la population de Brignais indifférente. On note que l'édition de la carte est aussi très pauvre avec un tirage très doux et un papier un rien souple. Sans doute que la diffusion de ces cartes devait être assez restreinte. Ni datée, ni écrite, sans nom d'éditeur ou de photographe, la carte postale reste un peu muette à nos explorations historiques mais qu'importe ! on se réjouit de pouvoir conserver un document sur cette expérience aujourd'hui totalement disparue.
Jamais deux sans trois.... de quoi sera faite la future carte postale de cette Cité Ballon de Brignais ?
Pour les moins courageux d'entre vous, je vous redonne l'image de la première carte postale et vous pouvez toujours retourner voir ici des articles sur Wallace Neff :

mardi 17 mai 2022

Quinzaine Radieuse bourrée de piscines Tournesol

Dans un mois, se tiendra donc la prochaine Quinzaine Radieuse à Piacé (Sarthe).
Les Aficionados de l'Architecture du XXème Siècle et de le Corbusier connaissent bien l'événement et le lieu, maintenant, c'est la 14ème édition ! Déjà !
Cette année, je présenterai la quasi-totalité de mes cartes postales de piscines Tournesol à proximité d'un morceau de piscine, relique joyeuse de cette icône architecturale.
Ce sera donc l'occasion de voir comment cette piscine Tournesol est représentée, comment chacune d'elles s'installe dans son paysage et dans le cadre photographique d'une carte postale : objet architectural populaire pour un art photographique populaire ! Tout l'esprit de Piacé !
Je vous laisse aller sur le site de Piacé pour vous rendre compte de la richesse de cette future nouvelle Quinzaine Radieuse ! Il y aura notamment une superbe nouvelle pièce, associant une sculpture de Pascal Rivet, la copie en bois à l'échelle 1 d'une Lincoln Continental présentée dans un écrin incroyable dessiné spécifiquement pour elle par le célèbre duo de designers, les Frères Bouroullec ! Un must inévitable cette année !
Concert, fête, feu de joie le soir, art contemporain, installation éphémère de Gianni Pettena et, et, et... Bref ! Vous n'avez aucune excuse pour ne pas être là le 18 juin à Piacé.
On vous y attend.






Pour fêter ça, je vous propose de voir deux nouvelles arrivées dans ma collection, deux cartes postales de la piscine Tournesol de Chassieu (Rhône). Vous allez voir que la carte postale a bien servi à enregistrer quelques changements intéressants.
On notera d'emblée que les deux cartes postales sont bien du même éditeur Cellard que nous connaissons déjà sur ce blog. Souvent producteur de photographies aériennes, Cellard ici nous montre donc la piscine et la ville vues du ciel. On remarque comment cette piscine s'inscrit dans un paysage de campagne à proximité de lotissements pavillonnaires, alors qu'au fond de la vue, on remarque un ensemble de semi-collectifs qui ont l'air bien intéressants, ressemblant à du Andrault-Parat. Mais rapidement, comme moi, vous aurez remarqué un détail de taille ! le changement de couleur de la piscine Tournesol. Il suffit de regarder la progression des constructions dans le lotissement en face pour comprendre que nous sommes bien passés du orange au blanc. Pourquoi donc ? Mystère ! Un désaveu du pop lors d'un entretien ? Amusant aussi le fait que la carte postale la plus ancienne est datée de 1990, ce qui prouve bien que la carte postale était encore disponible à la vente avec la version orange de la piscine.
Ne vous précipitez pas à Chassieu pour voir la piscine, elle n'existe plus ni en blanc ni en orange, elle a disparu, tout comme l'aspect champêtre de Chassieu devenu un parking géant de pavillons.
Merci donc les éditions Cellard d'avoir enregistré ce moment du paysage aujourd'hui éradiqué.

mardi 10 mai 2022

Est-ce que les galeristes pourraient faire flamber le prix des abris Martin ?

Parfois les étoiles s'alignent bien dans le monde du collectionneur de cartes postales. Parfois même, on pourrait croire qu'il n'y a pas de hasard.
Mon frère Christophe m'apporte un lot de vieux journaux Paris-Normandie dans lesquels je m'amuse d'une publicité pour des abris préfabriqués Martin dont l'argumentaire pourrait coller parfaitement aux maisons de Jean Prouvé. Je m'amuse aussi que l'histoire de l'architecture de ce genre de construction soit ainsi écrasée par le génial Prouvé, oubliant que d'autres constructeurs ont eux aussi participé à cette école, celle du bâti léger, mobile, métallique, économique. Je m'amuse souvent de la déception des amateurs devant l'échec chronique de Prouvé à vendre ses inventions alors que pléthore d'autres constructeurs semblent avoir mené à bien la commercialisation et la diffusion de leur invention dans une France des Trente Glorieuses pourtant amène à ce genre d'invention.
Retournez ici pour voir des exemples de réussite commerciale :

Voilà donc que quelques jours après la découverte de cette publicité pour les abris Martin, je tombe sur cette carte postale dans un lot de plus de 200 cartes sur l'architecture achetées à Rougemontiers.
Comme un signe du ciel !



Il s'agit là encore d'une carte promotionnelle. Vous avez compris que je les aime bien en ce moment, ces cartes postales un rien étranges servant de cartes de visites ou publicitaires pour un produit ou un programme architectural.
Mais avouez que c'est touchant. D'abord, avant même de retourner la carte sur le vide-grenier, j'ai aimé l'aspect très brillant et métallique de cette petite maisonnette toute de tôles recouverte. Le dessin des fenêtres est aussi assez curieux et on s'interroge sur la porte poussée ainsi au bord. On comprend en fait qu'elle profite du montant de la structure pour se poser là.
Oh, je ne ferai pas semblant d'être un découvreur d'œuvres géniales oubliées de la Grande Histoire de l'architecture ! Non. Ici, le génie, s'il y en a, c'est d'abord le pragmatisme édifié en absolu. Faire simple, rapide, facile et économique en ayant compris que l'essentiel pour le client c'est que, au mieux, toutes ces qualités, ne gâchent pas une image de maison. Il faut que cela reste charmant, reconnaissable comme une architecture utile. Pas d'excentricité ici remarquable, pas de désir de révolutionner l'Art de l'Habiter mais tout de même une certaine intelligence du modulaire et de la simplicité. 
Tout cela est chanté au verso de la carte postale de cet abri de Week-end !
Week-end ça suffira comme terme de Modernité !



On pourra rire en remplaçant Martin par Prouvé et voir que tout semble bien fonctionner ! Sans doute que l'argument "les moins chers de France" par contre, n'aurait pas pu être accolé aux maisons de Prouvé.
Vous me direz avec raison qu'il ne s'agit pas tellement dans leur échelle des mêmes constructions. Oui, sans doute.
Une autre chose me plaît dans les abris Martin c'est qu'ils étaient fabriqués à Chatelaillon ! Ah... la Charente Maritime est donc bien une terre de modernité architecturale !
Il faudra donc aux galeries de Design se ruer dans ce département pour avoir la chance de récupérer, perdu au fond d'un jardin, l'un des exemples les plus efficaces de cette histoire de l'architecture du préfabriqué. Je ne suis pas certain qu'en Normandie il en reste beaucoup.
Bonne chance Clément !
Pour info, la société Martin existe toujours et toujours à Chatelaillon ! 
Comme quoi, on pourrait attendre la même chose des Maisons Prouvé. Aurait-il manqué, notre quincailler de génie, la nécessité de diffusion et de publicité de son travail ?





lundi 9 mai 2022

Une carte programmatique des villes dites nouvelles

Comme on aime bien les cartes postales promotionnelles, on aura eu plaisir de tomber sur celle-ci, du Vaudreuil ville nouvelle, aujourd'hui rebaptisé, Val de Reuil. On est au bord de la carte postale puisque, même si son format et son dos réservé à la correspondance lui donnent bien sa place dans ce genre éditorial, on devine de suite que cette carte postale n'était pas du tout faite pour une correspondance.
Elle prend donc tous les codes mais n'est pas vraiment une carte postale.
Pourtant, elle permet deux choses essentielles : voir une réalisation architecturale des plus étonnantes et comprendre comment la promotion en était faite.
J'ai déjà dit ici ce que je pensais du Val de Reuil, mélange de socle à mon épanouissement dans l'architecture moderne et contemporaine, déception de ce que cette expérience en terme de forme est devenue et respect total pour cette tentative urbaine à la fois audacieuse, complexe, expérimentale et assez archétypale pour que ce rhizome puisse devenir au fil du temps une réalité urbaine avec sa propre histoire. Ce n'est pas donné à tout le monde d'appartenir à une génération ayant vu s'inventer de manière aussi complète une ville entière. Je suis donc malgré tout, toujours sensible à cette ville même si j'aurais préféré voir celle que Jean Renaudie avait projetée.
Regardez :
D'abord l'image. 


Le ciel est bleu et se répand sur les immeubles en béton préfabriqué, alternant le brun et le blanc et le surgissement de petits balcons. Nous sommes bien dans le centre historique du morceau d'architecture, amorce première de la ville. On note que la rotonde semble plus audacieuse, presque brutaliste devant une petite construction assez banale, en tout cas, ne voulant rien d'affirmé ni de spectaculaire, ni de très audacieux. Un anonymat assez étrange pour une expérience de cet ordre. Nous pourrions bien être absolument partout et surtout... nulle part.
Mon œil glisse bien entendu sur l'impression de dalle, de netteté minérale que le groupe d'enfants et la petite famille en promenade doivent savoir comme étant la spécificité de cette ville qui veut bien mettre au loin les automobiles. Je me reconnais donc dans ces skateurs de la première génération qui ont dû croire que la ville avait été conçue pour la pratique de ce nouvel art urbain. Pourtant... la petite famille parfaite qui se promène avec poussette et chien pourrait bien être la cible socio-culturelle visée par les promoteurs de ce nouvel art de vivre. Ni en banlieue, ni en campagne, croyant en cette révolution des villes nouvelles venant éteindre et disqualifier les expériences encore très vivantes des Grands Ensembles, les familles venaient là voir si, en lieu et place d'un pavillon, on ne pourrait pas vivre ici. Mes parents ont aussi douté.
Finalement... ce fut le pavillon. Les enfants auront donc grandi dans une ville minérale ou tout est lisible, où les volumes sont clairement façonnés, où les fonctions et les besoins sont distribués autour de cet axe premier. Que fera l'écologisme de cette tentative ?
Puis le texte.


On note que l'argumentaire, bien avant d'être architectural est urbain. L'architecture n'est abordée que par son financement. On s'amuse là encore de cette volonté de faire un lieu particulier dont la définition reste difficile à faire. On parle de joli coin, de vacances... Tout de suite les fonctions de la ville sont bien rendues lisibles comme pour rassurer, sans doute aussi pour parler de l'échec souvent récurrent de ce manque d'urbanité dans les Grands ensembles. Il y a même un Mammouth !




Mais voici une vraie carte postale du Vaudreuil. On note d'ailleurs que les éditions Kettler nomment encore le Vaudreuil, Ville Nouvelle.
On retrouve bien là le principe de cette ville construite comme une rue longue et piétonne sur laquelle la distribution des fonctions viendront se greffer. L'abandon de l'auto fait image, donne certainement aussi une idée du premier tournant contre cet objet qui est vu comme encombrant les rues. Ici, les enfants circulent sans crainte sur une surface essentiellement minérale et nette. Le ciel pourtant tente de descendre dans les peintures murales comme pour en ouvrir les surfaces. Deux petites filles minuscules marchent devant nous, l'une d'elles porte fièrement le pain. Je pense à Doisneau. Les enfants vont toujours chercher le pain, première responsabilité de l'enfance. Et sur l'une des fenêtres, quelqu'un a fait ce geste que j'aime tant d'inscrire une croix sur son habitation. Se reconnaître ici et maintenant, se reconnaître là dans le mystère d'une image fermée.
Beaucoup de ciel au Vaudreuil.
Combien d'habitants de la première génération vivent encore dans ce morceau urbain exceptionnel ? Combien y ont vécu la vie décrite sur le dos d'une carte promotionnelle ? Combien en furent convaincus puis ont changé d'idée parce qu'une ville ça change aussi ? Est-ce que ces deux petites filles ont lié des liens particuliers avec cet espace ? Y vivent-elles encore, heureuses de leur histoire urbaine ? Ont-elles été transformées par cette expérience ?
Les cartes postales ne le disent que rarement. Ce n'est pas leur objet. Ne forçons pas ce document à être autre chose que ce qu'il est. Un moment.
Pour revoir et relire Val de Reuil :